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Nouvelles : Parce que je t'aurai aimée...
Publié par Vadnirosta le 23-03-2023 10:30:00 ( 183 lectures ) Articles du même auteur



Parce que je t'aurai aimée...



Parce que je t'aurai aimée, je me rendrai à Paris dans le XVIIIème arrondissement. Je choisirai bien sûr en premier lieu le quartier de la Goutte d'Or qui aura encore des allures de Bamako ou de Dakar. Tout comme au temps passé, je m'en irai contempler le Maghreb en hidjab, l'Afrique noire en boubou avec sa poudre de manioc et ses grillades au feu de bois. En tenant la main au vide, je serai allé dénicher à nouveau l'aromate rare, tous les parfums d'un continent en bouteille ou en sachet, introuvables dans les autres quartiers. Parce que je t'aurai aimée, j'irai me réimprégner d'un parler familier et puis aussi d'une vigne, celle d'u n îlot à la croisée des boulevards Barbes et de la Chapelle, des rues Marx Dormoy et Marcadet. J'aurai même eu la chance de regoûter au fameux vin blanc doré provenant du vignoble réputé sur le versant sud-est de la Butte Montmartre. Je réécouterai sans toi le vacarme assourdissant de la révolution industrielle au XIXème siècle. J'aurai même eu l'occasion de reparler avec les provinciaux et les ou vriers, repoussés hors du ventre de Paris par les travaux du baron Haussmann. Parce que je t'aurai aimée, j'écouterai tous nos souvenirs comme ces bruits de vaisselle dans les logements bon marché aux fenêtres bées. Je replongerai à coup sûr dans les pages de « L'Assommoir » de Zola et j'écouterai après toi tout le tapage mené par les forces de l'ordre enfonçant la porte de l'église Saint-Bernard, ultime refuge des étrangers en situation irrégulière. Je m'insurgerai à nouveau face au miroir parisien de la France coloniale puis me féliciterai de sa décolon isation. Dans les yeux des autochtones, j'aurai revu l'indépendance d'Algérie et le chaos politique en Afrique subsaharienne. Parce que je t'aurai aimée, j'essaierai de recompter à ce jour toutes les nationalités. Dix-neuf, vingt, vingt et un, vingt-deux ... Plus de vingt nationalités depuis toi, ma douce! Plus de vingt nationalités qui ne t'auront pas attendue pour l'alphabétisation , le soutien scolaire, la réinsertion des toxicomanes, les pressions en tout genre sur les pouvoirs publics. Au métro Barbès Rochechouart, tout comme au métro Château Rouge, je ne t'oublierai pas mais oublierai Paris en plein Paris. En flânant à nouveau sur le boulevard de la Chapelle, je resterai autant médusé qu'avant devant l'embouteillage humain devant les magasins Tati. Jusqu'à l'angle de la rue de Chartres, j'observerai comme autrefois tout le couloir de médina métissée où l'on trouvera près des étals de tomates des efflu ves entêtants de cannabis et un folklore braillard de la criée sur fond de sirènes de police . Parce que je t'aurai aimée, je sortirai du métro Château Rouge. Je reverrai ce coin de bitume qui t'avait tant frappée avec ses « toxs » en tous genres qui s'approvisionneront encore et encore au milieu des fourgons de police alarmés. De l'autre côté du boulevard Barbès, je reprendrai seul la rue Poulet et j'aurai lorgné avec envie, comme avant et avec curiosité les coquettes d'Afrique noire qui vendront à bas prix de la lotion capillaire à défriser, des échoppes de postiches et de cosmétiques, des mélanges sulfuro-corrosifs illicites à dépigmenter la peau. Plus au sud, je traînerai mes remords jusqu'au marché Dejean. Là, j'aurai même acheté le poisson capitaine congelé en provenance du Sénégal et puis aussi des ignames, des patates douces, de la citronnelle fraîche et des racines de manioc. Puis, la rue Myrha avec ses drogues diverses me reviendra en mémoire pour ses déambulations de CRS, ses petits trafics , ses fidèles du vendredi aux abords de la mosquée, ces marchands de volailles vivantes destinées aux rituels occultes et ses prostituées de l'angle de la rue Léon. Je sentirai je sentirai le temps qui me remontera au cœur lorsque j'apercevrai le square Léon. Au centre, la sculpture de papillon futuriste aura souffert encore d'un peu plus de tags tandis que les bancs multicolores de mosaïques à la Gaudi auront tenu assis toujours plus de mamies ralenties, toujours plus d'anciens « métallos » algériens de chez Renault ou Simca. Tous ces retraités auront joué paisiblement aux dames. A côté, tout autour, comme au temps jadis, des enfants se défouleront au football sous l'œil indifférent de ceux qui joueront de l'argent , qui « dealeront », qui revendront des petits larcins.
Rien n'aura changé vraiment à la Goutte d'Or si ce n'est toi et moi. La même génération raï, rap et
« plus de compte à rendre ». Le même vague à l'âme. La même solitude. La même vacuité en soi et puis le même monde qui vivra en mon strabisme (et de travers!), aimera et haïra tout autour, le pl us souvent jusqu'aux Débordements ...
Parce que je t 'aurai aimée, je glisserai vers Pigalle. Parce que je t'aurai aimée, ces visites au musée ouvert du Village me quitteront. Parce que je t'aurai mal aimée le long du caniveau, mes pieds soudain ne piétineront plus tout à fait droit les rues bordéliques du « bled ». Parce que je t'aurai mal aimée, je t'enverrai un à un ces tableaux par la poste (avec la signature de ma gorge ?!). Parce que je t'aurai aimée, je verrai des vagues, je divaguerai par à-coups, par chapitres, par chansons, par lectures. Parce que je t'aurai aimée à Lyon, ô toi ma Lyonnaise, je n'aurai jamais conn u Paris aussi bien que Guignol et que ce qui va suivre ...
-I-
« Parce que je t'aurai aimée, je glisserai toujours sans m'arrêter. Jean, blouson de cuir, un peu garçonnet. Impassible et distant, fantôme. De bar en bar, de table en table en formica, sur les rares envies qui ne sortiront pas, je glisserai ... »
-II-
« Je glisserai, je glisserai, je ne me sentirai pas bien . Les travelos brésiliens défaits auront fait des emplettes. Trois pommes et du pâté chez l'arabe non-stop. Je l'aurai embrassée dans le cou et aurai frotté son nez câlin parce que je t'aurai aimée. Elle aura souri un peu gauche. Je l'aurai entraînée par le bras, nous serons allés jouir doucement. Serrés l 'un contre l 'autre le plus longtemps possible . .. »
-III-
« Parce que je t 'aurai aimée, la chape d'ombre tombera sur les trottoirs. Les gros bus gl isseront comme des paquebots verts. Les pas pressés des gens pressés cogneront, rythmeront tout. Fleur de bitume se collera au mur sale, tapinera et fumera. La ville avec les spasmes d'un cœur fatigué veillera sa nuit de sommeil ou d'errance, inquiète, encore une fois. Il ne faudra pas que l 'aube arrive ... »
-IV-
« Parce que je t'aurai aimée, j'aurai glissé seul au comptoir, pilier de bar, au hasard d'un Ricard, d'un coup de pinard. Ivre, dans les rues, sans issue, mal fichu, du dessus, du dessus des nues . .. »
-V-
« Parce que je t'aurai aimée, il y aura dans les rues de la ville des émois quotidiens au fond des cils. Des espoirs qui glisseront et se faufileront. Amours au toucher de velours. Ily aura dans les rues de la ville, des poupées qui auront flâné sans se faire de bile, des papys (Gardon !) qui les auront matées tout fébriles. Atmosphère , persévère . .. »
-VI-
« Parce que je t'aurai aimée, y' aura des filles de nuit qui auront attendu mon jour en vendant du plaisir. Y' aura des ivrognes qui s'épancheront au bar qui glisseront lentement, le long du comptoir, par terre. Parce que je t'aurai aimée, y'aura des seringues vidées goulûment dans mes bras sans avenir. Y' aura eu un voyageur trist e, pardessus et valises. Parce que je t'aurai aimée, j'aurai oublié doucement l'ombre d 'une vie passée d'une femme, de décombre, j 'aurai cherché l 'oubli d'un parfum , d'une voix, j'aurai éteint l'impact encore brûlant de lèvres entrouvertes, humides et douces ... »

Parce que je t'aurai mal aimée, parce que je te perdrai, je deviendrai citoyen amer envers tout le monde . Parce que je t'aurai mal aimée, parce que je me remettrai à boire, je perdrai mon travail d'artiste peintre et de chanteur des rues à l'orgue mécanique. Parce que je n 'aurai désormais plus assez d'argent pour vivre décemment et m 'octroyer quelques « extras », j'habiterai à Clichy, à Chinatown. Je crècherai tout en haut d'une tour et le soir, j'envisagerai avec frayeur, dégoût et paranoïa le paysage qui s'étalera dessous mes pieds :
« Parce que je t'aurai mal aimée, les sales p'tits chinois gambaderont en bas. Dans les brasseries de la place de Clichy le coup de feu sera passé, les cuisines auront résonné. Les serveurs en noir « mit der » tablier blanc auront voltigé entre les tables bavardes . Je sortirai du métro, une clope à la bouche coup d'œil à gauche à droite en haut des marches feu vert, feu rouge, trois cent mètres encore, stop ! »
Parce que je t'aurai aimée, je chercherai les coupables idéals ...

Parce que je t 'aurai aimée et parce que je tiens ma revanche, on m'aura revu à Paris en 1336 sous Philippe VI dans la rue Saint-Denis, tombe de notre amour « en voyage ». Bruissante des cris de colporteurs et très colorée, cette artère sera malodorante et couverte de boue et d'immondices et où les porcs trouveront parfois leur pitance . Alors que des hommes y porteront sur le dos livres, verres, balais, bois, ferraille, alors qu'un paysage en dent de scie s'offrira à ma vue, mon hôtel particulier de riche marchand d'art ( ?) aura présenté joliment de larges fenêtres à meneaux avec des vitres en verre, c'est-à-dire des croisillons de petits vitraux colorés, et se sera dressé, fier, en périphérie de l'Île de la Cité, loin de cette foutue Cour des Miracles des cavernes qui s'agglutinera en troupeaux hideux sous les arcades (« eh oui ma Chère ... ») de l'église Saint-Germain-Des-Près. J'aurai été un bourgeois, vous savez, un bourgeois irréprochable, qui aura assisté à toutes les messes à la Sainte Chapelle et à Notre-Dame de Paris. J'aurai été un bourgeois parfait qui sera même monté à la chapelle haute, habituellement réservée à l'usage exclusif du Roi, pour contempler de mes cieux impeccables les saintes reliques de la Passion du Christ. Oui, on m'aura revu en 1336 dans la rue pavée Saint-Denis, vous ai-je dit, au milieu de la puanteur et de la souillure et du sang des bêtes abattues, au milieu des enseignes multiples ou ymages (représentant des saints, des animaux , des indications de métiers) sur les devantures des boutiques, ateliers et tavernes. Sous Philippe VI, on m'aura revu dans la rue Saint-Denis chez un apothicaire puisque cette même année le Roi soumettra les produits à la faculté de médecine , en attendant bien sûr l'Antidotaire de Nicolas dans les mains de tous les membres de la corporation. C'est en cet été de 1336, parce que je t 'aurai aimée, que mon âme m'aura toute entière lâché malgré tous mes sous, malgré ma cuirasse de guerrier surpuissant, malgré mon intégrité absolument virginale de bon chrétien français. Parce que je t'aurai aimée, j 'aurai acheté les trente-huit Authentiques Fleurs de Bach® Original , à plus de onze euros ( ?) l'unité, en réponse médicamenteuse aux trente-huit maux qui auront assiégé ma pauvre et noble Âme fragile et chancelante. Parce que je t'aurai aimée, j'aurai essuyé un mal de tête « majeur ». Parce que je t'aurai aimée, j'aurai souffert plus qu 'énormément. Parce que je t'aurai aimée, j'aurai pu aussi expédier au bûcher tous ces gueux hérétiques de la Salpêtrière, qui ne sauront même pas s'habiller correctement, qui n'auront même pas les moyens de donner ne serait-ce qu'une pièce pour la quête à la messe . ..


Yohann Gardon , Saint Genis Laval, avril 2014, pour « Traverse ».





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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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