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Accueil >> xnews >> Chimères d’un morceau de papier 3/3 - Poèmes confirmés - Textes
Poèmes confirmés : Chimères d’un morceau de papier 3/3
Publié par emma le 02-04-2013 22:36:33 ( 1104 lectures ) Articles du même auteur




La prédisposition

J’avais six ans et pas vraiment de jugeote. Elle avait six ans aussi et c’était aussi une tête-de-linotte. Toute écervelée qu’elle était, et que j’étais, elle avait quelque chose des plus convoités: un sac de grande.
Quelle idiotie quand j’y pense ! J’étais rongée par l’envie.
Un jour, je volais le sac.
Je me fis chopée par ma mère. Menu larcin, mais pas Arsène Lupin pour autant… Elle me dit tout net – comme je te dis maintenant – « Rapporte ce foutu sac ! T’es pas une voleuse ! Chez nous on est dignes ».
Dignes ! Dignes ! Dignes ! Toujours la même chanson : Chez nous on est dignes ! Dignes !
La sonnette d’alarme de ma mère résonnait tel un gong. Digne ! Ding ! Dong !
Et je m’en retournais sur le chemin de l’école mon sac volé sous le bras, obligée de confesser ma forfaiture. (Et aussi obligée de rendre le sac…)
« Mon sac ! Mon sac ! » Hurla la linotte en me voyant venir de loin. « Oh ! Merci ! Merci ! Merci ! » Elle me sauta au cou.

D’autres camarades m’entouraient à présent, attirés comme les mouches à la vue du sang.
« Mais comment tu l’as retrouvé ? » Le temps s’arrêta quelques secondes, mille paires d’oreilles aiguisées se tendirent dans ma direction attendant aux aguets comme mille sagaies de guerriers Massaïs. Oui, mille javelots saillants m’assaillaient à présent réclamant sur le champ des explications innocentes.
Dans ma gorge s’étranglèrent les laïus d’excuses sus par cœur, la main sur le cœur, les yeux fermés, les doigts dans l’nez le matin même. D’un coup d’un seul, digne ou pas digne, j’étais l’enfant confus face à la classe, j’avais oublié ma récitation.
« Je… Heu… J’ai retrouvé ton sac… Sous le grand arbre… Je crois que c’est… Un garçon qui l’avait caché pour… t’embêter… » (Il me semble même que pour le réalisme de mon histoire, je désignais Thomas, tête de Turc cent fois employé à cet office, de toute façon…)
Ce jour là, je fus à la fête. Ce jour là, je fus une vedette. Ce jour là je compris que le seul moyen de se tirer d’un crime était d’en commettre un encore plus grand par dessus. Ce jour là, je découvris ma véritable vocation de charlatan.
Encore aujourd’hui, je fais des efforts pour rester digne et pas trop dingue quand il me vient plus facilement le faux du vrai / Le vrai du faux, ou alors quelque chose d’approchant quelque part entre les deux.

Va savoir…

***

Le quotidien 1

Chez le médecin, on attend. On attend des heures.
Chez le médecin, il y a un escalier raide comme la mort. J’ai toujours trouvé peu judicieux, cette configuration pour un cabinet médical. Songe à ceux qui sont bien malades. Ce n’est pas facile un escalier pareil quand on est déjà à deux doigts du faux pas…
Soudain, un bruit sourd. Un enfant tombe dans l’escalier raide comme la mort. Un autre enfant à peine plus âgé court après pour ramasser le premier gamin. L’enfant blessé a l’air lourd et désarticulé comme une chiffe molle dans les bras de son frère.
« Sac à merde ! » Hurle une femme (la mère, je suppose. Personne d’autre ne se serait permis).
« C’est comme ça que tu surveilles ton frère ?»

Mes enfants, je vous aime.
Je ne le dis pas assez. C’est un truc de parents de ne jamais dire à leurs enfants qu’on les aime. Comprenez, il ne faut surtout pas vous rendre tous puissants.
Moi, je préfère le dire. Au moins une fois. On ne sait jamais… Je pourrais tout aussi bien mourir demain d’une chute dans des escaliers raides comme la mort…
C’est assez improbable, puisque je prends toujours les ascenseurs.
Malgré tout, on ne sait jamais…


***
Le quotidien 2

Plus tard : la chaleur de mon domicile
Le bébé pleure. On vient à peine de rentrer à la maison tous les trois, et déjà pas le temps d’enlever mon manteau et mon écharpe. Il a cette façon très étrange de hurler à pleins poumons en une stridence curieusement modulée, un peu comme une alarme de sécurité (mais jamais une larme, curieusement…). J’envoie le grand dans sa chambre (les pleurs c’est contagieux, allez comprendre… En tout cas, il vaut mieux les éloigner l’un de l’autre). Je prépare le biberon en toute hâte. Pas bien, le micro onde. Pas le temps pour le chauffe-biberon. Vite, le bib dans la bouche. Les hurlements s’arrêtent instantanément.

Le grand pleure. Je savais bien que les pleurs c’étaient contagieux ! Il a faim à son tour. Vite, j’envoie une platée de pâtes de la veille au micro onde. Pas bien, le micro onde. C’est mieux les petits plats maisons mitonnés à la cocotte minute, ça c’est sûr… Vite j’envoie bien chaude l’assiette sur la table.

Le bébé pleure. Il a fini son biberon et commence à fatiguer. J’attrape une couche au passage pour…

Le grand pleure. Ça fait trois fois qu’il me demande un verre d’eau, mais je n’ai pas répondu. Je sens que je commence à perdre mon self control…

On respire à fond… 1… 2… 3…

Enfin les deux marmots sont au lit et pleurent. Personne, pas même le marchand de sable ne saurait me dire pourquoi ces gamins braillent en chœur… Surement la fatigue doublée d’un élan de solidarité mutuelle.
L’un des deux s’endort le nez dégoulinant de morve, les yeux rougis. L’autre lâche prise également.

La nuit est tombée. Ça fait environ une heure que je suis rentrée chez moi. J’ai toujours mon écharpe et mon manteau.


***

L’amie, l’enfant et la chimère

Comme tous les mercredis, mon amie m’appelle. Elle, c’est ma meilleure amie, des amies comme on n’en a pas à la pelle, celle qui me connaît qui me reconnaît et qui me rappelle même quand j’ai oublié qu’on est mercredi et que ce mercredi c’était moi qui devait appeler. Elle prend des nouvelles de mes chimères, moi de choses non moins concrètes, et l’on papote pendant des heures.

Mon amie, elle me connaît par cœur, elle sait que je navigue quelque part entre des eaux calmes et des tempêtes sous mon crâne. Un peu comme le voyage d’Ulysse vers Ithaque (mais tout le monde sait qu’Ithaque n’existe pas vraiment). En tout cas, il ne sert à rien de parler trop longtemps du réel. Il n’en devient pas d’avantage réel pour autant…

« A quoi ressemble ta chimère en ce moment? » me demande-t-elle avec tout le naturel et le sérieux d’un médecin traitant. « Est-ce le genre de créature dont la tête repousse drue et double quand on l’a coupée ? »

Je lui réponds que je ne me sens pas vraiment de l’humeur d’une créature tentaculaire… Ma meilleure amie éclate de rire, et on l’entend de loin, de l’autre côté du combiné…

Mon fils s’approche : « de quoi vous parlez ? »

- Ce sont des choses de grandes personnes. Dis-je du tac au tac comme un réflexe conditionné.

Il faut dire que j’ai un peu honte de ma chimère devant mes enfants. En plus, j’ai peur qu’elle se transmette, un peu comme j’ai attrapé la mélancolie de la main de ma propre mère étant petite…

- Passe-le-moi deux minutes ! Intervient ma meilleure amie.

Tandis que mon fils prend délicatement le combiné, je scrute ces petits doigts boudinés, si différents des miens décharnés et filiformes.

Etrange comme il me ressemble, et comme il ne me ressemble pas…

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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 04-04-2013 18:59  Mis à jour: 04-04-2013 18:59
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9500
 Re: Chimères d’un morceau de papier 3/3
Non et puis non et non, lorsque l'on a des petits bijoux comme ça on ne les entasse pas en paquet sur une seule page !!!
Des petites merveilles de finesse, de justesse, d'humour avec une écriture élégante et équilibrée.
Je suis séduite, sincèrement séduite.
Chaque anecdote me parle."La prédisposition" m'a ramené à des souvenirs d'enfance si semblables et m'a fait éclater d'un sacré bon rire.
Le quotidien 1, me rappelle aussi une anecdote, le quotidien 2 est une vie de maman qui nous est bien commune, tout ceci planté dans ton écriture douce et tranquille.
J'en reprendrai d'autres avec plaisir.
Merci
tchano
Posté le: 05-04-2013 17:27  Mis à jour: 05-04-2013 17:27
Plume d'Or
Inscrit le: 18-01-2012
De:
Contributions: 297
 Re: Chimères d’un morceau de papier 3/3
Pur régal que ce plateau gourmand.
(même si comme Loriane je pense que chacun des textes aurait mérité une publication individuelle)
emma
Posté le: 05-04-2013 22:39  Mis à jour: 05-04-2013 22:39
Modérateur
Inscrit le: 02-02-2012
De: Paris
Contributions: 1494
 Re: Chimères d’un morceau de papier 3/3
Hello ! Tchano et loriane !

J'avais l'envie de ce vide grenier de textes depuis un certain temps. 4 pour le prix d'un dans ce morceau ci !

Si l'effet n'est pas très heureux, je m'y prendrais autrement aux prochaines solderies.

biz amicale à tous les deux !
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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