Connaissant l'attrait de la France pour les étrangers, je la teste une dernière fois.
- Tu voudrais aller le retrouver en France ? "
- Non, je veux rester ici avec mes enfants, je ne serai pas à l'aise au milieu des français, ici je connais les gens, leurs pensées, leur façon de vivre, différente de la votre.... " Je la crois sincère.
Au risque de la blesser je lui dis: - "Tu sais, ce gars, il est peut-être marié en France, il a peut-être des enfants et pas du tout l'intention de divorcer pour toi, c'est courant chez nous ces histoires, "
- " il n'est plus marié, il a deux fils adultes, le plus grand est venu quelques jours " et elle ajoute : - " Je l'aime, tu comprends ? j'ai confiance en lui et n'aimerai que lui."
Et voilà , je veux jouer les missionnaires, les soixantes huitardes attardées, les féministes et je me retrouve avec une banale histoire de fesses sur les bras comme il y en a des tas en France, décidément, rien de nouveau sous le soleil !! même tunisien ...
Avec des questions quelquefois indiscrètes, j'essaie de cerner cet homme, vaut -il tous ces sacrifices ? Au fil de la discussion, j'apprend qu'il la frappée - une seule fois - elle avait jeté un reste de poulet; il ne fait pas très bien l'amour, zappe les préliminaires, mais cela ne lui semble pas important : elle n'est pas spécialement portée sur le sexe, il lui a proposé un sex toy à utiliser lorsqu'il serait absent, ce qui l'a outrageusement scandalisée quand elle en a compris l'utilisation....
Les jours suivants ne m'apportent rien de nouveau. Pour me convaincre de la bonne foi de son amoureux, un aprés midi, elle apporte des lettres dont la dernière reçue et me demande de lui lire, car il y a des termes qu'elle ne comprend pas très bien.
Je suis épatée par cette belle écriture, aucune faute de français, il s'exprime avec une aisance surprenante, sans lyrisme extravagant, il reste sobre sur ses sentiments, presque pudique; aucun doute, c'est un homme intelligent, instruit, une écriture digne d'un cadre supérieur. Il dit être à l'hôpital pour une blessure au poignet sans expliquer l'origine de cette blessure.
Elle me montre aussi le récipissé d'un mandat qu'il lui a envoyé illico presto alors qu'elle manquait d'argent, j'y cherche un indice mais l'expéditeur ne correspond pas à son nom à lui.
Merien a posé l'enveloppe de la dernière lettre sur ses genoux, je la prends machinalement et la tourne dans tous les sens, l'adresse de l'expéditeur me laisse pantoise: Hôpital de la maison d'arrêt de ....
Je suis stupéfaite, je crie presque: -" Mais il est en prison ton mec !! "
Merien me regarde sidérée , je lis dans ses yeux de l'incrédulité, du désespoir, une interrogation, je regrette mes paroles trop rapides, je n'aurai pas dû lu dire !!! ne pas intervenir dans cette histoire,.... laisser faire le destin - sans moi - A voir sa mine déconfite, je regrette tout , même mes vacances ici. J'ai l'impression d'être un oiseau de mauvais augure. Je l'entends me dire d'une voix cassée par la douleur, -" mais la maison d'arrêt, parce qu'il est en arrêt " de travail " à cause de sa blessure, c'est écrit hôpital de la maison d'arrêt ! " elle crie presque , elle aussi. Ah ! la langue française !!!
Presque fébrilement, je regarde les autres enveloppes: Centre pénitencier. Elle ne sait pas qu' en France cela signifie prison.
Nous nous regardons longtemps sans pouvoir détacher notre regard l'une de l'autre, on se pose toutes les deux la même question: qu'a-t-il fait pour être en prison, est-ce un assassin ?
Les enfants jouent avec les vagues, on se regarde toutes les deux: la même question nous vient à l'esprit : un violeur d'enfants ?
|