Dans le fond, cela semble remonter à loin, mon gôut prononcé de faire des blagues. Si, aujourd'hui, je me contente de quelques rigolades sans grande portée, je me souviens de la pèriode durant laquelle tout était bon pour que je me fasse plaisir.
Aimant beaucoup la vie, j'avais décidé que finalement, puisqu'il me faudra bien quitter cette terre un jour, je prèférais, et de loin, la quitter petit à petit, en petits morceaux. C'est ainsi que, au hasard de mes chantiers, j'abandonnais un petit morceau de ma personne. Cela me donnait le temps de m'habituer. Dans la machinerie du Mc Donald de la Canebière ( dois-je préciser : à Marseille, Bouches du Rhône ? ), je vis s'éloigner de moi la première phalange du petit doigt de ma main gauche, la plus adroite ! Je la récupèrais, la plaçais dans la paume de sa propriétaire et allais demander; poliment, au manager de bien vouloir avoir l'amabilité d' appeler un véhicule des marins-pompiers. Après cinq ans dans la marine, c'est bien le moins qu'ils pouvaient faire pour moi. A l'hopital, une jeune infirmière débutante, tout me l'a démontré, après avoir regardé ma phalange sous tous les angles,a pris la raisonnable décision que, puisque cette phalange était à moi, il était juste qu'elle me reste. Comme les souvenirs peuvent revenir par flots, pour la moindre broutille...Lorsqu'elle m'a fait une anesthésie locale, afin de me placer une petite broche au bout de mon doigt mutilé, le lointain souvenir du jeune dentiste débutant,(à Hourtin, centre de formation Marine ) qui m'avait anesthésié une dent et m'en avait arraché une autre, m'est revenu à l'esprit. Je crois fermement, compte tenue de la douleur ressentie, que l'émotion d'une grande première avait du la submerger et que sa piqûre s'est égarée .Pas sur l'autre main, en tous cas : j'avais les doigts de la mains droite bien serrés entre mes dents.. Elle m'a enfilé le morceau de doigt, comme une brochette, en prenant bien soin que l'ongle se trouve du bon côté; et j'admirais sa conscience professionnelle. Petit pansement et à bientôt, dans quelques jours, pour un autre pansement. J'adore les rendez-vous, vous le savez peut-être.. Le jour dit, j'étais là , sans anacoluthe ni haubois, mais avec ma poupée levée bien haut , parce que, nom d'un chien, qu'est-ce que je dérouillais quand je baissais le bras ! Ma petite infirmière était là . . Dès qu'elle eut retiré le pansement, nous avons regardé tous les deux, figés, dans la consternation et l'incompréhension, le petit bout rougeoyant , ressemblant à un morceau de saucisse coupée. Mais où donc était passé mon petit bout de doigt ? Grà ce à sa récente mais efficace expèrience professionnelle à laquelle venait s'ajouter une étonnante faculté de déduction, elle braqua aussitôt son regard sur le pansement abandonné dans un petit plat metallique. Il était là ! Je n'irais pas jusqu'à dire que, toute angoisse envolée, nous nous sommes serré la main en nous congratulant réciproquement. D'ailleurs , l'odeur montant du récipient nous est vite parvenue aux narines. Mentalement, déjà , je faisais mes adieux à un morceau de moi-même.
L'infirmière prit le pansement et son contenu avec des pincettes et le fit tomber dans une poubelle, près d'elle. L'happening, Couscous ! tu te souviens ? il faut profiter de chaque circonstance :
-" Heu....Mademoiselle...si cela ne vous fait rien...J'aimerais récupérer mon morceau de doigt...pour mon chat .." La demoiselle s'est étouffée d'indignation : - " Mais..! Je ne peux pas ! c'est interdit ! ça ne se fait pas ! " - " Mais il est à moi, ce bout de doigt ! c'est mon doigt, je veux repartir avec ! "
Devant la tête de la demoiselle, j'ai du arrêter ma blague, je sentais qu'elle n'était pas loin d'appeler de l'aide .
Ce petit bout de doigt a connu bien des aventures : Sachez que cette amputation, exactement à cette phalange, était un signe de reconnaissance , dans le milieu, à une certaine époque. Je me souviens de Fifine, une vieille routière à la retraite dans son bar, qui braquait son regard sur ma main gauche, quand j'arrivais et que je la posais sur le bar. Elle avait, pour moi, les attentions d'une mère. C'était aussi un détail bien particulier des 'carabots (dockers ) du Havre qui se 'mettaient au croc ' ( à l'assurance ) en se coupant , ou se faisant couper, le petit bout du petit doigt de la main gauche. Mon oncle Julot, c'était ma tante Maria, elle-même manchote, qui lui avait coupé. A la hache... Le dégonflé ....
J'avais gagné, dans une fête foraine, dans une boite à surprise à deux francs, un petit gadget marrant : une grosse pointe, ayant une boucle, au milieu, permettant de la placer sur un doigt, sans qu'on remarque la boucle. L'effet était qu'une personne, en face de vous, croyait que vous aviez une pointe qui vous traversait le doigt . Vu ?
Fos-sur-mer , raffinerie Esso dans un bâtiment préfabriqué abritant des bureaux, des salles pour des dessinateurs industriels, une infirmerie, quelques salles de réunion.
Je faisais des installations de distribution téléphoniques et j'avais, dans ma poche, mon fameux clou. Je ne vous dirais pas qu'il était là par hasard . Depuis que je l'avais gagné, je me promettais bien de le rentabiliser. Ben ça m'a pris. J'ai pris un flacon d'encre rouge sur un bureau, je me suis mis en place le gadget et fait des coulures bien sanglantes autour de la pointe. J'étais prèt ! Quel est le bon ange qui mit, sur ma route, dans la couloir central, une jeune infirmière à la mine angélique, justement ! Je ne ferai connaissance de l'autre infirmière que quelques années plus tard ; fallait bien que je me rode... - " Mad'moiselle, vous tombez bien. Soignez-moi, s'il vous plaît ! " Je vous jure que ce que j'escomptais, c'était la surprise de l'infirmière en découvrant la supercherie. Et alors là , le grand inattendu ! La jeune infirmière fit un bond en arrière, tétanisée par la frayeur.ça sentait le grand évênement, ça... Aussitôt, je m'avançais vers elle en répêtant : - " Soignez-moi...soignez-moi..." Comme je l'approchais trop à son gôut, elle partit en courant dans le couloir. Je me mis à courir derrière elle en répètant : - " Soignez-moi ! soignez-moi ! " Coincée dans un coin du couloir, les deux poings serrés sur sa bouche, elle faisait une amère constation , à voix résignée : - " Mais il est fou ..." Je lui plaçais ma main ensanglantée devant ses yeux exhorbités et otais brusquement le gadget de mon doigt en m'écriant : - " Et voilà ! " Tout le monde, alerté, se trouvait dans le couloir, essayant de comprendre ce qui se passait. Un énorme éclat de rire général accueillit le dénouement.
Je crois entendre, venant de loin, certains penser : - " Il est cruel, Bacchus ..." Non. Je n'étais pas cruel. Ce qui aurait été cruel, c'était le comportement de cette jeune infirmière lorsque, le jour même ou le lendemain, elle aurait été appelée près du corps d'un ouvrier qui aurait chuté, comme cela était si courant sur ces chantiers de voltigeurs travaillant sans filets , très haut Tomber, je connais le parcours, et je peux assurer qu'une main féminine compétente rassure un peu . Je vous le dis nous ne sommes que des grands gosses.
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