La mer et Saint-Malo.
Des années passées près de la mer... on en retire forcément quelque chose ! Histoire des racines d'une vocation de navigateur, pour toujours aller plus loin.
Un poète a dit : « Il me faudrait dix vies, de deux cents cinquante ans et des journées de soixante heures ! ». Je pense comme lui.
A moi aussi il me faudrait autant de temps pour arriver à transmettre tout ce que je sens. Prendre de la vie tout ce qu'elle peut donner ! Vivre toutes les minutes qu'elle nous offre. Ah ! le beau tableau que je voudrais peindre !
LA MER ! Les poètes l'ont chantée, les écrivains l'ont décrite, mais je ne la retrouve nulle part complètement. Chacun a la mer qu'il mérite, je crois... Mêmes les meilleures photographies sont parfois décevantes, et les films... Tout est dans le mouvement, le bruit, la couleur, le jeu de la lumière et de l'âme.
Mes chères marches au creux des rochers, que je vous dois d'heures de paix ! Chaque vague roule un peu plus loin le sable sur les galets, l'eau est transparente et l'on ne suit son mouvement que par celui des graviers qui, remués en tourbillons, font un petit nuage trouble, puis se reposent, tout brillants d'eau et plus serrés qu'avant. Puis, toutes les trois ou quatre vagues, l'une, plus forte, heurte le premier rocher et l'écume jaillit, retombe. L'eau remplit un petit creux, un peu surélevé, comme un bénitier. Dès le mouvement apaisé la conque se vide, en filets d'eau claire, puis tout recommence. Bientôt une autre marche est mouillée puis, peu à peu, recouverte, jusqu'à la grande dalle formant palier.
C'est en morte-eau.
Mais il faut voir l'escalier en période de vive-eau ! Quand le vent vient de l'ouest, ce n'est qu'un jaillissement, et l'eau est si verte, d'un doux vert amande, en transparence lorsqu'une vague se soulève, puis brusquement, dans les creux, d'un vert Véronèse qui vire au bleu nuit. Et par là -dessus une écume blanche et mouvante, et hurlante qui lave hardiment les rochers décolorés. Ceux-ci, sous l'ondée, tournent de l'ocre clair au brun chaud, couleur des algues.
Quelle fête pour les yeux, les oreilles, l'âme entière ! Je ne peux m'empêcher de rire, d'une joie complète et bienveillante, à chaque grand choc entre la mer et la terre. Le soleil, s'il brille, paillette d'argent le tableau vert et, vers le soir, c'est un jeu d'or et de pourpre avec des violets dans le lointain, du côté de Guildo et de Fréhel.
Et les contre-jours sur les forts ! Le National, les Bés, Harbourg, La Conchée, lorsque, sur la mer si calme et si douce le soleil met un reflet de métal fondu. Dinard, Saint-Lunaire, Saint-Cast, Saint-Jacut, Saint-Briac, autant de points sombres qui bornent l'horizon. Les châteaux de rêve se détachent en ombres médiévales sur la lumière de la baie, tableau des soirs d'été... calme et repos qui précède la nuit. A peine, sur les bords, un léger friselis qui borde l'eau d'une mince frange blanche en roulant sur le sable... la mer chante une berceuse pour les terriens endormis.
Le matin nous réveille avec des chocs sauvages, des heurts de bélier, des gémissements et, jusqu'à l'horizon, sur l'eau intensément verte, l'écume jaillit de partout. La marée monte, le vent est de terre, et de leur choc naît un spectacle grandiose. Avant de recouvrir chaque écueil, chaque rocher, chaque île, la mer leur fait une parure de plumes, des gerbes jaillissent qui semblent, de loin, des voiles éphémères. Si le ciel est brumeux, tout est gris-bleu, discret, mais qu'un rayon de soleil apparaisse, toutes les nuances chantent dans l'air plein d'embruns.
Dieu que c'est beau !
J'écrirais jusqu'à demain, j'écrirais sans fin... les mots viennent, magiques, je voudrais tout noter, de crainte d'un oubli qui gommerait un détail, un reflet, un éclair...
Mais vous seriez peut-être déçus ! MA mer n'est pas VOTRE mer, et vous la voyez sans doute autrement.
Et de la maison, Chaussée du Sillon, le regard qui, d'un coup, découvre tout cela, des remparts de la cité intra-muros à Paramé, et la vie calme et douce, qui se déroule au rythme des ferries qui rentrent ou sortent de l'écluse. Il reste encore le port, les bassins, les bateaux et la ville, les remparts, les forts et les marins... et les vieilles maisons, les lueurs dans la nuit, et jusqu'au bruit du vent, et l'espoir, sans cesse renouvelé, du retour dans ce pays qui n'est pas celui de ma naissance, mais que j'ai approché, aimé, compris, et qui m'a adopté... mon pays... qui qu'en grogne !
Toujours j'ai voulu savoir ce qu'il y avait au-delà de la ligne d'horizon, rêvant devant les fenêtres ou stationnant sur la digue. Combien de fois ai-je arpenté les ports, approché les bateaux de commerce, de pêche ou de plaisance, discutant avec les matelots ! Combien de fois ai-je rêvé que j'embarquais sur le Bélem lorsqu'il taillait sa route, déjà au large, dans la baie de Saint-Malo !
Port de corsaire, tels que je les imaginais, et pays de Robert Surcouf avec ses hommes, arraisonnant les vaisseaux, sautant sur leurs ponts à l'abordage, le sabre à la main et le cri à la bouche, et qui revenaient au port pour y faire liesse et bombance dans les tavernes intra-muros de la vieille cité. Port de découvreurs aussi avec, entre autres, Jacques Cartier, enfant du pays, qui découvrit le Canada.
Comment voudriez-vous que je n'aie pas eu l'envie de devenir marin ?
Ce rêve est devenu réalité ! Il s'est accompli, concrétisé ! Et j'ai navigué autour du monde, sur toutes les mers et tous les océans, avant de revenir, comme a dit le poète Joachim du Bellay, « plein d'usage et raison vivre entre mes parents le reste de mon âge. »
Mais, pour une grande partie, le désir, la vocation, me sont venus de Saint-Malo.
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