Lorsque la cigarette devient de l’Or...
Aujourd'hui, comme tous les mardis, je me rends chez tous les psychiatres de la Terre à Hôtel de Ville à Lyon. Le rendez-vous est programmé pour 11h30. Dans la salle d’attente, mon angoisse, d’abord maitrisée, ne fait que monter suite à ce que je viens d'apprendre. Néanmoins, je parviens à garder un calme et un sang-froid relatif pour préparer mes confrontations qui approchent dangereusement. Aussi, dans ce petit périmètre où la patience reste de mise, où la claustrophobie aurait pu me faire très mal, je sors machinalement mon papier à rouler OCB Premium. l'ouvre nerveusement mon très cher paquet bleu azur Gauloises brunes de chez Seita avec le fameux casque ailé au-devant et puis la photographie choc de dissuasion derrière. D’un geste décidé, je prends un peu de tabac ; je le coince au centre de la feuille ; je mouille la bordure adhésive de la feuille etje me roule une cigarette. le choisis ce moment d'attente afin de faire le plein de clopes pour le restant de la journée en répétant ce rituel à un rythme très soutenu. Soudain, la porte du cabinet s'ouvre et j’entends tous mes médecins psychothérapeutes du verbe dire au revoir au patient me précédant et le saluer, et ce, malgré la musique bruyante très rythmée de Nicolae Guta dans mes oreilles. Tous les docteurs sont là et me proposent cordialement d’entrer en me serrant la main. j’entre dans le cabinet. Ces Môssieurs, voyez-vous, sont bourrés de fric. je me le répète constamment, je le mâche sans cesse depuis quelque temps. |ls m'agacent à prétendre tout savoir sur tout tels des dieux vivants, mais là ils ne sauront rien. La solitude extrême dans une main sans ami, la mélalcoolie, les sismothérapies effroyables, l'angoisse énorme et ses tours de table coutumiers, oui ces Môssieurs savent tout. |ls sont habillés en costard cravate et me causent d'une voix monocorde, si sérieuse et si ultra-professionnelle qu’elle en devient exaspérante. Rien ne filtre dans leurs yeux robotisés. Pas la moindre émotion. Alors, je ressors mon carton OCB Premium pour les bouger, tousse un peu et roule. C'est alors qu'ils me regardent bizarrement, ne sachant que dire dans un premier temps. |ls sortent le fameux engin verbal, le débitmètre et me diagnostiquent un asthme en détectant des essoufflements, une respiration sifflante, des serrements de poitrine et puis cette foutue toux. Ils me recommandent d’éviter les contacts avec les pollens, les acariens, les poussières de maison, les moisissures et les parcelles de peau, de plumes ou de poils d’animaux, la pollution atmosphérique, l'effort physique, l’air froid, les changements de température et du taux d'humidité. |ls insistent aussi bien entendu sur la fumée de cigarette. Ils me prescrivent au premier abord des bronchodilatateurs et des corticostéroïdes et bannissent tout traitement de médecine douce. Reprenant mes esprits, je retousse un peu et me roule une autre cigarette devant leurs yeux qui me fusillent. Ils me disent haut et fort que je manque cruellement d'éducation et de savoir-vivre et reprennent leurs travaux, le cul toujours nonchalamment collé aux chaises. De mon côté, je fais même exprès d'ajouter de la bave de chien plutôt que de la salive sur le papier. A mes pieds ainsi, une flaque. Non, ils ne sauront pas ; ils ne saurontjamais. Mes docteurs à moi sont partout, sur leurs toiles d'araignées de mon logement et même dans mes poumons. |ls voient maintenant que je fais de la bronchique chronique, que j’ai une inflammation persistante des muqueuses bronchiques à cause de ce satané tabac qui provoque l'augmentation de la sécrétion de mucus par les bronches. |ls entendent une toux permanente et puis aussi l'expectoration de quantités abondantes de mucus visqueux et puis aussi une respiration laborieuse. Pour soigner un tel psychisme défaillant, mes docteurs à moi me prescrivent un des génériques de bronchodilatateurs qui sont censés élargir les voies respiratoires et un autre générique
de corticostéroïdes pour réduire l'inflammation et l'œdème des voies aériennes. |ls indiquent par ailleurs sur l’ordonnance des antibiotiques si se déclare une nouvelle infection bronchique. |ls concluent en ce milieu de diagnostic par une volonté ferme de ne point délivrer un traitement de médecine douce. Non, ils ne sauront rien de rien puisque ce sont tous des statues sans humanité et sans chaleur, sans tiédeur moelleuse. Ils ne dégoulinent ni ne s'affaissent comme moi. |ls sont fiers, orgueilleux, toujours droits comme des « i». Pour eux, je suis un extraterrestre. Maintenant, ils me dévisagent avec mépris et ce n'est point-là de la paranoïa. |ls déballent un vocabulaire « savant » avec des mots affreux venus des quatre coins d'un bloc opératoire. Oui, mes docteurs à moi connaissent beaucoup de la vie et l’affichent avec le plus grand aplomb. Alors, pour savourer une vengeance certaine, je ressors mon tabac bleu, mes filtres en sachets, mes feuilles OCB Premium. le toussse, retousse et retousse encore pour changer... l'allume ma clope devant leurs yeux furieux de squales affamés et j’en tousse encore et encore. Ces Môsssieurs les docteurs réagissent au quart de tour. |ls parviennent à détecter à présent un emphysème pulmonaire, un souffle court qui se manifeste à l’effort. |ls voient bien que mes essoufflements empirent, que ma respiration est très sifflante, que ma poitrine m'oppresse au plus haut point, que je fatigue, que je perds du poids (chic !) et que j’ai une toux grasse et que je souffre d'une insuffisance respiratoire chronique. Tous mes psychiatres à moi me recommandent l'oxygénothérapie qui accroit le pourcentage d'oxygène que reçoivent les poumons à chaque inspiration. |ls m'orientent aussi vers la chirurgie et notamment la greffe pulmonaire. A ce stade de l'entretien, ils ne veulent toujours plus entendre parler de traitement par médecine douce. De mon côté, je reprends mon étui à cigarettes, j'allume un gros cigare (roulé &) et leur exhale, leur recrache la Nuit de la fumée brune sur leurs visages tout neufs et puis des quintes de toux à profusions s'ensuivent. Mes docteurs à moi détectent maintenant une insuffisance respiratoire aiguë qu'ils appellent savamment détresse respiratoire. Ils le diagnostiquent en me dévisageant : accélération du rythme respiratoire, pouls rapide, coloration bleutée des lèvres et des ongles (cyanose), élévation de la tension artérielle, sueurs, troubles neurologiques. La cause unique : toujours mon très cher tabac brun (obstruction des voies respiratoires, endommagement de la membrane alvéolocapillaire). Mes docteurs à moi ne veulent toujours pas entendre parler de médecine douce. Alors, pour montrer que je serai toujours le plus fort face à cette armée de bourgeois intrusifs qui jubile et mute à chaque nouvelle pathologie psychiatrique découverte, et pour clore une bonne fois pour toute l'entretien qui monte en tension à chaque nouveau pallier, j'allume une nouvelle Gauloise et je me mets à cracher par terre entre deux quintes de toux. Un glaviot sanglant. Mes docteurs à moi, outrés, m’interrogent tout de même : toux persistante, irritante et résistante aux traitements habituels ? |nfections broncho-pulmonaires récidivant au même endroit ? Essoufflements ? Douleurs dans la cage thoracique ? Modification de la voix ? Sifflements respiratoires ? Pleurésie ? Abcès du poumon ? Perte d'appétit ? Amaigrissements ? (chouette !) Fatigue ? Sans aucun doute un __ bronchopulmonaire primitif à petites cellules ! Tout en me hurlant de ne jamais revenir, tout en me psalmodiant qu'ils n’ont jamais vu cela, que je suis un pervers, un monstre de la psychiatrie-pneumologie et que je l’ai bien mérité, ils me conseillent toutefois un traitement de médecine douce, simplement parce que ma toux est devenue nerveuse au terme d'une demi-heure d’électrons dans l’air. Ils me hurlent fort gentiment de manger fruits et légumes, en particulier les carottes et les légumes à feuilles vert sombre puisque le bêta carotène exerce une action protectrice. Ils me recommandent en outre une quantité suffisante d'acide folique (vitamines du groupe B). On le trouve dans les légumes verts, les choux de Bruxelles, les brocolis, les navets, les épinards et tous les haricots secs (haricots de soja). !! faut aussi manger, me disent-ils, le cresson (isothiocyanates), la framboise (acide ellagique) et boire le thé vert. Mes docteurs à moi
concluent l'entretien en me menaçant de lobotomie si mes insolences devaient persister. le sors du cabinet etj'ai des leçons à retenir: dans ce monde de brutes, malade et menaçant, tout finit par une douceur que je n'ai jamais su comprendre. Comme planté imbécilement sur le trottoir, je reste un temps con et gêné. j'aurais préféré une toute autre chute au texte, cela m'aurait rendu service...
Yohann GARDON, Brignais, mars 2015, atelier « Autobiographie/ Ecriture de soi ».
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