gestion de crises (suite )
A contre cœur, certains représentants du peuple finirent par sortir de leurs coquilles. D’autres quittèrent leurs tours d’ivoire. Ils tentèrent de trouver une issue de secours. Ils se mirent à cogiter malgré leurs quotients intellectuels très au dessous du médiocre. Visages pales ou cramoisis. Gouttes de sueurs sillonnant des joues flasques. Les élus étaient au bout du désespoir. La menace des sans emplois planait sur leurs têtes. Il fallait faire vite. Leurs réunions extraordinaires fréquentes montraient bien qu’ils étaient à bout de souffle et à court d’idées. La solution qui les soulagerait tardait à venir. Heureusement, du fin fond du pays vint la délivrance. Un conseil municipal dont on n’avait jamais parlé et auquel personne n’avait jamais songé, finit par trouver la potion magique qui allait bouleverser la gestion des crises au niveau des communes : Les attentes d’une bonne partie des chômeurs allaient être satisfaites. Un lac peut se révéler plus riche en poissons qu’un vaste océan. Il fallait tout simplement construire des marchés communaux, et distribuer les boutiques aux chômeurs. Ce n’était pas sorcier, mais il fallait y penser. Les idées géniales germent toujours dans des esprits modestes. Tous les élus empruntèrent le chemin de la petite communauté.
Le conseil municipal de la ville d’El jadida, comme ses semblables, sauta sur l’occasion et érigea en un temps record son marché. Un monument qui resterait certainement dans les annales de la ville. Une centaine de minuscules boutiques, aux dimensions de tombes. Les responsables pensaient y enterrer une bonne partie de leurs soucis. Des ruelles, dont la largeur dépassait rarement un mètre, sillonnaient cet espace commercial. On donna à ce monument aux allures d’un cimetière le nom très évocateur de « Bir Brahim » (le puits d’Abraham). Qui était Brahim ? Et pourquoi parlait-on de son puits ? Mauvais présage. Marchands et usagers rejetèrent ce nom maudit et le remplacèrent par celui de « Lalla Zahra » (Zohra la Sainte !). Au moins cette bienheureuse n’était pas étrangère au quartier, puisqu’elle reposait tranquillement à quelques mètres du marché. D’ailleurs les habitants enjambaient quotidiennement sa tombe qui barrait un trottoir dans toute sa largeur. Distribution des boutiques- tombeaux dans des conditions « transparentes et hautement démocratiques » Craignant l’échec de leur démarche et se souvenant des fameux settings, les élus éventèrent une idée aux allures d’une vérité générale: « Un petit métier libéral est mille fois plus lucratif que le poste d’un haut fonctionnaire public ». Le slogan fit son effet. Certains chômeurs se voyaient déjà participer à des foires internationales et décrocher des contrats juteux. Pour prendre possession de leurs boutiques, les bénéficiaires chanceux devaient verser au préalable une importante somme d’argent aux membres du conseil municipal. Ce qui freina sensiblement la ruée vers Lalla Zahra. Surtout que cette lourde taxe n’était mentionnée sur aucun papier officiel. Les représentants des citoyens avaient besoin de beaucoup d’argent pour maintenir leur niveau de vie. On oublia les infrastructures de base. Les travaux de finition des boutiques furent à la charge des acquéreurs. Certains commencèrent à installer des portes. Le bois coûtait chers. La plupart des futurs négociants se contentèrent d’accrocher un bout de tissus en guise de porte. L’entrepreneur chargé de la construction de ce joyau architectural avait omis, lui aussi, de prévoir des lieux sanitaires. Zohra la Sainte n’avait pas besoin de WC. On se soulageait partout. Là où on pouvait. L’odeur d’urine embaumait Lalla Zahra. La régie de la ville priva le marché des deux éléments vitaux : l’eau et l’électricité. Tôt le soir, clients et commerçants cédaient les lieux à des hordes de chiens et de chats. Personne ne pouvait aborder Lalla Zahra dans l’obscurité. Même la police n’osait jamais se hasarder près de ce lieu à haut risque, situé en plein cœur d’un quartier populaire qui approvisionnait tous les toxicomanes en toute sorte de drogue. Comme beaucoup de chômeurs n’avaient pas pu verser la somme exigée, les responsables firent appel à des particuliers. Aucun élu ne prit la peine d’organiser ce lieu commercial. Les boutiques furent cédées selon l’ordre numérique. Aussi, le boucher se trouva-t-il coincé entre un forgeron qui se défoulait à longueur de journée en tapant frénétiquement sur un morceau de taule et, un vendeur de produits de lessive qui avait le don de confectionner lui-même des potions auxquelles nulle tâche ne pouvait résister. Cet alchimiste gardait jalousement le secret de son invention en ne laissant filtrer qu’une odeur pestilentielle qui faisait fuir tous les usagers soucieux de revenir, chez eux, sains et saufs.
( A suivre )
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