Poussées à ma Souvenance de mes trois plus grandes et chères Chansonnettes...
Extrait : (Barbes-Clichy — Mano Solo) Voyage à Paris avec deux amis de lycée loyaux, Pierre-Loïc et Benjamin.
Déjà des larmes retenues et le cœur ravagé secrètement par des fêlures adolescentes.
Vacances d'été pour fuir la vacuité d'un esprit encore attaché à la faculté des langues étrangères appliquées.
Paris enfin après deux heures de TGV. Nous remontons le boulevard Rochechouart depuis la Goutte d'Or et ses kebabs si bons ainsi que ces magasins qui vendent tous les moindres petits souvenirs et n'importe quoi jusqu'à la place Clichy aux mille Chinois qui gambadent par les rues aux estaminets pas si sûrs et aux épiceries où, avant d'entrer, l'on ne doit jamais oublier sa haine et puis ses couteaux et puis ses chaînes et puis tous ses blindages tout court...
Revenir pour la première fois dans la Capitale du Chanteur triste, là où il aimait << perdre sa vie » entre un Tati du XVIIIème en passant par Anvers et son cinéma populaire désaffecté Le Trianon gonflé d'insultes en arabe, devenu aujourd'hui un théâtre de grand renom. Et puis Pigalle et ses noctambules tout roses, où la keu/ola Seena vendait de l'Amour tous les soirs de lune à l'Oubli d'un type << un peu bourré, un peu perdu >>. Pigalle le prenait dans ses bras alors qu'il y hurlait son malheur en poussant la chansonnette, debout sur un trottoir sale, avec en bandoulière sa guitare aux cordes trop usées.
Revenir pour la première fois à Paris, laisser ses amis de côté pour une après- midi, partir égoïstement en solitaire sur les pas errants de Mano l'auteur/compositeur/interprète/, le << sale môme de France » hors norme et
puis aussi se ressouvenir sur les quais déserts du canal Saint-Martin de Mano le |V|arinier-dessinateur délaissant Répu, la Porte de Clignancourt et Bastille pour le Canal du Midi sous la pluie. Se ressouvenir de Mano, le Peintre au teint fiévreusement pâle et aux teintes toutes noires qui a tant façonné ma personnalité et puis mon désir pressant de tout recommencer, de devenir à tout prix artiste à mon tour. Revenir au Pays, se recueillir devant les écluses et les vieilles péniches comme autant d'ateliers pour gagner honorablement sa croûte avec une armée de couleurs sans vert...
Revenir pour la première fois après l'Assimilation la plus profonde de la musique flamenca et de ses plus beaux textes rabâchés des << Années sombres >>, deuxième opus du Chanteur triste. Revenir vraiment, en espérant trouver devant << le Sacré-Cœur gros comme ça >> la guitare espagnole allumée de Napo le Virtuose et puis le divin violoncelle pleureur d'Anne-Gaëlle Bisquay.
Revenir pour la première fois, pendant l'Orage si possible, le plus près possible du Bataclan 95, synthèse d'un Paris conquis par le biais de deux albums de légendes et disques d'or...
Revenir pour la première fois, s'exiler à son tourjusqu'au théâtre du Tourtour à Châtelet; prendre deux trois photographies du lieu et du bar d'en face où servait la regrettée << julie >> avec ses << cheveux gras >> et << l'odeur des frites >>. Parler encore et encore avec jean Favre, parler des heures de Mano à qui il a offert sa chance pour la première fois, << la seule personne à qui [il a dû] quelque chose sur cette putain de planète pourrie >>. Le Tourtour et ses images mémorables comme autant d'archives tirées, collées de partout sur les murs. Le Tourtour pour l'éternité, même s'il n'existe plus aujourd'hui...
Revenir pour la première fois à Montmartre, accompagné rageusement du << Pauv' Petit >> des banlieues périphériques chère à la misère* avec son fusil et sa révolution encore plus petite que lui et qui qui se prépare pour l'explosion finale, pour << le dernier show dela vie >>...
Revenir pour la première fois pour retrouver tous les chiens du Chanté et aussi la Tristesse qui se soulève, enrubannée enfin de joute verbale.
*= Cf. les Frères Misère, le groupe de rock de Mano Solo.
Extrait : (Keren Chave — Ando Drom)
Je vois un feu ardent dans la Nuit chaude du Goudron. Un feu de la Passion, déraisonné, éternelle source d'inspiration pour le Réalisme magique de Kusturica. Il y a là une Gitane longue dans un platz aménagé en salle de concert gigantesque. Fine. Brune. Gracile. Elle demeure en elle tout cela. Dans le milieu éparpillé des Rroms, on la surnomme Mitsou.
Sa voix est si frêle et pourtant si sûre qu'elle fume clope sur clope, sans atteindre pour autant l'Eraillement fatal par le grattage des cordes vocales... Elle fume des Gitanes sans filtres de préférence, mais accompagnées à l'envie des Philtres d'Amour les plus secrètement enchanteurs, tant elle s'attache à se maintenir dans une véracité vocale, joliment brute, toujours au plus près de la musique traditionnelle pure, sans aucun ajout, sans aucun remaniement pervers d'une quelconque modernité.
Elle connaît tout du quart-monde emmagasiné dans un bidonville, tout d'un système D qui restera à tout jamais le meilleur du monde. Elle sait les petits vols et puis le travail perpétuel à faire la manche chaque jour, à vendre quotidiennement sa voix divine dans une rame du métropolitain de Budapest. Elle sait la céleste Fioriture; elle sait la faim, le froid qu'endurent ses notes vulnérables. Elle sait l'horrible génocide passé de son peuple martyrisé par une bande paranoïaque de fous furieux à lier. Elle sait les bouffées à la tétine dans un champ de papier ma'is. Elle sait que les enfants doivent faire place au vieil homme afin que celui-là marche et danse à l'ancienne en tête du cortège, afin qu'il tape sur des vingt et un jours*... Elle sait à jamais les nuages tout bleus qui s'effrangent au contact de toutes les embûches rencontrées en route** dans les roulottes d'antan. Elle sait les solos de la mandoline de jenô Zsigo, le leader du groupe, et puis le lait enlevé que l'on frappe dans les meilleurs pots de la paysannerie hongroise pour les percussions magistrales et les rythmes les plus fous qui adviennent régulièrement dans chaque morceau, où foisonne toute une avalanche condensée de multiples notes. Elle sait les transes chez tous les musicien du groupe provoquées par le bôgô omniprésent et le fabuleux lassu- friss qui amène comme par magie des vagues déferlantes de bruits chantés et joués après un début plutôt plongé dans une mer calme, précise, poncée, érodée, limpide, bercée par le velours chuchoté des petits vents les plus imperceptibles.
Elle sait la facture ultrafine que peut porter une voix au service du Beau réel à chercher dans une motte de foin, une voix au service de l'Harmonie juste et délicate, reconnue vraiment par les connaisseurs et les afficionados de la musique vocale. Oui, Mitsou doit bien savoir la facture ultrafine et modulée de son timbre unique en son genre et ce, sans qu'elle s'égare dans la suffisance, je le crois, du moins je le suppose en la regardant chanter sur les vidéos. Mitsou doit bien savoir qu'elle fait fondre les cœurs de pierre rien qu'en répétant de simples vocalises tout près de quelque bourreau fasciste malveillant.
Elle doit bien savoir le langage des Anges et le Bruissement subtil des feuilles d'un arbre tout neuf planté doucement dans l'arrière-pays hongrois. Elle sait l'élégance de la Guenille etla perfection du Lambeau. Elle sait l'inquiétude des Dieux devant des cieux délavés par l'évaporation de la sueur des siens les soirs de concerts en plein air; elle sait les courroux de tous les Dieux devant la Grisaille hongroise provoquée par la remontée des eaux troubles, lorsque les violons rafistolés sanglotent longuement lors d'un automne à Budapest et laissent échapper des bribes repoussantes d'indigence et des poignées de boue abjecte.
Elle sait la prune céleste dans les verres les soirs de fête; elle sait les avalanches de couleurs et de sons divins trouvés avec virtuosité par le maître- accompagnateur au cymbalum Kalman Balogh pour le parfait et très dansant Csacso Jilo. Elle les sait par cœur et les fait parler jusqu'aux cieux en même temps qu'elle dépose sa présence vocale, fragile mais sûre, agile et doucement charismatique...
*= Keren savorale drom, te khelel 0 parc rom, 0 parc rom te khella ami voja ker/a.
Aj .....
** :Ando Drom en rromani.
Extrait : (La Planète des Fous (version album du même nom) — Leny Escudero)
Ecoute et réécoute à l'infini en hôpital psychiatrique, à Saint-jean de Dieu, service du secteur << Osiris >>.
Au programme de la journée attachée : haine débordante calmée à la camisole chimique; besoin irrépressible d'un mot d'Amour, d'un mot d'Espérance toujours plus vert que le verdâtre du petit parc d' << Osiris >>. Besoin d'une chanson au service de l'Absolu à couver et un Amour de son Prochain à reconquérir...
Et puis la voix chaleureuse de Leny le Gitan qui, malgré les naufrages, est sauvé par la Main tout court d'un Enfant, devenu Femme, le ventre mis à nu. La Femme, la Femme et l'Enfant avec des majuscules de partout pour nimber sans aucun rapport divin ces deux Êtres magistraux, emplis de la plus superbe des simplicités, et à jamais intemporels, éternels au regard du Fanage et de la plus cruelle des décompositions si répandus dans tous les cycles effrayants de la vie (terrestre !)
Besoin pressant d'en finir avec les égarements de toutes les croyances religieuses advenues; besoin urgent de renouer avec une Spiritualité intime sans limites qui n'aurait absolument rien à voir avec l'Immaculée Conception, avec le Zen, avec la Mecque et le Ramadan, avec Viracocha et Hercule. Une spiritualité à portée de soi—méme, très loin et beaucoup plus profonde que l'humanisme et la dévotion à la lettre. Une spiritualité qui détruirait << temples et cathédrales >>. Une spiritualité qui aurait baigné dans la Capsule d'une simple tasse de café-crème avant de naître et dont l'Efflorescence dépasserait les lois restrictives de la mémoire et ne serait transmise féeriquement que parles Vers d'une Poésie aimante...
S'en remettre à la Femme, simplement salvatrice, anonymement rayonnante ô Enchantements de Ses Lieux conquis noblement, de Son ventre de Son Port d'où sont partis de nombreux bâtiments avides d'Or insaisissable et de Bijoux impondérables...
S'en remettre à l'Enfant chéri venue de la terre la plus limpide où s'est allongé le Poëte de la Planète des Fous. S'en remettre à l'Enfant pur qui prendrait la Nuit rouge-sang de l'Angoisse pour un bouquet de Fleurs que l'on ne sait pas encore mais qui apparaitra d'un coup tendre dès l'Envolée lyrique de Leny. S'en remettre à l'Enfant debout << hors des espaces verts >>, hors de toute matérialité, même aux teintes les plus espérantes. S'en remettre à l'Enfant le plus clair, le plus étoilé, le plus interplanétaire, le plus précieux et le plus banal
à la fois. S'en remettre à l'Eternité sans nom, à l'Âme en plein vent la plus lisse et polie ô sfumato de Rodin et de Claudel dépassé ô Esprit horizontal semblables à ses frères ô Esprit plus longuement gai que nos fêtes ô Espaces transformés par la magie des Mots... S'en remettre à l'Enfant de l'Univers, à l'Enfant tout court, qui aimera malgré tout << la terre aux Fleurs coupées >>, la terre aux Fleurs taillées comme des arbres encombrants trop tortueux...
Aimer, aimer, ne plus hai'r, ne plus cultiver son raisin sans eau*, ne plus cultiver sa rancœur du Soir au Matin. Se réveiller libéré de ses chaînes, de ses boulets massifs. S'extirper de la pire des méchancetés plausibles et gratuites. Fuir à jamais la perversion ô affreux Nid de de la Souffrance. Fuir à jamais le masochisme peu gratifiant. Aimer, aimer, même si le cœur est trop gros. Aimer, aimer pour avoir enfin l'alcool gai et serein, toujours au plus près du Jardin d'Artifices. Aimer aimer, même à la terrasse d'un bar, aimer quand même parmi tous ces gens qui rigolent. Aimer aimer, même si une déchéance pesante nous ronge lentement tout près des lassitudes. Aimer aimer, remonter vers l'Enfant la Femme pour rebondir sur le ventre d'un Eléphant dela littérature de jeunesse...
Aimer pour sortir du mauvais rêve, du cauchemar de toute une vie...
*= Cf. l'expression << mettre de l'eau dans son vin >>.
Yohann Gardon, juin 2015, Brignais, atelier << Autobiographie/ écriture de soi.
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