Ce défi m'a tellement passionné que j'en ai écrit une seconde histoire.Le jardin mythique
Les lumières brillaient de mille feux sur la piste de danse ; la magie du disco opérait et les corps ondulaient en harmonie, célébration de l’amour et de la fraternité. Calvin regardait les danseurs changer de partenaire sur une chanson de Sylvester ; il aurait aimé participer mais ses pensées allaient vers le grand absent, celui pour lequel il était venu dans cette boite.
Un clone de David Bowie s’approcha de sa table et l’invita à danser ; Calvin l’évinça en douceur même s’il savait pertinemment qu’il reviendrait probablement à la charge. C’était son karma et il devait composer avec ; les garçons et les filles qui fréquentaient ce haut lieu des nuits londoniennes imaginaient qu’un grand métis au corps d’athlète ne pensait qu’à consommer de la cocaïne et s’envoyer en l’air avec une pléiade d’éphèbes, de nymphes et d’androgynes.
Sa montre marquait dix heures quand il passa à l’action au lieu d’attendre passivement ; il se dirigea vers la cabine téléphonique située à côté des toilettes. Ce fut à peine s’il remarqua le manège des dealers dans le petit réduit attenant et il entendit encore moins les soupirs suggestifs d’un couple en train d’apprendre à mieux se connaître. Il sortit une pièce de cinq pence et l’enfonça dans la fente du téléphone puis composa le numéro de Steve.
— Qui c’est ?
Calvin ne reconnut pas la voix féminine et il fut surpris ; normalement Steve habitait seul et il ne lui avait jamais parlé d’une quelconque copine.
— C’est Calvin, un ami de Steve, répondit-il.
— Steve n’est pas là , répliqua la femme.
— A qui ai-je l’honneur de parler, demanda Calvin, et quand doit-il revenir ?
— Je suis sa sœur, Annie, et je ne sais pas quand il pointera son nez à la maison. Il est parti depuis un bon moment ; essayez le 100 Club, cette discothèque du centre-ville où il passe ses fins de semaine.
— J’y suis justement et j’avais rendez-vous avec lui.
— Il vous a certainement posé un lapin. Allez vous saouler ou trouvez vous un joli cœur en lot de consolation ; c’est le seul conseil que je peux vous donner. Salut !
Sur ces paroles pleines de bon sens, la dénommée Annie raccrocha.
Calvin se sentit trahi ; non seulement Steve ne lui avait jamais parlé de sa sœur et encore moins du fait qu’ils habitaient ensemble mais en plus cette dernière laissait entendre qu’il était coutumier des rendez-vous à un penny. « Pourquoi suis-je ici dans cette boite où je ne vais jamais, à attendre un gars que je connais depuis une semaine, à peine ? » se demanda-t-il dans un moment de lucidité.
Il se rappela leur rencontre, dans un magasin de vêtements du quartier jamaïcain ; Calvin recherchait une chemise pour son cousin et il hésitait entre un modèle bariolé du genre africain et une version psychédélique des tenues de Sly Stone. Steve avait fait son entrée telle la star d’un film des années trente ; grand, fin, blond aux yeux bleus, habillé d’un costume bleu clair, il personnifiait la beauté classique. En quelques mots, il avait persuadé Calvin de choisir la première option puis l’avait invité à boire un café chez Moe sur High Street Kensington ; la boisson chaude avait laissé place à des cocktails sucrés puis ils étaient partis dîner dans un restaurant français de Covent Garden. Pendant leurs déplacements en métro, Calvin avait remarqué à quel point ils attiraient tous les deux l’attention ; les passants se retournaient sur leur chemin, certains les regardaient même avec envie ou admiration. Steve s’en était rendu compte et il l’avait taquiné sur le sujet ; « Regarde comme nous sommes bien assortis, le sprinter américain et la gravure de mode » lui avait-il lancé alors qu’ils regardaient une vitrine de luxe. Calvin avait rougi et Steve lui avait caressé la joue en le traitant de « petit puritain ».
Le plus étonnant était que Calvin ne s’était jamais senti mal à l’aise ; il avait aimé le geste attentionné de Steve et il se surprenait même à espérer d’autres manifestations de ce genre. Le repas s’était déroulé comme dans un rêve ; les serveurs ne l’avaient pas regardé en homme noir mais en être humain et il avait goûté à des mets dont il ignorait l’existence la veille. Steve lui avait raconté de merveilleuses histoires à propos d’un jardin mythique où vivaient de jeunes gens, tous beaux, tous intelligents, sous la protection d’un mécène esthète et anonyme. Calvin avait raconté son enfance heureuse à Bromley, avec ses huit frères et sœurs, dans une famille d’origine nigériane dont le père était la fierté parce qu’il avait participé aux Jeux Olympiques de Montréal pour le Royaume-Uni en tant que décathlonien. « C’est pour ça que tu as un aussi beau corps » lui avait répondu Steve en lui prenant la main ; Calvin avait adoré ce moment même s’il n’avait pu garder longtemps la position à cause de vieux réflexes conservateurs.
La suite était plus floue dans ses souvenirs mais restait magique ; ils étaient allés dans une fête organisée par un des amis de Steve, dans le quartier de Camden, où ils avaient bu des breuvages colorés. Ils avaient dansé ensemble, avec d’autres aussi, de belles filles aux longs cheveux fleuris et de beaux garçons aux tenues raffinées, sur une musique céleste qu’il n’avait jamais entendu auparavant ; puis Steve l’avait entraîné dans une chambre à l’étage où ils avaient passé la nuit.
Calvin reprit ses esprits et se dirigea vers la piste de danse ; il regarda une dernière fois si Steve était enfin arrivé et constata une fois de plus son absence. Le clone de David Bowie le regardait sans vergogne ; Calvin le détailla calmement et jugea qu’il valait nettement mieux que l’original. Il lui adressa son plus beau sourire et laissa le bel androgyne exécuter sa parade amoureuse ; « Après tout, maintenant que je suis coincé ici, autant s’amuser. » se dit-il.
Calvin savait désormais qui il était, grâce à Steve et son jardin mythique où il n’irait jamais.