Azéline Chapitre 4
Il est 2 h de l’après midi, c’est l’hiver, le poêle ronronne au milieu de la pièce. Je suis assise près de ma grand-mère, elle a sa robe noire habituelle, elle ne s’habille plus autrement depuis que grand-père est mort. Sa coiffe blanche cache ses cheveux.
Elle file la laine, elle est assise sur un tabouret près de la fenêtre, une boule claire est posée sur ses genoux. La lampe à pétrole est accrochée au plafond, le jour n’entre pas beaucoup dans la pièce, il fait très sombre. Le fil s’enroule autour des roues, il y en a une grande et une petite. L’écheveau se forme au fur et à mesure, ma grand-mère appuie en rythme sur la pédale : « ron, ron, ron », on dirait un chat qui ronronne.
Le poêle à bois crépite et une lueur rougeoyante se reflète sur le mur près de la fenêtre. Quelle jolie musique !
« ron, ron, ron, »
je regarde grand-mère Marie, nous sommes tellement bien, au chaud dans la maison. Je me rappellerai toujours ce moment. Quand je serai vieille, est-ce que moi aussi je filerai la laine ?, est-ce que j’habiterai toujours ici ? Grand-mère lève la tête et me sourit.
(Commentaire du professeur : « Mademoiselle Cadoret, le sujet choisi est inintéressant, il y a trop de répétitions, il ne se passe rien, à refaire !)
Il est déjà 18 heures, Béryl n’a pas vu le temps passer, Marie-Madeleine est rentrée, la jeune femme l’a rejoint dans la cuisine :
« je peux t’aider ? » demande-t-elle,
« Il y avait un monde fou au supermarché, dit la tante, range ce qu’il y a sur la table dans le placard là bas si tu veux bien. Ton après midi s’est bien passé? ».
« Très bien, j’ai retrouvé des cahiers d’Azéline, ils sont très anciens, c’est amusant, l’école a vraiment changé ! ».
Marie-Madeleine déballe deux poulets qu’elle met dans le four pour les chiens,
« regarde comme ils sont gâtés mes chéris, s’exclame-t-elle, Azéline était institutrice, elle a dû garder les cahiers de ses élèves »,
« Non ce sont les siens, elle a écrit une rédaction où elle raconte ce qu’elle faisait avec sa grand-mère, la scène se passe dans le salon, elle décrit la pièce où j’étais assise, la décoration n’a pas tellement changé, on a l’impression de se retrouver dans un autre siècle, c’est un vrai documentaire»,
la vieille dame est étonnée :
« je ne savais pas que nous avions des papiers si vieux, mais il y a tellement de bazar ici, les anciens propriétaires ont tout laissé, et il n’y a pas que des vieilleries, il y a plein d’objets qui ont appartenu à leur famille, des choses très personnelles, le fils de Pierre Conan, François, m’a dit qu’il ne voulait rien récupérer, que je n’avais qu’à tout jeter ».
Tout en parlant les deux femmes ont fini de ranger la montagne de produits qui avaient été achetés. Béryl s’étonne qu’ils aient laissé le phonographe,
« ils auraient pu essayer de la vendre »,
Marie-Madeleine sort un objet du buffet :
« regarde ça, qu’est-de que c’est à ton avis ? ».
Elle tend à Béryl un objet en bois, sculpté à l’intérieur, les formes ressemblent à des fruits et des feuilles. On ne peut pas vraiment ranger quelque chose dedans, il n’y a pas de couvercle. L’objet est joli, mais l’extérieur ne présente pas beaucoup d’intérêt, et l’intérieur n’est pas très visible, on ne peut donc pas le poser en décoration sur une étagère.
« Je ne vois pas du tout ce que c’est, c’est sans doute un objet utile, mais à quoi ? »,
La tante est contente d’avoir un peu piégé sa nièce, elle répond d’un air triomphant :
« c’est un moule à beurre ! ».
Effectivement, la vieille dame met une plaquette de beurre ramollie dans le moule, elle appuie bien avec une cuillère, elle renverse le récipient sur un petit plat ovale comme pour faire un pâté de sable, et la plaquette de beurre salé se transforme en œuvre d’art.
« Très joli, s’exclame Béryl, ma mère faisait aussi des dessins sur le beurre ! On voit qu’on est en Bretagne ! »
Les poulets continuent de rôtir dans le four, une odeur délicieuse se propage dans toute la maison.
« Qu’est-ce que tu veux manger ce soir Bébé ? Une petite soupe ? »
Béryl aurait bien goûté au poulet, mais une soupe sera plus diététique, et avec le peu d’exercice qu’elle fait en ce moment, il vaut mieux ne pas manger de choses grasses, laissons les chiens se goinfrer de volaille.
« Le médecin t’a-t-il déconseillé certains aliments ? Je suppose que tu dois suivre un régime », demande Marie-Madeleine ».
« Non, répond la jeune femme, le neurologue m’a dit que je ne referai pas d’AVC, je prends de l’aspirine et un médicament contre le cholestérol en prévention, mais c’est juste une précaution ». En regardant autour d’elle, Béryl se rend compte que la maison est envahie d’objets anciens ayant appartenu à la famille d’Azéline, elle a probablement touché ces objets, certains étaient peut-être même sa propriété exclusive.
L’atmosphère de cette maison est bizarre, Béryl sent de plus en plus cette présence qu’elle ne peut identifier, elle ne la ressent que quand elle parle ou pense à Azéline. Elle a l’impression de s’être fait une amie, et cette amie serait morte depuis des années. C’est assez troublant de se dire qu’on a une relation privilégiée avec un fantôme. Béryl a déjà parlé avec des morts, elle communique régulièrement avec son père et sa mère décédés il y a une dizaine d’années. Ils lui donnent des conseils, la consolent parfois. Elle n’en parle pas trop à son entourage, les gens auraient vite fait de la prendre pour une folle, surtout depuis ses problèmes de santé, on a du mal à croire que trois centimètres carré de cerveau en moins n’ont aucune conséquence sur l’état mental d’une personne.
La soirée se passe à jouer au scrabble, Béryl est fatiguée et elle a du mal à se concentrer, elle ne trouve pas de mots intéressants, elle a l’impression de n’avoir que des X, des Y et des Z. Marie-Madeleine exulte :
« encore 26 points, mot compte triple, ça fait 78 ! Tu dors Bébé ?».
Bébé pense à l’album de cartes postales, il faut qu’elle l’étudie de plus près demain. Elle veut en savoir plus sur Azéline, cette dernière l’obsède, elle a l’impression qu’elle est entrée dans sa tête, elle pourrait presque lui parler, elle sent sa présence.
« Tantine, je vais me coucher, j’ai mal à la tête, je ne peux plus me concentrer »,
« tu es sûre que ça va ? Tu crois que c’est normal d’avoir mal à la tête ?, s’inquiète la tante de Béryl,
"tu veux que je couche dans ta chambre ? »,
« Mais non, répond la jeune femme, c’est la fatigue, c’est tout, ne te fait pas de soucis ».
Béryl a besoin d’être seule, enfin seule avec sa nouvelle amie. Elle se couche, éteint la lumière, elle lui faut être dans le noir. Dans la maison et aux alentours il n’y a aucun bruit, elle peut enfin se laisser aller, ses bras et ses jambes sont lourds, sa tête est enfoncée dans l’oreiller de plumes. Elle se sent incroyablement bien, elle a la sensation d’être dans une autre dimension, de flotter.
C’est à ce moment qu’elle entend la voix d’Azéline, elle l’a reconnaît tout de suite, c’est une voix douce, intelligente. Peut-on dire qu’une voix est intelligente ? Celle la lui paraît correspondre à ce qualificatif en tous cas.
«Justice, oubli, compréhension… »,
Au début elle n’entend que des mots, que veut-elle lui dire ?
« Justice, amour, beauté… ».
Les mots flottent comme le corps de Béryl, il faut qu’elle les suive. Elle se laisse bercer par le rythme des mots qui finissent par s’associer en phrases :
« on m’a oubliée, on n’a pas voulu comprendre, il faut que justice soit faite, il n’était question que d’amour et de beauté ».
Béryl comprend ce que ressent son amie, elle connaît son histoire, elle demande que justice soit faite, mais quelle justice ? Qu’attend-elle de la jeune enseignante ?
Le lendemain, Béryl se lève avec le souvenir de cette communication surnaturelle qu’elle a eue avec la morte, as-t-elle rêvé, devient-elle folle ?
Marie-Madeleine est déjà debout :
« comment vas-tu ce matin, tu as l’air fatiguée »,
« j’ai fait de drôles de rêves mais ça va », la tante poursuit :
« tu n’as pas appelé Florent ? Ça fait déjà plusieurs jours que tu es là , il va s’inquiéter ».
La jeune femme a complètement oublié son compagnon, elle était toute à son histoire du siècle passé, et l’a négligé.
« Je vais l’appeler tout de suite, dit-elle en se précipitant vers le téléphone.
Elle compose le numéro, pauvre Florent, il doit se demander ce qu’elle fabrique, il n’a pas appelé non plus, il doit être très occupé par son travail et ses enfants, il a deux filles qu’il a beaucoup de mal à voir depuis son divorce. Il est obligé d’organiser des rendez-vous secrets, et de contacter les professeurs des enfants en cachette de son ex-femme. Elle laisse sonner une dizaine de fois, mais personne ne répond, elle essaie aussi son portable et laisse un message sur la boîte vocale :
« comment vas-tu mon Amour ? J’espère que tu vas bien, j’aurais plein de choses à te raconter en rentrant, il y a des documents qui datent du siècle dernier ici, et ça me passionne, je t’embrasse, à plus. »
Marie-Madeleine se prépare, elle doit partir pour la journée, elle emmène ses chiens, elle va voir une amie dans le village voisin, c’est aussi une femme qui adore les animaux plus que de raison, et elle insiste pour que la vieille dame amène sa « petite famille » avec elle.
Béryl préfère rester à la maison, elle va étudier de plus près l’album de cartes postales, une idée vient de germer dans son esprit.
« A ce soir Bébé, j’espère que tu ne va pas t’ennuyer, je rentre vers 18h je pense, bisous ». La jeune femme se retrouve seule, elle se fait un café et s’assoit à la grande table avec l’album devant elle. Les mots d’Azéline résonnent dans sa tête :
« il faut que justice soit faite ».
Visiblement peu de gens connaissent sa véritable histoire, ou alors de manière déformée. Comment a-t-elle évolué jusqu’à se retrouver à nouveau dans ce village qu’elle avait tout fait pour quitter, qu’est-ce qui a fait qu’elle s’est mariée avec un homme si peu conforme à l’idée de la personne idéale qui pouvait être sienne ?
Béryl va chercher un cahier vierge qu’elle a repéré dans le carton des affaires d’école d’Azéline et Pierre. Les pages sont jaunies mais il fera l’affaire, elle va essayer de raconter l’histoire de son amie défunte, peut-être que personne ne la lira jamais, mais au moins Béryl percera peut-être le mystère de cette vie d’un autre siècle. Elle trouve un crayon à papier taillé grossièrement avec un couteau, et elle se met au travail.
A côté d’elle, une belle femme longiligne, avec des cheveux bruns coiffés en un gros chignon, la raie au milieu s’assoit sur une chaise invisible. Elle porte une longue robe blanche avec des manches trois quart, un large col croisé, et une ceinture blanche, elle sourit et dit :
« mettons-nous au travail ». FB arielleffe
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