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Annonce : Libérations de l'Ogre de Barbarie
Publié par Vadnirosta le 12-03-2023 14:56:52 ( 134 lectures ) Articles du même auteur



Libérations de l'Ogre de Barbarie

Il y avait au Jardin de Ville de Grenoble ce vieil orgue de Barbarie ; toujours à la bonne heure s'improvisait le
dénommé Crève— Cœur avec sa boîte à musique mécanique presque aussi petite que la divine serinette des
pavés, son gilet de chanteur des rues de toujours et puis sa gavroche de titi parisien ; il y avait des refrains en
bois d'artisanat dont on a fait aujourd'hui son deuil pour des musiques électriques ou électroniques sans âme;
il y avait surtout des petits brins d'refrains passés venus de Paname qui sifflotaient au fil des trous les bistrots
mal famés de la rue des Abbesses, de la rue des Martyrs et puis les vauriens et les hiboux de Belleville et puis
les apéros belotés dans les estaminets au sortir de la seconde guerre mondiale, à l'heure de la Libération de
Paris ; il y avait des tours et des tours de manivelles, des hectares et des hectares de cartons perforés à déplier
pour célébrer le Lapin Agile de Montmartre et son Frédé à la guitare, ses peintres et ses poètes de la Butte qui
se retrouvaient rue des Saules pour boire et chanter « La Femme du roulier », « Le Temps des cerises », « Le 31
du mois d'août » mais aussi des sonnets de Ronsard et des vers de Villon ; il y avait aussi le fameux Bateau—
Lavoir de Picasso, surnommé ainsi par Max Jacob par analogie avec les bateaux dans lesquels les lavandières
lavaient leurs linges, le long des rivières, bateaux aux carcasses elles aussi biscornues et bringuebalantes; des
tours et des tours de manivelles éternels pour dire musicalement les mots de la bohème aux alentours du
Sacré—Cœur, les mots alcoolisés d'un vignoble de petit renom et puis le « Bestiaire de Paris » de trois sous de
l'auteur voyageur de Syracuse à lunettes, Celui qui avait scellé pour l'éternité l'inestimable « Mémère »; il y
avait au Jardin de Ville de Grenoble le promeneur connaisseur qui, toujours, dansera dans une guinguette en
bord de Marne avec la plus Belle, Casque d'Or, avant de se préparer pour un duel sanglant au couteau des
apaches; il y avait au Jardin de Ville tout Carco, tout un Paris « emparigoté » où dominaient l'œuf dur, le zinc,
le paquet de Gauloises bleues et la toile cirée ; c'était le Paris des concierges et de la vie de quartier; il y avait
tout Carco et ses bars à putes , ses refrains libertins sur l'amour éphémère tout rose ; il y avait aussi quelque
chose de Dorgelès, de Mac Orlan, juste pour le Baiser magistral et sulfureux entre Jean Gabin et Michèle
Morgan ; il y avait surtout un air populaire àla Léon—Paul Fargue, des rues des quartiers de travailleurs, « tristes
comme une porteuse de pain congédiée », des quartiers de fumées dormantes, des gares, des cheminées, tout
au nord de la ville, au—delà même du boulevard de la Chapelle, là où les rails du chemin de fer brillaient sous le
crachin du soir et, au matin, sous la rosée du printemps, ces quartiers « où la ville allait mal», qui sentaient le
vermouth et le crottin de cheval, l'apéro et l'eau de Javel des lessives; il y avait surtout le Paris nocturne avec
ses bars, ses cirques, ses bordels, ses terrasses de cafés , ses brasseries, bref, son « Piéton » ; il y avait au Jardin
de Ville de Grenoble la voix claironnante d'un peintre juif italien qui dessinait comme un dieu des profils de
putains et qui, totalement ivre, s'écroulait sur le bitume dans un caniveau obscur à quatre heures du matin ; il y
avait aussi ces quintes de toux d'un confrère, laid et boiteux, qui, un poil moins saoul, le laissait achever son
suicide pour rejoindre la couche de cette fameuse danseuse de french—cancan du Moulin Rouge et son
ambiance délirante, froufroutante de la place Blanche ; il y avait au Jardin de Ville de Grenoble toutes les
fioritures des morceaux de l'accordéoniste Jo Privat avec tout son cortège de musette et cela, en compagnie du
célèbre Manouche Django et son doigt manquant; il y avait au Jardin de Ville de Grenoble tout le Gaumont
Palace de la place de Clichy, le plus grand cinéma du monde, un gigantesque navire plein à craquer tous les
dimanches pour les films d'Abel Gance et pour ceux de Cecil B. De Mille; il y avait surtout les Escaliers
mythiques de la Butte si chers aux Poulbots et puis aussi le Tout—Barbès et sa Goutte d'Or aux accents du
Maghreb en fête; il y avait des touches musicales bleutées sorties par un lâcher—prise langoureux,
engourdissant et humidifié des doigts de l'inventeur du cubisme, des portraits en chansons où chaque bleuité
évoquait un gueux ratatiné, avachi là où à présent se dresse un magasin Tati ; il y avait surtout au Jardin de Ville
de Grenoble l'air de ce poème qui courait librement telle l'eau sale sur les trottoirs de Pigalle, là où
« fleurissaient comme les fleurs de la luzerne les seins de Lola… » ; il y avait surtout au travers des rubans les
vomissures jaunies des égouts à la sortie des bistrots louches de China Town, place de Clichy; il y avait au

Jardin de Ville de Grenoble un tout petit orchestre à la portée du petit peuple de Paris, des ritournelles
anonymes de tous les jours fredonnées par la Môme Piaf à la manche de laine manquante, et puis reprises
ensuite par toutes les petites gens, friandes de coups d'blanc aux petites aurores et d'argot chez les vrais de
vrais, à la Bruant; pour les moins argentés, les fauchés, il y avait surtout au Jardin de Ville de Grenoble des
envolées lyriques musicales par octosyllabes roses en « chambres d'un moment... »; il y avait tout de même
aussi des clés précieuses, portées en premier lieu par les « the nanas » en lingerie fine et aux voix si rudes, puis
prêtées après aux gens de la haute, aux bourgeois en hauts de forme, toujours impeccablement mis...

Yohann Gardon, atelier «Ecriture de soi, autobiographie », avril 2015, Brignais.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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