Mon amie, mes pas me conduisent toujours plus avant et le but que je souhaite atteindre au plus vite se dessine de plus en plus distinctement au-delà de la ligne d'horizon. Les nuages noirâtres trônant au-dessus de ses plus hautes tours prennent désormais tout l'espace céleste se discernant devant moi. Ils ressemblent à des ailes de dragon démesurées continuellement en mouvement. Je vois régulièrement des éclairs en surgir, puis s'écraser au sol avec fracas. Un bruit de tonnerre épouvantable s'ensuit, tandis que les rares roches qui sont disséminés sur la plaine explosent ; si ce n'est pas le cas, ils y ouvrent des crevasses béantes. Lorsque le silence pesant de la steppe se réinstalle durant quelques instants, je perçois également des croassements indistincts de créatures ailées dont j'ai déjà aperçu les silhouettes un moment auparavant. J'ai d'ailleurs l'impression que celles-ci nichent au sommets des plus hautes tours de cette Citadelle couleur de Nuit, et n'attendent qu'une chose : pouvoir fondre sur la première proie ayant eu le malheur de s'aventurer aux abords de ce Sanctuaire maudit. J'espère de tout cœur, mon amie, qui tu a pu échapper à leur vigilance. Car, quand j'ai approché ce site pour la première fois, il y a plusieurs mois de cela, j'ai été obligé de me défendre contre elles. Il m'a fallu toute mon énergie et toute ma détermination pour les repousser. J'en ai d'ailleurs gardé plusieurs cicatrices sur les bras et la poitrine, car elles possèdent de leurs griffes acérées comme des rasoirs. J'en garde encore un souvenir terrible ; car être confronté à ces volatiles aux yeux de braise et aux hurlements capables de rendre fous n'a rien de plaisant, loin de là . Et pourtant, les Dieux savent combien de monstres ailés j'ai dû combattre au cours de mes pérégrinations à travers le Continent. Je poursuis donc ma route sur la plaine, tout en repoussant ses souvenirs dans les profondeurs de mon âme meurtrie. Je concentre mon attention sur les traces que tu as pu laisser sur le sol au détours des creux et des montées herbeuses que je foule. Je discerne en effet parfois quelques empreintes récentes - moins de vingt-quatre heures, je pense -, et je m’arrête auprès d'elles afin de savoir si je reconnais bien les marques de ton passage. Et, il est vrai que plusieurs sont parfaitement caractéristiques des foulées que tu laisse habituellement derrière toi. Nous avons si souvent cheminé ensemble par le passé, de la Cote Sanglante aux Cités Jumelles de Nakrat et de Byrath, que je les identifie sans peine. Mais, apparemment, ce ne sont pas les seules. D'autres, toutes aussi fraiches, se mêlent à elles. Elles sont humaines, fort heureusement. Je crains toujours, il est vrai, que lors de ton périple, tu ai été confrontée aux mêmes horreurs que moi autrefois. Or, pour cette fois, il semble que ce n'ai pas été le cas. Peut-être, en fait, n'a tu pas croisé ces individus ; deux ou trois, semble t'il. Ce que je remarque, c'est que l'un d'eux était un Mage, ce qui ne me surprend pas outre mesure. Car, quelle autre sorte d'humain, à part un Rôdeur comme moi, aurait l'audace d'approcher la Citadelle Écarlate de son plein gré ? Qui aurait l'inconscience d'affronter les Démons qui s'en servent comme repaire, si ce n'est pour en percer les mystères, ou tenter d'y récupérer les sombres Savoirs perdus des Anciens Temps enfouis dans les tréfonds de ses Catacombes et de ses Cryptes ? Et, pour ma part, si j'y reviens aujourd'hui, ce n'est que parce que tu t'y es certainement réfugiée. Il n'y a pas d'autre explication ; d'autant que la dernière fois où nous nous sommes rencontrés, tu m'a tant interrogé sur ce lieu au cours de mon voyage de l'autre coté de la Frontière, que c'est le seul endroit des Territoires Extérieurs qui a pu te servir d'abri temporaire...
|