Joyeux Noël !
Richard mène une vie tranquille avec son épouse Elisabeth. Le couple a eu deux enfants qui sont déjà installés dans la vie active et familiale, et qui viennent régulièrement visiter leurs parents. Mais Richard est devenu aigri au fil des années, son amour pour sa compagne s’est également émoussé. Il est râleur, revendicateur, se plaignant toujours pour des broutilles. Il reproche souvent à sa femme de ne plus être aussi belle qu’avant en raison des rides qui commencent à marquer son visage.
L’approche des fêtes de fin d’année le fait devenir encore plus bougon que d’habitude. Elisabeth est désemparée face à ce comportement. Lors d’une promenade dans un petit marché du quartier turc, elle trouve le cadeau idéal pour son cher, mais plus tendre du tout.
Nous sommes le 24 décembre et le soleil est déjà couché depuis quelques heures. Pendant que Richard se lave les mains dans la salle de bain, sa compagne installe son petit paquet sous les branches d’épines couvertes d’illuminations clignotantes.
À table, elle sert les divers plats, fruit de plusieurs heures de labeur. Pendant le repas, Richard n’ouvre la bouche que pour avaler et se plaindre du goût trop salé de la soupe de homard, du filet mignon trop cuit et du gâteau trop lourd. Elisabeth reste muette. Après avoir bu la dernière gorgée de son café, l’homme déclare :
« Je vais me coucher !
- Non, attends ! Tu oublies d’ouvrir ton cadeau. »
Richard dévisage son épouse qui lui indique la direction du sapin d’un geste timide. Surpris, il se dirige vers le paquet rouge brillant à la forme singulière qui trône au pied de l’arbre. Un peu hésitant, il s’en empare et ouvre rapidement l’emballage. Il découvre alors une vieille lampe en cuivre. Se retournant vers sa femme, il l’interroge :
« Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? Ma pauvre, tu perds la tête !
- C’est une lampe à souhait. Le marchand m’a garanti qu’elle fonctionnait. »
Richard se met à rire bruyamment. Son ventre est pris de soubresauts, des larmes coulent de ses yeux mi-clos.
« Comme tu es naïve ! Tu crois aussi au Père Noël ? Au moins tu auras réussi à me faire rire. Bonne nuit Shéhérazade ! Va raconter tes contes à d’autres ! »
Elisabeth prend la lampe et va la déposer sur le bureau de son mari avant d’aller se coucher.
Quelques jours plus tard, c’est le premier du mois et Richard est d’une humeur massacrante car c’est le jour des comptes, une épreuve qu’il redoute par-dessus tout. Son entreprise familiale, autrefois florissante, a perdu du terrain mais se maintient tout de même à flot. Il connaît chaque employé et aime gérer tout ce petit monde, comme l’ont fait son père et son grand-père avant lui.
Entre deux calculs, son regard tombe sur la lampe. Un petit rictus s’esquisse au coin de ses lèvres pendant qu’il tend le bras vers l’objet ancien. L’homme observe de plus près ce cadeau inattendu. Il est encore poussiéreux. Elisabeth aurait tout de même pu lui donner un coup de chiffon. Il sort un grand mouchoir bleu ciel de sa poche et se met à frotter énergiquement le métal. Tout à coup, la lampe se met à vibrer dans ses mains. Effrayé, il la jette au milieu de la pièce. Un nuage rosâtre en sort et une silhouette commence à se former. Sous les yeux ahuris de Richard, un petit homme habillé de guenilles, aux cheveux blancs en bataille et sans chaussures se présente à lui :
« A Salam Waleikoum !
- Euh …
- Do you speak English ? Parli Italiano ? Habla usted español?
- Non, français.
- Ah, un mangeur de grenouilles. Bonjour !
- Bon … jour. Qui êtes-vous ?
- À ton avis ?
- C’est … impossible.
- Les contes sont souvent basés sur des vérités. Bon, tu connais le deal ?
- Non.
- Les trois souhaits !
- J’ai vraiment droit à trois souhaits ?
- Bien sûr ! Juste si tu peux éviter de réfléchir pendant des heures, je commence à avoir froid hors de ma lampe.
- Mais je ne veux pas me tromper. Il y a plein de choses que je voudrais. Bon, il y en a une pour laquelle je suis sûr : je souhaite être heureux.
- D’accord. Que ton souhait se réalise ! »
Richard reste immobile, s’attendant à un nuage de poussières magiques, à un tremblement de terre ou quelque chose de merveilleux. Mais rien ne se produit. Il regarde le petit homme droit dans les yeux.
« Ça ne marche pas !
- Que voulais-tu qu’il se passe ?
- Un changement !
- Tu as une belle maison, de beaux enfants, une santé de fer, suffisamment d’argent pour vivre décemment, une femme qui t’aime, tout pour être heureux ! Je n’ai donc aucun changement à y apporter.
- Tu m’as arnaqué ! Je voudrais te tordre le cou.
- C’est un nouveau souhait ?
- NON ! Bon, laisse-moi réfléchir … je souhaite être très riche !
- D’accord ! Pfff, c’est toujours les mêmes vœux, j’en ai marre de ce boulot. C’est parti ! »
Encore une fois, rien ne semble se passer.
« Tu m’as encore arnaqué ? Où est l’argent ?
- Regarde tes comptes ! »
Richard allume son ordinateur et observe le montant sur ses comptes en banque. Il est devenu multimillionnaire ! Il se met à sauter de joie dans la pièce et embrasse même le lutin dégoûtant qui lui dit :
« Bon, appelle-moi lorsque tu auras choisi ton dernier vœu. Bye ! »
Le petit homme disparaît comme il était venu.
Richard court vers la cuisine et crie à sa femme : « On est riche ! »
Rapidement, leur vie changea. Richard s’acheta la voiture dont il rêvait tant, puis une grande villa. Il revendit son entreprise à des chinois qui s’empressèrent de la transformer en salle de jeux. Il força sa femme à subir des opérations chirurgicales afin de paraître plus belle. Comme elle l’aimait, elle accepta sans rechigner mais il y eu des complications et elle mourut quelques semaines plus tard.
Richard fut anéanti. Ses enfants le tenant pour responsable de la disparition de leur mère, s’éloignèrent de lui.
Maintenant, il est seul dans sa grande villa déserte. Il n’a même plus d’emploi. Se morfondant dans son canapé en cuir, il cogite quand, soudain, il se met à monter les escaliers quatre à quatre jusqu’au grenier. Il trouve un carton et en sort la lampe. Il la frotte énergiquement et le lutin en guenille apparaît à nouveau.
« Alors, heureux ?
- Non ! Cet argent m’a tourné la tête et je suis plus malheureux que jamais. Il me reste un vœu, non ?
- Bien sûr. Réfléchis bien cette fois !
- Ne t’en fais pas. Je souhaite que tout redevienne comme avant. »
Là , Richard est pris d’un terrible vertige. Il se sent comme tomber dans un gouffre sans fond puis le silence. Une main vient se poser sur son visage et il ouvre les yeux. Elisabeth lui fait face et lui sourit doucement.
« Qu’est-ce qui t’est arrivé mon chéri ? »
Richard se remémore les quelques souvenirs. Il cherche autour de lui et retrouve la lampe. Il se met à la frotter.
« Que fais-tu ? Je sais qu’elle n’est pas très propre mais il vaut mieux prendre un chiffon et du produit.
- Le génie … je veux le remercier.
- Quel génie ? Tu rêves, Aladdin ! Je t’ai raconté cette histoire pour te divertir.
- Non, c’est vrai. On était très riche … et je t’ai perdue. »
Le regard de Richard se fait tendre, Elisabeth ne lui connaissait plus cette émotion depuis longtemps. Ils s’embrassent alors tendrement et Richard murmure :
« Joyeux Noël, mon amour ! »