« Les rêves,ça pousse sous la pluie... »
A Mano A Allain.
Les rêves, ça pousse sous la pluie quand la dernière larme fait déborder la rigole ou plus exactement dans une roulotte embourbée, chez une Diseuse de bonne aventure très âgée. Cette dernière me fait asseoir sur une sorte de chaise de fortune, à l'intérieur de son « humble » demeure, et juste en face d'elle. Je découvre alors un univers magique de véritables palais roulants, de merveilleuses verdines, aux tissus mélangés, aux couleurs harmonisées où chaque élément est retravaillé dans un souci d'authenticité. Simples cotonnades et objets baroques ornaient la roulotte en question. Et je sais à présent qu'à chaque verdine correspond sa madone Sara la Noire. Patronne des pays nomades, Elle veille sur le clan, honorée par les siens. Ici, chez la vieille magicienne, Elle se fait étincelante, couverte de bijoux baroques, habillée de soieries, à l'image de ces Tziganes à la sérénité inaccessible qui s'en vont, nu-pieds, vêtues de jupons rouges et de longs foulards frangés, couvrir d'offrandes et de colliers de roses ces vierges sacrées qui les rendent invulnérables. Ni le froid vent des steppes ni les ouragans ne pourront les réduire à l'immobilité. Elles demeurent, tels des oiseaux migrateurs, libres de toute entrave, sillonnant le monde, ivres d'immensité. La vieille édentée, Reine en ces lieux enchanteurs, se met aussitôt à regarder la forme de ma main puis elle examine la ligne de cœur, le mont de Vénus et les lignes de relation. Enfin, elle s'assure de la compatibilité des pouces. La vieille tzigane détecte une ligne de cœur longue, claire et bien marquée et elle m'explique qu'une relation longue, heureuse et à jamais heureuse et réussie va m'advenir au prochain clair de lune. Elle m'expose en outre que le mont de Vénus indique l'intensité de l'amour. Quant au bonheur, elle observe que ma deuxième phalange (logique) est un peu plus longue que la première (volonté) ce qui indiquerait, m'explique-t-elle, que je serai le plus heureux des enfants à venir. Elle perçois aussi que ma main est large et parcourue par une ligne de vie marquée qui n'enserre pas le pouce ce qui veut dire, me dit-elle, que je possède tout ce qu'il faut pour mener une vie remplie de bonheur. Alors que je lui tends un billet, là -voilà qui me dit juste au moment de prendre congé : « Si tu veux être heureux, sois heureux. » C'est aussi simple et compliqué que cela... Ô m'amie ô ma très chère Rebeca, voici venir le clair de lune et je nous vois déjà habillés tous deux en tenues de mariage civil à l'heure de notre sixième bougie. Je vois une étoffe de dentelles légères, mieux toute une église-sans-croix voilée de blanc laissant seulement deviner un peu des pleins et des vides architecturaux demeurés cachés qui nous abritent avec bois et cire, sans compter la bonne Étoile que j'ai sertie pour vous dans un firmament divinement cotonneux. Oui c'est cela, je vois une église-sans-croix miniature pour notre tout premier Baiser ô tours et détours de deux langues enchevêtrées, une église-sans-croix où les dieux ont fini la partie enfin à genoux, la respiration coupée par le morceau de tissu venu tout droit des ateliers de Cambrais. Si vous saviez comme je vous ai guettée ô ma zibeline. Moi qui vous ai portée dans mon ventre, j'ai senti votre première roulade bouleversante. Glèbe1 qui vous a portée dans les iris de ses yeux, a vu les courbes tendres que vous avez dessinées sur mon corps. Et Il n'a plus cessé de chercher à vous deviner. J'ai choisi pour vous le chemin qui mène à Leprest, là où la Gitane peut respirer enfin à loisir l'air du Grand Large, je veux dire en cela la ville de Rouen toute proche de la Manche et qui voit défiler la plus humide des Seines. Cette église-sans-croix que j'ai choisie est en fait une cathédrale-hors croix, ce lieu dont la façade d'entrée a été immortalisée par Monet, peinte à maintes heures de la journée par le chef de file des Impressionnistes, un endroit où il se passe toujours quelque chose2. Je vois d'ici quelques prostituées provocatrices et sophistiquées en train d'aguicher les marins avec leurs sacs à main remplis de rasoirs à se raser le sang3, seulement avec moi, cela ne prendra jamais vu que je n'ai ni couvre-chef à pompons ni marinières chaudes et épaisses. Je préfère de loin votre bouche d'enfant pour y déposer un baiser tendre auquel on aura retiré toute fougue, toute passion, toute véhémence. Il était une fois un très jeune baladin et une fillette qui s'aimaient chastement tout au long d'un hiver, tout de neiges, de glaces (à la vanille!) et de givre vêtu. Cet amour unique a traversé les siècles depuis le Moyen-Âge jusqu'aux temps de l'univers moderne en passant bien évidemment par la Renaissance italienne et sa belle Poésie galante. Tout cela vous apparaît fort exceptionnel et extraordinaire mais c'est bel et bien réel. Un Geste plein, gorgé de satin et de velours, un Geste délicat et secret comme l'Âme du Poëte. Plus rien ici n'est affaire d'organes mis à nu même si tout en a l'apparence. Des créatures imaginaires abyssales semblables à la Chimère remontent tout doucement à la surface de la Manche pour choper le cul des cargos4 alors que le Léviathan est resté ailleurs, dans les joncs moisis d'un Bateau-Livre . Avec vous, chère Rebeca, je n'ai plus d'intestins ni même d'écritures ordurières. Faut dire que je me rappelle de notre rencontre où le rouge fut bleu le temps d'un Jaillissement. Rien de ce que nous avions construit avec des bouquets de glycine dans nos rêves n'a égalé cet instant unique où le Bonheur a épousé la Douleur, où votre peau a touché la nôtre. En une seconde, vous avez tout fait basculer et maintenant vous voilà ici et je vous ai menée jusqu'à l'autel pour ceindre votre front avec civilité et courtoisie d'un rond d'or... Il est et demeurera à jamais une union de deux Grandes Âmes en plein vent dénuées de toutes les souillures possibles et imaginables. Plus d'érotisme mis à nu non plus, tant tout appartient à l'ordre de l'Esprit aéré. La brutalité est enfin exclue de ce conte que je vous relate ô lecteurs de mon Chant. Laissez-moi larmoyer de bonheur à l'idée de couver notre besoin d'Absolu et d'Éternité sans rebords, aucun. Chère Rebeca, nous recherchons le Verbe enrobé, l'éloge de la Caresse restée plane et puis seulement le Relief de nos bouches qui se joignent jusqu'au Rêve sous les cordes, les trombes d'eaux, cette Pluie poétisée, aux Perles d'eaux scintillantes, qui a éloigné loin d'ici la pendaison de cette même eau aux cordes enroulées aux plus hautes branches de la Manche5. Avec vous ô Rebeca la société semble enfin extraterrestre avec ses barils de Coca-Cola antédiluviens et fort niais et ses produits ménagers incongrus, et ce, malgré la persistance des espaces verts. Tout ici est poli dans le marbre blanc immaculé de Camille Claudel jusqu'au sfumato le mieux béni. Et avec en prime le froufrou des plus beaux tissus. Alors que d'autres arborent des objets récupérés pour les préfabriqués, des tubes en PVC et des structures métalliques, nous, vous et moi, désignons l'Édredon douillet, les têtes à jamais dans les Nuages aux formes fantastiquement suggérées et les Royaumes passés, privés de guerres, de châteaux forts aux redoutables mâchicoulis. Oui vraiment, vous et moi sommes hors des temps qui courent, immobiles et à l'écart de ce qui ne risquera jamais de nous advenir. Que sont mes imageries médicales devenues que j'avais de si près tenues et tant aimées ? Notre rituel est inscrit en Lettres d'Or majuscules sur chacune de nos voûtes d'eau de givre : Pureté, Enfance et des fois toujours yeux dans les yeux, Jour dans la Nuit, Préciosité du Dit. Les autres ont tenté de nous amadouer avec des croix cruciformes ; certains les ont même revêtues de poupées mais nous savons bien que le droit divin est mort. Vous qui êtes venue de moi-même (allongé sur Glèbe) replanterez en moi les fleurs coupées et puis nous finirons bien par aimer la planète des fous furieux à lier, mais en refusant tout un cortège de vocabulaires vils et d'animalité primitive. Vous et moi demeurerons pour toujours debout pour ne pas vivre à côté. C'est pourquoi nous bannirons tous ces « allongés » qui sont légion et qui représentent généralement les martyrs modernes, lesquels prophétisent le terreau que l'on traîne et la mortalité encombrante. Du haut de notre microcosme quintessencé, nous oublierons enfin ces séries d'avatars auxquels « ils » se livrent à la ronde au plus près de la monstruosité et de la pénombre, source de bien des drames, et de la construction la plus périssable, la plus démolissable pour ne pas dire fragile bien-sûr car la finesse ne touchera jamais la robotique la plus audacieuse. Tout doit être fait de Sentiments ennoblis face à la machine, même naturelle, même humaine. Ô ma Rebeca-Cecilia je sais que plus tard d'autres mots diront vos hauts raffinés et que d'autres auront des mains vagabondes sur vos bas de dentelles et que ces mains-là tiendront en même temps des volants d'automobiles impeccables et luisantes et ce, au même instant que se prépare une élection de Miss U.S.A. dans quelque gratte-ciel de New York. Oh je le sais chère Rebeca, mais permettez-moi une nuance oui permettez-moi un rafistolage semblable à celui que je pressens en présence des musiques chères à votre/notre peuple. Permettez-moi un découpage, un assemblage et des retouches de mon être afin que celui-ci adhère toujours le mieux possible à votre Glèbe, aux timbres véritables des voix et des instruments de Clejani. Permettez que je vous ressemble à l'atome près, à la rondeur près ; permettez que je glisse sans intrusion mes mains bricolées - et non refaites - et nomades dans vos cheveux, laissés bruts au bonheur des vues. Sachez que je suis si dilo que Théodore, peintre des monomanes aurait pu nous immortaliser par une peinture d'apparat, rien que pour saisir l'Âme éperdument cristalline dans nos yeux unis. Savez-vous ô Rebeca que nous appartiendrons bientôt à l'histoire de l'Art, que votre Sacre par moi-même dans la cathédrale-hors-croix de Rouen s'appropriera en quelque sorte l'œuvre de David et sera même encore plus beau que l'huile sur toile célèbre du maître du Néoclassicisme et ses mille et un convives. Cette Œuvre à venir remettra en question la réalité même de ce peintre attitré de Napoléon. Oh oui, ma chère Rebeca, nous nous établirons tous deux dans ce Royaume tout blanc, frôlé de tendresse par l'Histoire, éternellement fugace, et nous irons nous noyer simplement dans des manele qui célébreront la fol fête autour d'un focul avec des filles tziganes en tenues aux couleurs de l'arc-en-ciel et qui frétilleront toutes de la poitrine devant les yeux tout éclairés de Guţă et de Ciorbă ou bien nous irons nous laisser glisser dans le Nu-i căruţă ca Merţanu' de Nicolae, juste pour le Siège Royal dressé sur le char... Je dis cela mais, vous savez, la réalité vous rattrape toujours à la fin de l'histoire en gardant toutefois une fine part de magie puisqu'il y aura toujours un enfant (un petit šavore) debout sur la planète des fous, sur la terre aux fleurs coupées. Un jour, Glèbe et moi ouvrirons nos bras et vous partirez. Nous qui vous avons aidée à naître, maintenant, il nous faut vous aider à vivre. Vous apprendre à vivre avec nous puis loin de nous puis sans nous. Nous devrons renoncer à vous un millier de fois. Nous vous verrons grandir et changer. Un jour, nous ouvrirons nos bras et vous partirez...
Fait pour l'atelier d'écriture « Hors les murs », Vaugneray, avril 2016.
|