-3- Ardents désirs
L'un des indices les plus évidents, pour les sceptiques et détracteurs qui mettraient en doute ces mémoires et l'identité de leur auteur, est l'anxiété qui caractérise mon tempérament! La majorité des humains en souffre me diriez-vous? Argument judicieux; pour ceux qui ignorent l'ampleur de cette anxiété quand elle m'étouffe, et la facilité avec laquelle elle se soigne, car, survenue généralement lors de la séparation avec les personnes auxquelles je suis fidèle, elle disparaît sous l’effet magique d’une simple présence, qui, à peine née, se révèle une excellente cure... Un chien ne peut souffrir d'être seul! Chez l'homme, ce sentiment est bien plus complexe et brouillé, puisant ses racines dans un lacis de traumatismes à séquelles immédiates ou en différé, si étendu sur l'axe temporel qu'il est difficile d'en diagnostiquer les causes et à plus forte raison d'y apporter les remèdes adéquats. ….
J'ai grandi à la campagne. Mon père, plouc en quête de titre de noblesse citadine, nous quitta, alors que j'étais enfant. Il nous a laissé, néanmoins, une femme courageuse qui s'est occupée de notre éducation, et que j'adore rien que pour ce sacrifice. Le lycée dans lequel j'ai tenté, en vain, un baccalauréat, n'était pas très loin de ma campagne natale, si bien que je n'avais pas trop à me plaindre d'une séparation avec la personne la plus chère à mon cœur. Mais plus tard, lorsque, dans cette ville grise et éloignée, je me suis inscrit à un BTS dans une école privée, j'ai enduré un réel calvaire suite à la rupture de ce quotidien bienheureux et rassurant qui m'offrait l'opportunité de sentir une présence maternelle ô combien sécurisante! Sentiment d'autant plus cuisant que les nouveaux camarades, froids et stoïques, redoublèrent de cruauté lorsqu'ils sentirent en moi, vrai chiot orphelin, cette quête naturelle de chaleur humaine et cet inné penchant qui me pousse à chercher l'amour du prochain, mon semblable physique et potentiel maître qui me dominerait moyennant quelque preuve d'affection. Ces condisciples feignaient d'ignorer complètement les élans de cœur que je m'efforçais de leur montrer et repoussaient toutes mes tentatives de m'approcher d'eux. J'amadouais sans résultat une amitié salvatrice, et cela me faisait énormément souffrir. Pourtant, dans cet affreux climat, qui faillit, je puis le reconnaître à présent, me contraindre à abandonner le projet envisagé, l'arrivée d'un nouveau camarade, améliora nettement mes journées mornes. C'était un garçon de mon âge. Et là , j'avertis le lecteur, que pour ne confondre personne et afin de garder anonyme tout protagoniste ayant pris part à ce récit – car il comprend des informations et révélations bien compromettantes – je me bornerai à citer les personnages et les lieux par des pseudonymes ou par leurs seules initiales. Ainsi, en sera-t-il de mon nom. Sachez seulement que je m'appelle Arsène. Joli prénom pour un toutou, n'est-ce pas? Donc, au moment où je comptais sérieusement faire mes bagages et regagner mon village, la providence en décida autrement, en mettant sur mon chemin, Roger, le garçon dont je vous parle. Dés la première séance où il fut présent, j'augurai notre future amitié, en dépit de son air, peu engageant du premier abord. Roger était de carrure imposante. La tête, rase, trônait sur une formidable nuque de taureau et de larges épaules qui font penser à ces statues d'athlètes. Le menton, légèrement avancé donnait à la mâchoire inférieure une allure de bête féroce prête à bondir. Toute sa physionomie était en somme une charpente, une composition de formes établissant un solide argument fait pour éloigner les importuns. Cet être promenait sur le monde un regard placide, avec toutefois des lueurs de bienveillance, venues, on ne sait d'où, l'espace d'un instant. C'était ces lueurs qui me décidèrent…
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(À suivre)
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