Une trilogie «noir-azur» qui décoiffe : «Crois-le», « Lyao-ly », «Si tu nous regardes» de Patrice Guirao (Au Vent des îles) .
En plus d’être une lecture vraiment divertissante, divertir sans se prendre au sérieux étant le mobile apparent de l’auteur, on s’y dépayse vraiment.
J’ai lu en 72 heures (merci la grippe) plus des 800 pages réparties dans les deux premiers volumes de la trilogie de Patrice Guirao, édité « au Vent des îles », maison du bout du monde, implantée à Tahiti d’où l’auteur est non pas originaire mais issu tout de même pour y être arrivé enfant avec sa famille et y avoir vécu plus de trois décennies avant de parcourir le monde et de finalement s’établir à Nouméa. Juste encore un mot sur l’auteur : il est le parolier créatif de plusieurs comédies musicales et de chanteurs à succès, ceci pour dire que les textes, il sait bien les tourner. Il s’est lancé dans l’écriture de roman avec une désinvolture dont il a toutes les apparences. Car pour le fond… Rideau. Sa personnalité intime ne concerne que lui et ses proches. Contentons-nous de suivre ses personnages, d’entrer dans cet univers où il jumelle de façon jubilatoire le rêve et le cauchemar, le paradis et l’enfer sur l’air du Beau Danube bleu...
Avec « Crois-le », le premier tome, on pénètre ce monde sur la pointe des yeux. On découvre. On n’a pas encore ses habitudes. On se fait au parler local, aux paysages, à la culture. Ici tout est du cru. On ne sent aucun effort d’appropriation du lieu par l’auteur. Il se fait juste le scribe de son imagination débridée qui s’est alimentée goulûment à sa curiosité, ses observations, sa propension à l’auto dérision.
Si Patrice Guirao est l’enfant adoptif de l’île polynésienne, c’est une adoption réussie. Pas de marâtre, pas de rejeton. Et si on veut mieux ressentir ce lien, eh bien on se penche sur le personnage de Mamie Gyanie, la belle marquisienne, portrait regorgeant d’amour, échappée à la fois d’une toile de Gauguin et dela mythologie propre à l’auteur : elle est la mère et elle est l’île. L’île que chacun porte en sa nostalgie intime. Mamie Gyanie, (mère du héros anti héros, le détective privé Al Dorsey) est pour moi un des personnages les plus attachants, les plus « restitués » de la trilogie. Et sa philosophie, tout un chacun pourrait l’adapter à sa propre vie. Cette sagesse suprême est prononcée en roulant délicieusement les rrr: «Mon Doudou y faut pas que tu crrois tout ce qu’on te dit. Juste tu crrois ce qui te fais plaisirr». Si on adoptait cet adage, plus de guerre d’idées, de religion, etc.
Bien sûr, ça n’empêchera pas le ment’Al de faire son compliqué et de chercher le pourquoi du comment mais tout est dans la façon de l’exprimer.
Donc on suit l’intrigue policière (que je ne vous dévoilerai pas), on se délecte de l’humour, mais aussi de l’écriture car mine de rien (ou de crayon !) il y a une écriture. C’est une écriture paresseuse. Je m’entends : elle prend le temps, s’attarde, s’étale, nous prend par la main pour faire le tour du propriétaire, nous fait désirer, tout alangui, un peu de fraîcheur… Elle est couleur locale, elle aussi. Et pourtant, universelle…
Et j’ai l’impression que parfois Patrice Guirao oublie son idée initiale de simplement distraire le lecteur pour se laisser aller à nous donner des pages magnifiquement écrites : il chante et danse comme personne la pluie, personnage quasiment incarné, ou la mer, ses couleurs, ses odeurs, ses mugissements, la mer qui sait l’apaiser quand tout va au plus mal. La mer, sa nécessité ( Al’ui ou à Al ?) (Pour comprendre ces jeux d’Al, faut connaître l’ami d’enfance Sando, devenu commissaire à l’issue du premier tome…).
Mais aussi la végétation luxuriante…
L’interpénétration de la mer et de la terre recouverte d’une végétation déclinée comme la mer sous toutes ses couleurs, ses odeurs, ses petits noms, suggèrent à merveille ce lieu que je ne connais pas, me donnant l'impression d'y évoluer en chair et en os tout en me rendant addict !
Patrice Guirao cultive un art délicat : cette façon qu’il a de saupoudrer la poésie, les idées de générosité et de compassion : avec légèreté et naturel, comme par inadvertance. Sans se prendre au sérieux ni jouer les gourous. Érudit mais pas intello. Ça, ça fait du bien !!!
Je pourrais vous recopier des pages entières mais non, vous n’aurez qu’à vous procurer les livres et rendez-vous tiens à la page 101/102 de « Crois-le » ou pour rire encore des heures après, à la page 117, ceci juste pour donner un exemple !
«Crois-le» terminé, on est devenu familier de Toti, Sando, Al-lias Doudou, Mamie Gyani, Lyao-Ly, pour les principaux. Ah, j’oubliais Baldwin, le Chihuahua de Lyao-ly …
On aborde alors « Lyao-ly », le 2ème livre, en passager non plus clandestin mais affranchi. On est du bord, on tutoie les personnages nous aussi. En fait, on n’a plus envie, mais plus du tout, de quitter la pirogue ! Et on s’embraque pour 475 pages de plus qu’on va engloutir en « brûlant l’huile de minuit » deux soirs de suite !
Lyao-Ly, c’est l’amour fou d’Al. Pour elle, il ira aux enfers et il la ramènera son Eurydice… Mais, comment vous dire ? J’attends le troisième tome « Si tu nous regardes » donc je n’ai pas la conclusion de cette aventure. Machiavéliquement joueur, Patrice Guirao termine son 2e livre par un cri d’angoisse de notre détective privé. On reste les sourcils en suspension et la bouche sèche. On lui en veut terriblement (à l’auteur) de nous laisser en plan et on attend le passage de la poste, parce que trouver les livres de Au Vent du Sud, en France, c’est pas de la tarte. Amazon s’approvisionne peu ou prou, tout comme la Fnac. Mais on peut quand même si on habite dans ces villes les trouver chez Sauramps à Montpellier ; Mollat à Bordeaux ; Decitre à Lyon ; Harmattan à Paris ; Espace Culturel à Hyères.
©Maïa Alonso
Aperçu du 3e livre (et on apprend à l’instant que deux autres vont suivre: youpiiii !!!):
« Ils sont tous là , Toti, Sando, Al, Mamie Gyani, les autres... et quelques cadavres. Les héros de «Crois-le !» et «Lyao-ly» se retrouvent dans ce troisième opus pour résoudre une double enquête qui s’annonce compliquée et dangereuse pour AL. Le ton y est toujours aussi décalé. La carte postale, déjà bien froissée dans les deux premiers volumes, est renvoyée au rang de carton d‘invitation. Et une invitation ça ne se refuse pas ! Surtout quand il s’agit de pénétrer au cœur d’un pays riche de sa joie de vivre, de ses spécificités cachées, de sa population multi ethnique attachante et de ce melting-pot de vies colorées. Le tout sans bouger de son fauteuil ou pour les plus chanceux les pieds en éventail dans un transat sous un badamier. Dans «Si tu nous regardes» Tahiti devient, sous la plume de l’auteur, une île d’aventure, une auberge espagnole où chacun apporte son repas pour le partager avec l’étranger qui vient y poser ses valises. Même si parfois il faut se méfier des plats qu’on ne connaît pas... » (celui-là , en cours de lecture mais tout aussi accrocheur!)
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