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Lénine 3
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Révolution russe de 1905.

Début de la révolution et retour en Russie

Au début de 1905, l'Empire russe est dans une situation explosive : le désastre de la guerre russo-japonaise indigne la population et contribue à susciter l'agitation politique, le mécontentement populaire s'exprimant désormais au grand jour. En janvier, la dramatique répression d'une manifestation, lors du dimanche rouge, discrédite Nicolas II. L'agitation ouvrière des villes gagne les provinces et prend un tour de plus en plus ouvertement politique. Les ouvriers et paysans se constituent en conseils, baptisés soviets. Dans la capitale, Saint-Pétersbourg, un soviet est constitué le 14 octobre. Trotski, alors proche des mencheviks, en est le vice-président, avec le socialiste révolutionnaire Avksentiev. De janvier à décembre 1905, Lénine et les bolcheviks observent avec inquiétude des évènements qu'ils n'avaient nullement prévu et dans lesquels ils ne jouent quasiment aucun rôle. La majorité des émigrés russes n'osent tout d'abord pas revenir en Russie, où ils risquent d'être arrêtés ; Lénine, persuadé que le renversement du tsarisme offrira des perspectives inédites au prolétariat du monde entier, enrage de ne recevoir que des informations incomplètes sur les évènements en Russie79,80. Il théorise à l'époque que la faiblesse de la bourgeoisie libérale russe oblige le prolétariat à prendre lui-même le pouvoir en s'appuyant sur la paysannerie, non pas pour transformer l'économie dans un sens socialiste, mais plutôt pour permettre une marge de développement du capitalisme en Russie, développement qui serait contrôlé, encadré et forcé81. Les thèses de Lénine sur la paysannerie constituent une nouveauté par rapport aux autres auteurs marxistes. Marx et Engels, ainsi que les marxistes en général, avaient négligé la paysannerie - les paysans, en tant que petits propriétaires, étant relégués dans le camp de la bourgeoisie ; Lénine, au contraire, réfléchit en fonction de la situation particulière de la Russie et souligne le fait que, convenablement encadrés par le prolétariat et son Parti, les paysans peuvent devenir une force révolutionnaire.
Lénine ne réalise que progressivement la nécessité d'un changement de stratégie ; après le dimanche rouge, et pendant le congrès du Parti, il considère toujours que bolcheviks et mencheviks doivent continuer de former des organisations séparées. En outre, les participants au congrès jugent qu'il n'est pas tenable de continuer à diriger le Parti depuis l'étranger : il est décidé de transférer le Comité central et le nouveau journal du Parti - qui doit s'appeler Proletari - sur le sol russe. Tout en souhaitant mieux s'informer sur ce qui se passe en Russie, Lénine refuse cependant toujours de se rendre en Russie et veut continuer d'envoyer des instructions depuis la Suisse. En septembre, du fait de l'accélération des évènements, Bogdanov presse Lénine de se rendre en Russie. Mais ce n'est qu'après la publication par le tsar du manifeste d'octobre que Lénine juge la situation suffisamment sûre pour revenir. Le 8 novembre, après avoir traversé le Grand-duché de Finlande, lui et sa femme arrivent à la Gare de Finlande de Saint-Pétersbourg.
Lénine et Kroupskaïa sont hébergés à Saint-Pétersbourg par des sympathisants, dans une succession de refuges. Lénine se rend rapidement à la rédaction du journal Novaïa Jizn que les militants du PODSR viennent de créer : il en prend d'autorité la direction et en fait immédiatement l'organe des bolcheviks. Il entretient des contacts avec les militants qui travaillent en liaison avec les soviets et les syndicats, écrit des articles, et s'emploie à organiser l'appareil bolchevik en Russie tout en renforçant son influence sur le Parti. Lénine préconise de donner des armes à des détachements d'ouvriers et d'étudiants et d'organiser des actions contre des banques pour s'emparer des ressources financières nécessaires à la révolution ; le manifeste d'octobre devant être suivi de l'élection des députés de la Douma d'État, il encourage par ailleurs le POSDR à présenter des candidats, pour que la propagande du Parti bénéficie d'une tribune, alors que le mouvement révolutionnaire s'essouffle. Bogdanov et Krassine sont quant à eux partisans du boycott du scrutin. Devant l'évolution de la situation, Lénine prône en outre maintenant une réconciliation avec les mencheviks. En décembre, une réunion des bolcheviks a lieu à Tampere, en Finlande, mais le changement de stratégie de Lénine à l'égard des mencheviks est désapprouvé par les militants. C'est à Tampere que Lénine rencontre pour la première fois un militant géorgien, Joseph Vissarionovitch, alias Koba, qui prendra plus tard le surnom de Staline.

Échec de la révolution et nouvel exil

Dès février 1906, pour échapper à la surveillance policière, Lénine s'installe en Finlande qui, bien que toujours possession russe, jouit alors d'une large autonomie. Avec Bogdanov et d'autres militants, il s'installe dans une grande villa située à une soixantaine de kilomètres de Saint-Pétersbourg, et d'où il continue de diriger le Parti et ses journaux. Kroupskaïa se rend régulièrement dans la capitale pour assurer les liaisons. En mai, Lénine refait une tentative d'installation à Saint-Pétersbourg, mais renonce rapidement et retourne en Finlande, où il réside près d'un an. En avril, le POSDR tient à Stockholm un congrès réunissant bolcheviks et mencheviks, mais aussi le Bund, ainsi que les sociaux-démocrates polonais et lettons. Lénine y prône une nationalisation des terres par une dictature révolutionnaire provisoire, tandis que les mencheviks souhaitent une municipalisation des terres qui aurait pour effet une administration moins centralisée que celle dont Lénine se fait l'avocat. Les bolcheviks se trouvent cette fois mis en minorité : un nouveau comité central est élu, qui compte trois bolcheviks contre sept mencheviks ; Lénine n'en fait pas partie, et ses camarades bolcheviks l'informent de leur désaccord au sujet de la nationalisation des terres. Lénine quitte le congrès dans un état de grande fatigue nerveuse. Sa position s'améliore cependant quand les bolcheviks décident de conserver une organisation séparée du comité central du POSDR. Lénine fait à nouveau partie de leur direction, avec Bogdanov et Krassine. Entretemps, la révolution s'éteint en Russie. En avril 1906, les élections, boycottées par les bolcheviks contre l'avis de Lénine, se soldent par l'élection de 18 mencheviks à la Douma. L'année suivante, quelques élus bolcheviks entrent à la deuxième Douma. Celle-ci est dissoute à l'automne, et Lénine se montre favorable à la participation aux élections de la troisième Douma, dont il juge qu'elle permettra de faire entendre les idées socialistes. Bogdanov et Krassine exigent au contraire des députés sociaux-démocrates qu'ils démissionnent une fois élus. C'est à cette époque que Lénine élabore le concept de centralisme démocratique, qu'il définit alors comme l'alliance de la liberté de discussion et de l'unité d'action- soit le moyen de faire exister la lutte idéologique en sein du parti unifié : la base suivra strictement les consignes émises, après débat interne, par les organes de direction. Tout en prônant un parti strictement hiérarchisé, Lénine veut conserver les moyens de polémiquer avec les mencheviks s'il continue de cohabiter avec ceux-ci au sein d'un même mouvement.
À l'été 1906, Lénine espère encore, malgré l'essoufflement de la révolution, que la guerre de partisans se développera en Russie : la lutte armée est à ses yeux la forme révolutionnaire de la terreur, qu'il faut encourager. Le choix de la violence organisée est, pour Lénine, un trait de la morale du révolutionnaire : la terreur exercée par les masses doit être admise par les sociaux-démocrates, qui doivent l'incorporer à leur tactique, tout en l'organisant et en la subordonnant aux intérêts du mouvement ouvrier et de la lutte révolutionnaire en général. Lénine considère que la terreur authentique, nationale, véritablement régénératrice, celle qui rendit la Révolution française célèbre, est un élément essentiel du mouvement révolutionnaire ; le terrorisme individuel, acte de désespoir, doit céder la place à la terreur de masse contrôlée par le Parti. Si pour Lénine, la période de la Révolution française, et tout particulièrement celle de la Terreur, reste une référence historique majeure, il cite aussi régulièrement l'exemple de la Commune de Paris, dont la faute a été à ses yeux de ne pas suffisamment réprimer ses opposants : l'historien Nicolas Werth souligne que la notion de terreur de masse dans son double sens - terreur exercée par les masses et terreur massive, centrale dans la pensée de Lénine, est élaborée chez lui dès 1905-1906 : dans le contexte d'un pays marqué par une très grand violence politique et sociale, il s'agit pour Lénine d' armer les masses face à la violence du régime tsariste. Aux yeux de Lénine, la violence est le moteur de l'histoire et de la lutte des classes : il faut par conséquent l'encourager pour détruire le vieux monde et, surtout, l'organiser et la subordonner aux intérêts du mouvement ouvrier et de la lutte révolutionnaire.
La police tsariste renforce sa surveillance, et s'intéresse désormais de près aux activités de la direction des bolcheviks en Finlande. En novembre 1907, après avoir été prévenu de la présence de policiers, Lénine quitte sa datcha finlandaise ; le mois suivant, il passe en Suède, d'où il rejoint l'Allemagne, puis la Suisse. De l'expérience révolutionnaire de 1905, qui débouche pour lui sur une nouvelle période d'exil destinée à durer 10 ans, Lénine tire plusieurs leçons. Outre la nécessité d'une alliance entre la paysannerie et le prolétariat - le potentiel révolutionnaire des revendications paysannes étant pour lui primordial en Russie - il juge qu'une révolution démocratique en Russie enflammera les pays occidentaux, permettant par là même l'accélération du processus révolutionnaire russe qui échappera ainsi à l'isolement. La révolution de 1905 a également conduit Lénine à se brouiller, non seulement avec Bogdanov qui ne partage pas ses analyses, mais également avec Trotski : ce dernier juge que le soviet est un élément essentiel de la révolution car il permet de réaliser un large front révolutionnaire ; il faut donc réfléchir à un partage des tâches entre le soviet et le Parti, qui ne saurait dominer le prolétariat en tant que force politique. Lénine, au contraire, juge que le Parti doit conserver une place primordiale dans le mouvement ouvrier. Sur le plan personnel, la période 1905-1907 a été le révélateur de la fragilité nerveuse de Lénine, qui a subi à plusieurs reprises des périodes dépressives.

Deuxième période d'exil De l'après-révolution à la guerre mondiale

Polémiques et divisions du mouvement socialiste russe
Revenu à Genève, Lénine a le sentiment de se trouver dans un tombeau. Le mouvement révolutionnaire russe est alors en plein reflux, et les effectifs militants des bolcheviks fondent. Lénine déménage à plusieurs reprises, d'abord à Paris91 où il reste quatre ans, puis à Cracovie. Contrairement à une légende ultérieure qui le veut alors réduit à la misère, il vit dans un relatif confort, toujours accompagné, au gré de ses déménagements, de son épouse mais aussi de sa mère ou, selon les périodes, de l'une ou l'autre de ses sœurs. Il bénéficie à titre personnel, pour vivre et publier, de diverses aides financières. Le Parti, par contre, est financé non seulement par des sympathisants comme l'écrivain Maxime Gorki, mais aussi et surtout d'expropriations, soit de hold-ups, dont Krassine est le maître d'œuvre et où s'illustrent en Russie des militants comme Kamo et Koba futur Staline. La position de Lénine à l'intérieur du parti reste cependant menacée par la tendance gauchiste, représentée notamment par Bogdanov et qui demeure partisane du boycott de la Douma. Lénine, au contraire, juge qu'il est nécessaire d'utiliser toutes les possibilités légales. En avril 1908, Lénine répond à l'invitation de Maxime Gorki et passe un séjour dans sa propriété sur l'île italienne de Capri. À cette occasion, il essaie en vain de persuader Gorki de prendre ses distances avec la ligne de Bogdanov et de Lounatcharski. Le conflit entre ces derniers et Lénine se situe en effet à l'époque, non seulement au niveau politique, mais sur le terrain philosophique. Bogdanov vise alors dans ses écrits, à réconcilier le socialisme et le marxisme avec la sensibilité religieuse ; Lénine, attaché à l'athéisme, s'oppose vivement à ce courant dit de la Construction de Dieu.
La question du financement du mouvement entraîne par ailleurs de nouvelles graves dissensions entre bolcheviks et mencheviks, notamment à l'occasion de l'affaire de l'héritage des sœurs Schmidt. Après le décès d'un jeune sympathisant révolutionnaire, deux militants bolcheviks se chargent en effet de séduire et d'épouser ses deux sœurs et héritières, afin de détourner l'héritage au profit du Parti. Lénine, qui a contribué à mettre au point la manœuvre, ne récupère pas l'intégralité des fonds à la suite d'une indélicatesse de l'un des militants, mais il réussit néanmoins à mettre la main sur une somme importante. L'héritage Schmidt lui permet d'assurer l'indépendance financière de sa faction. Les sommes sont censées au départ être partagées entre les différentes tendances du POSDR, les sociaux-démocrates allemands se proposant comme médiateurs pour répartir l'argent : or, l'argent est finalement accaparé par Lénine, qui le réserve à l'usage des seuls bolcheviks. Avec les fonds Schmidt, Lénine peut fonder le journal Proletari, par le biais duquel il lance de vives attaques contre les mencheviks et les « conciliateurs.
La nouvelle aisance financière de Lénine lui donne les moyens de se mesurer à Alexandre Bogdanov - avec qui il reste en désaccord quant à l'opportunité de participer ou non à la Douma - dans le but d'écarter ce dernier de la direction des bolcheviks. Lénine mène le combat contre son rival sur les plans à la fois politique et philosophique : pour compenser un bagage philosophique encore léger - s'il connaît bien Marx et Diderot, il n'a alors fait que feuilleter des auteurs comme Hegel, Feuerbach et Kant - il lit de nombreux ouvrages à un rythme accéléré. Dans le courant de 1908, il rédige Matérialisme et empiriocriticisme, ouvrage dans lequel il réfute le positivisme dont se réclame Bogdanov et expose, de manière délibérément polémique, sa propre théorie de la connaissance ; Lénine considère en effet qu'une vision politique et économique doit être soutenue par un prisme épistémologique cohérent : pour lui, Bogdanov, en adoptant une démarche relativiste et idéaliste qui le pousse à des compromissions avec la religion, s'éloigne du marxisme authentique et abandonne toute perspective révolutionnaire. Lénine affirme qu'il convient d'adopter l'« esprit de parti en philosophie, ce qui implique de de choisir son camp entre droite et gauche. Pour lui, le développement des sciences ne peut que confirmer le matérialisme, et le matérialisme dialectique permet de parvenir à une représentation de la « réalité objective : la pensée humaine est capable de nous donner et nous donne effectivement la vérité absolue qui n'est qu'une somme de vérités relatives. Pour Lénine, la philosophie marxiste doit être considérée comme composée d'un seul et même bloc : il transpose ainsi sur le terrain philosophique sa conception de la raison politique, basée sur la séparation en deux camps et sur une stricte discipline du camp révolutionnaire. En juin 1908, Bogdanov quitte la rédaction de Proletari ; en août, lui et Krassine sont écartés du centre bolchevik et de la commission financière du mouvement. Lénine reçoit le soutien de Plekhanov, qui se montre comme lui favorable à la coexistence du travail légal dans le cadre des institutions tsariste au premier chef desquelles la Douma et du travail illégal. En juin 1909, la rédaction de Proletari se réunit dans un café de Paris, avec des membres de la direction du Parti. Bogdanov dénonce Matérialisme et empiriocritisme comme un ouvrage opportuniste, par lequel Lénine cherche à consolider son alliance avec Plekhanov. Lénine, qui s'est assuré de la présence de nombreux partisans, met quant à lui Bogdanov en accusation, lui reprochant ses déviations vis-à-vis du marxisme révolutionnaire. Bogdanov et Krassine sont, cette fois, exclus du centre du Parti pour révisionnisme, participation au mouvement de la Construction de Dieu et activités fractionnelles. Ils fondent de leur côté un journal appelé V Period, comme celui précédemment dirigé par Lénine, afin de revendiquer la légitimité de la faction bolchevik.
Si Lénine réussit, grâce à ses nouveaux moyens financiers, à faire vivre sa faction, ses méthodes contribuent à l'isoler. Sa rupture avec Krassine, Bodganov, Lounatcharski et Gorki est cependant compensée par l'arrivée à ses côtés de nouveaux alliés, Grigori Zinoviev et Lev Kamenev. En 1908, Lénine fait adopter par une conférence du Parti des positions hostiles aux liquidateurs de gauche ; l'année suivante, il fait condamner les expropriations sur lesquelles il avait jusqu'alors fermé les yeux tout en en profitant financièrement. Il demande également la dissolution des derniers groupes de boieviki combattants clandestins. Lénine se coupe ainsi d'une partie de ses soutiens, ce qui renforce son isolement.
En janvier 1910, le comité central se réunit à Paris : Lénine tente d'obtenir la réunification, sous sa direction, des diverses tendances. Mencheviks et bundistes, qui lui reprochent ses échecs en Russie et son manque de scrupules, refusent de lui céder la direction du Parti. L'attitude de Lénine lui vaut d'être vivement attaqué au congrès de l'Internationale ouvrière, où il est accusé d'être le fossoyeur du mouvement socialiste russe. Des militants russes se rapprochent de Trotski, qui édite à Vienne le journal Pravda, ou de Bogdanov, qui édite V Period. En 1911, à nouveau épuisé nerveusement par les luttes intestines, Lénine se repose à Longjumeau, où il est hébergé par Grigori Zinoviev et son épouse. Zinoviev anime à l'époque en région parisienne une « école de cadres pour former les militants bolcheviks.

Relation avec Inessa Armand

Vers 1910-1912, Lénine vit une relation sentimentale avec la militante française Inès - dite Inessa - Armand, qui collabore étroitement avec lui dans l'organisation du mouvement. Après la mort de Lénine, les autorités soviétiques occultent la nature de leurs relations, mais les deux militants semblent avoir dépassé le stade du flirt et vécu une véritable liaison. Les relations entre Nadejda Kroupskaïa et Lénine souffrent du rapport de ce dernier avec Inessa Armand ; Kroupskaïa semble avoir envisagé de se séparer de son mari. Mais Lénine demeure attaché à son épouse - qui souffre à l'époque de la maladie de Graves-Basedow, ce qui semble par ailleurs l'avoir empêchée d'avoir des enfants - et préfère rester à ses côtés. La liaison entre Lénine et Inessa Armand semble avoir pris fin vers 1914. Inessa Armand et Nadejda Kroupskaïa conservent entre elles de bonnes relations, et collaborent au sein de l'école des cadres du Parti.

Situation des bolcheviks avant 1914

Entretemps, la situation sociale se tend en Russie, où de nombreuses grèves ouvrières, de plus en plus nombreuses, éclatent en 1910, 1911 et 1912. Les révolutionnaires visent à profiter de la situation et Sergueï Ordjonikidze, représentant des militants bolcheviks actifs en Russie, s'accorde avec Lénine pour organiser une conférence destinée à réorganiser le mouvement. La réunion se tient en janvier 1912 à Prague et Lénine vise, à cette occasion, à reconquérir la majorité au sein du mouvement social-démocrate russe. Tout est calculé pour que les bolcheviks soient plus nombreux que les mencheviks : certains mencheviks, proches de Plekhanov, reçoivent des invitations, mais d'autres ne sont pas tenus au courant de la réunion. Trotski, indigné, organise à Vienne une réunion concurrente, à laquelle assistent la plupart des militants mencheviks, qui boycottent celle de Prague. La conférence de Prague se tient finalement en présence de dix-huit délégués, dont seize bolcheviks. Les mencheviks présents s'offusquent de la situation et réclament que les autres courants soient représentés : Ordjonikidze est prêt à accéder à leur demande en envoyant des invitations de dernière minute, mais Lénine s'y oppose vivement. Venu avec le soutien de plusieurs militants formés à Longjumeau par Zinoviev, Lénine fait élire un comité central où il siège aux côtés de Zinoviev, Iakov Sverdlov, Ordjonikidze et Roman Malinovski. Le nouveau comité central se présente comme la seule autorité légitime pour l'ensemble du POSDR, mais ne compte qu'un seul membre menchevik ; la réunion de 1912 est dès lors fréquemment considérée comme la naissance du Parti bolchevik » en tant qu'entité véritablement séparée. Lénine triomphe sur ce point, mais il doit cependant abdiquer une partie de son autorité au bénéfice des militants présents en Russie : le Comité de l'étranger, que gérait jusque-là Inessa Armand, cesse de représenter le Comité central hors de Russie, et la nouvelle direction du Parti ne compte plus que deux émigrés, en la personne de Lénine et Zinoviev. Lénine a néanmoins réussi son « coup d'État » interne au Parti, et réorganisé le mouvement pour en être le véritable dirigeant. Il fait notamment approuver son mot d'ordre de participation à la Douma et aux autres organisations légales en Russie.
Le congrès décide en outre de la création d'un quotidien, dont Lénine confie la direction à Malinovski : le journal, dont le premier numéro paraît en avril 1912, s'appelle la Pravda la Vérité, comme la publication lancée précédemment par Trotski ; ce dernier se trouve dès lors dépossédé de son titre98. Quotidien légal, tiré en Russie à plusieurs milliers d'exemplaires, la Pravda paraît jusqu'en juillet 1914. Lénine utilise au mieux les possibilités de l'action légale : les bolcheviks cherchent à s'implanter dans les syndicats et disposent désormais de quelques milliers de militants en Russie. Entretemps, bolcheviks et mencheviks demeurent irrémédiablement divisés : à la Douma, ils parviennent un temps à présenter une unité de façade mais, à l'été 1913, le groupe social-démocrate cesse d'exister. La fraction bolchevique de la Douma est dès lors présidée par Malinovski, qui sert de relai à Lénine et contribue à entretenir la division avec les mencheviks, qu'il invective régulièrement à l'assemblée. Or, à l'insu de Lénine, Malinovski est un agent double payé par l'Okhrana. L'arrestation d'autres membres du Comité central à leur retour en Russie permet à Malinovski d'affirmer son autorité, et du même coup le contrôle de Lénine sur le Parti. L'Okhrana, qui est informée par Malinovski des moindres activités des bolcheviks, favorise la montée en puissance de Lénine, qu'elle considère comme un facteur de division du mouvement révolutionnaire russe.
Entre 1905 et 1917, Lénine se penche sur les questions nationales et intègre de plus en plus dans sa stratégie la liaison de la lutte révolutionnaire avec les luttes nationales, y compris le statut des nationalités dans l'Empire russe. Il n'accorde cependant pas aux revendications nationales le même statut qu'à la lutte des classes et s'affirme jacobin et centraliste. Il n'est cependant pas hostile aux revendications d'autonomie culturelle avancées par certains groupes comme le Bund et son attitude se distingue de celle de militants comme Karl Radek ou Rosa Luxemburg, pour qui les luttes nationales sont illégitimes pour un révolutionnaire prolétarien. En 1913, devant la montée des revendications nationales au sein de la social-démocratie de l'Empire russe - du fait du Bund, ainsi que des partis letton, caucasien, polonais et lituaniens - Lénine commande à Staline un article sur la question des nationalités, destiné à réfuter les thèses du Bund, des mencheviks caucasiens et, partant, de l'ensemble des mencheviks : Lénine vise ainsi à accélérer la rupture avec les autres courants105. Dans les années qui précèdent le premier conflit mondial, Lénine a élaboré, sur le sujet du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, une doctrine limitée : il s'oppose à la fois à l'internationalisme radical et au principe des nationalités qui donnerait au combat national la précédence sur la révolution prolétarienne. Lénine est partisan d'une autonomie culturelle des peuples, et du droit des nations à disposer d'elles-mêmes, le cas échéant. S'agissant plus spécifiquement de la question juive, il dénonce l'oppression que subissent les Juifs en Russie, mais il ne croit pas à l'existence d'une culture nationale juive qui reviendrait à considérer que les Juifs constituent une nation et exalte au contraire les traits universellement progressistes de la culture juive. S'agissant du combat des petites nations- comme l'Irlande lors de l'insurrection de 1916 - Lénine juge que l'action révolutionnaire du prolétariat opprimé par l'impérialisme permettra de briser le cadre des nationalités et de renverser la bourgeoisie internationale. Lénine est résolument internationaliste et hostile à la plupart des formes de patriotisme en Russie, d'autant plus qu'il montre peu d'estime pour les Russes moyens, qu'il considère comme un peuple encore insuffisamment développé ; il juge cependant que l'internationalisme, pas plus que la conscience de classe, n'est pas inné dans le prolétariat. Contrairement à ceux qui, comme Rosa Luxemburg, voient avant tout la finalité et nient tout rôle à la question nationale, il estime que la lutte nationale, si elle reste subordonnée à la lutte des classes, est un moyen de susciter celle-ci en accélérant la révolution. Prenant en compte le contexte multinational de l'Empire russe, Lénine juge que le droit à l'autodétermination permettra aux nations de l'empire, au moment de la révolution, de choisir si elles partageront le destin révolutionnaire de la Russie ou bien si elles s'en détacheront. A contrario, des nations pourront choisir de rejoindre l'État socialiste, où ne subsisteront plus de barrières ethnico-culturelles ou de classe.
En 1912-1913, les soupçons pesant de longue date sur Malinovski sont ravivés par une série d'arrestations, comme celles de Sverdlov et de Staline. Lénine, qui réside alors à Cracovie, refuse de tenir compte des avertissements qui lui sont adressés au sujet de Malinovski, et défend la probité de ce dernier ; il accepte de participer, avec Zinoviev, à une commission d'enquête sur les activités de Malinovski. Lénine comme Zinoviev continuent d'accorder à Malinovski le bénéfice du doute, et l'agent double sort blanchi de la procédure. L'affaire Malinovski contribue à empoisonner le climat au sein du mouvement social-démocrate russe ; Malinovski continue de gérer la trésorerie de la Pravda ; le rédacteur en chef du journal, Tchernomazov, est également un agent double de l'Okhrana. Lénine continue d'utiliser le journal dans sa lutte contre les mencheviks, qu'il attaque dans ses articles de manière virulente.
Entre 1907 et 1912, l'Internationale ouvrière tient une place croissante dans les activités de Lénine : en 1907, il assiste pour la première fois à son congrès à Stuttgart. Il trouve là une tribune pour dénoncer le réformisme et fait alors bloc avec Rosa Luxemburg sur de nombreux points. Représentant de la fraction bolchevik au Bureau Socialiste International BSI, l'organe de coordination de l'Internationale, il propose en 1910 d'y adjoindre Plekhanov : ce dernier accepte alors de coopérer avec les bolcheviks. Mais la position de Lénine au sein de l'Internationale ouvrière se dégrade ensuite : la querelle incessante entre mencheviks et bolcheviks indispose en effet les rangs de l'organisation, de même que l'attitude de Lénine qui refuse avec violence les médiations proposées, notamment celle de Clara Zetkin. Rosa Luxemburg contribue également à saper les positions de Lénine, qu'elle juge responsable des divisions de la social-démocratie russe. La proximité de Lénine avec Karl Radek, adversaire de Rosa Luxemburg au sein du mouvement socialiste polonais, contribue également à dresser cette dernière contre lui. À partir de 1913, Lénine, de plus en plus mal vu au sein du BSI, n'assiste plus aux réunions et se fait représenter par Kamenev. En 1914, l'Internationale ouvrière convoque à Bruxelles une conférence spéciale pour tenter de rassembler l'ensemble des organisations et fractions socialistes russes. Lénine prépare avec soin un rapport sur l'unité social-démocrate en Russie, mais commet l'erreur de ne pas se rendre lui-même à la conférence et de faire lire son rapport par Inessa Armand. Son absence irrite les cadres de l'Internationale et Karl Kautsky, soutenu par Rosa Luxemburg, fait adopter une résolution condamnant l'attitude des bolcheviks. La question de l'éventuelle unité est renvoyée au congrès suivant de l'Internationale, prévu à Vienne en août 1914.

Première Guerre mondiale

Le défaitisme révolutionnaire et la conférence de Zimmerwald

Alors que se déclenche la crise de la Première Guerre mondiale, Lénine ne réalise tout d'abord pas la gravité de la situation internationale110 mais, dès le mois de juillet 1914, il juge que la guerre qui s'annonce pourra amener la révolution en Russie. Lénine réside alors en Galicie, alors territoire polonais de l'Empire austro-hongrois ; jugé suspect par les autorités, il est arrêté au début du mois d'août et emprisonné. Des militants socialistes autrichiens et polonais interviennent aussitôt en sa faveur : Victor Adler assure aux autorités austro-hongroises que Lénine est un ennemi juré des Romanov et ne risque donc pas d'être un agent tsariste. Libéré au bout de quelques jours, Lénine quitte rapidement la Galicie avec son épouse, alors que les armées russes avancent vers le territoire des Habsbourg. Le couple se réfugie à Berne, en Suisse. Apprenant que les sociaux-démocrates allemands ont voté les crédits de guerre de leur gouvernement, Lénine conclut à la mort de la Seconde Internationale. Dans l'ensemble de l'Europe, les partis socialistes et sociaux-démocrates adhèrent à la politique belliciste de leurs gouvernements respectifs : si Lénine est d'accord avec Martov pour condamner l'attitude de l'ensemble des socialistes, il se singularise en accordant une attention particulière à la situation en Russie. Alors que Martov condamne sans distinction tous les gouvernements impérialistes, Lénine mise sur une victoire de l'Empire allemand contre son propre pays : la défaite militaire de l'Empire russe lui semble en effet pouvoir être l'élément déclencheur de la révolution en Russie. Cependant, sa vision n'est guère partagée au début du conflit, ni au sein de l'Internationale ouvrière, ni parmi ses compatriotes. En Suisse, Lénine vit durant la Première Guerre mondiale des années difficiles : il est coupé du reste du mouvement socialiste russe et la Pravda est interdite en Russie, le privant à la fois d'un moyen d'influence et d'une source de revenus. En février 1916, il doit quitter son domicile de Berne et doit louer un nouveau logement à Zurich, dans des conditions de confort très médiocres. Alors qu'il connaît de relatives difficultés matérielles, sa vie privée est également affectée par des décès successifs : la mère de Nadejda Kroupskaïa, qui contribuait beaucoup à l'organisation de la vie domestique du couple, meurt en mars 1915 ; sa propre mère, Maria Oulianova, meurt en juillet 1916.
Le théoricien marxiste allemand Karl Kautsky est d'abord l'une des inspirations de Lénine, qui devient ensuite son ennemi politique.
L'incapacité de l'Internationale ouvrière à empêcher la guerre convainc Lénine, et d'autres socialistes avec lui, de reconstruire une nouvelle Internationale. En septembre 1915, une conférence est organisée, à l'initiative des Italiens, dans le village suisse de Zimmerwald. Lors de cette conférence de Zimmerwald, qui réunit 38 participants représentant 11 pays, Lénine plaide pour son programme de rupture avec le Deuxième Internationale, de constitution d'une nouvelle instance de la classe ouvrière » et d'appel à la guerre civile. Sa conception du défaitisme révolutionnaire, selon laquelle les travailleurs doivent lutter contre leur propre gouvernement - sans craindre l'éventualité de précipiter sa défaite militaire, qui favorisera au contraire la révolution - est encore minoritaire, et n'est suivie que par 5 délégués. Lénine peut néanmoins faire connaître ses idées : sa tendance, surnommée la gauche zimmerwaldienne, gagne en influence dans les rangs socialistes à mesure que le conflit, de plus en plus meurtrier, s'éternise. Bien que les idées de Lénine progressent en Europe occidentale, les bolcheviks sont très affaiblis en Russie, où les députés bolcheviks de la Douma et leurs assistants, dont notamment Lev Kamenev, sont arrêtés pour trahison et envoyés en déportation.
En avril 1916, les participants de Zimmerwald se réunissent à nouveau lors de la conférence de Kiental : Lénine y plaide avec vigueur pour la rupture totale avec la Deuxième Internationale discréditée, mais sa ligne demeure minoritaire. Il se livre également à une violente attaque contre Kautsky - absent de la conférence - qu'il qualifie de prostituée politique.

Réflexions sur la révolution

Durant les années de guerre, Lénine réfléchit sur les questions de l'État et de la forme de gouvernement dans le contexte d'une révolution socialiste. Il est tout d'abord amené à contester les thèses de Nikolaï Boukharine ; ce dernier s'oppose en effet aux idées de Kautsky, qui considère que les structures de l'État peuvent être conservées par les socialistes une fois l'ancien régime abattu ; Boukharine plaide au contraire pour la destruction complète de l'État capitaliste et la construction d'un État révolutionnaire. Lénine critique d'abord les idées de Boukharine, qui lui paraissent relever de l'anarchisme, mais finit par conclure que ce dernier, en relevant que les structures existantes de l'État ne pourraient qu'entraver le processus révolutionnaire, a identifié une faiblesse fondamentale de la pensée de Kautsky. Se basant sur l'expérience de 1905, Lénine conclut que le soviet est la structure la plus adaptée pour fournir la matrice de l'État nouveau. Poussant sa réflexion sur le terrain philosophique, Lénine étudie les textes d'Aristote, Hegel et Feuerbach et en vient à la conclusion qu'il est impossible de comprendre Marx sans avoir d'abord assimilé Hegel. Dans ses notes de l'époque, Lénine en arrive à redéfinir de manière radicale sa théorie de la connaissance, contredisant une partie des théories exprimées dans Matérialisme et empiriocriticisme. Là où il affirmait le caractère absolu de la réalité telle que perçue par l'esprit humain, Lénine juge désormais que la connaissance est le reflet de la nature telle que la perçoit l'homme, par le biais de nombreux concepts issus de l'esprit humain, qui est lui-même conditionné par une réalité mouvante. La réalité n'est dès lors pas uniquement déterminée par des préceptes scientifiques, mais avant tout par la pratique. La pensée politique se doit dès lors d'être flexible et la pensée marxiste doit s'adapter au caractère mouvant de la réalité : Lénine trouve ainsi l'argument central pour réfuter les écrits de Kautsky.
Alors que la Première Guerre mondiale poursuit son cours, Lénine continue de réfléchir à ses possibles répercussions révolutionnaires. Sur la situation du capitalisme international, Lénine est notamment en désaccord avec la thèse de Boukharine qui considère que le capitalisme international se développe pour former un trust économique mondial : pour Lénine, au contraire, il faut tenir compte de l'axiome marxiste sur l'instabilité inhérente du capitalisme. Pour soutenir sa thèse, Lénine rédige L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, qu'il achève en juillet 1916 : dans cette brochure, Lénine analyse l'impérialisme comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant marqué par la domination du capital financier sur le capital industriel. L'impérialisme renforce et accroît les différentes et inégalités de développement entre pays : le capitalisme entre dès lors en putréfaction du fait du développement du pillage et de la spéculation, ainsi que de la lutte entre capitalismes nationaux et du développement du capital fictif sans lien avec les forces productives. Lénine voit dans la guerre mondiale une lutte entre impérialismes rivaux pour le partage du monde et pronostique la transformation de la guerre entre nations en une guerre entre bourgeois et prolétaires. Plus largement, il analyse la guerre mondiale comme étant l'expression du début du pourrissement du régime capitaliste, qui amène les principales puissances à se faire une guerre sur une échelle et avec des conséquences sans précédent. Il voit aussi dans l'impérialisme le signe de la maturation des conditions de la transition vers le socialisme. À la vision traditionnelle de Marx, chez qui la révolution socialiste consiste en une expropriation des grands capitalistes, Lénine substitue une vision apocalyptique de l'agonie du capitaliste, dans le cadre de conflits gigantesques. Lénine souligne également le potentiel révolutionnaire des masses colonisées, qui cherchent leur salut dans la lutte de libération nationale, laquelle affaiblira les gouvernements colonisateurs et donnera au prolétariat une force nouvelle : l'un des aspects positifs de l'impérialisme est donc, à ses yeux, le fait qu'il développe les sentiments nationaux dans le cadre colonial. Les capitalistes sont désormais confrontés, non seulement à leur propre prolétariat, mais aussi aux peuples étrangers qu'ils exploitent, et ce quels que soient le type de société et le stade de développement des peuples en question. La réflexion aboutit ainsi à résoudre le paradoxe d'une révolution qui surgirait dans un pays économiquement arriéré comme l'Empire russe et non, comme le prévoit la pensée marxiste, dans un grand pays industrialisé : dans la perspective de Lénine, la Russie devient le maillon le plus faible du capitaliste, soit un pays où coexistent diverses formes d'exploitation capitaliste, à la fois un capitalisme proprement russe, mais aussi des modes d'exploitation coloniale et semi-coloniale. Le capitalisme russe est donc particulièrement contradictoire et instable, ce qui permet d'espérer une révolution en Russie. Les théories de Lénine trouvent une partie de leur raison d'être dans la situation particulière de la Russie, peuplée pour l'essentiel de paysans, et où les ouvriers ne sauraient à eux seuls constituer une force révolutionnaire suffisante.
Les idées de Lénine sur la question nationale suscitent une réplique de Rosa Luxemburg qui, en désaccord complet avec lui, publie sous le pseudonyme de Junius une brochure dans laquelle elle juge que la révolution ne pourra venir que d'Europe, soit des pays capitalistes les plus anciens. Lénine réagit en écrivant un texte intitulé Réponse à Junius, dans lequel il réplique de manière cinglante à Rosa Luxemburg et réaffirme le caractère révolutionnaire des guerres nationales contre les puissances impérialistes.
Si Lénine poursuit ses travaux théoriques, il apparaît encore, au début de 1917, loin de toute perspective d'accès au pouvoir. Ses conditions d'existence à Zurich, où il trouve la vie très chère, demeurent médiocres. Il semble avoir, un temps, songé à émigrer aux États-Unis. En janvier 1917, devant un groupe de jeunes socialistes de Zurich, il juge que, si l'Europe est grosse d'une révolution et que la révolte des peuples d'Europe contre le pouvoir du Capital financier est inévitable à terme, la révolution pourrait ne pas arriver avant de longues années. Lénine déclare à cette occasion : Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente.

Retour en Russie et prise du pouvoir

La Russie en révolution Révolution de Février
Au début de 1917, comme l'ensemble des exilés politiques russes, Lénine, qui se trouve toujours en Suisse, est pris de court lorsque la révolution de Février éclate : discrédité par son incurie et par les difficultés de l'armée russe sur le front de l'Est, le régime tsariste s'effondre. Comme en 1905, des soviets apparaissent dans tout le pays ; si les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks participent à la révolution, les bolcheviks n'y tiennent quasiment aucun rôle ; après l'abdication de Nicolas II, un Gouvernement provisoire est formé, mais son autorité est bientôt en compétition avec celle du Soviet de Petrograd. Dans le courant du mois de mars, Lénine envoie à la Pravda, qui peut reparaître en Russie, une série de textes - appelés par la suite les lettres de loin - dans lesquels il prône le renversement du Gouvernement provisoire : la rédaction du journal Kamenev et Staline, tout juste libérés de leur exil sibérien, gênée par le radicalisme des lettres de Lénine, s'abstient de les publier, à une exception près. Lénine tente de trouver le moyen de rentrer le plus vite possible en Russie : il pense tout d'abord à demander de l'aide au Royaume-Uni, où vivent nombre de ses amis socialistes, mais les Alliés ne sont guère disposés à lui faciliter les choses, le maintien de la Russie dans la guerre étant essentiel pour eux. L'aide décisive pour Lénine vient finalement des Empires centraux et plus précisément de l'Allemagne. Après que Martov a lancé l'idée de demander l'aide de l'Allemagne, les bolcheviks prennent contact, via l'intermédiaire de socialistes suisses, avec des agents allemands. Zinoviev représente ensuite Lénine durant les négociations avec ceux-ci ; Lénine pose comme condition que le wagon du train qui transportera les révolutionnaires russes bénéficie d'un statut d'extraterritorialité, afin d'éviter toute accusation de coopération avec l'Allemagne : le voyage en train passe ensuite à la postérité sous le nom du wagon plombé, inventé par la propagande bolchévique pour tenter démontrer que l'indépendance de Lénine à l'égard de l'Empire allemand. Il s'agissait en réalité d'un train ordinaire. L'accord avec les autorités allemandes consistait simplement en ce que les passagers traversant le pays devaient refuser catégoriquement de rencontrer ou de parler à qui que ce soit - et suscite par la suite une polémique, certains accusant Lénine d’avoir été acheté par le gouvernement allemand, voire d'être un traître à la Russie. En 1918, le journaliste américain Edgar Sisson, représentant en Russie du Committee on Public Information, publie aux États-Unis une série de documents ramenés de Russie et prouvant que Trotski, Lénine et les autres révolutionnaires bolcheviks étaient des agents du gouvernement allemand. George Kennan, en 1956, démontre que ces documents étaient en quasi-totalité des faux.
Dans la réalité, Lénine et les Allemands ont consciemment tiré avantage les uns des autres, chacun profitant de cette alliance momentanée pour favoriser ses propres intérêts : l'Empire allemand voit surtout d'un très bon œil le retour en Russie d'agitateurs politiques, et compte sur Lénine et les autres pour désorganiser un peu plus la Russie ; Lénine, quant à lui, use de tous les moyens disponibles pour atteindre son objectif révolutionnaire. Les révolutionnaires quittent Zurich le 27 mars ; outre Lénine, le train transporte une trentaine de bolcheviks et d'alliés de Lénine, dont Grigori Zinoviev, Inessa Armand et Karl Radek. Un second train, par la même voie, emmène plus tard Martov, le chef des mencheviks et plusieurs de ses proches comme Axelrod, Riazanov, Lounatcharski et Sokolnikov, dont plusieurs se rallieront aux bolcheviks après leur arrivée en Russie. En chemin, Lénine rédige un document, connu par la suite sous le nom des Thèses d'avril : dans cette série de dix textes, il établit un plan d'action radical, contredisant la notion marxiste selon laquelle une révolution bourgeoise est un stade nécessaire pour le passage au socialisme et prônant le passage direct, en Russie, à une révolution prolétarienne ; dans la perspective de la transformation de la révolution russe en révolution socialiste, les paysans pauvres devront faire partie de la nouvelle vague révolutionnaire.
Le 3 avril, Lénine arrive à la gare de Finlande de Petrograd, où il est accueilli par une foule de sympathisants, au son de La Marseillaise. Lénine ne prête guère attention à Nicolas Tchkhéidzé Nicolas Tchéidzé, le président menchevik du Soviet de Petrograd venu l'accueillir, et se lance aussitôt dans un discours prônant une révolution socialiste mondiale. Avec son épouse, il se rend ensuite chez sa sœur Anna, qui héberge le couple dans la capitale. Le lendemain, Lénine se rend au Palais de Tauride, devenu le siège du Gouvernement provisoire et du Soviet de Petrograd : devant une assemblée de sociaux-démocrates interloqués, il plaide pour la prise de contrôle des soviets et la transformation de la guerre en guerre civile, dans l'optique d'une révolution mondiale. Refusant de soutenir le Gouvernement provisoire russe, Lénine perçoit que les soviets, s'ils sont pénétrés et contrôlés par le Parti, sont l'instrument adéquat pour prendre le pouvoir ; s'il adopte désormais le slogan Tout le pouvoir aux soviets ! c'est en vue de leur imposer une majorité, voire une domination, des bolcheviks. Cependant, la majorité des bolcheviks penche alors pour une tactique de conciliation et d'unité entre révolutionnaires : Lénine, au contraire, prône un passage à l'action immédiate, avec l'arrêt de tout effort de guerre, la fin du soutien au Gouvernement provisoire et le transfert de tous les pouvoirs aux soviets, le remplacement de l'armée par des milices populaires, la nationalisation des terres et le contrôle de la production et de la distribution par les soviets. De nombreux cadres du Parti sont choqués par la violence de ses thèses. Bogdanov compare les propos de Lénine au délire d'un fou ; un autre militant, Goldenberg, conclut que Lénine se prend pour l'héritier de Bakounine et se place en-dehors de la social-démocratie.
Lénine a des difficultés à faire accepter ses thèses jusque dans la Pravda : le 7 avril, le journal accepte de publier les Thèses d'avril, mais précédées d'une note de Kamenev qui en désapprouve le contenu. Le lendemain, le comité du Parti de la capitale se réunit et vote à une forte majorité contre les propositions de Lénine. Ce dernier prépare dès lors avec soin la Conférence panrusse du Parti, qui doit se réunir dix jours plus tard : il bénéficie alors de la présence de délégués de base, séduits par son esprit de décision. Le fait que l'espoir de paix semble s'éloigner après que le ministre Milioukov a réaffirmé les buts de guerre de la Russie contribue également à faire pencher les militants en faveur de Lénine. Celui-ci reçoit également, contre Kamenev, l'appui de Zinoviev et de Boukharine. Lors du congrès, Lénine présente ses thèses, en réclamant la paix immédiate, le pouvoir aux soviets, les usines aux ouvriers et les terres aux paysans. Lénine réaffirme également son rejet de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme : il estime que cette forme de démocratie, qui a cours en Occident, concentre en réalité les pouvoirs entre les mains de la classe capitaliste et appelle à lui substituer une démocratie issue directement des soviets ouvriers et paysans.
Alors que la foule manifeste contre la guerre dans la capitale, les résolutions de Lénine obtiennent une forte majorité au congrès - notamment celle sur la paix - à l'exception de celle préconisant une révolution socialiste immédiate. Le mot d'ordre Tout le pouvoir aux Soviets ! est officiellement adopté. Lénine ne parvient cependant pas encore à obtenir l'abandon du vocable social-démocrate, qu'il juge désormais synonyme de trahison, et son remplacement par communiste. Par ailleurs, les congrès des bolcheviks espèrent encore réaliser l'unité avec les mencheviks. Dans le courant du mois de mai, Lénine gagne un nouvel allié de poids en la personne de Trotski, lui aussi revenu en Russie, et qui se rallie à ses idées. Martov, quant à lui, partage les idées de Lénine sur la volonté de paix et plaide en vain contre la participation des mencheviks au Gouvernement provisoire ; il refuse cependant de rallier son ancien ami, qu'il voit désormais comme un cynique dont la seule passion est le pouvoir. Lénine multiplie les apparitions publiques dans la capitale : bien que moins bon orateur que Trotski, et malgré un léger défaut de prononciation - il est incapable de prononcer les R à la russe - il montre dans ses discours une énergie et une conviction qui contribuent à sa notoriété. Au printemps 1917, il est désormais la personnalité la plus influente au sein d'un Parti dont la presse, grâce en partie à l'argent fourni par l'Allemagne, bénéficie de moyens sans commune mesure avec ceux des autres mouvements. Pour gagner en influence au sein du monde ouvrier, et contrer celle des mencheviks dans les syndicats, Lénine encourage la formation de comités d'usine, au sein desquels les bolcheviks se livrent à une intense propagande.
Lire la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... t_id=10162#forumpost10162

Posté le : 07/11/2015 22:30
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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