Il va être minuit. Calme avant la tempête... Depuis bien des années, le rite se répête : Ajaccio qui dormait en village pépère Va, dans quelques instants, être en état de guerre. Premier des douze coups, le seul que l'on entend. C'est le coup de starter que tout le monde attend, Précédent de très peu tous les bruits de fenêtres, Pour la célébration de l'année qui va naître. Brusquement, de partout, éclate vers les cieux Le bruit assourdissant provenant d'armes à feu, Par à -coups, par saccades ou en longues rafales, Envoyant dans la nuit quelques milliers de balles. Je suis sorti, prudent, au bord de ma terrasse, Afin de surveiller la terrasse d'en face. C'est celle d'un monsieur qui, pendant une année, Ne me montre qu'un soir la couleur de son nez, Et ce sera ce soir...Le bruit assourdissant Eclate dans les rues, vides de tout passant. Mon voisin de palier, du bord de sa fenêtre, Annonce, en connaisseur, ce qu'il croit reconnaître : " C'est un petit calibre " et il est dédaigneux. " Une kalachnikov ! " Il est respectueux. Mais en face de moi s'entrouvre, doucement, Cette porte fermée depuis déjà un an. Un visage émacié se montre à la fenêtre, Semblant se demander s'il va oser, peut-être ? Puis, en robe de chambre, un fantôme apparaît, Guettant autour de lui et semblant effaré. D'un pas mal assuré, il recherche un coin sombre Et se met dos au mur, dissimulé dans l'ombre. Il dresse vers le ciel un flingue monstreux Et vide son chargeur, brusquement, dans les cieux. Huit coups, bien espacés : je compte chaque fois, Et puis, en clopinant, il rejoint son chez-soi. C'est fini. Je serai une année sans le voir, Même pas son reflet que je puisse entrevoir ; Mais j'ai le sentiment d'une année bien finie Lorsque ses coups de feu éclatent dant la nuit. Le calme est revenu en un petit quart d'heure. Seuls quelques acharnés, tout débordants d'ardeur, Vont au bout des chargeurs qu'ils possèdent encore, Tentant, de l'an passé, de battre le record.
J'ai cherché, une année, un endroit plus tranquille, Dans un coin de maquis, éloigné de la ville; Plus de gens belliqueux, plus rien pour m'alarmer. ....A en croire le bruit, les vaches sont armées.
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