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Textes d'Auteurs : Stances à Thirsis
Publié par Iktomi le 08-11-2012 05:07:30 ( 1415 lectures ) Articles du même auteur



Thirsis, il faut penser à faire la retraite :
La course de nos jours est plus qu'à demi faite.
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle on bâtit sur le sable.
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête
Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin, retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison content de sa fortune,
A selon son pouvoir mesuré ses désirs.

Il laboure le champ que labourait son père ;
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi des passions, il a ce qu'il désire,
Son fertile domaine est son petit empire ;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces,
Et sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Il voit de toute part combler d'heur sa famine,
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers ;
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucunes fois un cerf par les foulées,
Dans ces vieilles forêts du peuple reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucunes fois des chiens il suit les voix confuses
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire son tombeau.

Tantôt il se promène au long des fontaines,
De qui les petits flots font luire dans les plaines
L'argent de leurs ruisseaux parmi l'or des moissons ;
Tantôt il se repose avecque les bergères
Sur des lits naturels de mousse et de fougères,
Qui n'ont d'autres rideaux que l'ombre des buissons.

Il soupire en repos l'ennui de sa vieillesse
Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillotés.
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps, leurs courses enchaînées,
Vieillir avecque lui les bois qu'il a plantés.

Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
A la merci des vents et des ondes chenues,
Ce que nature avare a caché de trésors,
Et ne recherche point, pour honorer sa vie,
De plus illustre mort ni plus digne d'envie
Que de mourir au lit où ses pères sont morts.

Il contemple du port les insolentes rages
Des vents de la faveur, auteurs de nos orages,
Allumer des mutins les desseins factieux,
Et voit en un clin d'oeil, par un contraire échange,
L'un déchiré du peuple au milieu de la fange,
Et l'autre en même temps élevé dans les cieux.

S'il ne possède point ces maisons magnifiques,
Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques,
Où la magnificence étale ses attraits,
Il jouit des beautés qu'ont les saisons nouvelles,
Il voit de la verdure et des fleurs naturelles
Qu'en ces riches lambris l'on ne voit qu'en portraits.

Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude
Et vivons désormais loin de la servitude
De ces palais dorés où tout le monde accourt.
Sous un chêne élevé, les arbrisseaux s'ennuient
Et devant le soleil tous les astres s'enfuient
De peur d'être obligés de lui faire la cour.

Après qu'on a suivi sans aucune assurance
Cette vaine faveur qui nous paît d'espérance,
L'envie en un moment tous nos desseins détruit.
Ce n'est qu'une fumée, il n'est rien de si frêle ;
Sa plus belle moisson est sujette à la grêle
Et souvent elle n'a que des fleurs pour du fruit.

Agréables déserts, séjour de l'innocence,
Où, loin des vanités, de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.



Honorat de Bueil, seigneur de RACAN (1589-1670)

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Bacchus
Posté le: 08-11-2012 13:19  Mis à jour: 08-11-2012 13:19
Modérateur
Inscrit le: 03-05-2012
De: Corse
Contributions: 1186
 Re: Stances à Thirsis
Il a raison, Thirsis : ton compte est à rebours !
Vide un peu tes silos et lâche les labours;
Il est fini le temps de te croire éternel
Et de porter sur toi un regard paternel.
La vie,comme l'amour, ce n'est pas pour toujours
Et c'est une retraite annoncée sans tambours.
Rien qu'à faire le bilan des erreurs du passé,
Des faux-pas, des bévues que tu as amassés,
Des regrets entassés, de tes amours déçus,
Tes vieux jours passeront sans t'en être aperçu !
Si tu sais toujours rire, alors profites-en;
Pousse, une fois encore, le grand cri de Tarzan
Et attrape au hasard une liane qui traîne,
Puis tiens-toi accroché sans savoir où elle mène.
Mais avant de partir, prends quand même le temps
D'avoir une pensée pour les gens importants,
Les puissants, les nantis à l'abri du remords,
Et pardonne-leur tout, puisqu'ils sont déjà morts.
Loriane
Posté le: 08-11-2012 23:46  Mis à jour: 08-11-2012 23:48
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
 Re: Stances à Thirsis
Je ne connaissais pas et je te remercie de nous l'avoir fait découvrir.
Je me suis régalée.
Je me sens comme avec une âme soeur.
Ce seigneur de Racan pense et sent juste mais aussi il parle beau
Je l'ai copié je vais revenir dessus.
J'adore.
Merci

Merci Bacchus de ta réponse
habile et a propos
Iktomi
Posté le: 10-11-2012 11:06  Mis à jour: 10-11-2012 11:06
Modérateur
Inscrit le: 11-01-2012
De: Rivière du mât
Contributions: 682
 Re: Stances à Thirsis
Très belle réponse de Bacchus, en effet.

Chapeau bas, ami Bacchus !
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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