L'homme à la "Yashica"
Formé juste après l'indépendance, le gouvernement national avait, comme on continue à le répéter jusqu'à présent, du pain sur la planche. En effet, durant des années d'occupation, le colonisateur n'avait investi que dans les secteurs vitaux pour la métropole, laissant complètement les indigènes patauger dans leurs innombrables problèmes. Le jour où la jeune république recouvra son indépendance, les tenants des rennes de l’État, dont la plupart d'entre eux collaboraient sérieusement et consciencieusement avec les occupants, déclaraient dans les interminables meetings qu'ils tenaient fréquemment sur les places publiques et dans les campagnes, que l'ennemi n'avait fait que voler leurs richesses, qu'il était donc temps de lui montrer ce que le mot « patriotisme » signifiait, qu'il fallait serrer les rangs et faire preuve d'abnégation, afin de venir a bout de toutes les difficultés. Pour donner un coup de fouet à l'économie nationale afin qu'elle démarre sur de solides bases, les responsables encouragèrent les Initiatives Personnelles (IP) (Une sorte de PME mais à l'Africaine), en exonérant, et c'était la moindre des choses, les futurs promoteurs de beaucoup de taxes y compris les droits de douane.
Certains patriotes, qui avaient amassé de l'argent en contre partie des valeureux services qu'ils rendaient au colonisateur, sautèrent sur l'occasion et se lancèrent dans les affaires (le mot business n'avait pas encore fait sa traversée méditerranéenne vers l'Afrique). Ils s'intéressèrent, en toute logique, à l'import de produits de première nécessité pour la nation, produits qui allaient d'un vieux véhicule qui ne démarrait plus à un poste de radio ramassé dans une décharge publique européenne et qui ne nécessitaient que quelques fils et une main d'œuvre qualifiée pour les remettre en marche. Et c'est ainsi qu'on découvrit fortuitement que la main d'œuvre qualifiée, qui devait réparer les postes de radios glanés dans les différentes décharges Européennes, et les véhicules achetés à la casse, manquait au pays. Il fallait donc construire des écoles pour former le citoyen de l'avenir, celui qui serait apte à réparer un poste de radio sans se soucier de la décharge dont il provenait ou de faire redémarrer un véhicule moribond. Malheureusement, l'État n'avait pas les moyens d'offrir un banc à tous les enfants en âge de scolarisation, d'autant plus que le pays détenait haut la main le record du taux de natalité. Il fallait donc que le secteur privé prenne en charge une bonne partie de la population en âge de scolarisation.
Passés maîtres dans l'art de l'improvisation en politique, les dirigeants de la République Libre trouvèrent une fois de plus une échappatoire qui leur nécessita quelques prouesses et des contorsions plus ou moins dangereuses. Le slogan « Investissez dans l'enseignement, et reposez-vous tranquillement ! », galvanisé par les orateurs avant-gardistes de la nouvelle politique contorsionniste du pays, fit son effet : Beaucoup de fidèles serviteurs répondirent présents à cette séduisante publicité et se lancèrent corps et âmes dans le domaine de l'enseignement privé. Ce secteur encore vierge promettait d'alléchants bénéfices, vu que l'État avait, encore une fois, dispensé ces jeunes établissements éducatifs de toute taxe.
Partout dans le pays, des locaux de tout genre et de toute superficie se transformèrent en un clin d'œil en écoles. Les frais de scolarisation variaient d'une ville à l'autre, d'un quartier à l'autre, d'un hameau à l'autre. La concurrence battait son plein même au niveau des programmes et des matières enseignées. Les rares écoles dirigées par des catholiques furent rachetées par ces nouveaux investisseurs et reconverties en établissements privés. Une fois cette infrastructure mise sur pied, on se rendit compte alors de l'insuffisance des enseignants. Mais étant donné que le public scolarisé n'exigeait pas de professeurs bien qualifiés, les recruteurs du personnel négligèrent les rares diplômés qui demandaient un salaire honorable et se contentèrent de gens qui avaient glané quelques savoirs désordonnés et obsolètes en temps de colonisation. Cette période de trouble fonctionnel fut bénéfique pour M. Truc, puisqu'il parvint à dénicher un poste important dans l'un des prestigieux établissements de la ville.
A l'âge de quatorze ans, M. truc était encore en CM2-B. Il tripla cette classe fatale et fut gentiment renvoyé dans la rue. Il sillonna quelques années la ville et sa banlieue dans l'espoir de trouver un travail, mais les dieux de l'embauche n'avaient jamais pris au sérieux ses prières. Le malheureux se résigna alors et opta pour un travail artistico libéral. Sa carrière débuta le jour où il rencontra un marin hongrois qui lui vendit un appareil photo d'occasion. C'était un « Yashica ». L'engin venait directement des usines soviétiques. Fier de sa nouvelle acquisition, M. Truc commença à parcourir la ville et ses jardins publics, en tout sens, à la recherche de couples amoureux qui voudraient bien immortaliser une pause. Malheureusement cette activité ne fut pas rentable et l'homme à la « Yashica » usait jusqu'à quatre chaussures par ans. Des amis lui suggérèrent d'aller proposer ses services aux établissements publics. Il prit un nouvel élan et se spécialisa dans la photo du public scolaire. Hélas il était écrit que M. Truc ne connaîtrait jamais la gloire dans ce domaine : Les photos tirées dans l'unique laboratoire de la ville et payées à l'avance ne se vendaient pas. Les intéressés se contentaient d'y jeter un coup d'œil et les remettaient en souriant au maudit artiste.
« -Que faire monsieur le juge ? Déclara M. Truc, la mort dans l'âme. J'ai donc commencé à contacter des établissements scolaires à la recherche d'un emploi "
(Ã suivre)
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