Une soupe mortellement bonne !
La Présidente de la Cour d’Assises, en habits rouges et noirs, entame la lecture de l’acte d’accusation : « Herchel Marie Lucienne, née le 5 juillet 1961 à Jemappes, est accusée de meurtre avec préméditation à l’encontre de Chabert Gilles René, né le 20 août 1959, son époux. Les faits se sont déroulés entre le 11 et le 12 avril 2013 à Pâturages. Le 10 avril, l’accusée a cueilli des champignons dans le bois proche du domicile. Elle a sciemment utilisé des amanites phalloides afin de confectionner une soupe à l’attention de son mari dans le but de provoquer sa mort par intoxication. » Marie, le teint blafard, est invitée à se lever pour l’interrogatoire en bonne et due forme. « Madame, reconnaissez-vous avoir empoisonné votre époux ? - Oui, mais c’était un accident. Je vous assure. J’aimais mon époux, nous étions mariés depuis 25 ans. - Pourquoi avoir utilisé des champignons vénéneux ? - Je ne le savais pas. Régulièrement, je me rendais dans le bois pour y cueillir des baies et des champignons. Ce n’est pas la première soupe que je préparais. Il m’a dit que c’était la meilleure qu’il avait jamais goutée. Ce champignon …. je ne le connaissais pas. Qui aurait pensé ? » Marie se met à pleurer à chaudes larmes. La Président, dubitative, continue ses questions : « Vous n’en avez pas mangé en tout cas, c’est que vous vous méfiiez ! - Je ne peux pas. Si je consomme des champignons, je claudique pendant deux semaines car ma goutte se réveille ! - Qu’avez-vous fait en constatant que votre mari ne se réveillait pas ? - La veille au soir, il m’avait dit qu’il était crevé et avait demandé que je le laisse dormir. Un peu avant midi, je me suis tout de même inquiétée. Et là , je l’ai touché …il était glacé ! J’étais paniquée et je me suis évanouie. C’est ainsi que je me suis cognée à l’œil, sur le bord du lit. Quand je me suis réveillée, j’ai été chez la voisine car nous n’avons pas le téléphone. C’est elle qui a appelé les secours. - C’était déjà trop tard ! » Des témoins sont appelés à la barre : ambulanciers et policiers, les premiers sur place. Ils n’ont pu que constater la mort de Gilles. Marie a été emmenée à l’hôpital, choquée. Le médecin légiste apporte son témoignage. Ce sont ses analyses qui ont déterminé la cause du décès du pauvre mari gourmand. Dans son estomac, ils ont retrouvé de la fameuse soupe dont la digestion a été brutalement interrompue. Grâce à des tests dignes des experts d’Outre-Atlantique, il a pu retrouver les traces du fameux champignon. Il confirme aussi la propension de Marie à l’hyperuricémie. Ensuite, un psychologue vient donner lecture de son rapport. Il assure qu’elle est tout à fait saine d’esprit et d’une intelligence moyenne. Le spécialiste expose l’anamnèse de la patiente. Née dans une famille modeste, elle est fille unique. Enfance et adolescence normales, elle a rencontré Gilles lors de la pendaison de crémaillère d’amis communs. Ils se sont rapprochés et le mariage a eu lieu un an après. Ils se sont installés à la campagne dans un bungalow isolé, en lisière de forêt. Le couple a eu deux enfants. Ceux-ci ont pris leur indépendance quelques années plus tôt et viennent rarement visiter leurs parents. Apparemment, pas de violence conjugale. Bref, un couple sans histoires. Se pose alors la question du motif d’un éventuel meurtre. Pourquoi Marie aurait-elle voulu tuer son cher et tendre ? L’expert ne peut apporter aucune réponse. Ce sont alors les témoins dits « de moralité », qui sont invités à venir s’exprimer et répondre aux diverses questions de la Cour, des avocats et même des jurés. Ainsi défilent des voisins, des amis de la famille et les deux enfants Chabert. Tous s’accordent à dire qu’il s’agissait d’un couple qui s’aimait, vivait en autarcie avec ses poules, son potager et le bois pour la cueillette. Viennent ensuite les plaidoyers. Le Procureur soutient que l’œil au beurre noir est consécutif à un coup de la part du mari indélicat et que, dans un esprit de vengeance, Marie a concocté sa fameuse soupe et qu’elle aurait même traîné à appeler les secours afin d’être sûre que personne ne puisse le ramener à la vie et la remettre en enfer ! L’avocat de la défense a bien préparé son réquisitoire et brosse le portrait attendrissant d’un couple idéal et d’une soupe préparée avec amour mais méconnaissance des risques. Le veuvage étant déjà une lourde sanction, il requiert l’acquittement pur et simple de sa cliente. Sur ce, le jury se retire pour délibérer. Les débats durent près de trois heures. Une sonnerie retentit et la salle d’audience se remplit à nouveau pour écouter le verdict. Celui-ci tombe, net et précis : non coupable. Le cœur de Marie, qui se serrait dans sa poitrine et battait jusque dans sa gorge, peut enfin ralentir. Elle pousse un soupir de soulagement. Son avocat s’adresse à elle, lui tient les mains. Elle n’entend qu’un bourdonnement. Ce soir, elle ne devra pas rejoindre la cellule froide et humide de la prison. Elle peut enfin rentrer chez elle ! Dans la salle des pas perdus, son avocat répond à la presse : « C’était un accident et le jury l’a compris ! Justice a été rendue.» En sortant du Palais de Justice, un petit sourire naît sur les lèvres de Marie. Il faut qu’elle détruise cette cassette de Titanic. Elle n’avait que celle-là sous la main le jour où ce reportage sur les champignons est passé sur TF1. Elle l’avait conservé au cas où les violences verbales deviendraient physiques.
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