Sur le rebord étincelant D'un de ces innombrables toits Baignés par l'astre, ce grand roi Qui suit sa course d'un pas lent,
Se tiennent quelques voyageurs Dont les plumages colorés Virent depuis les cieux dorés Toute contrée, toute splendeur.
Le premier de ces volatils Montrait un panache bleuté Parmi ses plumes ameutées. Aux autres des oiseaux dit-il :
"Lorsqu'aux pointes du jour paraît Les prémices de l'hiver blanc, Mes ailes, ces membres ballants, Me transportent sous d'autres rais.
Je traverse les bois de Grèce, Lentement laisse mon esprit S'adoucir dans ce vert abris, Et m'alanguir dans ma paresse
Entre les hêtres dépités, Entre leurs feuilles qui frémissent Et leurs longs rameaux qui gémissent Par les vents légers agités."
Et le second, un geai moqueur, Dont la coiffure aux traits carmins Convenait à son air mutin Révèle l'état de son cœur :
"Je m'éloigne de vos Ménades Pour survoler les Alcazars Et visiter les grands Bazars Des belles contrées de Grenade ;
Tous ces voiles ambrés de Perse, Ces tentures aux tons de suif Et puis ces étoles de nuit, Ces beautés sans nombre me bercent."
Et l'hirondelle, un peu moins forte, Dont les deux ailes ne tolèrent Voyager mille lieux dans l'air, Aux deux dit-elle de la sorte :
"Vous, mes amis, vous pouvez tout, Braver les vents et leurs bourrasques Sans que ne soient touchés vos casques, Ni vos panaches, vos atouts.
Tandis que moi dans ma faiblesse, Sous Apollon, sous ses cieux d'or, Je ne peux plus outrer le sort, Passer les mers dans l'allégresse.
Et pourtant ces contrées lointaines, Ces beaux pays, ce beau Couchant, Tous leurs trésors loués des chants, Je vois de mon âme sereine.
Et ce ne sont mes yeux qui voient ; C'est mon esprit inégalé Qui me mène sur toute allée, Sur tout chemin, sur toute voie."
Des ailes! Des ailes! Des ailes! Le poète en a deux, brisées. Il ne peut suivre l'alizé, Mais fait ainsi que l'hirondelle.
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