Je suis l’Eau, la sœur de l’Air, la Terre et le Feu. Depuis nos débuts, il y a longtemps, nous vivons tous les quatre en harmonie, sous la protection du Soleil, du Ciel et de la Lune. Certes, nous avons vécu quelques crises mais elles font partie du cycle de la vie. Le Feu a parfois voulu nous imposer sa furie, son énergie puissante et incontrôlée mais nous avons toujours repoussé ses assauts, réfréné ses ardeurs, tempéré ses émotions. Il s’en est quand même fallu de peu ; une fois, l’Air a menacé de nous quitter, de partir quelque part dans l’Ether, un ailleurs dont nous parle souvent le Ciel comme étant notre havre originel, là d’où nous venons tous, même le Soleil et la Lune.
- Pourquoi veux-tu partir ? a demandé le Ciel. - Le Feu prend trop de place, a répondu l’Air. - Et que feraient la Terre et l’Eau sans toi, sans le Feu ? - Ils continueraient à jouer de toutes les couleurs. - Ils s’ennuieraient. Le Temps viendrait les chercher plus tôt que prévu sans qu’ils n’aient accompli quelque chose de beau. - Quoi ? Que devons-nous accomplir de plus beau que les cristaux multicolores, les montagnes gigantesques et les aurores boréales ? - Je ne sais pas. C’est pour cela que vous devez rester tous les quatre ensemble, même si le Feu joue au polisson avec vous.
L’Air a pris sur lui. Il a pesé le pour et le contre. L’Ether l’effrayait un peu ; on en parlait tous comme d’un début et d’une fin, sans jeu, sans mouvement, sans le plaisir de créer de beaux kaléidoscopes, des diamants et des nuages, de la pluie et du vent, tout ce qui rendait notre existence amusante. Nous avons pleuré avec lui ; le Feu a imploré son pardon, juré de ne plus partir dans tous les sens, promis de grandir un peu. L’Air a frémi un moment puis s’est mis à neiger. La crise était passée.
Je me souviens du chemin parcouru. Nous avons assisté à des créations plus belles encore que des nappes d’argent ou des lacs de lave. Nous avons également vu naître les Animaux ; je les ai particulièrement choyés avec ma sœur la Terre, même quand ils essayaient de se manger entre eux. Ils nous ont parfois amusés, d’autres fois attristés, surtout les derniers arrivants, les Humains, ceux qui ont essayé de dominer notre frère le Feu. Cette fois-ci, c’est le Feu qui a voulu partir dans l’Ether, au grand dam du Soleil et du Ciel.
- Pourquoi veux-tu partir ? a demandé le Soleil. - Je veux rester libre, a répondu le Feu. - Mais tu es libre. - Non, les Humains veulent me domestiquer, m’utiliser pour asservir les Animaux, pour se combattre entre eux. C’est moche. - Ils ne te domestiqueront jamais. Le Temps ne les laissera pas continuer. - Viendra-t-il les chercher pour les amener dans l’Ether ? - C’est possible. Ils peuvent aussi devenir sages, comme toi naguère. Tu as été un sacré polisson, souviens-t-en. Les Humains apprennent en marchant. Aujourd’hui comme hier, ils t’admirent et te vénèrent. Ils admirent et vénèrent aussi la Terre, l’Eau et l’Air. Certains écrivent des chansons pour la Lune, alors qu’elle passe les trois quarts de la journée cachée derrière le Ciel.
Le Feu a écouté le Soleil. Il a repensé à nos discussions d’antan, quand nous pleurions à cause de lui, quand l’Air voulait nous quitter et rejoindre l’Ether. Il a compris que tous avaient droit à une chance, celle de mûrir et d’apprendre de ses erreurs, de ses bêtises et de ses excès. Nous l’avions pardonné. Il devait à son tour pardonner les Humains, croire en eux, en leur future sagesse. Le Feu est resté avec nous.
Parfois, je me demande quand même si nous n’aurions pas été mieux sans les Humains. Je pleure souvent. Je sais que l’Air et la Terre pleurent également. Les excès des Humains nous font de plus en plus souffrir. Seul le Feu ne semble pas affecté. Nous essayons de les ramener à la raison, de leur rappeler qu’ils ne sont pas les seuls ici. Nos répliques de lave ou de neige, nos tsunamis et nos tornades ne les poussent pourtant pas à s’assagir. Ils se trouvent des milliers de raisons pour continuer comme si de rien n’était. Certains d’entre-eux ont déjà essayé de domestiquer la Lune, d’autres parlent d’asservir le Soleil ou invoquent le Ciel pour justifier leurs actes. Ils ne se rendent pas compte que le Temps les observe patiemment. Ils ne croient pas en l’Ether, en une fin précipitée après un début précaire.
« Ils sont encore jeunes, laissons les apprendre » ne cessent de dire le Soleil et la Lune. Je ne sais pas où nous allons avec eux. Je préférais quand nous jouions tous les quatre ensemble, protégés par le Soleil, le Ciel et la Lune, loin de l’Ether et du Temps.
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