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Le 3 août 2004 à Montjustin dans les Alpes-de-Haute-Provence, à 95 ans
meurt Henri Cartier-Bresson
né 22 août 1908 à Chanteloup-en-Brie - 3 août 2004 à Chanteloup -en-brie photographe et humaniste français.
En bref
Malgré sa nature discrète il aura eu le souci de laisser le moins possible d'images de lui-même, Henri Cartier-Bresson fut et demeurera une figure mythique de la photographie du XXe siècle. Sa longévité lui permit une traversée du siècle dont il témoigne à travers les photographies de ses événements majeurs, pendant près de cinquante ans. Et son talent précoce lui fait réaliser, âgé d'une vingtaine d'années seulement, un grand nombre de chefs-d'œuvre de l'histoire de la photographie. Henri Cartier-Bresson ne fut jamais un débutant. Équipé du nouvel appareil de poche Leica et d'un simple objectif 50 mm, il adopte dès ses premiers instantanés le style d'une photographie directe qui ne supporte ni la pose, ni la retouche, ni le recadrage, et proscrit le flash, qu'il craint « comme la détonation d'un revolver au milieu d'un concert . Fils de famille épris de littérature et de philosophie, mais aussi passionné par le dessin et par la peinture, Henri Cartier-Bresson découvre sa vocation de photographe en 1931. Avec son premier appareil Leica, il parcourt l’Afrique noire et y met au point sa méthode, qui consiste à appréhender la réalité, comme un chasseur, au moyen du tir photographique. Passant au cinéma, dont il a appris le métier lors de son séjour aux États-Unis de 1935, il devient assistant réalisateur aux côtés de Jean Renoir La vie est à nous, 1936 ; Une partie de campagne, id. ; la Règle du jeu, 1939. Engagé en faveur des républicains au moment de la guerre civile d’Espagne, il est seul maître de la caméra dans les deux documentaires qu’il leur consacre en 1937, Victoire de la vie et L’Espagne vivra. Lors de la libération de Paris, en août 1944, il fait partie des reporters qui immortalisent l’événement. Au service des prisonniers de guerre pendant et après la Seconde Guerre mondiale, il relate leur rapatriement dans un autre documentaire, le Retour 1945. À Paris, en 1932, Le Pont de l'Europe saisit la course d'un piéton au-dessus d'une flaque d'eau ; derrière lui se découpe la gare Saint-Lazare. L'image est un condensé de l'art sans artifice de Cartier-Bresson : un cliché pris à la sauvette, en cet instant décisif qui suspend le mouvement dans une éternité, moment où tout se complexifie du fait d'infinis reflets dans l'eau, d'un jeu surréaliste entre rêve et réalité, et par-dessus tout, de l'expression même, fugitive, de l'élégance et de la légèreté. De cette grâce combinée de l'image et du piéton aérien naît la tentation de voir ici l'autoportrait bien involontaire d'un photographe agile, qui, sans que personne ne le remarque jamais, avait l'habitude de sortir son Leica pour deux ou trois prises furtives et définitives. Faisant corps avec son appareil, qu'il considérait comme un prolongement de son œil, Cartier-Bresson exécutait auprès de ses modèles une manière de chorégraphie évoquant, pour Truman Capote, « une libellule inquiète . Avec Walker Evans, Brassaï, Kertész et quelques autres, Henri Cartier-Bresson est considéré comme un pionnier du photojournalisme allié à la photographie d'art. Il est souvent fait référence à lui sous les trois lettres HCB. Avec Robert Capa, David Seymour, William de Vandivert et George Rodger, il fonde en 1947 la célèbre agence coopérative Magnum Photos. En 2003, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, un an avant sa mort, une fondation portant son nom a été créée à Paris pour assurer la conservation et la présentation de son œuvre et aussi pour soutenir et exposer les photographes dont il se sentait proche. Connu pour la précision au couperet et le graphisme de ses compositions, jamais recadrées au tirage, il s'est surtout illustré dans le reportage de rue, la représentation des aspects pittoresques ou significatifs de la vie quotidienne, Des Européens. Le concept de l'instant décisif est souvent utilisé à propos de ses photos, mais on peut l'estimer trop réducteur et préférer le concept de tir photographique, qui prend le contexte en compte. Pour certains, il est une figure mythique de la photographie du XXe siècle, que sa longévité lui permit de traverser, en portant son regard sur les évènements majeurs qui ont jalonné son histoire. Un de ses biographes, Pierre Assouline dit ainsi de lui qu'il était l'œil du siècle. L’exposition Henri Cartier-Bresson au Centre Pompidou renouvelle complètement la vision qu’on a de Cartier-Bresson, en montrant de façon explicite son activité militante pour le parti communiste dans la période 1936-1946. Le catalogue comporte un texte très détaillé de présentation et d’analyse, dû à Clément Chéroux, conservateur du Musée national d'art moderne du Centre Pompidou et chef du cabinet de la photographie, c’est lui qui a conçu l’exposition.
Sa vie
Né en 1908 à Chanteloup Seine-et-Marne, Henri Cartier-Bresson jouit d'une enfance privilégiée dans une famille de la haute bourgeoisie. À dix-neuf ans il fréquente à Montparnasse l'académie du peintre André Lhote ; la formation qu'il y reçoit lui laisse un goût définitif pour le dessin, auquel il reviendra, comme à un premier amour, dans les dernières décennies de sa vie. Familier des artistes, c'est d'abord au contact de la peinture, remarquera son biographe Pierre Assouline, qu'il apprend la photographie. Cette sensibilité, même, cette « passion pour la peinture » explique sans doute que ses portraits les plus célèbres soient ceux d'amis artistes, Henri Matisse et ses blanches colombes 1944 ou Alberto Giacometti traversant la rue d'Alesia sous la pluie 1961. Avec son «carnet de croquis , comme il aimait appeler son appareil photo, Cartier-Bresson décide, au début des années 1930, de parcourir la planète ; il ne s'arrêtera plus jusqu'en 1966, date à laquelle il abandonne la photographie. Il commence par découvrir les pays du soleil – Espagne, Italie, Mexique –, dont les contrastes violents et lumineux se prêtent à une atmosphère sensuelle et à des compositions géométriques affirmées. Dans un cadre qu'il sait toujours rendre plus que parfait, il saisit la truculence et la vivacité des ruelles populaires, qui resteront un de ses motifs privilégiés : le regard oblique d'un travesti garçon-coiffeur à Alicante, l'intimité de prostituées acrobates à Barcelone, la course éperdue d'un enfant aveugle le long d'un mur ou la cruauté insouciante de gosses des rues... Au Mexique, il est encore un amateur de liberté, épris de hasards heureux et nourri de surréalisme. La rencontre inspire des photos prises d'instinct, où plane une étrangeté faite de noirs profonds, qu'il abandonnera par la suite au profit de constructions plus rationnelles. Avec New York, il noue ensuite une relation durable ; les Américains sauront, avant les autres, reconnaître son talent. Dès 1932, la galerie Julien Levy l'expose, puis de nouveau en 1934 aux côtés de Manuel Alvarez Bravo et de Walker Evans, et en 1947, le Museum of Modern Art lui consacre une première rétrospective. De retour en France, Cartier-Bresson hésite un temps entre le cinéma et la photographie, assistant-réalisateur sur le tournage de Partie de campagne de Jean Renoir en 1936 et témoin de la guerre d'Espagne à travers un film documentaire... avant de publier ses premières images de presse en 1937. Désormais vouée au reportage, sa photographie se fait moins personnelle, plus sociale. La France des premiers congés payés, puis celle de la Libération, lui seront redevables de quelques images inoubliables – pique-niqueurs des bords de Marne ou gifle administrée à une collaboratrice, à la fin de la guerre. En 1947, Cartier-Bresson fonde, avec ses amis Capa, Chim et Rodger, l'agence-coopérative Magnum, qui permettra aux photoreporters d'accéder au statut d'auteurs, les rendant propriétaires de leurs négatifs.
Dans la carrière de Cartier-Bresson, on peut repérer quatre grandes périodes.
1926-1935 : la double influence d’André Lhote et des surréalistes
Tout d’abord, Cartier-Bresson apprend la peinture avec André Lhote en 1927-1928. Dans l’atelier, rue d'Odessa, dans le quartier du Montparnasse, les élèves analysent les toiles des maîtres en superposant des constructions géométriques selon la divine proportion le nombre d’or. Dès sa parution, un ouvrage de Matila Ghyka sur le nombre d’or deviendra un des livres de chevet du jeune Cartier-Bresson. Pendant son service militaire, il rencontre, chez les Crosby, Max Ernst, André Breton et les surréalistes, et il découvre la photo avec le couple Gretchen et Peter Powell. Il entretient pendant quelques mois une liaison avec Gretchen Powell qui selon ses termes, ne pouvait pas aboutir, puis part pour l’Afrique en 1930. C'est à vingt-trois ans, en Côte d'Ivoire, qu'il prend ses premiers clichés avec un Krauss d'occasion. Il publie son reportage l'année suivante 1931. Il achète son premier Leica à Marseille en 1932, il décide de se consacrer à la photographie et part en Italie avec André Pieyre de Mandiargues et Leonor Fini. Puis il photographie l’Espagne, l’Italie, le Mexique et le Maroc. Ses photos montrent une très grande maîtrise de la composition, fruit de l’acquis chez Lhote, en même temps que des éléments de vie pris sur le vif. Les photographies de Cartier-Bresson sont toujours situées avec précision géographiquement et dans le temps, ainsi que dans chaque contexte culturel. Parallèlement, sous l’influence surréaliste, Henri Cartier-Bresson se conçoit comme un agent récepteur des manifestations du merveilleux urbain et confie : les photos me prennent et non l’inverse. Il retient d’André Breton la définition de la beauté convulsive : explosante-fixe une chose perçue simultanément au mouvement et en repos, magique-circonstancielle rencontre fortuite, hasard objectif, érotique voilée un érotisme de l’œil. Cartier Bresson aime aussi photographier les spectateurs d’une scène hors champ, autre forme de l’érotique voilée : l’objet du regard étant dissimulé, le désir de voir s’intensifie. Clément Chéroux rappelle comment Peter Galassi, curateur de la photographie au MoMA, a précisé le mode opératoire du photographe : Il repère d’abord un arrière-plan dont la valeur graphique lui semble intéressante. C’est souvent un mur parallèle au plan de l’image, et qui vient comme cadrer celle-ci en profondeur. … Puis, comme quelques séquences de négatifs conservés permettent de le vérifier, le photographe attend qu’un ou plusieurs éléments doués de vie … viennent trouver leur place dans cet agencement de formes qu’il définit lui-même dans une terminologie très surréalisante comme une « coalition simultanée . Une part de l’image est donc très composée, l’autre plus spontanée.
1936-1946 : l’engagement politique, le travail pour la presse communiste,
le cinéma et la guerre
Cartier-Bresson s’oriente entièrement dans l’engagement communiste et la lutte antifasciste. Il lit le Ludwig Feuerbach d'Engels, qui formule le concept de matérialisme dialectique, et encourage ses proches à le lire. Il fréquente l’AEAR Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires dès 1933 et, en 1934, au Mexique, ses amis sont tous des communistes proches du parti national révolutionnaire au pouvoir. En 1935, à New York, il milite activement dans Nykino, coopérative de cinéastes militants très inspirés par les conceptions politiques et esthétiques soviétiques dont Ralph Steiner et Paul Strand, et il découvre le cinéma soviétique Eisenstein, Dovjenko. S'il ne semble pas avoir pris sa carte au PCF, à Paris, ses amis sont les personnalités communistes Robert Capa, Chim, Henri Tracol, Louis Aragon, Léon Moussinac, Georges Sadoul qui épouse sa sœur. Il dira à Hervé Le Goff : Naturellement, nous étions tous communistes. Il suit les cours de matérialisme dialectique de Johann Lorenz Schmidt et assiste aux réunions de cellule à proximité du domicile d'Aragon.
En 1937, Cartier-Bresson épouse Eli, danseuse traditionnelle javanaise célèbre sous le nom de scène de Ratna Mohini. Avec elle, il milite pour l’indépendance de l’Indonésie. Il descend d'une famille de riches industriels et, afin de ne plus être assimilé à sa famille, il prend le nom d’Henri Cartier, sous lequel il sera connu dans toute son activité militante, la signature de tracts en 1934, les citations de son nom dans la presse communiste, et dans toute sa production de photos et de films jusqu’à la fin de la guerre. Le 2 mars 1937, le nouveau quotidien communiste Ce soir, direction Louis Aragon, photographes attitrés Robert Capa et Chim publie en première page, chaque jour à partir de son premier numéro, 31 photos d’enfants miséreux prises par Henri Cartier concours dit de l’enfant perdu. En mai 1937, ce quotidien l'envoie à Londres pour réaliser un reportage sur le couronnement de George VI. Henri Cartier prend une série de clichés des gens regardant le cortège, sans montrer celui-ci. Les images obtiennent un grand succès dans Ce soir, le reportage est repris dans le magazine communiste Regards, direction Léon Moussinac, photographe attitré Robert Capa. Henri Cartier abandonne le nombre d’or et la beauté convulsive au profit d’un réalisme dialectique et, le cinéma ayant aux yeux des militants communistes un impact plus fort16 que la photo, Henri Cartier se tourne vers le cinéma. Il devient l’assistant de Renoir pour La vie est à nous, film commandé par le Parti communiste pour les élections législatives de mai 1936, effigies monumentales de Lénine, Marx et Staline, participation de dignitaires du parti tels que Paul Vaillant-Couturier, Marcel Cachin, Maurice Thorez, Marcel Gitton et Jacques Duclos. Henri Cartier est membre de Ciné-Liberté, la section film de l’AEAR, qui a produit La vie est à nous. Il sera également dans l’équipe de tournage de Partie de campagne, où il est aussi acteur et La Règle du jeu. Le travail pour Renoir s’échelonne de 1936 à 1939. À l’initiative de Frontier Film, le nouveau nom de Nykino, fondé et dirigé par Paul Strand, mais avec une équipe française, Henri Cartier tourne Victoire de la vie en Espagne, conséquences des bombardements italiens et allemands, aide sanitaire internationale, installation d’un hôpital mobile, rééducation des blessés. Il est mobilisé, fait prisonnier, s’évade, rejoint un groupe de résistants à Lyon. Il photographie les combats lors de la Libération de Paris, le village martyr d’Oradour-sur-Glane. Le film Le Retour découverte en Allemagne des camps par les alliés, rapatriement en France des prisonniers sort sur les écrans français fin 1945. En août 1939, suite au Pacte germano-soviétique, la presse communiste est interdite et le Parti communiste français est dissous. Robert Capa et Georges Sadoul se voient refuser leurs visas, donc empêchés de travailler. Le maccarthysme et la déstalinisation conduisent Cartier-Bresson à organiser l’occultation de son engagement politique et de ses photos et films signés Henri Cartier. Cette opération est couronnée de succès : une note des Renseignements généraux de mars 1946, en effet, précise qu’ à ce jour il n’a pas attiré l’attention du point de vue politique. Mais cette occultation radicale conduira à la parution d'études très mal informées voire fantaisistes, et à une vision faussée de son œuvre pendant de nombreuses années, car on ne peut pas saisir la vision du monde de Cartier-Bresson si on ignore tout de l’engagement politique qui a contribué à la former. Cartier-Bresson a voté communiste jusqu'à l'écrasement de la révolte hongroise par les Soviétiques en 195619.
1947-1970 : de la création de Magnum à l’arrêt du reportage
En février 1947, Cartier-Bresson inaugure sa grande rétrospective au MoMA, qui entérine l’occultation de son militantisme communiste. Avec ses amis communistes Robert Capa et Chim, il fonde Magnum en 1947 : une coopérative en autogestion, aux parts exclusivement détenues par les photographes, propriétaires de leurs négatifs, où toutes les décisions sont prises en commun et où les profits sont équitablement redistribués. Sur le conseil de Robert Capa, Cartier-Bresson laisse de côté la photographie surréaliste pour se consacrer au photojournalisme et au reportage. En août 1947, il est nommé expert pour la photographie auprès de l’Organisation des Nations unies. Il part en Inde pour Magnum et parcourt, avec sa femme Eli Ratna, l’Inde, le Pakistan, le Cachemire et la Birmanie. Il constate sur le terrain les conséquences de la partition avec le déplacement de douze millions de personnes sur les routes. Par l’intermédiaire d’une amie de sa femme, il obtient un rendez-vous avec Gandhi, et ceci, quelques heures avant sa mort. Il photographie l'annonce de sa mort par Nehru, puis les funérailles de Gandhi, images qui seront publiées dans Life et feront le tour du monde. À la demande de Magnum, Cartier-Bresson se rend à Pékin et photographie les dernières heures du Kuomintang, l’ampleur de la déflation et, à Shanghai, la ruée des gens vers une banque pour convertir leur argent en or, image publiée dans le premier numéro de Paris Match et largement reprise dans toute la presse. Cartier-Bresson obtient, au moment du dégel qui suit la mort de Staline, un visa pour se rendre en Union soviétique et arrive à Moscou en juillet 1954. Magnum vend à prix d’or le reportage à Life, qui paraît les 10 et 17 janvier 1955, puis est vendu à Paris Match, Stern, Picture Post et Epoca. Robert Capa est tué en Indochine en 1954 lors d'un reportage pour Life. Chim est tué en 1956 lors d'un reportage sur la crise du canal de Suez. Début 1963, tout de suite après la crise des missiles, Cartier-Bresson se rend à Cuba. Les photographies seront publiées le 15 mars 1963 à la une et sur huit doubles pages de Life, accompagnées d’un article écrit par le photographe lui-même. Pendant un an, il sillonne l’hexagone en voiture. L'ouvrage Vive la France sera publié en 1970. Il photographie également la course cycliste les Six jours de Paris. Suite à une demande des éditions Braun, il réalise une série de portraits de peintres Matisse, Picasso, Bonnard, Braque et Rouault, puis, pour des magazines ou des éditeurs, de nombreux portraits Giacometti, Sartre, Irène et Frédéric Joliot-Curie. Refusant toute idée de photographie de mode, il fait une exception pour Bettina dans les années 1950. Parallèlement aux reportages, qui imposent leur rythme rapide de travail, Cartier-Bresson réalise pour son propre compte des études thématiques sur le long terme. Dès 1930, la danse l’intéresse et, avec Eli Ratna, il réalise un travail de fond sur la danse à Bali. Il découvre le langage pictural que la danse constitue, et il s’intéressera par la suite, à de nombreuses reprises, à la façon dont les corps en mouvement s’inscrivent dans l’espace urbain. Contrairement aux périodes antérieures où ses images étaient principalement en aplat, Cartier-Bresson utilise désormais la profondeur de champ apprise de Jean Renoir, elle constitue même l'élément principal de composition dans plusieurs de ses photographies. D’autres thèmes récurrents seront l’homme et la machine, les icônes du pouvoir, la société de consommation, les foules. Avec la danse, cette accumulation documentaire à long terme constitue une étude à caractère scientifique de l’être humain dans son langage visuel, une véritable anthropologie visuelle.
1970-2002 : le temps du dessin et de la contemplation
Cartier-Bresson ressent la fatigue de cette vie intense, son désir de faire des photos n’est plus le même. D’autre part, en 1966, il a rencontré Martine Franck, photographe, qui va devenir en 1970 sa seconde épouse. Avec la naissance de leur fille Mélanie, Cartier-Bresson aspire légitimement à plus de calme et de sédentarité. Il soutient la candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974. Depuis la fin de la guerre, il se reconnaît dans l'humanisme, à ceci près qu'il est dubitatif devant l'unanimisme que l'on trouve souvent dans ce vaste courant philosophique : il s'attache toujours, au contraire, à rendre fidèlement compte des ancrages à la fois géographiques et historiques de ceux qu’il photographie, et du contexte de la prise de vue. Il exige que la légende détaillée accompagnant chaque photo qu'il envoie à Magnum soit impérativement publiée en même temps que toute photo qui sera reproduite et il précise : Je veux que les légendes soient strictement des informations et non des remarques sentimentales ou d'une quelconque ironie. ... Laissons les photos parler d'elles-mêmes et pour l'amour de Nadar, ne laissons pas des gens assis derrière des bureaux rajouter ce qu'ils n'ont pas vu. Je fais une affaire personnelle du respect de ces légendes comme Capa le fit avec son reportage. Enfin, Cartier-Bresson ne se reconnaît plus dans l’agence Magnum qu’il a fondée : ses jeunes collègues adoptent les modes de la consommation et vont jusqu’à se compromettre en faisant de la publicité, comportement que ne peut comprendre celui qui avait reçu une formation marxiste-léniniste dans sa jeunesse. Il se retire des affaires de l’agence, cesse de répondre aux commandes de reportages, se consacre à l’organisation de ses archives et, à partir de 1972, il retourne au dessin. Il gardera pourtant toujours son Leica à portée de main et continuera à faire des photos selon son envie. Le dessin est, pour Cartier Bresson, un art de la méditation, très différent de la photo. On a voulu réduire la photographie de Cartier-Bresson à l’instant décisif, formule qui résulte d'une traduction de l'anglais dont il n'est pas l'auteur, alors que la citation du cardinal de Retz qu'il avait initialement mise en exergue d’Images à la sauvette disait : Il n’y a rien en ce monde qui n’ait un moment décisif. Beaucoup des photos de Cartier-Bresson ne relèvent pas d’un instant décisif, elles auraient pu être prises un instant avant ou un instant après. De plus, la prise sur le vif ne représente pour lui qu’une moitié de la démarche, l’autre moitié étant la composition de l’image, qui nécessite une connaissance préalable, donc du temps. Cartier-Bresson est un passionné de chasse, activité qui nécessite, comme la photo, la connaissance du terrain et la lecture des modes de vie. En ce sens, sa pratique de la photographie se rapproche de la chasse. Après sa période surréaliste, il se passionne pour le tir à l’arc avec la philosophie zen qui l’accompagne. Plutôt que d'instant décisif, on peut parler de tir photographique, concept qui prend le contexte en compte. Clément Chéroux intitule son livre de photos Henri Cartier-Bresson: Le tir photographique 2008. Cartier-Bresson n'aime pas la photographie en couleurs, il ne la pratique que par nécessité professionnelle. Contrairement aux pellicules noir et blanc, dont la sensibilité relativement élevée permet au chasseur photographe de tirer au bon moment, les pellicules couleur, beaucoup plus lentes, sont d'un usage contraignant. De plus, alors que le photographe dispose en noir et blanc d'une large gamme de gris permettant de traduire toutes les nuances de valeurs degrés d'intensité lumineuse, les valeurs qu'offrent les pellicules trichromes sont, pour Cartier-Bresson, beaucoup trop éloignées de la réalité. En 1996, Cartier-Bresson est nommé professeur honoraire à l'Académie des Beaux-Arts de Chine, puis, concernant le Tibet, il écrit une lettre aux autorités chinoise pour dénoncer les persécutions dont la Chine se rend coupable. Bouddhiste, il assiste régulièrement aux enseignements du 14e dalaï-lama qu'il a également photographié. Il a milité pour la cause tibétaine.
Henri Cartier-Bresson – HCB pour les initiés –, devient un synonyme d'excellence. En 1952, il publie son premier livre, Images à la sauvette, aux éditions Verve à Paris. La couverture est dessinée par Matisse et Cartier-Bresson rédige une longue préface dont le titre, L'Instant décisif, marquera durablement de son empreinte la philosophie d'un art jusqu'alors très empirique Dans le seul texte théorique que le photographe ait jamais écrit, certains énoncés prendront, malgré lui, valeur de référence : La photographie est pour moi la reconnaissance simultanée, dans une fraction de seconde, d'une part de la signification d'un fait, et de l'autre, d'une organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment ce fait. À la fin de sa vie, l'artiste préférait en revenir à une définition plus légère, parfaitement en accord avec son style : Seule la mesure ne dévoile jamais son secret. Un détachement quasi oriental et amusé lui faisait également dire : Je n'ai ni message ni mission, seulement un point de vue. La mécanique de son œil était si parfaite qu'il n'est pas sûr qu'Henri Cartier-Bresson ait jamais pris un jour une mauvaise photographie. Surtout, au-delà de ce talent, il aura su rencontrer pleinement une époque où la photographie devient un mode d'expression privilégié pour ses contemporains. C'est pourquoi les photographies d'Henri Cartier-Bresson ne sont pas seulement à l'image de son temps, mais en resteront l'image même.
En 2003, un an avant sa mort, la Bibliothèque nationale de France lui consacre une grande exposition rétrospective, avec Robert Delpire comme commissaire. L'exposition Henri Cartier-Bresson au Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou se déroule du 12 février 2014 au 9 juin 2014. Avec comme commissaire Clément Chéroux, on y découvre notamment une abondante documentation sur son engagement communiste et son activité militante dans la période 1936-1946. La même année, peu après la rétrospective de la Bibliothèque nationale de France, Martine Franck fonde avec sa fille la Fondation Henri Cartier-Bresson. La fondation HCB impasse Lebouis, à Montparnasse dans le quartier de Plaisance assure la conservation de son œuvre et sa présentation au public, ainsi que celles des photographes qui lui sont chers, autour de la ou des pratiques du reportage. Cette Fondation décerne également tous les deux ans un Prix qui donne droit à une exposition, deux ans après, au sein de la Fondation.
Citations
-La grande passion, c’est le tir photographique, qui est un dessin accéléré, fait d’intuition et de reconnaissance d’un ordre plastique, fruit de ma fréquentation des musées et des galeries de peinture, de la lecture et d’un appétit du monde. Les cahiers de la Photographie n°18, 1986. Conversation avec Gilles Mora. -La photo, c’est la concentration du regard. C’est l’œil qui guette, qui tourne inlassablement, à l’affût, toujours prêt. La photo est un dessin immédiat. Elle est question et réponse. Entretien avec Henri Cartier Bresson, 1975. -La composition doit être une de nos préoccupations, mais au moment de photographier elle ne peut être qu’intuitive, car nous sommes aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants. Pour appliquer le rapport de la section d’or, le compas du photographe ne peut être que dans son œil. L’instant décisif, Les Cahiers de la Photographie n°18, 1986. H. Cartier Bresson.
Prix et récompenses
Cette section est vide, insuffisamment détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue ! 1959 : Prix de la Société française de photographie 1967 : Prix culturel de la Société allemande de photographie 1971 : Prix Nadar 1981 : Grand Prix national de la photographie 1982 : Prix international de la Fondation Hasselblad 2003 : Lucie Award
Å’uvre
La maison Cartier-Bresson à Scanno en Italie, village que Cartier-Bresson a beaucoup photographié
L'exposition "photographier l'Amérique" Henri Cartier-Bresson/Walker Evans
La fondation Henri Cartier-Bresson célébrait, du 10 septembre au 21 décembre 2008, le centenaire de la naissance du photographe en confrontant sa vision de l'Amérique à celle qu'en avait son contemporain Walker Evans. Deux regards que rassemble d'abord la volonté de rompre avec les manières d'écoles pour mieux appréhender le réel. Sur les cent douze auteurs de cent quatorze photographies retenues dans Les Choix d'Henri Cartier-Bresson, l'exposition inaugurale de la fondation H.C.B. de mai 2003, Walker Evans partageait avec Man Ray le privilège d'être présent avec deux images. L'estime et l'influence réciproques qui devaient aboutir à une profonde amitié entre Evans et Cartier-Bresson précèdent leur exposition commune d'avril-mai 1935 à la galerie new-yorkaise Julien Levy, qui présentait aussi les travaux du Mexicain Manuel Alvarez Bravo. La découverte des photographies d'Evans compte parmi les raisons qui ont conforté Cartier-Bresson dans sa vocation de photographe. Evans, quant à lui, découvrait le travail de Cartier-Bresson à la faveur de la première exposition personnelle que la même galerie Julien Levy avait consacrée au jeune Français. Walker Evans 1903-1975 de cinq ans l'aîné, commence à photographier en amateur à Paris en 1926, pendant ses études littéraires à la Sorbonne. À son retour à New York, en 1927, la photographie qu'il commence à maîtriser va lui offrir une alternative à la carrière littéraire qu'il abandonne. Découvrant Eugène Atget grâce à la photographe Berenice Abbott, il entreprend en 1930 une importante série d'images consacrées aux demeures américaines du XIXe siècle. Sa première commande le mène en 1933 à Cuba, d'où il rapportera les images destinées à illustrer le livre de Carleton Beals, The Crime of Cuba. Henri Cartier-Bresson (1908-2004) se passionne dès l'enfance pour la peinture qu'il étudie dans l'atelier d'André Lhote. Un séjour d'un an en Côte d'Ivoire lui permet de s'essayer à la photographie, à l'aide d'un appareil à plaque de verre puis d'un Rolleiflex. La découverte en 1932 de l'appareil Leica et des possibilités offertes par sa légèreté et sa maniabilité l'amènera à s'éloigner de la peinture pour cultiver le regard de voyageur qu'il commence à exercer en Italie et en Espagne, puis au Mexique où il accompagne en 1934 une mission ethnographique. Ses premières images de New York datent de 1935. "Photographier l'Amérique"couvre une période qui court de 1929 à 1947 et correspond aux débuts de la notoriété des deux photographes. La scénographie consacre le premier niveau de la fondation Henri Cartier-Bresson à la ville de New York et aux quartiers de Harlem, de Queens et de Brooklyn pour étendre au second l'approche d'autres grandes villes, notamment Los Angeles, Atlanta, Chicago, San Francisco, Washington ou La Nouvelle-Orléans. Si une chronologie se dessine dans l'un et l'autre des deux espaces, la disposition privilégie le regroupement des tirages par auteur, permettant au visiteur d'apprécier la singularité de chaque regard. La composante documentaire et son corollaire humaniste, le contenu social, dominent chez Walker Evans qui, dès le début de sa carrière, prenait ses distances avec la photographie américaine héritière des tendances esthétiques du pictorialisme et acquise au sentimentalisme et au sensationnel de la presse. Les photographies d'alignement de voitures de Saratoga Springs, New York (1931) et de Greensboro, Alabama (1936), la perspective de Bethlehem, Pennsylvanie (1935) offrent des vues d'ensemble d'un environnement urbain privilégiant la description sur la recherche photographique. De même que les photographies des anciennes maisons adoptent le point de vue géométral des architectes, ses images de quartiers commerçants concentrent affiches et enseignes comme autant d'informations littérales. Son approche humaniste – essentiellement tournée vers les classes pauvres américaines –, participe de la même volonté d'informer le spectateur en incluant les signes d'une condition sociale dont il perçoit et dénonce la dégradation. Conscients pour la plupart de la démarche du photographe, ses sujets consentent à poser, voire à sourire. La commande du reportage photographique dans les États du sud des États-Unis au cours de la Ressettlement Administration qui l'occupe entre 1935 et 1938, la somme d'images présentées en 1938 dans l'exposition Walker Evans : American Photographs au MoMA et dans le livre Let us Now Praise Famous Men, publié en 1941 avec James Agee, seront empreintes de cette même préoccupation. Les images américaines de Henri Cartier-Bresson, qui datent presque toutes de son deuxième séjour aux États-Unis, de 1946-1947, ne sont pas moins sombres que celles d'Evans. Mais le regard est ici celui d'un étranger qui explore et découvre, au seuil d'une longue carrière de photojournaliste, la réalité sociale d'un pays. Malgré quelques convergences, le style de Cartier-Bresson se détache de celui d'Evans par la proximité qu'il entretient avec des sujets observés et photographiés à leur insu, également par la constance dans l'emploi de l'objectif standard du 50 mm qu'il maintiendra toute sa vie. La conductrice à l'œil bandé de Knoxville, les joueurs de cartes de La Nouvelle-Orléans, la cliente du Délicatessen de Brooklyn sont trois exemples parmi d'autres de la précision au déclenchement, qui allait façonner en 1952 la matière de son premier livre, Images à la sauvette, devenu la même année The Decisive Moment pour l'édition américaine. Le souci d'une composition parfaitement équilibrée s'annonce déjà comme une des caractéristiques que Cartier-Bresson imprimera aux nombreux reportages réalisés à travers le monde et qui suivront la création de l'agence Magnum Photos, fondée avec Robert Capa en 1947. Le pont Triborough photographié dans le quartier de Queens, le consommateur assoupi d'un bar de Brooklyn, la passante au parapluie de Washington s'inscrivent déjà dans cette « géométrie » érigée en principe d'auteur. Photographier l'Amérique reste une des expositions les plus pertinentes dans l'appréhension comparée de deux œuvres majeures de la période moderne de l'histoire de la photographie.
Liens
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Posté le : 01/08/2014 15:32
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