Bonsoir à tous , notamment à ceux qui ont eu la gentillesse de prendre de mes nouvelles.
Je n'avais pas compris O combien il y avait d'abnégation et d'esprit de sacrifice dans cette petite phrase qui avait le don de me taper sur les nerfs, quand je l'entendais murmurer d'une voix égrotante et douloureuseuse par quelques personnes semblant écrasées par le poids des ans et de toutes les misères du monde : - " J'ai ma sciatique ..." Quel était donc ce mal étrange dont celui qui en était atteint en revendiquait une propriété absolue ? M'enfin ! sciatique ou autre chose, il ne me viendrait pas à l'esprit de lui en chipoter la propriété ! 'J'ai ma sciatique'. !..on dit ' j'ai un cor au pied ' , j'ai mal aux dents '; et pas ' j'ai MON cor au pied et ' j'ai mal à MES dents '. Je voyais là, dans cette appropriation d'un mal que chacun a le droit d'avoir, au même titre que les autres, une forme d'égoïsme intolérable et d'avarice lamentable. J' ignorais encore que les dieux m'avaient choyé en ne m'envoyant que des maladies mortelles, certes, mais qui me laissaient suffisamment de lucidité pour les apprécier pleinement, les déguster en connaisseur averti accumulant des douleurs que je sais maintenant supportables. Je fais mon mea culpa et reconnais l'ignorance dans laquelle j'étais plongé lorsque ces lamentables choses humaines, exagérément, selon moi, pliés par une douleur qu'elles n'avaient même pas la dignité de contrôler, sussuraient cette phrase qui me semblait être le sésame permettant d'entrer dans un univers auquel je n'avais pas le droit d'accés : - " J'ai ma sciatique ...". Je sais maintenant pourquoi ces êtres ne tenaient pas à en vulgariser l'accés, pourquoi ils considéraient que le mal les frappant devait s'arrêter à leur porte , lorsqu'ils en exprimaient, par ces mots plein d'amour et de fraternité, leur désir qu'il ne passe pas au-delà de leurs propres vertèbres .
Putain que ça fait mal !
L'écriture est une matière première étrange : selon le choix des mots, tout ce qu'on aurait aimé rédiger devient différent. Ainsi, j'avais prévu d'écrire : Ce matin, je me suis réveillé le coeur plein d'une gaieté que j'accumulais depuis quelques semaines. C'est demain que nous partons en vacances en Corse, au soleil, au bord de l'eau ! Quoi quoi quoi ? c'est très exactement mon mode d'existence habituelle et je ne vais rien faire qui me changerait de mes conditions de chaque jour ? SI ! cette fois-ci, j'ai décidé que j'allais ailleurs , et si vous me dites que la méditerranée est la même à Propriano qu'à Ajaccio, moi je vous rétorquerais que l'eau est aussi humide à Nice qu'à St Brieuc. Et toc... Mais je m'égare. Ce matin, je me suis réveillé le coeur plein d'une étrange certitude : la douleur qui me sciait le côté droit me faisait présager des préparatives de départ douloureuses. Et ce fut dans une inattendue observation de mes pieds, compte tenu du fait que mon dos refusait de faire l'effort d'aller au-delà des 90°, que je fis, avec un optimisme que j'admire, rétrospectivement, l'entassement de mes petites affaires. A défaut de mieux, j'appris ainsi à soulever mentalement les épaules , les essais in situ ayant été douloureux et décourageants, lorsque les miens me disaient, pauvres défaitistes: - " Mais pourquoi tu t'entêtes à faire tes bagages ? tu ne te rends pas compte qu'avec une sciatique, tu ne pourras pas partir ? " Voilà ! le mot avait été lâché ! Moi, une sciatique ! ah ah ah , laissez-moi rire..Ou plutôt non: ne me faites pas rire, ça fait mal. Nan, je ne vous enverrai pas de carte postale de Propriano ( Prupria, en corse ). Et puis même, je ne vous enverrai rien du tout ! Un terrible orage a frappé mon flanc de montagne et il paraitrait qu'un éclair s'est promené chez moi, pendant que je murmurais la longue liste de mes douleurs à mon médecin qui m'avait demandé cette petite visite à domicile, mais au sien... La foudre méchamment, grignota mon ordi, pulvérisant, d'un coup, il fallait le prévoir, les chances, me restant, de pouvoir aller voir, le beau site rêvé, maintenant interdit. Mais diable, me disais-je, il me reste toujours, le ciel bleu sur ma tête et mon fleuve, tout près ! Ne desespère donc pas, va lire dans le prè; tu as, au fil du temps, connu d'autres épreuves. Mon oeil ! c'est de la poèsie, ça ! en vérité, j'ai passé quelques jours durant lesquels je n'étais ni couché, ni debout, ni assis, ni redressé. Comment j'étais ? mais toute la question était là ! Mon médecin, en homme avisé, m'avait prévenu que j'allais avoir mal mais que , compte tenu de mes traitements, il ne pouvait me faire aucune piqûre me soulageant , juste une, histoire de dire....- " ça vous soulage un peu ? " Non docteur, j'ai autant mal. Alors, j'ai pris des effervescents: le temps de les boire, on pense à autre chose. Une idée fulgura dans mon cerveau embrumé par des douleurs persistantes : j'ai eu la vision des visages souriants et détendus des astronautes, dans leurs engins traversant l'espace ! Les premières heures du matin suivant, une ombre étrange claudiquait en béquillant vers les berges de la Gravona. Les eaux fraîches, qui dévalaient de la montagne, m'ont accueilli et se sont refermées sur moi.Mais non, je ne suis pas allé me noyer ! seulement, dans l'eau très froide du petit matin, cette sensation de caresse et de morsure, mêlée à l'impression d'apesanteur, m'a fait un bien énorme ! j'avais le contrôle de mon corps, mais je n'avais plus son poids sur le bas de mon dos ! C'est juste : il me fallait bien sorttir de l'eau, de temps en temps. C'était douloureux, mais je savais que je me récompenserai bientôt. C'est ainsi que les petits poissons de la Gravona ont dû se résigner à libérer une large zone de leur territoire.On a passé un deal: ils s'écartent et je ne les boufferai pas.
Et depuis ce matin, tout semble vouloir s' arranger : J'ai reçu ma nouvelle box et ma canne me semble moins nécessaire ! C'est pas beau, l'existence ? Quoi que ...bof, je ne sais pas si ça vaut le coup de le mentionner : il me semble bien que la douleur , qui disparaît lentement de mon côté droit, a l'air de vouloir conquérir le côté gauche....
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