Sous la pâle lueur d'une flamme en déclin, Tristement agitée par les autans gélides, Face au chevalet brut, face au vide opalin, Se dresse un malheureux, un peintre sous l'égide
De ses tourments criards. Et son cœur éperdu Souhaite pouvoir chanter sur le lin de la toile Sa Lenore perdue, Ces traits qui provoquaient la pâleur des étoiles.
Rien n'était beau comme elle, et pourtant elle est morte Et son corps gît lointain, dans les mers méconnues, Et son âme est éteinte, en les sombres cohortes Des ombres trépassées au lignage inconnu.
Ce soir veut-il la peindre et ainsi l'honorer, Quoique soient bien tenus les moyens de cet homme: Des éparses couleurs, un crin détérioré, Quelque peu de génie et voilà tout en somme.
Et son pinceau se tient sous le feu déclinant, Cette unique lueur dans la nuit qui s'avance. De son agile dextre aux longs doigts élégants, Il saisit l'instrument, prince de sa souffrance,
De sa blanche senestre au poignet résolu, Il s'empare bientôt de sa faible palette. Qu'elle est pauvre en couleurs. Et pourtant l'éperdu Célèbre brillamment sa douce amie portraite.
Comme la forte nef fend les flots de regrets, Sur toile l'outil vélocement s'élance Et le blanc se colore et le blanc disparaît, Et vacille le feu dans la nuit qui s'avance.
Et le temps qui passait vit les traits se tracer : D'abord la blanche main, sa finesse insolente, Puis son bras rafiné, ce beau membre élancé, L'épaule enfin est peinte, aux courbes indolentes.
Sa douce peau laiteuse est habillée de soie, Aux teintes de grenat et à celles de sang, L'étoffe des seigneurs et puis celle des rois, Ce tissu usité qu'elle aimait tellement.
Au menton se suspend le crin pris de dépit : La mémoire s'estompe ainsi que son essence. Il pleure de douleur, de celle de l'oubli, Son visage est couvert par la nuit qui s'avance.
Voilà le temps qui passe, Le temps qui tout efface.
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