Année 1961 rue Colbert à Tours: Mon père artisan boucher qui a tenu boutique dans cette rue, pendant 33 ans à l’enseigne de la « Boucherie René », hébergeait gracieusement un dénommé Pompom, genre de Coluche de banlieue, haut en couleur au verbiage facile et coloré, ayant connu des fortunes diverses au cours de sa vie mouvementée de Patachon. Menant une vie de bâtons de chaise, il avait consommé (le terme est de circonstance) toute la fortune qu’il avait acquis en étant installé, pendant des années pépiniériste en banlieue Tourangelle. En effet la boisson et la fête étaient venues contrarier, la bonne marche de cette activité, et le nombre de créanciers d’état qui le pourchassaient sur l’ensemble du département d’Indre et Loire l’incitant à être prudent, il occupait donc, incognito, ce logement derrière la boutique de mon père, en loucedé, comme ce dernier le disait en argot louchébem.
Dans cette rue, qui était à l’époque la plus commerçante de la ville de Tours, il y avait, sur une distance d’environ 500 mètres, une quinzaine de débit de boisson, qui étaient alors des lieux d’échanges, ou les gens se retrouvaient pour conter leurs soucis, leurs espoirs, leurs désespoirs ou pour palabrer, discuter, se parler tout simplement.
Les télévisions, n’étaient encore pas présentes dans beaucoup de foyers, une majeure partie de la vie sociale se passait dans ces lieux de rencontres qu’étaient les bistrots de l’époque, véritables lieux de vie. Par exemple, pour le prix d’un ballon de rouge à 35 centimes de Franc, soit 6 centimes d’ €, on pouvait passer quelques heures à moindre coût pour discuter, dialoguer, échanger avec l’autre, aujourd’hui inconnu…. Ainsi, chaque samedi et chaque dimanche des concours de belote ou de coinchée se déroulaient dans ces cafés avec pour lot numéro un: une tête de veau entière, exposée durant tout le concours sur le comptoir avec du persil dans les trous de nez et dans les oreilles, dont la valeur était de 10 francs, soit 1,50€ !!!! C’était alors l’effervescence dans les troquets, ou tout ou partie du quartier était réuni pour tenter de gagner le gros lot !!! Les Panis, Marius et autre Monsieur Brun étaient l’espace d’une soirée domiciliés rue Colbert à Tours.
Mais c’était sans doute, bien plus que cela, c’était l’occasion de se rencontrer, de plaisanter de vivre et de se savoir appartenir à une communauté, c’était en fait l’occasion d’avoir le formidable sentiment d’exister. Pompom fréquentait en journée, assidûment le café qui était situé à coté de la boutique de mon père, à l’enseigne de Grosse cocotte, ou il nous faisait partager ses histoires, vécues pour quelques unes, inventées pour les plus nombreuses, mais contées avec une telle conviction, que l’on se forcer à y croire. Il y rencontrait là , notamment: le Marquis d’Argentcourt, un habitué de la rue à qui il manquait toujours 1sou pour faire 2 sous, le Baron Vise à gauche ainsi surnommé car souffrant d’un strabisme divergent, le Vicomte de la Briquette, un ancien mâcon en arrêt maladie perpétuel et qui, alors que le médecin du travail l’exhortait à reprendre le boulot, estimant qu’il n’avait aucune raison d’être porté pale, avait répliqué en baissant son pantalon et en exhibant une blessure provoquée par un éclat d’obus, reçue à la cuisse pendant la guerre d’Algérie : « Et ça, c’est un éclat de rire !! » Dans ce café un jour, alors que Pompom discutait au comptoir avec un ami de boisson,..... et de longue date sur : le devenir de la planète, les vicissitudes de la vie…., ou l’augmentation abusive du prix du ballon de rouge !!! (remarquons que c’est toujours après quelques godets que l’on aborde les sujets sérieux…) , cet ami concluait d’une manière péremptoire : « Ben oui, mais on ne peut pas être et avoir été » et Pompon de rétorquer de manière indiscutable : « Cela dépend, regarde nous, on se connait depuis plus de 30 ans, et bien il ya 30 ans tu étais cocu, et aujourd’hui, tu l’es encore !!! ». Démonstration était faite, une fois pour toute, par le philosophe Pompom, que l’on pouvait être et avoir été. A suivre….. 11/10/2013
|