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Nouvelles
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En souvenir de la chèvre
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Publié par
emma
le
15-06-2013 13:52:38
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Les éleveurs, les chasseurs, les gens qui travaillent ou vivent au côté des bêtes savent bien ce que c’est que de tuer un animal, le dépecer et manger sa viande. Mais combien du commun, des populations occidentales modernes a déjà tué pour se nourrir ?
Le steak si savoureux, le gigot du dimanche, la poularde exquise des fêtes, nous les achetons en boucherie ou au supermarché, en petit morceau nettoyé et prédécoupé. On ne voit plus la tête. Le sang a fini de coulé. Les poils, le pelage ou les plumes ne sont plus qu’un lointain souvenir. Il est assez facile d’oublier (il est préférable d’occulter) qu’ils furent un jour animaux, bien vivants, fiers ou paisibles, ruminant ou picorant, ovins, bovins ou volailles…
Je l’oublie pour ma part avec d’autant plus de facilité que je vis en ville. Peu en contact avec les animaux, il m’arrive de devoir rappeler à mes enfants que le lait n’est pas tout à fait fabriqué par « des vaches qui mangent du yaourt »…
Malgré tout, une fois tous les deux ou trois ans, le besoin de renouer avec nos ancestrales racines nous poussent, ma petite famille et moi, à un pèlerinage dans les îles de l’océan indien afin de nous ressourcer au contact de la nature. C’est ainsi qu’il y a quelques années, nous nous sommes retrouvés en compagnie d’amis du coin pour un pique-nique mémorable au bord d’une plage paradisiaque. Tandis qu’avec quelques amies au féminin, nous poirotions gentiment, nous attendions toujours le retour des hommes, partis il y a une heure et qui avaient promis de revenir avec de la « viande fraiche ».
Alors que nous désespérions presque du retour de nos chasseurs-cueilleurs modernes, le bruit d’une camionnette se fit entendre sur la route cahoteuse de terre battue qui faisait le chemin jusqu’à la plage. J’eu alors la surprise de voir descendre, non seulement mon conjoint et ses copains, mais surtout… Une chèvre ! Noir et blanche, toute tachetée mais aussi… Bien vivante ! Je compris sans qu’il fut besoin de longues explications qu’on allait zigouiller là la bête et qu’elle serait le plat principal de notre barbecue ! Je voulus protester… Cela n’était pas digne de notre humanité collective. Le producteur local aurait pu tout aussi bien nous la préparer avant que de l’amener…etc. … Tout le monde ayant l’air de trouver cela normal, je résolus de fermer ma gueule…
Je vous passe les détails de ce qu’est mettre à mort un animal, j’ai refusé d’y assister, mais j’ai malgré tout entendu les grands cris de souffrance car c’est rare que cela meurt du premier coup. Je fus affectée au groupe des femmes qui devaient préparer la viande avant de la mettre au feu. Les choses se décidèrent comme si elles avaient été écrites quelque part : les hommes à faire le feu, les femmes à préparer la viande, les adolescents à surveiller les enfants sur la plage. Voilà : les rôles étaient distribués. Je proposais de surveiller les enfants afin que les ados puissent discuter ou écouter de la musique. « Mais non ! Me dirent les autres femmes. Reste avec nous ! On va papoter ! Pour une fois qu’on est ensemble, au calme ! ». Je compris qu’il n’y avait pas d’échappatoire. Je vérifiais à deux reprises que la corde avec laquelle on avait attaché la chèvre par les pattes ne s’était pas égarée à mon cou tant j’avais la gorge nouée.
Bouleversée, mais malgré tout poussée par mon désir de conformisme, je me suis attelée, comme les autres femmes à la découpe de la viande. Cette viande encore palpitante au flux de sang bien réel. Les poumons étaient frêles et mousseux et je n’oublierais pas le foie et le cœur encore chauds, mous, visqueux. J’avais pensé, en commençant ma besogne, que j’aurais la gerbe et qu’il me faudrait entamer une retraite discrète vers la plage sous un prétexte fallacieux en cas de vomissements intempestifs. Il n’en fut rien. Je fus surprise malgré tout par un flop de larmes silencieuses qui m’incommodait fortement. Je regardais mes compagnes de découpe et découvris qu’elles aussi, avaient des larmes qui perlaient. Au moins, j’avais une réaction physiologique normale, un peu comme quand on prépare des oignons...
On fit des brochettes. Des brochettes avec des morceaux nobles, des brochettes de rognons, des centaines de brochettes qui n’en finissaient plus, assaisonnées avec nos larmes. Ce fut un long calvaire qui dura des siècles en une seule journée. Tout était insupportable : l’odeur du sang, le feu de branches de cocotiers qui faisait trop de fumée, les mouches attirées par l’odeur du sang, les moustiques poussés vers nous par la fumée… Tout était proprement insupportable.
Trois quart d’heure plus tard, je dégustais certainement la meilleure viande grillée jamais mangée de toute ma vie.
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Commentaire en débat |
Shoupi |
Posté le: 15-06-2013 17:31 Mis à jour: 15-06-2013 17:31 |
Plume de Bronze
Inscrit le: 11-03-2012
De: DreamHouse
Contributions: 35
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Re: En souvenir de la chèvre
Bouleversant et tellement vrai. Je suis aussi en ville, la viande congelée absolument conventionnelle, ça me connait ! Mais je connais aussi la différence : les vacances passées à la campagne, ou Grand-mère tue le poulet pour le repas du dimanche... Inutile de dire que ce poulet, qui a passé toute une vie à gambader, s'amuser et à manger, n'a pas le même goût que les autres ! Merci pour ce texte, je ne verrai plus mon morceau de bavette de la même manière héhé ;) J'aime bien l'ambiance retranscrite des îles. C'est moderne et pourtant, délicieusement typique !
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couscous |
Posté le: 16-06-2013 11:37 Mis à jour: 16-06-2013 11:37 |
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
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Re: En souvenir de la chèvre
Lors de nos périples au Bangladesh, j'ai assisté à plusieurs sacrifices de poulets. On leur coupe la tête et il faut le tenir sinon on n'est pas sûr de la manger car il continue à courir. Qui a déjà vu courir un poulet sans tête ?? Puis vient la séance de déplumage. Pour une fête, ils ont amené carrément une vache qui a été égorgée derrière la cabane où nous dormions. Je n'ai rien entendu mais il y avait une mare de sang le lendemain matin et une énorme marmite fumante avec les morceaux. J'ai toujours eu la chance d'être exonérée de la préparation de la viande en raison de mon statut d'européenne.
Merci du partage Emma.
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Loriane |
Posté le: 18-06-2013 18:09 Mis à jour: 19-06-2013 13:18 |
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
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Re: En souvenir de la chèvre
Tu me rappelles des mises à mort de boeuf entravé en Afrique, de viande saignante à partager, les cabris aux Antilles et les lapins qui tressautaient sous mes mains de petite fille quand mon père leur arrachait l'oeil pour les saigner, les poules, qu'il fallait ensuite ébouillanter et plumer, les lièvres tués à la chasse et dont ont trouvait les plombs de la cartouche sous la dent, les cochons qui hurlent comme des fous terrorisés quand on les tue, le dépeçage répugnant. Je hais ! mais je hais ! cette condition qui nous amène à manger de la viande d'animaux. Je grignote à peine de la viande blanche, mais à peine, à peine. Je ne me suis jamais habituée, jamais et j'ai de la répulsion pour la viande rouge, personnellement je ne l'aime pas du tout. C'est un très beau récit qui fait penser. Merci
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emma |
Posté le: 18-06-2013 19:37 Mis à jour: 18-06-2013 19:37 |
Modérateur
Inscrit le: 02-02-2012
De: Paris
Contributions: 1494
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Re: En souvenir de la chèvre
Merci pour les commentaires !
cet épisode étrange ne m'a pas rendue végétarienne, mais j'éprouve plus de sensibilité pour la cause animale et j'essaye de manger moins de viande tout en vérifiant que les animaux ont vécu dans des bonnes conditions (labels de qualité, élevage bio...), cela a un cout, bien sûr... c'est difficile de trouver le bon compromis !
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dumont011 |
Posté le: 19-06-2013 12:49 Mis à jour: 19-06-2013 12:49 |
Plume d'Or
Inscrit le: 10-02-2012
De: tunisie
Contributions: 308
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Re: En souvenir de la chèvre
j'aime bien la fin emma ;) il vaut mieux ne pas se poser de questions ça devient anormal, lorsqu'on chasse ou tue par plaisir sinon l'existence est une grande roue qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un
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