Je lui révélerai que mon supérieur hiérarchique, l’irrespectable adjudant-chef Darius Alexander Ménard de la brigade spéciale d’extraction, me persécute, qu’à cause de son incompétence, de sa tyrannie et de ses frasques, les comptes de la Tour sont grevés, je l’ai en effet souvent surpris à mettre un excédent de produit à 8% alors que du 6% suffisait. J’ai pourtant fait part à ce Darius Alexander avec la déférence qui sied à son rang, du gâchis occasionné de produit à 8%. Il ne m’a jamais écouté. Bien en contraire. Au risque de choquer mon interlocuteur, le génialissime Docteur Fournier, je lui rapporterai les propos tels qu’ils m’ont été formulés, sans les édulcorer, ni les travestir, car quoique scandaleusement abjects, le Docteur a le droit à la vérité. De plus, il m’est pour ainsi dire impossible de les taire, ressentant en effet le besoin irrépressible de me confesser, tant les mots sont lourds et graves et représentent à terme une menace pour la rentabilité de la Tour. Darius Alexander Ménard m’a donc répondu de façon discourtoise en postillonnant, « qu’il se foutait du bilan de la Tour. Tant qu’il est payé. » Ce « je m’en foutisme » m’exaspère. Darius Alexander Ménard est -n’ayons pas peur des mots- un. Egoïste. Qui ne pense pas au bien de la Tour. Je le soupçonne même de s’en mettre dans les poches, cela ne m’étonnerait pas, d’ailleurs plus rien ne me surprendrait de la part d’un si vil individu. Tout ça je le dirai au Docteur Fournier. Que ce Darius Alexander vole, bâcle son travail et n’a aucune conscience professionnelle, alors même que les responsabilités qui nous incombent sont énormes. Mon devoir m’oblige par conséquent à pratiquer une délation salutaire au bon fonctionnement de la Tour et par là même de faire cesser ces outrages et actes de sabotages. Le Docteur Fournier comprendra. Il se penchera vers moi avec empathie, m’autorisant peut-être émotionné par ma sincérité d’obtenir le privilège de le regarder, m’interrogeant alors sur mon poste. Je lui répondrai avec fierté, « extracteur de bave d’escargot ». Avec la curiosité caractérisant ce grand scientifique et bien qu’en connaissant les réponses par avance, il ne manquera pas par politesse de me presser de questions afférentes aux différentes étapes du processus d’extraction. Il faut en effet savoir que l’extraction de la bave d’escargot sollicite une biotechnologie de pointe et que n’importe qui ne peut pas s’improviser extracteur. L’extraction est un art nécessitant de la patience, du doigté pour ainsi dire. Préalablement à la phase d’extraction proprement dite, il s’agit de conditionner les escargots, de les mettre dans des dispositions d’esprit favorables. Le gastéropode pour produire le maximum de bave doit être effectivement incité à se transformer en femelle, une étude américaine très sérieuse sur la question ayant déterminé que c’est en mode femelle que l’escargot, cet animal hermaphrodite, produit le plus de bave gélatineuse. Des stimuli visuels –projection de films pornos escargot- et auditifs –musique langoureuse et/ ou répétitive- sont en l’occurrence diffusés. Le rôle de l’extracteur est alors de bondir avec intrépidité dans la cage de chaque escargot, de le saisir et le placer sur l’aspirateur à bave. L’opération est rapide et dure une dizaine de secondes. Le gastéropode ne subit aucune souffrance, son intégrité physique est respectée et il est simplement replacé pour 24h dans son terrarium, où il est nourri de salades et d’herbes ogéméisées pour augmenter les capacités baveuses. L’animal récupère vite de ces différentes manipulations.
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