"A quoi penses tu chérie ? " demande mon homme déjà tout bronzé alors que je galère pour prendre un peu de couleur sous le soleil tunisien.
- " J'aimerai bien discuter avec cette femme là bas, la questionner sur sa vie, comprendre pourquoi elle ne se révolte pas, se baigner toute habillée, c'est vraiment aberrant .... depuis le temps qu'elle voit défiler des européennes dans son pays, elle aurait pu prendre modèle sur nous , non ? elle est peut-être battue ? concubine ? j'aimerai bien savoir.... "
- " Continue donc de lire ton San Antonio, et ne te pose pas de questions, tu ne vas pas changer le monde..." me lance mon homme.
- " Tu crois que je peux aller sur leur plage en deux pièces, sans me faire éjecter ? "
- " De toute façon, si je te dis non, tu iras quand même, alors ..." et il ajoute, " mets un T shirt et ne t'éloignes pas s.t.p. "
- " Ouah ! tu as peur que je sois enlevée et de devoir verser une rançon ?
- " Je verserai une rançon plutôt pour qu'ils te gardent ! " me dit il en se protégeant de la serviette que je fais mine de lui lancer à la figure. En franchissant la cordelette qui marque la séparation entre la plage privée de l'hôtel et la plage municipale - et encore toute empreinte de l'esprit de San Antonio - je me sens une âme de missionnaire, capable de convertir une musulmane pure et dure au catholicisme ou au protestantisme - je lui laisse le choix - et de plus, lui communiquer tout ce qui me reste de mai 68 !!! J'ai la forme au top...
En marchant lentement sur la crête des vaguelettes méditerranéennes, j' observe mon élue : deux enfants l'accompagnent, elle a environ 30 ans, mince , un foulard grenat posé sur ses épaules, sa robe foncée se gonfle légèrement sous l'effet de l'eau, ses enfants ont environ 7 et 5 ans, ils batifolent prés d 'elle comme tous les enfants du monde.
Je m'assieds sur le sable et, de loin, j'essaie de capter son regard, je me demande comment engager la conversation. Lui parler de ses enfants me paraît une façon appropriée, aucune mère ne résiste à ça.
Elle m 'observe un moment, dit quelque chose à ses enfants qui courent aussitôt vers la plage, elle sort tranquillement de l'eau, elle est en face de moi, sa robe mouillée lui colle au corps, elle est grande et très maigre. Quand elle arrive tout prés, je remarque surtout ses yeux noirs brillants, je lui sourit et lui lance un" bonjour " que j'espère très engageant, elle me répond et s'assied à trois pas, face à la mer. Je n'hésite pas : " Ce sont vos enfants ? " et la conversation démarre tout naturellement. Parler de ses enfants à une maman, c'est une ouverture qui marche toujours et sous toutes les latitudes.....
Le lendemain, je l'attends impatiemment, j'ai fait changer mes horaires de thalasso pour la rencontrer à nouveau, on se tutoie et je sais dèjà beaucoup de choses sur elle, elle paraît douce, gentille, vit actuellement seule avec ses deux enfants, j' ai senti une réticence quand j'ai tenté de parler du père, j ai donc vite changé de sujet. Elle reçoit de l'état tunisien une petite pension et vit chichement ;
Petit à petit j'arrive à lui parler religion, mon but principal !! Religion française d'abord, puis musulmane, je lui fais part de mon incompréhension, de mon indignation pour le manque de liberté politique et liberté des femmes ..... aucune réaction de sa part, je ne vois pas ses yeux, elle regarde le sable qu'elle laisse couler entre ses doigts. Je me tais, la laissant choisir un sujet de conversation qui lui convient. J'apprends qu'elle a vécu quelques mois avec un français reparti en métropole pour son travail, il a " des yeux bleus comme le ciel " me dit elle, elle lui envoie des poèmes.... Elle l'aime.....
Cet homme à 44 ans, il ne lui écrit plus depuis plusieurs semaines, elle en souffre énormément, se nourrit uniquement de café, dort mal, pleure et ne pèse plus que 45 kgs.
` Un " classique " pour la femme lucide que je suis, je lui conseille gentillement d'oublier ce français qui se conduit comme un goujat, mais cela lui semble impossible, elle l'aime trop, elle est décidée à l'attendre jusque la fin de sa vie. Elle ne pourra aimer que lui. j'en profite pour reparler religion et lui demande: - " C' est ta religion qui te fais dire ça ? " - " Non, je n ai pas vraiment de religion, je vais à la mosquée seulement pour faire taire mes voisins qui me critiqueraient sinon. "
Je reste bouche bêe, bloquée, je ne respire plus, mon plan si bien préparé, s'effondre, non seulement elle est athée mais en plus elle a un amant ..... étranger de surcroît !!
fin de la. Première partie
|