J'ai déjà eu l'occasion de raconter, sur ces pages, les rencontres étonnantes ou étranges que j'ai eu la chance d'avoir, dans mon existence. Certaines, comme celle de mon sosie ( que j'ai bien été le seul de mon quartier à ne pas avoir rencontré ! ) peuvent, éventuellement paraître tellement classique que leur narration peut sembler recopiée.Je n'y peux rien: je ne prétends pas avoir le monopole des aventures uniques et je me sentirais bien mal dans ma peau si, à mon âge, je me mettais dans celle d'un mythomane. Le cerveau est comme un muscle : il se fortifie si on le fait travailler ou il devient mou et paresseux si on ne s'en sert plus. Pour ma part, c'est le seul sport que je pratique et, grâce à cela, je n'en finis pas de mettre à jour des souvenirs.Ensuite, un petit travail de reconstitution entre en chantier: j'ai tout mon temps, la patience et, face à moi-même, le manque d'indulgence qui fausserait l'assemblage des souvenirs. C'est en faisant un petit bilan des gens étonnants qui ont traversé mon existence que je me suis penché sur le souvenir de mon ami Jacques. Pour dire vrai, c'était, au départ, dû à mon intention de vous raconter une petite anecdote tellement absurde que je n'ai pas juger bon de vous la narrer: l'absurdité rendait cette histoire tellement incrédible que j'en avais abandonné l'idée. Mais elle est directement reliée à celle de Jacques, et elle m'avait remis sur la piste aux souvenirs, alors, je vous la livre: Un des très nombreux employés ' au black' de Jacques venait d'avoir un sérieux accident de chantier. Il avait le talon du pied gauche presque arraché. La filière médicale ordinaire pour un accident du travail ne pouvant êtr utilisée, Jacques m'a appeler, m'a tendu une petite liasse de billets et m'a dit : -" Tiens, emmène-le se faire soigner en vitesse ! " Je sautai dans un véhicule, le pauvre garçon, qui gémissait, monta près de moi, et nous avons foncer vers la plus proche pharmacie. - " Oh la la ! non, le mieux à faire est de l'emmener vite à l' hopital ! " J'allai dans une autre pharmacie où l'on me fit la même remarque. Une clinique était toute proche et je décidai d'y tenter notre chance.. Le petit hall de réception était rempli de gens, la plupart avec des pansements, qui avaient l'air d'attendre leur tour pour recevoir des soins. Je fonçais vers une imposante dame qui trônait derrière son guichet : - " C'est pour une urgence, madame. Cet homme a une très sérieuse blessure qu'il faudrait vite soigner !" La dame se pencha pour jeter un coup d'oeil au pied que le malheureux blessé lui montrait en grimaçant. - " Faites la queue, comme tout le monde : vous passerez quand viendra votre tour ." J'étais interloqué par cette réponse pour le moins désinvolte, compte tenu de la gravité de la blessure. Je m'indignai : - " Mais vous ne voyez donc pas que c'est un cas d'urgence ! Non ? mais qu'est-ce qu'il faut donc faire, ici, pour que vous interveniez, en cas d'urgence ?
Et là , je revois la dame, à qui j'avais imposé un cas de conscience, pencher la tête de côté pour réfléchir et qui me répondit calmement : - " Dans ce cas, il faut téléphoner la veille . " Dégoûté, sans dire un mot, je me suis dirigé vers la sortie, suivi de mon blessé qui sautillait sur son pied valide. C'était un Marocain qui ne comprenait pas beaucoup le français. Je l'ai vu en train de glousser douloureusement. Je crois qu'il avait parfaitement compris le comique de la réponse de la grosse dame... Nous avons trouvé un médecin qui s'est occupé aussitôt de mon compagnon qui est reparti avec un gros pansement au pied.
.........Et nous sommes repartis voir Jacques, dont je voulais justement vous parler ! Aujourd'hui encore, je continue à me poser des questions sur le personnage.Il y avait tellement de contradictions et d'invraisemblances chez cet homme qu'il mapparaît encore difficile de comprendre la façon dont il fonctionnait. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, cheveux et moustaches argentés. Je ne suis ni spécialiste ni amateur, mais je crois qu'on pouvait dire que c'était un bel homme. Originaire de Normandie, dont il avait gardé un soupçon d'accent,il arrivait d'Afrique noire, des colonies, comme on disait encore, et il était très difficile de dire s'il fallait le classer parmi les sdf ou les nantis: il avait une telle façon de concilier les deux manières de vivre qu'on se retrouvait, un jour ou l'autre, en train de lui offrir un casse-croûte ou à faire bombance, à dix ou douze, à sa table, dans de très bons restaurants. L'entreprise de bâtiment, qu'il avait monté, traitait un important chantier d'un ensemble commercial. Il avait embauché quelques très bons maçons et employait une armée de manoeuvres non déclarés qu'il dirigeait comme il devait avoir coutume de le faire en Afrique: une sorte de paternalisme autoritaire qui n'admettait pas la contestation.Que personne ne tentait. Il était arrivé un matin dans une Mercédès sport décapotable, flambant neuf Le soir, il avait l'air de décoller avec et il disparaissait . Nous avions la surprise de le retrouver, au petit matin, endormi dans une gaine de ventilation ou au milieu de ses manoeuvres, dans une des baraques de chantier où ils étaient entassés pour dormir. Jacques, arrivé au petit matin, les écartait pour se faire une place et dormait là , comme quelqu'un qui était enfin rentré chez lui. Un week-end, il était monté à Paris, pour faire la bringue. Il en est revenu, le lundi après-midi, avec deux super nanas ! Il avait besoin d'une secrétaire et avait, avec l'accord des deux 'postulantes',l'intention de leur faire faire un ' essai' à toutes les deux, et de garder, la meilleure ! Ce qu'il fit rapidement. La brune disparut et la blonde resta.Il s'avéra d'ailleurs qu'elle était une excellente et efficace secrétaire sur qui Jacques à pu compter. Le bruit a circulé qu'il lui aurait donné, peu après son arrivée, un million ( anciens ) pour qu'elle aille faire son shopping, n'ayant pas débarqué à Marseille avec beaucoup d'affaires. Le coup de la voiture, que je vais vous raconter, ça, je sens qu'il va y avoir des récalcitrants pour l'avaler. Tant pis : Un jour, devant la porte du bureau de chantier que je partageais avec Jacques, j' aperçus une belle DS 19. Pas neuve, mais tout comme. Je demandais à Jacques à qui elle était. Il m'a répondu qu'il l'avait gagnée la veille, au jeu ( ? ) et qu'il ne savait pas quoi en faire. Et que si j'en voulais, je n'avais qu'à la prendre. C'est difficile à croire, aujourd'hui, mais après 24h de réflexion, j'ai refusé son cadeau. Pour la bonne raison que je n'avais pas encore eu de voiture à moi et que me retrouver, du jour au lendemain, avec les frais que supposait la possession d'un tel véhicule ne me paraissaient pas ( et n'étaient pas ) dans les moyens de mon budget.Moi, je roulais avec ma 4L de service,dont je pouvais me servir le week-end et j'en étais très heureux J'ai tout de même grincer un peu des dents le dimanche où j'ai vu, à Martigues, le chauffeur du camion de Jacques, avec toute sa petite famille, se balader dans la splendide DS.....
Jacques a épousé sa secrétaire, s'est acheté une joli maison près de Cassis. Nos routes se sont séparées. J'ai appris qu'il s'était pris un bouillon avec son entreprise de bâtiment et qu'il s'était lancé dans un autre type d'affaires. Je ne sais plus trop de quoi, mais pas d'importance, je suis sur qu'il s'en est bien tiré...
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