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Accueil >> newbb >> Défi du 15 août 2015 [Les Forums - Défis et concours]

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Défi du 15 août 2015
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Bonjour les amis !

Cette semaine, je vous propose de vous triturer les neurones sur une expression que j'utilise assez souvent "Faute de grives, on mange des merles." Je la trouve très philosophique et allant à l'encontre de notre société de consommation galopante.

A vos plumes....

Bises


Couscous

Posté le : 15/08/2015 08:17
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Re: Défi du 15 août 2015
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bien trouvé, couscous ! Voilà qui équilibre avec le défi consumériste de donaldo la semaine dernière!
Bien que je ne vois pas trop ce que les merles ont de moins que les grives...

Hi hi hi !

Posté le : 15/08/2015 10:18
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Re: Défi du 15 août 2015
Plume d'Or
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Bonjour chère Delphine,

Ah ah, le défi nouveau est arrivé.
Allez, c'est parti, je te propose un équivalent belge que tu connais sans doute : "si on ne sais pas aller à Knokke, on va à Blankenberghe".
Chaque culture, chaque pays a son "faute de grives, on mange des merles"

Philisophe, philosophe, je crois que je vais en toucher un mot à Sénèque à moins que cela ne soit à La Fontaine. Ou aux deux peut être! Tiens aux deux! Je vais sans doute revenir avec Sénèque et La Fontaine.

Bises et amitiés de Bourgogne.

Jacques

Posté le : 15/08/2015 15:46
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Re: Défi du 15 août 2015
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petit poème depuis mon portable, j'espère que ce sera pas trop plein de fautes, car j'y vois pas grand chose (sur le portable) :

l'enfant, l'oiseau et la bouteille

il disait : faute de grives, on mangera des merles
car la vraie vie n'est pas une voie lactée de perles
il disait qu'un seul 'tiens' vaut bien 'deux tu l'auras'
et tu verras qu'un 'rien' est plus qu'on n' te donnera

il disait des conneries, le verre à moitié plein
l'autre moitié du verre il l'avait dans les reins
on l'avait sur les bras souvent à moitié saoul
et quand c'était comme ça, fallait tendre l'autre joue

on aurait préféré qu'il se serre la ceinture
ça nous aurait laissé moins de coups et blessures
puis entre deux enfers la gorge était trop sèche
on aurait bien vécu que d'amour et d'eau fraiche

moi j'étais dans la lune avec l'ami Pierrot
et j'en avais bien marre, la vie de bouts d'chandelles
un jour, je serai grand et puis j'aurai des ailes
et je mettrai les voiles, léger comme un oiseau

Posté le : 15/08/2015 16:27
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Re: Défi du 15 août 2015
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Chère Emma,

Ton texte est touchant. Tout ce qu'on souhaite à ce pauvre enfant, c'est de s'envoler avec les colombes et plus le corbeaux.

Merci.


Istenozot,

J'attends tes amis avec impatience, ils sont les bienvenus.

Bises

Couscous

Posté le : 15/08/2015 17:55
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Re: Défi du 15 août 2015
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L’envie

– Elle m’énerve ! Elle m’énerve ! La voilà repartie pour Tahiti maintenant ! Après les Bahamas, New York, Le Cap Vert et je ne sais plus quoi, cela fait la cinquième fois qu’elle part en vacances dans la même année. C’est dingue ! Elle est pourtant assez bronzée. On dirait qu’elle est née en Afrique et pas en Belgique. Et nous, on épargne pendant une année pour partir en Bretagne et revenir avec un rhume et la peau blanche comme un camembert.
– Arrête avec ça. Laisse-la. Tu sais bien que nous n’avons pas le même train de vie !
– C’est clair ! Ils ont le TGV et nous un train à vapeur d’avant la guerre !
– Calme-toi. Ça ne sert à rien de s’énerver.
– Bien sûr ! Tu t’en fous. Tu ne demandes même pas une augmentation à ton patron. Tu pourrais ainsi me payer un bijou pour mon anniversaire au lieu de ma traditionnelle boîte de Leonidas. Tu te contentes de ton petit poste de comptable sous-payé. Et elle, son mari lui offre des bagues, des bracelets, des colliers en diamants. On dirait un arbre de Noël ! Et je ne te parle pas de sa chirurgie mammaire et autres liftings.
– C’est normal. Il est PDG d’une grosse boîte qui tourne bien. On ne peut pas rivaliser avec ces gens-là. Tu sais ce que disais ma grand-mère…
– Oui, tu me l’as rabâché des milliers de fois. « Faute de grives, on mange des merles ! ». Tu m’énerves avec tes dictons à la con.

Voilà, encore une prise de bec à cause de la voisine d’en-face. Je la jalouse depuis des années : sa vie tranquille sans avoir besoin de travailler, son aisance financière, ses vacances de rêve, sa décapotable rouge. Son mari est un bel étalon aux cheveux de geai et aux yeux verts émeraude. Le mien, Jacques, au physique moins avantageux, a beau tenter de m’apaiser, je trouve l’existence injuste. Moi aussi je veux des grives à chaque repas. J’en ai marre de bouffer mes merles noirs et déprimants. J’aurais aussi envie de laisser tomber mon boulot d’assistante sociale pour partir voyager autour du monde. Même si j’aime mon travail, ma vie manque de couleurs.

Un jour, qui je vois débarquer à ma permanence sociale : ma voisine. Evidemment, elle me reconnaît et rougit. Je l’invite à entrer dans le bureau en remarquant que pour une fois, elle ne porte aucun bijou. Ses seins rebondis semblent s’affaisser lorsqu’elle prend la parole.
– Je viens vous voir pour avoir de l’aide. Je me retrouve à la rue, sans un sou.
– Je ne comprends pas bien. Vous avez une villa et votre mari travaille.
– Non, la maison est à son nom et il m’a jetée à la rue. De toute façon, il veut vendre son entreprise, la maison car il compte refaire sa vie avec sa maîtresse à l’étranger. Je n’ai plus rien et je viens d’apprendre que j’ai un cancer de la peau.

Je suis à deux doigts de lâcher un commentaire ironique mais je m’abstiens en voyant la véritable détresse dans les yeux de mon interlocutrice. Si elle savait… que j’ai profité que mon mari fasse des heures supplémentaires au bureau pour mettre du beurre dans les épinards et m’enfiler une bague à mon doigt. Pendant que ma voisine était occupée à se brûler l’épiderme à la Martinique, j’en ai profité pour tenter une approche chez mon voisin. Ce dernier n’a pas manqué de remarquer mes formes généreuses, non siliconées car j’ai été élevée au lait de merle (ben oui, il y a bien du lait de poule !). Sa femme étant adepte du « livré à domicile », il a été séduit par mes petits plats « façon grand-mère », pas celle de Jacques qui bouffe des pâtés de merles ! C’est ainsi qu’on va s’expatrier à l’île Maurice où je vais enfin m’empiffrer de civets de grives et de grives au caviar !

Posté le : 16/08/2015 09:14
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Re: Défi du 15 août 2015
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Ah Ah! La vilaine voisine s'est transformée en pie voleuse.
Quel salaud, le mari, de quitter sa femme sans le sou alors qu'elle est malade... En cas de divorce, il va y laisser des plumes...
Souhaitons bonnes vacances à ton personnage et surtout, ne pas oublier la crème solaire !!!

Posté le : 17/08/2015 08:34
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Re: Défi du 15 août 2015
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Chère Delphine,
Chère Loréennes, chers Loréens,

Me revoici, me revoilà avec ma réponse au défi du 15 août. Et je pourrais vous chanter : c'est au mois d'août ....

J'ai appelé ma réponse "la conférence de Jacques Hasse". J'espère mes ami(e)s que vous ne serez pas agacé par ma nouvelle :

Le soleil vient de se lever sur le campus de l’université de Compiègne. La rosée du matin donne de la grâce aux fleurs du jardin qui reposent devant l’entrée des bâtiments principaux occupés par les laboratoires.
Nous sommes le 23 juin 2015. En début de soirée, le très célèbre professeur émérite Jacques Hasse, dont vous verrez qu’il porte très bien son nom, doit faire à tous les étudiants de master 1 une conférence sur un sujet éminemment intéressant qui le taraude depuis des années : « faut-il espérer ce que l’on n’a pas et l’avoir ou pas ou se contenter de ce que l’on a, si on l’a ou du moins que l’on croit l’avoir ?». En fait, l’éminent professeur n’en avait pas fini de douter de l’énoncé même de sa conférence.
Ce n’était pas la première fois que cet éminent professeur venait faire une conférence dans cette université. Par deux fois, il avait remplacé un autre conférencier tout aussi éminent, qui s’était désisté. Il aimait les sujets tirés par les cheveux. Il avait décidé cette fois-ci d’élever les étudiants dans les cieux de la philosophie. Permettez au modeste narrateur de ce récit de s’inquiéter du fait que le ciel ne puisse tomber sur la tête des étudiants !
Dans les jours précédents la conférence, quelques étudiants de master 1, gais lurons, devant ce sujet qui les laissait perplexes, se décidèrent alors à faire une plaisanterie à cet éminent professeur, disais-je, en placardant sur tous les panneaux d’affichage, juste à côté de l’annonce de ladite conférence, le célèbre proverbe : « faute de grives, on mange des merles ».

Le matin de son discours philosophique, vexé, le toujours éminent professeur – mais allait-il le rester ?- alla se plaindre auprès du Président de l’Université Technologique de Compiègne.

- Monsieur le Président, j’ai appris que les étudiants se moquent de moi, en plagiant l’esprit de ma conférence à l’aide d’un proverbe animalier très vexant. Je le vis très mal !
- Ne vous en offusquez point, cher Professeur. Ce sont des potaches qui ont fait cela. Et puis, ce proverbe peut très bien alimenter le fond des arguments de votre conférence... Etes-vous prêt … pour votre conférence … de ce soir ?
- Vous venez de me donner une excellente idée. Je vais intégrer leur citation dans le contenu de ma conférence… Puis-je avoir accès à l’intranet de votre université, s’il vous plait ?
- Naturellement… Je suis heureux que vous le preniez si bien !

On ne vit pas le Professeur de toute la journée. Jusqu’en fin d’après-midi, il navigua sur de très nombreux sites internet de philosophie et d’histoire de la littérature. Le Président de l’Université s’en inquiéta en fin d’après-midi et vint à 19h lui rendre une petite visite de courtoisie dans la bibliothèque :

- Quand pensez-vous avoir terminé, cher ami ? Nous pourrions aller dîner ensemble avant votre conférence !
- Je l’ai terminé à l’instant. J’ai très faim. Je dînerai avec plaisir !

Ils dînèrent l’un et l’autre dans le restaurant de l’Université. Les gais lurons qui avaient placardé le fameux proverbe animalier s’étaient arrangés avec le gérant de la cuisine pour que des grives soient servies à nos deux convives.
Notre toujours et encore éminent Professeur apprécia ce gibier et demanda au Président :
- Ce gibier est délicieux. Quel est l’animal qui nous est ainsi servi ?
- Eh bien, je crois… D’après ce qu’a pu m’en dire le Chef. Je crois… Il me semble que … Ce sont des grives !
- J’aurai pu m’attendre à des merles, avec les potaches que vous avez, dit le professeur, avec humour.
- Je suis heureux que vous le preniez ainsi !
- Vos potaches n’auraient-ils pas participé à la préparation de notre menu ? … Je crois qu’ils vont être servis pendant ma conférence.

Arriva enfin l’heure de la conférence. 450 étudiants s’étaient donnés le mot et étaient présents dans l’amphithéâtre de 500 places. Quelques minutes avant l’arrivée du conférencier et du Président d’Université, l’ambiance était déjà délurée. De nombreux étudiants lançaient à leurs voisins des proverbes à la cantonade : faute de blé on mange de l’avoine ; faute de riz, on mange de la bouillie ; faute de rossignols, on se contente de hiboux ; faute de pain, on mange de la galette ; quand le poisson manque, l’écrevisse est un poisson ; Quand tu n’as pas une belle femme, contente-toi d’un laideron ; quand tu n’ as pas un bon chapon à Noël, contente- toi d’une belle poule.
L’ambiance était très prometteuse.

Après quelques premières minutes de présentation du conférencier et du sujet par le Président d’Université, Jacques Hesse commença sa conférence.
Mesdemoiselles, Messieurs, vous validez sans doute le placardage du proverbe « faute de grive, on mange des merles » qui vous paraît illustrer le sujet de mon sujet de ce soir « faut-il espérer ce que l’on n’a pas et l’avoir ou pas ou se contenter de ce que l’on a, si on l’a ou du moins que l’on croit l’avoir ?», mais pratiquez-vous les principes que ce proverbe véhicule ? Accepteriez-vous donc de manger des merles, si tant est que ces merles en soient bien ? Comme vous l’ignorez sans doute, on appelle aussi les merles, les grives noires. Autrement dit, faute de grives, on pourrait manger des grives noires, qui peuvent être bien meilleures, je vous l’assure. Donc on peut espérer avec des grives, et l’on a donc davantage !
On pourrait donc espérer peu et avoir finalement beaucoup, l’opulence tout en demeurant sincère dans l’espérance du peu, n’est-ce pas ?
Mais par votre mépris à mon égard, en ayant placardé ce proverbe, peut être voulez-vous ainsi laisser penser qu’il fallait mépriser l’opulence, préférer les merles qui n’en sont pas aux grives qui en sont peut-être. Ah, là, je sens que je vous agace avec mes pirouettes philosophiques !
Et puis la perception du mot lui-même que vous pourriez avoir pourrait vous décourager d’aimer les grives et de leur préférer les merles, et donc d’apprécier ce qui est moins bon ou paraît l’être et d’honorer plutôt ce qui paraît meilleur et ne l’est pas forcement ! Car mes amis, savez-vous ce que signifie le mot griveler ? Eh bien, il signifie : commettre des malversations. Savez-vous ce qu’est un délit de grivèlerie ? Eh bien, cela signifie : consommer dans un restaurant et ne pas payer. Finalement, peut être que ce proverbe s’applique davantage à vous qu’à moi !
Revenons à vos grivèleries, et pourquoi donc, alors, ne pas vouloir accepter les grives noires, le meilleur au peu, dès lors que vous l’acceptez sans inquiétude, accompagné du plaisir de les avoir dégusté ? Mais, si vous n’avez réellement que des merles, eh bien acceptez les sans souci, quitte à vous rendre la vie plus belle, en les accompagnant d’une sauce ou d’un vin plus prestigieux.
In fine, je pense qu’il faut préférer les grives aux merles, préférer la richesse à la pauvreté d’un plat lorsqu’elle vous est accessible, mais faites-le avec justesse, mais pour autant éprouver le même bonheur à manger des merles mieux accommodés.

Si l’on revient au sujet même de ma conférence, en lui appliquant ces quelques principes : dans votre vie professionnelle future, faut-il espérer les richesses que l’on n’a pas ou se contenter du peu d’argent que l’on ? Je crois qu’il faut faire preuve de sagesse et préférer avoir de l’argent sans désirer forcément être riche, et que dans un cas comme dans l’autre, les richesses acquises, quelle que soit leur grandeur, doivent l’être de manière honnête. Vous me suivez toujours où je vous agace encore !

Mais encore, si vous acceptez les richesses, faut-il donc les prendre comme elles se présentent ou les désirer pour mieux les acquérir ?
Et lors donc, si vous désirez des richesses que vous n’avez pas et qu’elles se présentent sans les attendre et que vous les acceptez de manière honnête, alors vous êtes un sage qui peut être riche et vous méritez de l’être car vous avez la bonne attitude à l’égard des richesses.
On pourrait en venir ainsi au paradoxe que le sage qui désire ce qu’il n’a pas est seul à être riche, jusqu’à pouvoir posséder toute chose. Me suivez toujours où en ai-je perdu parmi vous ?
Et partant de là, me direz-vous, pourquoi le sage refuserait-il à conserver et à accroitre ces richesses à partir de ce qu’il espère avoir !

Des brouhahas s’élèvent dans l’assistance et l’on entend de gauche et de droite quelques phrases lancées : « j’y comprends rien », « on aurait mieux fait de ne pas l’emmerder », « quel rapport avec nos études »… Le narrateur vous fait grâce des quelques noms d’oiseaux à caractère injurieux qui volèrent au milieu des quelques phrases structurées qui pouvaient avoir du sens, mais pas forcément le bon !

C’est alors que dans l’assistance se lève un petit homme mystérieux, déguenillé, habillé d’une simple toge qui se met à invectiver notre éminent conférencier :
- Je proteste violemment contre votre vision du stoïcisme !
- A qui ai-je l’honneur, lui répond avec agacement, le Professeur ?
- Je m’appelle Epictète et je veux intervenir en tant que contradicteur et philosophe stoïcien !
- Je vous en prie !
- Si l’on doit espérer ce que l’on n’a pas, notre meilleure destination en matière de sagesse est le dénuement. Et si l’on doit posséder quelques richesses, cela doit être fait sans désirs et sans efforts. Et finalement, effectivement, l’on serait en droit d’apprécier ce que l’on a et de s’en contenter. Et le plus important, selon moi, et qu’il faille faire bonne usage des quelques richesses accumulées sans efforts et que, de la richesse spirituelle et matérielle, la plus importante des deux, est la richesse spirituelle !

Malgré son étonnement devant ce petit homme sorti de nulle part, qui semblait réellement venir d’un autre monde, et au milieu d’une assistance devenue subitement silencieuse, Jacques Hasse poursuit son dialogue :

- Je relève que nous sommes d’accord sur le bon usage des richesses disponibles qu’elles soient disponibles ou pas ! Et visiblement, pour vous comme pour moi, ce qui compte, c’est le bon usage des biens et non pas la possession effective de ceux-ci. Et ainsi, nous en sommes nécessairement les possesseurs.
- Ah non, pas du tout lui répond Epictète ! le bon usage des richesses est fondé sur la dissolution de la propriété. J’estime que le sage ne doit se contenter que de l’usufruit de ce qu’il possède. Du peu que l’on a acquis de ce que l’on a espéré, on ne le possède pas. On ne l’a pas ; on n’en a que l’usufruit ! En fait, il faut se protéger contre le désir d’être riche ou honoré qui pousse à en vouloir davantage.

Le petit homme semble alors se dissoudre dans l’assistance et apparaît un homme de grande taille, poudré, et dont la seule chevelure semble être une perruque. Il s’exprime en ses termes à notre éminent conférencier :

- « On hasarde de perdre en voulant trop gagner. Gardez-vous de rien dédaigner ».
- Ah je reconnais ces vers, lui dit l’éminent Professeur ! Seriez-vous La Fontaine ?
- Nous sommes bien La Fontaine, pour votre bon plaisir !
- Mais que voulez- vous partager ainsi, avec ces vers ?
- En citant ces deux vers de la fable que j’ai intitulée « le Héron », Je m’inscrits dans la continuité de la pensée des Stoïciens, en désirant sans doute faire la synthèse de toutes les évolutions de cette pensée. On peut espérer ce que l’on n’a pas mais si on ne l’obtient pas, on peut se contenter de ce que la fortune nous donne, sans honte, en se satisfaisant de ce que l’on a désiré et ce que l’on reçoit.
- Au-delà de ce que vous dites et que je partage, je retiens aussi, et je le dis à tous les étudiantes et les étudiants présents que la lecture d’une pensée, mais d’un proverbe aussi, peut évoluer dans le temps dans l’espace et dans le temps, en fonction de l’évolution d’une philosophie ou d’une doctrine, pour une seule personne ou pour une société.

Après ces mots, mystérieusement, La Fontaine disparut tout aussi rapidement qu’il était apparu.
Pendant les minutes qui le séparaient de la fin de la conférence, Jacques Hasse cita quelques autres philosophes stoïciens, épicuriens et cyniques, pour convaincre les étudiantes et les étudiants présents qu’une belle citation peut éclairer la pensée mais ne doit la réduire et que son sens peut varier d’une époque à une autre.

Quelques minutes avant la fin de la conférence, Jacques Hasse conclut ainsi :
Mesdemoiselles et Messieurs les étudiants, arrive le moment de la conclusion de ma conférence. Vous m’avez bien cassé les pieds avec votre proverbe et avec vos grivèleries.
Je vais terminer ma conférence de manière décalée, un peu comme vous l’avez initié de votre côté. Vous devriez méditer sur vos pieds et les miens, partir sur vos pieds et prendre la poudre d’escampette, afin de découvrir des citations qui vous conviennent mieux et en trouver qui parlent à votre cœur et ne déforment pas votre pensée !

L’un des étudiants intervient une dernière fois et dit à notre éminent Professeur :

- Nos pieds auraient-ils donc tant d’importance à vos yeux !
- Ils ont un poids en termes de déterminisme de la pensée que vous ne pourriez imaginer.
- Penserait-on donc davantage avec ses pieds qu’avec sa tête ?
- Vu le comportement de vos amis et de vous-même, à un point que vous ne pourriez supposer. A cette fin, et pour vous agacer encore davantage, je vous soumets une étonnante énigme mathématique qui engage vos pieds ainsi que votre pensée dans l’irrationnel, et ma fois, si vous avez encore de l’humour, trouvez lui le proverbe approprié !

Prenez votre calculatrice, saisissez-y la pointure de vos chaussures, multipliez la par 5, puis rajouter 50. Multipliez alors le total obtenu par 20 auquel vous rajoutez 1015. Du dernier total obtenu, soustrayez votre année de naissance.
Maintenant vous obtenez un nombre à 4 chiffres. Les 2 premiers seront la pointure de vos chaussures et les 2 derniers votre âge actuel !

Si si ! Alors ! Que penser du rationnel mathématique de vos pieds, de votre pensée, non, de votre proverbe ! Ne croyez-vous pas qu’il puisse exister aujourd’hui une part d’irrationnel et de représentation émotionnelle dans un proverbe et que cet irrationnel et cette représentation peut ne plus l’être demain, dans un an ou dans deux ans. Refaites le calcul précédent d’ici un an ou deux, en pensant à moi, avec un sourire ou agacement. Quel est en sera donc le résultat ? Pour vous, le résultat sera-t-il une grive ou un merle ?

Après une petite minute de silence, des applaudissements nourris firent écho à la conclusion de Jacques Hasse.

Amitiés d'Arras où je me trouve.

Jacques



Posté le : 19/08/2015 09:08
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Re: Défi du 15 août 2015
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Merle Noir


Barbara Canette quitta les bureaux du Ministère de la Culture, son employeur officiel, aux alentours de seize heures trente ce vendredi soir. Elle avait préparé son week-end : ses deux filles, des petits bouchons d’énergie déguisés en poupées blondes, avaient droit à trois jours avec leur père, un ventripotent restaurateur parisien dont elle s’était séparée après quelques années d’un mariage stupide concédé pour pleins de mauvaises raisons. Son nouvel amoureux, un auteur de science-fiction rock’n roll, la faisait bien plus vibrer que son ex-mari, avec son humour décalé, sa mauvaise foi congénitale et ses trop grands pieds. Néanmoins, pour changer, et aussi parce que la Nation lui avait demandé, Barbara s’était également débarrassée, de manière temporaire et diplomatique, de son écrivain préféré, son champion des histoires déjantées où des extra-terrestres punks colonisaient des planètes hippies au grand dam de la civilisation humaine. Pour en arriver là, Barbara avait déployé des trésors d’ingéniosité, usé d’une fourberie sans limites et terminé par un sourire à damner un saint. Sur le papier, elle assistait à une réunion au sommet entre autorités européennes traitant de sujets hautement culturels allant de la puissance cognitive du grec ancien à l’influence de la Mésopotamie sur l’œuvre de Pline le Jeune, le tout avec de vieux barbons usés et de célibataires à lunettes, quelque part en Belgique, dans la ville de Jambes. Son amoureux, pourtant lui-même spécialiste du concerto pour pipeau et orchestre, avait avalé la couleuvre sans protester un instant.

Barbara Canette travaillait en réalité pour les services de renseignement français. Recrutée dès la fin de ses études à la prestigieuse École Nationale d’Administration, elle avait troquée une carrière programmée de haut fonctionnaire pour une vie dédiée à la sauvegarde de l’art hexagonal, dans un monde globalisé où les grandes puissances ne s’affrontaient plus sur des champs de batailles mais dans des salles de ventes, où les civilisations montraient leur force sur la base d’une domination culturelle et non militaire. A ce titre, elle avait été entrainée à distinguer le chef d’œuvre graphique de l’escroquerie picturale, à repérer les futurs artistes de génie noyés dans une société de consommation portée aux nues par des nations soucieuses de préserver leur position dominante.

Sa mission du moment portait le nom de code « Merle Noir ». Son agent de liaison, un quinquagénaire aux allures de professeur des écoles, lui en avait tracé les grandes lignes lors d’une conversation a priori anodine, sous l’excuse d’un déjeuner entre une spécialiste de la peinture française du dix-neuvième siècle, sa couverture actuelle, et un potentiel vendeur de tableaux impressionnistes.
— Barbara, je n’irai pas par quatre chemins, avait commencé Tiburce Dugommeau. La France a besoin de vous, une fois n’est pas coutume. Le Ministre a fortement apprécié votre dernière réussite, quand vous avez démantelé un réseau de trafiquants russes.
— Je n’allais quand même pas laisser ces bougnats de Saint Pétersbourg nous fourguer de faux Kandinsky, peints par des faussaires roumains et certifiés conformes par des experts hongrois. Il y a des limites à la naïveté, même à Levallois-Perret.
— Vous avez quand même résisté aux pressions politiques, aux menaces non voilées des nombreux intermédiaires et à la bêtise sidérale des élus locaux. En plus, vous n’avez pas explosé le budget de votre mission, contrairement à votre prédécesseur, muté depuis en Terre Adélie.
— C’est ça de confier ce genre de travail à des passionnées et non à de vulgaires pondeurs de rapports en trois exemplaires.
— Le Ministre a reçu votre message cinq sur cinq. Il a particulièrement aimé votre stratagème ultime, celui de payer des Kandinsky de pacotille avec de vieux faux billets fabriqués par un gang africain.

A l’occasion de cette précédente mission, Barbara Canette avait mesuré la force de persuasion de Tiburce Dugommeau, un officier supérieur rompu aux manœuvres de la guerre froide, quand l’Union Soviétique vendait au cinéma français des vessies déguisées en lanternes, transformait des agents du K.G.B en cinéastes dissidents pour porter un message ubuesque à de jeunes réalisateurs perdus par la fin d’une Nouvelle Vague fatiguée et jaloux d’une production américaine aux moyens flamboyants. Tiburce Dugommeau avait accompli le tour de force de muter l’ineptie d’un directeur de cabinet en ersatz de courage, quand il avait fallu expliquer pourquoi des fausses toiles de maître avaient été payées en roupie de sansonnet à des escrocs venus de l’ancienne Leningrad. Cerise sur le gâteau, Barbara Canette avait revendu les croutes, acquises pour un prix de papier, à un milliardaire saoudien connu Outre-Atlantique pour ses amitiés yéménites. Résultat des courses : le réseau maffieux russe faisait désormais rire tout l’underground du marché de l’art avec son opération de tartuffe, et le barbu plein aux as jouait au Crésus oriental devant une C.I.A effarée par autant de bêtise. « La France a gagné avec brio et intelligence ! » avait alors déclaré le chef politicien à Tiburce Dugommeau, au son de la Marseillaise.

Barbara Canette arrêta la séquence souvenirs. Ses ordres étaient clairs : elle devait qualifier une nouvelle source, un indicateur spécialisé dans l’art tribal, celui des colonies d’antan quand la France paradait du haut de son empire. Cet expert, le surnommé « Merle Noir », avait donné des gages de bonne foi auprès des services de renseignements français mais demandait désormais beaucoup pour changer de braquet et devenir le fournisseur exclusif de Paris. Comme d’habitude, deux camps s’affrontaient dans les sphères autorisées : d’un côté, les politiques, alléchés par les premiers résultats de « Merle Noir », souhaitaient signer un chèque en blanc et battre sur le fil les rivaux américains, anglais ou chinois, tandis que leurs opposants se comptaient parmi les militaires, échaudés par des années de pratique des coups tordus avec les dirigeants du Tiers-Monde. Un seul homme pouvait arbitrer : le Président de la République. Sa réponse avait été simple, quand les frileux avaient énuméré les risques, rappelé les arnaques du genre avions renifleurs et conclu au faible intérêt de collaborer avec un nouveau venu, pour de banales histoires de statuettes en bois précieux. « Faute de grives, on mange des merles » avait alors déclamé le petit gros à tête de fromage, devant des généraux étoilés et des chefs à plumes de la planète barbouze. Devant une telle évidence érigée en ordre régalien, la hiérarchie avait ouvert les parapluies et lancé les manœuvres visant à couvrir ses arrières. Dernier maillon de la chaîne, Tiburce Dugommeau avait hérité d’un objectif prioritaire décliné en trois exemplaires, au son du bombardon et des slogans patriotiques.

« Barbara, vous êtes la seule capable de me sortir de ce merdier » avait-il confié à son meilleur agent. Bientôt à la retraite, Tiburce Dugommeau ne voulait pas finir sa longue carrière sur une note négative, et encore moins se retrouver à toucher le revenu minimal d’insertion en guise de mesure punitive de hauts fonctionnaires rancuniers. Le reste de la discussion entre Barbara Canette et Tiburce Dugommeau s’était ensuite cantonnée aux détails pratiques, aux précautions d’usage pour les moyens à employer et au rappel de l’indispensable discrétion absolue.

Barbara Canette se dirigea à l’aérodrome où l’attendait un jet privé, affrété spécialement pour elle. Sa destination, fixée par « Merle Noir », consistait en un palace de Zürich, à une distance raisonnable des meilleures banques du cru. Elle avait deux jours pour évaluer la valeur des informations et du réseau de la source et fixer un prix acceptable par tous en cas de collaboration effective. Bien entendu, si « Merle Noir » ne faisait pas l’affaire, s’avérait plus gourmand que prévu ou montrait des signes de duplicité, Barbara avait le champ libre sur la suite à donner à sa candidature. L’essentiel, c’était de ne pas laisser de traces, quitte à s’affranchir de quelques contraintes morales souvent encombrantes dans le monde de l’espionnage. Barbara connaissait les règles. Elle s’en accordait généralement sans sourciller, préférant ce métier à celui de conservatrice d’un musée de province ou de sous-préfète de la Creuse, des occupations certainement passionnantes mais peu conformes à son tempérament de femme d’action un tantinet dirigiste.

Arrivée dans la ville suisse, Barbara Canette utilisa la voiture mise à disposition par son agence de voyages pour se rendre au bord du lac, en plein cœur de la cité, dans le fameux Hôtel Baur au Lac. Une fois à la réception, elle remplit les formalités d’usage puis prit possession de sa suite. Cinq minutes plus tard, elle reçut un appel par la ligne interne.
— Madame Barbara Canette, un certain monsieur Merle Noir vous invite à déjeuner au restaurant Rive Gauche. Une de nos assistantes va vous apporter une tenue de soirée choisie par votre hôte. Vous êtes attendue à vingt-et-une heures trente précises.
— Bien. Je me tiens prête.

Barbara Canette raccrocha le combiné. En peu de mots, elle avait cerné le problème et mesuré l’ampleur de la tache. « Merle Noir » avait certainement des oreilles dans les services de renseignement français et il tenait à le faire savoir. Pour cette raison et aussi par envie de s’amuser un peu avec elle, il avait utilisé son nom de code pour se créer une identité. Nul doute qu’il en savait beaucoup sur Barbara, au point de le montrer par le biais de cette invitation. « Un homme qui connait les goûts vestimentaires d’une dame du monde ne peut pas être complètement mauvais » disait souvent la grand-mère de Barbara, une femme pragmatique mais sensible aux bonnes manières et aux attentions délicates. Sur ce point, Barbara ne partageait pas forcément l’avis de son aïeule. Dans son esprit, « Merle Noir » devenait un danger potentiel, un manipulateur capable de tout, justement parce qu’il montrait sa force et se permettait d’en jouer subtilement.

A l’horaire indiqué par la réceptionniste, Barbara Canette se présenta au comptoir du restaurant Rive Gauche, un haut lieu de la gastronomie zurichoise situé en plein cœur de plus beau palace de la ville. L’hôtesse d’accueil, une splendide jeune femme asiatique, l’accompagna à une table ronde proche des larges fenêtres donnant sur le lac.
— Désirez-vous boire quelque chose en attendant monsieur Merle Noir ?
— Je pensais le voir ici.
— Il nous a prévenus de son retard et s’en excuse auprès de vous.
— Que sont devenues les traditions, quand les hommes bien élevés arrivaient les premiers, apportaient des fleurs magnifiques et sabraient le magnum de Champagne ?
— Elles ont suivi le progrès technique, le règne de l’Internet tout puissant et des SMS en guise d’échanges épistolaires.
— Je ferai avec. Vous pouvez m’apporter une coupe de votre meilleur Champagne. Je boirai pour oublier que ce n’est pas ce soir que je rencontrerai le prince charmant de mes rêves d’enfant.

Barbara Canette sourit à cette dernière réplique. Elle avait l’habitude des supposés gentlemen, des hommes pleins d’argent qui croyaient que leur aisance économique remplaçait les bonnes manières grâce au caviar et aux suites royales dans les palaces du monde entier. Monsieur Merle Noir, comme l’appelait l’hôtesse d’accueil, ne dérogeait pas à cette règle édictée depuis la nuit des temps quand le premier chef de tribu, assis sur son trône, toisait d’un air supérieur ses sujets et leur lançait les miettes de son repas. L’invention de la politesse n’avait rien changé à l’affaire. Les nantis considéraient toujours les autres comme de la piétaille, ne s’embarrassaient pas de chichis s’il n’y avait pas d’intérêt immédiat à respecter les convenances, et voyaient l’univers uniquement à travers leur petite personne.

Le quart d’heure technique se transforma en soixante minutes d’attente. Barbara Canette en profita pour lire les derniers rapports sur le cas « Merle Noir », se connecta aux différentes bases de données gouvernementales et révisa ses classiques en matière d’art primitif, tout ça par la magie du smartphone et de l’informatique miniaturisée. Elle n’apprit rien de nouveau mais décontracta ses petites cellules grises à la lecture de mémos forts bien rédigés sur son sujet d’attention.

Une voix de stentor la sortit de ses passionnantes lectures.
— Je suis désolé de ce retard, madame Canette. Permettez-moi de me présenter : je suis monsieur Merle Noir, lui dit un grand homme brun, la quarantaine empâtée, à la chevelure lustrée et au regard fier de lui.
— J’ai survécu, c’est l’essentiel, répondit Barbara d’un ton froid.
— Je ne sais pas comment me faire pardonner. Désirez-vous boire un verre ?
— Merci, j’ai déjà donné avec le Champagne maison. Je vais continuer à l’eau claire. Vous pouvez commander une coupe pour vous, je ne m’offusquerai pas.
— Je vous sens un peu contrariée. Je me trompe ?
— Soyons professionnels, monsieur Merle Noir ! Que vous arriviez en retard d’une heure avec une dame, c’est dommage pour moi, certes, mais ne constitue en rien le sujet principal de notre rencontre me semble-t-il. Je ne vais pas vous évaluer sur la base de votre ponctualité. Rentrons dans le vif du sujet !

Barbara Canette regarda Merle Noir droit dans les yeux. Elle avait saisi l’occasion de le secouer un peu, histoire de voir comment il allait se comporter. Merle Noir avait probablement pensé que l'État Français lui aurait envoyé une fonctionnaire à grosses lunettes, une première de la classe aux trous de nez écartés et au discours technocratique, surtout s’il avait réussi à rentrer dans les fichiers administratifs concoctés par le service du personnel. Barbara sourit intérieurement en pensant à son dossier, à sa belle photo de studieuse experte en arts, un montage destiné à tromper les curieux et à parfaire son curriculum-vitae d’une dernière touche picturale. Visiblement, son stratagème réussissait une fois de plus ; Merle Noir ne savait pas sur quel pied danser en face d’une superbe et sculpturale femme blonde, habillée comme un mannequin de la maison Chanel.

Barbara Canette classa Merle Noir dans la catégorie des séducteurs compulsifs, le genre de mâles qui ne regardaient pas les moches et considéraient les beautés comme des pièces de choix dans une collection de papillons nocturnes. « Le genre qui veut plaire à toutes les femmes parce que Maman l’ignorait pendant son enfance » avait coutume de dire sa grand-mère quand elle en croisait un. Barbara n’avait donc qu’à tirer sur le fil, jouer du registre de la froideur et laisser le Casanova du dimanche se vautrer dans sa toile.
— Avez-vous vues mes collections, celles présentées à votre ministère ?
— Non, je suis venue en touriste, juste dans le but de boire des coupes de Champagne dans un palace zurichois avec le premier impoli rencontré.
— Vous êtes encore vexée, avouez-le Madame Canette !
— Pas vraiment. Je ne supporte tout simplement pas les mauvaises manières. Arriver à un rendez-vous avec une heure de retard en fait partie. Que voulez-vous, on ne refait pas son éducation !
— Combien de fois devrais-je vous dire que je suis désolé ?
— Une fois suffit, rassurez-vous. Passons aux choses sérieuses. J’ai bien étudié votre offre et je trouve vos exigences démesurées, au point de vue financier.
— A combien estimez-vous la valeur de ce que je propose ?
— Disons vingt fois moins. Et encore, je suis généreuse.

Merle Noir perdit son sourire à la James Bond. Son visage fit paraître, pendant une fraction de secondes, la mine du petit garçon pris sur le fait la main dans le pot de confiture. Barbara Canette décida d’enfoncer le clou. Elle leva la main à l’attention de la serveuse, commanda une bouteille d’eau minérale gazeuse et posa des questions sur la provenance des fruits de mer. Merle Noir resta seul avec lui-même, ses pensées et sa déception. La belle femme assise en face de lui ne lui prêtait plus la moindre attention, préférant discuter avec une soubrette, discourir sur la fraicheur des huitres en été ou la migration des bulots en hiver, comme si c’était de la première importance. Cette Barbara Canette semblait coriace, en tout cas pas la proie facile décrite dans ses fiches, la spécialiste de l’art primitif, juste bonne à certifier conforme des statuettes maliennes après des heures d’analyses scientifiques loin du facteur humain et des relations sociales.

La pièce de théâtre dura cinq bonnes minutes. Barbara trouva assez de sujets pour occuper la serveuse et délaisser son convive. Merle Noir attendit sagement, n’essaya pas d’interrompre les deux femmes dans leur conversation puis saisit la fin des débats pour reprendre la parole.
— Vous êtes dure en affaires, madame Canette.
— Appelez-moi Barbara, ça fait moins coincé.
— Si vous le souhaitez, Barbara.
— Et vous, quel est votre prénom ou, devrais-je dire, comment dois-je vous appeler ? Parce que Merle Noir, avouez, c’est un tantinet théâtral.
— Je n’ai pas choisi ce nom.
— Je sais. Moi non plus. Ne cherchons pas à comprendre ce qui se passe dans la tête des fonctionnaires du ministère quand on leur demande un peu de créativité.
— Vous comprendrez aisément que je ne vous livre pas ma réelle identité. Pas encore. Pas tant que nous n’avons pas trouvé un terrain d’entente.
— Quel homme frileux ! Que croyez-vous ? Nous sommes en train de négocier un contrat somme toute classique, où vous êtes le fournisseur et la France le client. Il ne s’agit pas de haute technologie ou d’armement stratégique, alors décontractez-vous ! Personne ne va essayer de vous filer, d’attenter à votre vie ou je ne sais quel scénario abracadabrant.
— Barbara, vous êtes naïve. L’art et la culture sont au centre de la géopolitique d’aujourd’hui. Les agences de renseignement tuent pour cette raison.
— Vous allez me faire peur.
— Vous devriez !
— Coupons la poire en deux ! Je vais vous donner un prénom qui vous convient, à mon avis. Qu’en pensez-vous ?

Merle Noir parut encore désarçonné par l’attitude de Barbara Canette. Il donna son accord par un vague hochement de la tête.
— Parfait, mon cher Raymond, chanta Barbara. Je trouve que Raymond vous va bien. C’est assez classieux, un peu vieux jeu, pas très exotique. Partons sur ce prénom !
— Si tel est votre bon plaisir.
— Maintenant que les présentations sont faites dans les règles, revenons à nos moutons mon cher Raymond. Vous connaissez désormais mon avis sur le prix que je suis prête à payer pour bénéficier de vos services.
— C’est ridicule, Barbara. Vous le savez !
— Le chiffre initial l’était également.
— Les Américains, les Russes et les Chinois ne penseraient pas la même chose.
— Raymond, vous êtes en plein film. Personne, même pas les Suisses, ne paieraient autant pour si peu, surtout venant d’un petit cachotier de votre acabit.
— Pourtant, ils m’ont signifié leur intérêt. Mes prétentions ne les ont pas choqués.
— Tant mieux pour vous. Alors, dans ce cas, continuez avec eux et laissez Paris tranquille. Nous avons d’autres chats à fouetter. La brocante, le vide-grenier, ce n’est pas notre tasse de thé.
— Vous y allez un peu fort, Barbara !
— Que voulez-vous, Raymond, c’est mon principal défaut. Je ne sais pas habiller mes arguments de la belle hypocrisie diplomatique dont font preuve mes collègues du ministère. Quand je vois un chat pelé, je ne lui fais pas croire qu’il est un tigre, je l’envoie directement au refuge.
— Pourtant, vous savez bien que sous le caillou se cache parfois le diamant brut.
— Quitte à argumenter à coups de proverbes, autant passer directement à la mythique phrase où les merles remplacent les grives. C’est ce que doivent se dire Moscou, Pékin ou Washington. Malheureusement pour vous, Paris ne souscrit pas à cette vision mesquine de l’art. D’où votre surnom dans le dossier administratif concernant votre offre. De l’humour de technocrate.

Merle Noir se ferma définitivement. « Profitons au moins du dîner » proposa-t-il en guise de conclusion à la négociation. Barbara Canette accepta l’invitation et attaqua son entrée. Elle n’essaya même pas de lancer un semblant de conversation, laissant l’initiative à son hôte. Merle Noir tomba dans le second piège. Il brisa le silence par une remarque culturelle, quelque chose à propos de l’ère précolombienne et des Indiens Sud-Américains. Barbara rebondit en évoquant ses nombreux séjours au Chili et dans la Cordillère des Andes. Merle Noir continua à jouer au joli cœur et s’emballa aux premiers rayons de lumières venus du sourire éclatant de la somptueuse Barbara Canette. Au plat de résistance, le séducteur patenté reprit le dessus sur le négociateur malheureux. Merle Noir devint Raymond, un chasseur de gazelles équipé de son seul fusil en guise de cerveau. Il parada, fit la roue, commanda des vins hors de prix, expliqua à Barbara Canette pourquoi le Chardonnay et non le Merlot.

Barbara accompagna Raymond jusqu’à sa suite. Elle l’aida à ouvrir la porte, lui serra le bras pour lui indiquer le chemin vers la salle de bains puis le laissa tomber dans la baignoire. Barbara vérifia le pouls de Raymond, dégrafa le haut de sa chemise puis lui appuya sur la carotide. Raymond sombra rapidement dans le noir absolu.

Barbara Canette, officier des services de renseignement français, termina sa présentation devant un aréopage de chefs à plumes et d’autorités officielles. Elle regarda Tiburce Dugommeau, son agent de liaison, puis déclara ouverte la session de questions.
— Ce merle n’était donc pas une grive, lança un général quatre étoiles. A ce titre, vous nous avez évité bien des problèmes.
— Et surtout vous avez épargné le contribuable, ajouta un haut fonctionnaire. Ce n’est pas rien par les temps qui courent.
— Ma question, continua le général, sera directe et simple : pourquoi l’avoir éliminé ?

Barbara sourit à l’assemblée. Elle connaissait la réponse, évidemment. Dans un esprit purement militaire, il n’y avait pas besoin d’éliminer une menace finalement qualifiée d’inexistante ou de faible. Chez les espions de haut vol, les arnaqueurs du genre de Merle Noir constituaient une espèce négligeable, très répandue et heureusement inoffensive. Enfin, pour les technocrates et les politiques, l’élimination restait une option comme une autre, tant qu’elle ne pesait pas dans le budget national. Malheureusement pour Raymond, la politesse et le respect des femmes importaient beaucoup chez Barbara. Supporter les remarques sexistes déguisées en compliments, les regards de crapaud mort d’amour et le sourire plein de dents d’un petit garçon mal élevé devenu pseudo-mâle dominant, ne faisait pas partie des qualités premières de Barbara. Pour ces mauvaises raisons et aussi à cause d’une semaine fatigante, elle avait cédé à la facilité. Raymond n’avait pas souffert, déjà fortement imbibé d’alcool, quand le sang avait arrêté d’irriguer son cerveau. Il s’en était allé rejoindre la cohorte des victimes expiatoires de la guerre souterraine, quand des nations déclarées démocratiques utilisaient l’argent des administrés pour financer des opérations clandestines et des coups de Jarnac dénués d’envergure.

Barbara Canette, la Mata-Hari de l’espionnage culturel, répondit au général, invoquant le manque de grives et la perte des valeurs occidentales, habillant son argumentaire de clichés patriotiques au son d’un orchestre symphonique et d’un solo de pipeau. Les politiques écoutèrent poliment, sans lâcher leur smartphone des yeux, les militaires pensèrent au prochain défilé du Quatorze Juillet et les espions applaudirent des deux mains. Le marché de l’art ne subit aucune secousse économique, la sphère médiatique ne chercha pas à en savoir plus et la Chine n’accusa pas la Suisse de laxisme. Le monde continua à tourner, les moineaux à se prendre pour des aigles et les artistes du Tiers-monde à sculpter des statuettes pour des touristes en quête de retour aux sources et de commerce équitable.

Posté le : 19/08/2015 20:53

Edité par Donaldo75 sur 20-08-2015 18:51:38
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Re: Défi du 15 août 2015
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Cher Iste,

Tu as su habilement manier le verbe et cette expression pour nous livrer un texte qui amène à la réflexion.
Ce professeur peut bien garder l'adjectif d'éminent, il le mérite et toi aussi.

Merci

bises

Couscous

Posté le : 21/08/2015 14:10
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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