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Nouvelles confirmées : Margate
Publié par Donaldo75 le 12-05-2019 16:50:05 ( 605 lectures ) Articles du même auteur



C’était l’été de mes dix-sept ans. Mes parents s’étaient une fois de plus débarrassés de moi ; ils m’avaient payé un long et couteux séjour linguistique à Margate, une station balnéaire anglaise. Je m’ennuyais ferme, comme toujours, entre les cours, les visites culturelles, les activités sportives et les soirées télévision avec ma famille d’accueil. Heureusement, un soir, alors que j’avais obtenu la permission de minuit et rejoint mes copains dans une discothèque pour étudiants, je rencontrai Angelica. Ma vie changea.
- Hé rocker, tu as l’air de te faire bien chier.
- J’ai connu mieux.
- Tu es français, c’est ça ?
- Je ne peux pas le cacher.

Angelica ressemblait à Siouxsie Sioux, la chanteuse gothique en vogue à l’époque ; elle en était même la version magnifiée, étudiée. Elle avait deux ans de plus que moi et travaillait dans un fast-food pakistanais pour payer ses études de styliste. Je l’imaginais mal en train de servir des beignets aux oignons habillée en princesse des ténèbres. Ma remarque la fit rire.

***

Je ne m’étais pas fait prier quand Angelica m’avait proposé d’aller dans un club alternatif. Après un court voyage en taxi, nous étions arrivés dans une zone industrielle, au milieu de nulle part. Angelica me montra un bâtiment sombre.
- On dirait un entrepôt.
- La journée, c’est une usine de pièces pour la construction navale. Le week-end, ça devient le nec plus ultra du monde alternatif, en particulier la nuit.
- Et tu viens souvent ici ?
- Seulement quand j’ai faim. J’amène un mortel que je dévore avec délectation.
- C’est prometteur.
- Si tu es sage, je te garderais en vie pour le demain et le jour suivant.


Entrer dans le saint des saints de la contre-culture britannique ne devait pas être aisé au vu des cerbères et de la file d’attente. Angelica glissa quelques mots à l’oreille des videurs puis me désigna du doigt. Sans m’en apercevoir, je me retrouvai à l’intérieur de la discothèque, au milieu d’une foule bigarrée mélangeant tous les styles de l’époque, pas uniquement les gothiques. Angelica me prit par la main et m’attira vers l’un des bars. Au contact de ses doigts, je sentis son désir me posséder, m’envoûter. Cette sensation m’excita. Le barman me proposa le cocktail réservé aux nouveaux arrivants. Angelica lui dit que j’étais un affranchi, qu’il pouvait me servir une triple dose. J’allais émettre une objection mais elle me fourra sa langue dans la bouche en guise d’apéritif. Mon petit cœur explosa.

***

J’étais au centre de la piste de danse. Angelica me tenait par la taille ; nous bougions tous les deux sur une musique métallique venue du tréfonds de la terre. Nos visages se rapprochaient puis s’éloignaient, dans un rythme lancinant et excitant. Ses cheveux possédaient mon corps à chaque contact. Je sentais son souffle volcanique quand sa bouche effleurait la mienne.

Soudain, je tournai la tête, comme alerté par un sixième sens. Un couple de danseur était en train de prendre feu. La femme me regarda droit dans les yeux puis me sourit d’une bouche sans dents. Je regardai à gauche et vis d’autres torches vivantes. Les rares êtres sans flammes semblaient aussi étonnés que moi. Ils ne pouvaient plus se détacher de leurs partenaires brûlants. Je voulus arrêter la danse. Mes jambes refusèrent d’obéir. Angelica ne semblait pas affectée par le brasier ambiant. Elle s’aperçut de mon trouble. Je sentis ses mains labourer mes côtes.
- Que se passe-t-il, rocker ? Je croyais que tu cherchais les sensations fortes.
- Ces mecs brûlent.
- Tu ne risques rien dans mes bras.
- Partons d’ici !

Je me retrouvai ailleurs, au milieu d’arbres gigantesques et de rochers biscornus, dans une atmosphère chargée. Angelica avait disparu. Je tentai de l’appeler mais aucun son ne sortait de ma bouche. L’air sentait de plus en plus la fumée. Le ciel devenait sombre et oppressant. Je décidai de marcher droit devant moi, sans vraiment savoir où j’allais.

***

Nous étions désormais des milliers de marcheurs, unis par un même tempo et dirigés par une main invisible. Le paysage se déformait progressivement, laissant place à un désert au sol craquelé. L’horizon fondait. La pluie s’ajouta aux ténèbres. Je sentis les gouttes froides pénétrer mon corps et envahir mon être. Je pleurai.

Soudain, l’air devint métallique. Le ciel se figea. Le paysage s’afficha industriel, des poutres et des fils d’acier encastrés dans d’imposantes structures géométriques. La cohorte de marcheurs changea de couleur, passant d’un gris sinistre à du bleu mâtiné de reflets sombres. Je ne bougeai plus désormais.

Le temps ralentit. Je vis les corps alentour se décomposer en fragments, en filaments argentés et projetés dans le ciel par un vent sans effluve. Je crus entrevoir l’ultime vérité. Je tentai une dernière fois de briser mes liens invisibles. Mes jambes obéirent à nouveau. Je repris ma marche en avant. Le ciel se décanta de ses fils d’argent. Le sol se transforma en carrelage blanc et noir. Je marchai sans m’arrêter, dans un monde froid et infini. Angelica me fit soudain face.
- Es-tu assez loin ?
- Je ne sais pas, Angelica ! Suis-je en train de mourir ?
- As-tu peur ?
- Plus maintenant ! Je suis fatigué de marcher, de fuir sans savoir pourquoi.
- Nous sommes seuls à présent ! Rien que nous toi et moi.
- Ramène-moi à la maison !
- Tu vas t’ennuyer ! Ici, tu as vu l’envers du décor, la fin de l’ennui.
- Je m’en fous ! J’ai eu ma dose d’émotions fortes. Je veux rentrer !
- Crois-tu que ce soit fini ? Comme ça, parce que tu l’as décidé ?
- Angelica !
- Il y a toujours un prix à payer.

Angelica me regarda une dernière fois avant de disparaître dans l’immensité vide. Je ne me souviens pas du reste. Je n’ai plus jamais entendu parler d’elle. Mes parents ont arrêté de m’envoyer en séjour linguistique en Angleterre ou ailleurs. Désormais, ils passent toutes leurs vacances avec moi. Je vais avoir trente ans. Je ne m’ennuie pas avec les autres pensionnaires de ce sanatorium.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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