Modérateur
Inscrit: 02/02/2012 21:24
De Paris
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... En r'tard en r'tard, je poste ma participation !
Le joueur de pipeau professionnel
C’est par hasard que je me suis introduit dans la vie d’un autre, en une succession d’évènements aussi inattendus qu’inéluctables. Un instant j’étais un pauvre type mal payé au SMIC qui attendait sur le trottoir, sans trop d’espoir, dent creuse et m’apprêtant à retourner à mon râtelier, tandis qu’une énième petite amie virtuelle rencontrée sur « materne-un-mec.com » m’ayant attiré hors de mon terrier par d’alléchantes promesses, se permettait de me poser un lapin par SMS. L’instant d’après, j’étais joueur de pipeau professionnel marié à la plus belle des actrices américaines. En fait, ça ne s’est pas passé aussi rapidement, il faut tout de même que je raconte les quelques jalons de ma succes story : Donc j’attendais sur le trottoir cette copine occasionnelle qui n’est jamais venue. « Encore une moche qui n’assume pas son physique » ai-je pensé pour me consoler. Mais même une bien moche, un peu boulotte et boutonneuse, j’en aurai fait mon affaire. Il faut dire que j’étais célibataire depuis bien un an et demi. Devenu geek et assez associable par la force des choses, ça commençait sérieusement à sentir le bouc chez moi. Le bouc, le fennec et le vieux garçon aussi. Pour être tout à fait honnête, pour faire court et sans détour, j’avais les crocs. Abandonné en pleine rue et passablement en rut de début juin – cette période charnière où le mâle en quête de partenaire a loupé le bourgeonnement hormonal de printemps mais n’entend pas passer totalement à côté de la saison des amours – en rut, donc, je déambulais sans but en pensant à la perspective d’un été seul mano-à -mano avec la veuve Poignet… Perspective peu réjouissante. Perdu dans mes pensée, je faillis bousculer un gentleman en costume dandy, avec queue de pie et pochette de costume en soie bleue. Malgré sa dégaine très digne, l’homme avait une mine ébranlée, il semblait débordé par l’anxiété et il agitait ses longs bras désespéré. - Mon dieu ! Quelle aventure déplaisante ! Quelle déconvenue fort regrettable ! Lança l’inconnu après sa presque-collision avec mon gras du bide.
- Qu’est ce qui va pas, gars. On peut t’aider ?
- Ah ! Mon brave ! M’a-t-il lancé. Peut-être pourriez-vous ? Je n’ose mais… Je n’ai guère le choix… Je vous promets une bonne rémunération si vous me rendez un petit service !
- Hey ! Man ! Je t’en prie ! J’ai justement ma soirée de libre ! Ai-je lancé sur le ton de l’amusement.
- Voilà ! Je me nomme Grégoire Flutobec, je suis joueur de pipeau professionnel. Ce soir, je suis prévu pour un concerto au grand théâtre du centre ville, mais un ami vient de me prévenir de ne surtout pas mettre les pieds dans la salle… Déclara l’homme qui visiblement n’avait pas le temps de s’embarrasser de politesse.
- Mais pourquoi ne pas y aller ? Demandai-je sur le coup de la curiosité.
- Ma femme et ma nouvelle maitresse et… et aussi mon amant ! Ils sont tous les trois aux concerts ! Depuis presqu’un an, j’ai pu jongler avec ma triple vie sans trop de peine, mais là ! Erreurs de calendriers ! Infernal imbroglio de cartons d’invitation ! Je crains le pire ! Je n’ai vraiment pas envie d’un règlement de compte dans les coulisses à l’issue de la représentation… Bref ! Je viens d’envoyer un message pour me décommander sous prétexte de fièvre foudroyante. Je retourne donc dans mon lit feindre l’article de la mort. Malheureusement, le directeur de la programmation menace de résilier mon contrat si je ne trouve pas tout de suite un remplaçant…
- Un pipeautiste professionnel ? Demandais-je, en affectant le plus grand sérieux.
Dire qu’il y a quelque minute, je m’apitoyais sur mon célibat non désiré et voici que je me trouvais face à mon exact opposé, détenteur d’un métier qui n’existait pas et qui se plaignait de trop d’abondance amoureuse…. Si chaque être humain se contentait d’un seul partenaire, d’abord : cela ferait moins de problèmes, ensuite : il y en aurait pour tout le monde…
- Oui ! Parfaitement ! Joueur de pipeau ! Et maintenant je suis infiniment embarrassé, car aucun confrère ne peut me remplacer dans un laps de temps si court.
- Et moi là dedans ? Demandais-je en essayant de boucler la boucle de cette étrange conversation qui n’avait ni queue ni tête (hormis la queue de pie…) et menaçait de se terminer en queue de poisson.
- Vous ! Oui, vous ! Vous pouvez me remplacer ! Juste pour une représentation… Le directeur de la programmation qui est sourd comme un pot n’y verra que du feu. Quant aux spectateurs, ils ne sont pas assez mélomanes pour faire la différence !
Je me demandais si un tel mépris pour le public était justifié. Terrible question existentielle que je ne m’étais jamais posée… Justement : la perplexité, le désœuvrement total et l’envie de me distraire de moi-même me poussèrent à aller vérifier. Le public adora mon concerto de pipeau en pouêt-pouêt majeur. La salle s’esbaudit, applaudit et en redemanda. On me proposa quinze dates de concert. J’acceptais par goût du grand n’importe quoi. Le directeur de la programmation n’était nullement sourd. Il n’entendait que le bruit soyeux des billets de banque. Concerts, célébrité grandissante… Et puis, ce fut l’emballement médiatique, les articles de presse dithyrambiques sur le « jeune génie de la musique qui ose casser les codes » et « propose quelque chose de vraiment novateur pour un public averti », l’inventeur de la « musique qui vient du cœur et que tout le monde comprend »… Bla bla bla et j’en passe. Grégoire se suicida l’année suivante, désespéré qu’un parvenu sans talent ne lui volât la seule opportunité de notoriété qu’un joueur de pipeau n’ait jamais connue, de toute l’histoire du pipeau, de la clarinette et de la flûte de pan réunis… La plus belle des actrices américaine, Enjolika Portorita, fit le déplacement spécialement d’Hollywood en jet privé pour assister à mon concert et ainsi montrer à ses paparazzis attitrés qu’elle s’intéressait à autre chose qu’aux régimes macrobiotiques et qu’elle était capable d’apprécier la grande musique et là , à l’issue de la représentation… Coup de foudre immédiat… Enjolika est un amour de petite latino qui prend certes grand soin, de son physique mais qui a aussi d’immenses qualités de cœur. Pendant deux longues années, Enjolika émerveilla ma vie. Sous sa coupe, je devins autant pipeautiste que people. Dans mon esprit, c’était d’ailleurs un peu la même chose : souffler du vent sous les spots surpuissants des projecteurs… Je nageais en océan de satisfaction. La lune de miel fut belle et extatique. Malheureusement, comme toutes les lunes de miel, elles font place à l’obscurité de la nouvelle lune. A l’instar de Grégoire le dandy, je m’habituais trop vite à l’abondance de tout. Devenu capricieux et ingrat, je me lassais de ce bonheur obtenu sans effort. Le complexe de l’imposteur me taraudait certains soirs. La crise morale me guettait. Pour tuer le temps, je devins vite un invétéré coureur de jupons. Un soir de juin, je me retrouvai dans un vaudeville insurmontable. Echappant de peu à un traquenard de deux de mes maitresses, je bousculai un pauvre type dans la rue sans le voir et manquai le renverser. - Dieu ! Quelle aventure déplaisante ! Quelle déconvenue désagréable ! Lançais-je d’avantage pour moi-même que pour l’énergumène sans envergure dont j’avais failli éprouver la tonicité douteuse de la ceinture abdominale.
- Qu’est ce qui va pas, man. Je peux t’aider ?
Je regardai l’homme, l’œil rond. Cet homme, c’était moi ! Moi il y a deux ans ! Dans son regard, je reconnaissais la mollesse d’une vie d’ennuis et les cernes nocturnes de nuits trop courtes à palangrer sans vergogne dans les eaux troubles et stagnantes des mers du Web. Résolument, je préférais ma vie. Ma nouvelle vie. Et l’haleine tangible de mon pipeau qui soufflait les voiles de mon vent en poupe ! - Non merci… Dis-je en passant opiniâtrement mon chemin.
Puis je courus ventre à terre auprès d’Enjolika afin de la supplier de me pardonner mes écarts.
Posté le : 05/09/2015 10:25
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