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L'homme à la Yashica (suite et fin)
Le juge interrompit inopinément M. Truc et le somma d'aller directement aux faits dont il était accusé. « -Comment avez-vous commencé à avoir des relations, disons intimes, avec certaines institutrices ? -Ce sont elles qui me provoquaient, monsieur le juge. - Comment cela ? - Je faisais mon travail de la manière la plus normale et la plus consciencieuse. Je contrôlais les cahiers de textes, les cahiers des élèves bien que je ne comprenne pas grand chose à ces trucs là . Il m'arrivait même de faire parfois des remarques aux professeurs sur les points qui me paraissaient importants. Avec le temps, certaines femmes professeurs ont commencé à se rendre fréquemment dans mon bureau pour me demander mon avis sur tel ou tel truc. Habillées coquettement et maquillées comme elles étaient, un jour, monsieur le juge, j'ai fini par craquer et j'ai commencé à leur faire comprendre que je pouvais fermer les yeux sur leur rendement insuffisant moyennant un petit plaisir éphémère et qui ne nécessitait pas beaucoup d'efforts de leur part. - Ces institutrices ne travaillaient donc pas bien en classe avec leurs élèves, résuma le juge. - Bien au contraire, monsieur le juge, mais je leur demandais de préparer davantage de leçons et d'exercices. Je vous jure, monsieur le juge que, ces femmes n'ont adopté cette stratégie que pour me séduire et me détourner de mes responsabilités. Je ne suis qu'une victime d'un complot bien monté. - Et où se passaient vos ébats amoureux ? demanda le juge dont la voix devenait de plus en plus sèche. - Dans mon bureau. Il n'a qu'une seule fenêtre qui donne sur la rue. J'ai fait installer un truc à cause des rayons du soleil qui me gênent quand je lis. - Ou quand vous admirez vos proies, ajouta le juge. Continuez ! - J'avais fait savoir à tout le corps enseignant que je ne peux recevoir qu'un instituteur ou une institutrice à la fois. Généralement quand une femme venait me voir, je fermais la porte à clé « pour que personne ne nous dérange » leur répétais-je. - Soyez précis monsieur ! Est-ce que ces femmes qui vous ont séduit comme vous prétendez étaient consentantes ? - Non monsieur le juge. Comme vous savez, le patron pouvait les renvoyer à tout moment. Elles avaient donc peur de perdre leurs emplois. - C'est un abus de pouvoir dans ce cas là , précisa le juge. - Je suis victime monsieur. - Parlez- moi des élèves dont vous avez abusé. - Trois garçons et une fillette, monsieur le juge ».
Il cita leurs noms tout en détaillant pour chaque cas comment il avait procédé pour l'attirer dans ses pièges. Toute altercation d'un élève avec le personnel de l'établissement, toute absence non justifiée, toute mauvaise note obtenue lors d'un contrôle nécessitaient une entrevue avec M. Truc. Celui-ci commençait toujours ces rencontres par des menaces. Il affirmait aux jeunes apprenants qu'il ne pouvait pas ne pas signaler leurs comportements anormaux ou leur rendement qui laissait à désirer à leurs parents et finissait toujours son entretien par une question ambiguë : « Qu'est-ce que tu me proposes en échange, si je ferme les yeux sur ce que tu as fait ? ». Pour ne pas s'attirer la foudre de leurs parents, certains élèves étaient prêts à tout sacrifier : argent, goûters, stylos et parfois même des téléphones portables. Les plus réticents se voyaient menacés d'exclusion. Alors ils obtempéraient et payaient la rançon comme leurs camarades.
Que son butin soit consistant ou maigre, M. Truc se résignait enfin à relâcher ses otages tout en caressant leurs cheveux et en les conseillant de ne pas récidiver. Mais avec le temps, les caresses qui semblaient naïves se transformaient en attouchements flagrants de certaines parties des corps des jeunes élèves pour aboutir enfin à l'acte le plus abject qui puisse être commis.
Une mignonne fillette de huit ans avait l'habitude de le saluer chaque matin en l'embrassant sur ses joues flasques. Désirant tirer le maximum de plaisir de ce délicieux baiser, l'ex- homme à la Yashika l'informa que les élèves assidus et bien élevés devaient saluer leur directeur deux fois par jour, le matin en arrivant à l'école et le soir avant de la quitter. « Ce geste relève de l'éducation civique », prétendait-il. Et en petite fille assidue et bien élevée, elle ne manqua pas d'appliquer rigoureusement cette loi. On la voyait souvent, le soir après les cours, en train de chercher M. Truc pour lui dire au revoir. Ce dernier avait pris l'habitude de rester dans son bureau à l'heure de la sortie des classes, pour que la petite fille vienne appliquer, en toute tranquillité, ses lèvres fines sur son visage joufflu. Assis sur son large fauteuil pivotant, il la prenait sur ses genoux et commençait à lui réciter des chansons. Un soir d'hiver, comme il pleuvait très fort, la fillette fut obligée de rester à l'abri dans le bureau de M. Truc. Au fur et à mesure qu'il lui chantait un refrain, sa respiration devenait difficile et saccadée. Ce jour là , il franchit le cap et passa sans vergogne à l'acte le plus abjecte.
- « Vous avez certainement abusé d'autres garçons, déclara le juge, en laissant paraître un certain malaise dans sa voix. - Non monsieur le juge, il n'y a que ces quatre élèves dont je vous ai parlé - Vous souvenez- vous d'un garçon nommé X qui a passé seulement une courte période dans votre établissement, il y a de cela une vingtaine d'années ? - X ?! X ?! , oui, je m'en souviens. Il travaillait très bien, malheureusement il ne voulait plus continuer ses études chez nous. Ses parents ont beau essayé de le raisonner mais sans succès. - Avez-vous abusé de cet élève qui travaillait très bien comme vous dites, cria le juge en fixant M. Truc d'un regard plein de haine. - J'ai tenté plusieurs fois, mais c'était peine perdue. Il était fort de caractères et me menaçait même d'aller raconter tout ce que je lui disais à ses parents. J'avais donc peur, alors je l'ai laissé tranquille. - Cet élève qui travaillait très bien et qui vous menaçait de tout dire à ses parents n'est autre que l'homme qui vous juge aujourd'hui ».
M. Truc s'affala. Son visage devint livide. Des gouttelettes de sueur sillonnaient son visage boursouflé. Il se voyait déjà finir le reste de sa vie avec des criminels et des bandits dans l'une des prisons inhumaines du pays. Le monde carcéral avec sa violence, sa promiscuité, ses dépravations, ses perversions envahit sa mémoire. Il sourit à l'idée qu'il allait peut être subir le même sort que ses victimes.
La sentence fut lourde. M. Truc écopa de quinze ans de prison ferme. Beaucoup de gens présents dans la salle furent satisfaits du verdict. Certains prédirent même que l'homme à la « Yashica » ne reverrait jamais plus le monde libre. Ce fut un coup dur pour l’établissement. Ce fut un coup dur pour tous les établissements. L’histoire de M. Truc n’était qu’une petite goutte dans un océan d’injustice, de perversité, d’avidité. Mais l’esprit des citoyens est court. Ils oublièrent rapidement M. Truc. Quant aux propriétaires des écoles privées, ils survécurent à cette crise et continuèrent à faire appel à des Trucs pour faire tourner leurs établissements. Les lauréats de ces écoles ne trouvèrent pas d’emploi. La réparation des véhicules ou des postes de radio n’eut aucun succès. La formation ne fut qu’un désastre. On opta pour une nouvelle forme de formation. Des centres de qualification professionnelle furent créés. Une appellation séduisante. On devait former des jeunes capables de réparer des ordinateurs, des téléphones portables, des I Pod, des IPad, des I Phones. Bien que ces engins n’existent pas encore dans le pays, les responsables tenaient à ce que les jeunes se tiennent prêts pour la transition vers l’ère technologique du vingt-deuxième siècle. M. LAABALI
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