A chacun son dû ( 2ème partie)
Partie - II
Agé de quarante-cinq ans, le juge, un homme bellâtre à la peau blanche et flasque exerçait dans la capitale depuis une quinzaine d’années. Chaque soir, avant de manger, il buvait quatre verres de whisky et fumait un paquet de cigarettes. Lalla se contentait de deux verres seulement et de cinq Dunhill. Son agressivité envers la petite Mina disparaissait complètement chaque fois qu’elle dépassait cette dose. Malheureusement cette situation ne se produisait que lorsque les deux amis intimes de la famille passaient la soirée chez le juge. Tiré toujours à quatre épingles, Jalal avait la réputation d’être l’homme le plus facilement corruptible et le plus corrompu de toute la ville. Il était l’homme des situations douteuses et son champ d’action n’avait pas de limites. Ses incalculables interventions illégales lui permirent d’amasser une immense fortune. Pour parvenir à ses fins, le juge avait établi un réseau d’intermédiaires qu’il arrosait généreusement à chaque transaction. Ses agents qui se situaient à tous les niveaux de l’administration devaient repérer puis débusquer les citoyens riches ayant des problèmes avec la justice. Ils étaient chargés de se mettre en contact avec ceux qui se sentaient lésés dans leurs droits pour les informer qu’ils pourraient gagner leurs procès s’ils se montraient un peu généreux. Le montant de cette générosité variait en fonction du type de procès et du chiffre d’affaires du justiciable. Cette mission n’était pas toujours facile, car, méfiantes, quelques victimes faisaient preuve d’une certaine résistance. Les hommes du juge adoptaient dans ces cas là , la stratégie des loups, en se répandant partout à travers la ville. La proie se trouvait alors encerclée et ne bénéficiait d’aucune échappatoire. Partout où elle fonçait, elle trouvait toujours, sur son chemin, un de ces prédateurs, bien reposé, qui la traquait à son tour. Essoufflée, elle finissait toujours par se laisser avoir. D’autres clients cherchaient de leur propre gré les hommes du juge afin de parvenir à leurs buts, évitant ainsi les méandres et les marécages de l’administration où ils risquaient de s’embourber inéluctablement. Le Cheikh Al Madmoon venu des pays du Golf et le juif Shimon faisaient partie de cette deuxième tranche. Ils avaient versé de grosses sommes d’argent au juge pour voir naître leurs projets. Le jour où le juif prit possession de tous les documents nécessaires pour le fonctionnement de son entreprise, et en tant qu’investisseur bien avisé, il prit la résolution de récupérer la valeur des pots de vin qu’il avait versés au juge. Pour ce faire, il devint l’un de ses deux amis les plus intimes. Et en grand amateur d’alcool, le juge lui facilita énormément la tâche. Le cheikh, par contre, n’avait aucune idée sur les affaires. Il était évident que les fées de l’intelligence et du savoir être n’étaient pas présentes le jour où Al Madmoun était venu au monde. N’ayant jamais pu dresser un quelconque plan d’action, fut-ce à court terme, il se fiait tel un dromadaire, à son instinct de survie, pour traverser le monde de l’argent en consommant avidement tout ce qui se trouvait sur son chemin. Il n’était ni avare, ni capricieux, ni beau, mais riche et vicieux. Ne disposant pas de talents, il compensait ce manque par son argent et s’esclaffait bruyamment des blagues qu’il racontait, et qui en fait, ne faisait rire personne. Pour tirer profit de ce contraste divinement injuste, les femmes s’offraient généreusement à lui malgré son physique répugnant. Le jour où Lalla lui sourit pour la première fois, elle avait elle aussi cette intention et conseilla à son mari de prendre soin du cheikh et de l’inviter, de temps en temps, à venir s’amuser avec eux. Pensant à tous les profits qu’il pourrait tirer de cette amitié, le mari accepta la proposition très sage de sa femme. Shimon et Al Madmoon furent les deux seuls hommes autorisés à passer des soirées chez le juge. Avec le temps, Leila découvrit tous les vices et toutes les perversités dont souffrait l’homme venu du désert. Mais elle le supporta tout de même, étant donné qu’il convertissait ses défauts en dollars. En beaucoup de dollars.
( A suivre )
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