Desperate housewife
« Ménagez-vous, ménagez-vous... » Qu’il a dit, le bon docteur. « Vous êtes épuisée, claquée, sur les rotules, à cran. A cran d'arrêt pour le moment, mais il y a un jour, le fusible saute et là , là ... Crack ! Kaputt ! Blackout ! En d'autres termes : burn-out. » Qu’il a dit, le docteur. Mais pourtant je me ménage, docteur, vous jure, je me ménage ! Je me ménage, aspirateur, Puis je me ménage, serpillère, Après je me ménage, éponge à récurer, Et à la fin je me ménage, balai à chiottes. - Un arrêt de travail, peut-être, madame ? - Inutile, docteur. Je suis femme au foyer.
***
J’ignore pourquoi
Le temps m’échappe Le vent m’échappe Les mots me manquent J’ignore pourquoi
Cette chose poisseuse Qui me connaît Mieux que mon âme Me colle au corps J’ignore encore…
Elle fumait clope sur clope L’odeur sale de la fumée myope Emplit toujours mes yeux de douloureuses larmes Et je sentais même à six ans Le sol si lourd et tout le poids de ce déracinement L’horreur de ces dimanches soirs Quand les tâches ménagères sont faites Qu’il n’y a plus rien, plus rien à faire au monde Sauf à promener l’œil absent Sur l’écran bleu télévisé qui n’était qu’un autre miroir De la vacuité
Elle fumait clope sur clope, Et il n’y avait rien Rien de plus triste au monde J’ignore pourquoi…
***
Rencontre avec la mélancolie
A présent, je sais que la mélancolie, est une tare héréditaire, ma mère. J’ai hérité tes mains. Tes belles mains aux longs doigts effilés. Longtemps j’ai cru qu’il fallait cacher, cacher la mélancolie, la dissimuler dessous une mantille ouvragée de délicieux mensonges acidulés. « Tu ne trompes personne ! » - Qui a parlé ? J’étais enfant, j’allais nu-pieds contre le vent dans ma parka élimée lorsque je rencontrai pour la première fois la mélancolie. Assise sur le banc public du minuscule square du quartier ou elle sortait souffler un peu et fumer sa clope dans l’air bleu du crépuscule, elle parlait gentiment à ma mère dans une langue étrangère. « J’ai parfois l’impression… » Disait ma mère. L’autre : « je comprends ». « C’est ta fille ? » demanda la mélancolie, se tournant vers moi, l’œil clément. « C’est ma fille. » « Elle te ressemble tant… » « De quoi parlez-vous ? » Ai-je demandé « Personne ». « Quoi personne ? » « Ce sont des choses de grandes personnes… » Elle m’a donnée la main. Sa main aux longs doigts effilés.
***
L’amie qui n’avait rien en commun
C’est vrai. C’est vrai nous n’avons rien en commun. Parfois… Parfois, il s’agit juste d’un bout de chemin. A l’âge encore tendre où nous n’avions pas encore le cuir trop dur sur la viande, nous prolongions à coup de rires exagérés, l’enfance. L’enfance qui ne fait que passer. Encore aujourd’hui, alors que nous avons encore moins en commun, il suffit d’un regard échangé, d’un mot glissé en douce pour sentir les secousses d’un grand rire monter… Monter comme la moutarde monte au nez et à la barbe des autres. Je pensais que tu étais là pour moi, pour me tirer de cette torpeur, de cette léthargie métaphysique. C’était là , le sens de cette étrange amitié. Tu m’avouas un jour, bien des années après, à quel point ton enfance avait été un gouffre, un calvaire dégueulasse, navigant à vue entre indifférence et maltraitances familiales. « Mon amie, as-tu conclu, tu es la seule chose à garder de ces années merdiques ». Parfois je m’en veux de n’avoir jamais vu que tu souffrais. Moi. Incapable de comprendre le monde. Moi et mes maux imaginaires.
Chimère ! Tout est ta faute !
|