Une jeune fille s’approche d’un étang. Le vent joue dans sa longue robe couleur perle. Délicatement, elle s’agenouille au bord de l’eau, cache son visage dans ses mains et se met à sangloter. Une grenouille passant par là , et attirée par les pleurs, se pose sur le nénuphar le plus proche de la belle.
« Bonjour demoiselle. Que se passe-t-il ? »
La jeune fille lève la tête, les yeux rougis et bouffis, et renifle bruyamment.
« Je suis la plus malheureuse. Je ne trouverai jamais l’amour malgré mon statut de princesse. Personne ne veut de moi. - Tu me parais encore bien jeune pour te résigner de la sorte. Raconte-moi ton histoire. »
Sans réagir à la singularité de son interlocuteur, elle se met à narrer les derniers événements de sa vie.
«L’année passée, je suis tombée amoureuse de Philippe. C’était un beau prince aux cheveux châtain, avec son indémodable cape rouge. Il avait entendu parler d’un château entouré de ronces et dans lequel tout le monde s’était endormi suite à une malédiction. D’un naturel très curieux, il s’y est rendu. Là , il a trouvé une blondasse qui s’appelait Aurore. Horreur, oui ! Il l’a embrassée, ce ballot, et maintenant ils vivent comme des coqs en pâte dans ce château bizarre. Ensuite, j’ai croisé Henri à un bal organisé par son père, le Roi, désespéré de trouver un jour un bon parti pour son fils. Je me suis dit que j’avais toutes mes chances. En plus, il était beau garçon, les cheveux noirs de geai et des yeux de braise. Nous avons dansé plusieurs valses. Il semblait sous le charme …. lorsqu’elle est entrée ! - Qui ça ? - La souillon déguisée en princesse. Il m’a laissée tomber comme une vieille chaussette pour aller l’inviter à danser. Il ne décollait plus d’elle. Puis, elle est partie précipitamment, un peu avant minuit, sans que personne n’en comprenne la raison. Elle a paumé une de ses godasses de verre sur l’escalier avant de monter dans son carrosse. Je suis sûre qu’elle l’a fait exprès ! Henri ne m’a plus jamais regardée, il est devenu obsédé par cette fille. Il dormait même avec la chaussure, jusqu’à ce qu’il la retrouve et se marie avec elle, bien sûr. Comment peut-il être tombé amoureux d’une fille qui s’appelle Cendrillon, qui a les mains abîmées par les travaux ménagers et qui sent l’eau de Javel ? Dans quel monde vivons-nous ? - Cela ne fait que deux échecs ! - Non, ce n’est pas fini. Peu après, j’ai connu Floriant. Il portait aussi une cape rouge, j’en raffole. C’est très chic ! Pendant une partie de chasse, il a découvert une jeune fille au teint cadavérique qui était pleurée par des nains. - Pas possible ! - Si, je vous assure. On aurait dit une gothique avec ses cheveux noir ébène et son teint blafard ! Qui sait ce qu’elle fricotait avec ces sept nains ! C’était malsain. Et Floriant n’a pas trouvé mieux que de tenter de lui faire du bouche-à -bouche, comme il l’avait appris aux cours de réanimation. Comme c’était un élève assidu, elle s’est réveillée et ils se sont mariés aussi. On dit « jamais deux sans trois », le prochain devait être pour moi ! J’ai donc continué à fréquenter les bals et j’ai croisé Eric. C’était le plus beau de tous. Il était musclé, la mèche naturellement bien placée, un sourire Pepsodent. J’étais subjuguée. Nous aimions nous promener autour de son château en bord de mer. Il était très romantique, cela s’annonçait bien pour moi. Il est allé un jour se balader seul sur la plage et devinez avec quoi il est revenu ? - Un seau de moules ? Des bulots ? - Non, une sirène ! Enfin, on n’a pas su tout de suite que c’en était une. Elle ressemblait à une gamine et était muette. Elle n’arrêtait pas de faire du gringue à Eric et je sentais qu’elle l’intriguait. Un jour, j’ai renversé par inadvertance un verre d’eau sur elle et elle s’est transformée. Je me suis dit « Waouw ! Un coup de bol, Eric déteste le poisson ! » Et bien non. Elle a retrouvé la parole et nous a appris qu’elle s’appelait Ariel. Elle s’est mise à chanter et lui a lessivé le cerveau. Il a été envoûté et ils se sont mariés. Je suis maudite. - Non, ne pense pas cela. Tu es très jolie. Comment t’appelles-tu ? - Fidkabilidramina. - C’est original. - Pas facile à porter. Bon, je repars à la recherche d’un autre prince. Il y en a pas mal dans la région. Je finirai bien par en trouver un. Merci de m’avoir écoutée. Adieu grenouille. - Adieu et bonne chance dans ta quête. »
La jeune femme éloignée, le batracien souffle. « J’ai failli lui demander de m’embrasser pour me faire redevenir prince. J’ai été inspiré de lui avoir demandé son prénom avant. J’aurais été obligé de me marier avec elle. Nos faire-part auraient été impossibles à publier : Le Prince Bariboumadirandamalari du Royaume de Microufigabloumandie qui se marie avec la Princesse Fidkabilidramina. Tout le monde aurait cru à une blague ! J’attendrai la prochaine moi aussi ! »
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