Chose promise, chose due.
Le défi du 4 octobre, une version alternative ou quand Donald écrit à la mode Couscous.
Je sais, j'ai un peu triché. Nananère !
Le Hurlu a la berlue
« Vivent les allumoirs ! » chantaient des enfants sur la Grand-Place. Je n'y croyais pas, il fallait que ça m'arrive à moi, pour ma première fois dans cette ville du Hainaut où j'avais rendez-vous. Et voilà qu'ils dansaient autour de moi, à tue-tête. Et d'abord, qu'est-ce que c'était un allumoir ?
Je savais bien qu'il y avait anguille sous roche.
Tout ça pour Delphine. Ah, Delphine ! Rien qu'à penser à ce petit bout de femme énergique, j'en avais les larmes aux yeux. Rien ne me prédisposait à la rencontrer. J'étais tranquillement dans une galerie de Bruxelles, à promener mes grands pieds en quête d'un cadeau pour un collègue de travail. Et puis, patatras, je vois cette brune aux yeux bleus Mer du Nord, à la chevelure désordonnée, assise sur sa chaise en face d'une petite table où s'amassaient des tas de bouquins. Mais qu'est-ce qui m'avait pris d'aller voir ce qu'elle faisait là  ? La curiosité ? La bêtise ? Arielle, mon ex, me dirait, dans sa méchanceté légendaire, que c'était un peu des deux, avec une inclinaison naturelle vers la seconde. « Le monde est plein de polissons. » disait ma logeuse dès qu'elle croisait Arielle.
De quoi parlais-je, déjà  ? Alzheimer me guette, Arielle me l'avait bien dit, je deviens maboul, zinzin, je travaille du chapeau. En même temps, eh eh, Arielle est plus vieille que moi, alors elle jouera au bingo avant moi, avec ses collègues de la maison de retraite à Plouezennec sur Bozon.
Delphine, voilà  ! Je m'étais dirigé vers elle et je lui avais posé un regard ténébreux à la mode Dracula le jour d'Halloween entre deux chopines de jus de potiron.
— Qu'est-ce que vous faites là , jolie madame ?
— Je colorie des livres, monsieur le curieux.
— Et c'est un métier, ça, colorier des livres ?
— Oui et même une tradition séculaire dans mon Hainaut natal.
— Et on gagne sa vie avec ça ?
— Tout dépend du nombre de livres. Vous n'êtes pas d'ici, vous, allez.
— Non, je suis de Paris. A quoi l'avez vous deviné ?
— A vos grands pieds.
Et voilà  ! J'étais tombé dans la toile de ma tentatrice belge. Mon cœur battait la chamade. J'avais envie de lui chanter du Jacques Brel et de la prendre dans mes bras.
— Vous me permettez de m'asseoir ?
— Vous voulez m'aider à colorier ?
— Pas spécialement mais si vous insistez.
— Vous avez apporté vos crayons de couleurs ?
— Zut ! Je les ai oubliés dans mon pupitre.
— Vous ne faites pas votre âge.
— C'est trop gentil, ça.
— Vous avez une bonne tête. On ne vous l'a jamais dit ?
— Non. Je croyais qu'on gardait cette expression pour les gentils toutous.
— Pourquoi, vous n'êtes pas gentil ?
— Si. Je crois. Ma maman me le disait en me caressant la joue et après j'avais un bonbon.
— Vous donnez l'impression d'être un chic type.
— Merci.
— Que faites vous de beau à Bruxelles ?
— Je cherche un cadeau pour l'un de mes collègues.
— Il doit être important ce collègue pour venir de Paris lui acheter un cadeau.
— En fait, pas tant que ça. J'étais en voiture et je me promenais dans l'Oise et puis soudain je me suis dit : pourquoi pas pousser un peu plus loin ?
— Et vous vous êtes laissé emporter par vos rêves.
Exactement ! Delphine avait lu dans mon âme. Elle me comprenait, elle, pas comme l'autre blonde d'Arielle qui faisait toujours semblant de m'écouter en comptant ses chaussures dans son placard.
Comment n'aurais-je pas craqué pour cette adorable petite Belge, avec son accent d'un autre temps, sa robe à fleurs et ses coloriages ?
J'aurais pu rester des heures à la regarder mettre des couleurs dans des images.
— Vous avez un nom, je suppose, homme aux grands pieds ?
— Oui, que je suis impoli. Je m'appelle Donald.
— Comme c'est joli. Et vous avez trois neveux ?
— On me l'a déjà faite celle là .
— Désolée. Des fois, j'avoue, je suis facile. Ne le prenez pas mal, mon cher Donald.
— Et vous, comment vous ont prénommée vos parents ?
— Dites donc, Donald, est-ce une question à poser à une jeune fille ?
— Oui, quand on veut l'inviter à dîner.
— Je choisis le restaurant alors.
— Banco.
— Bingo.
— Loto.
— Olé.
— Eh, Donald, vous avez perdu, ça ne termine pas en 'o'.
— J'avais envie de dire ça.
— On se voit à vingt heures ?
— Parfait.
J'étais aux anges. Je m'étais levé, léger comme l'air, ivre d'amour, et tout ça tout ça comme dirait ma logeuse.
— Vous n'avez pas envie de savoir où nous allons dîner, Donald ?
— J'allais consulter une voyante pour avoir l'adresse exacte mais après mure réflexion, c'est mieux si vous me le dites maintenant. D'accord, ça tue un peu le romantisme mais nous en rirons dans quelques années, au coin du feu, dans notre maison de campagne au bord du Lac Léman.
— Je vous croyais parisien, Donald.
— Oui mais il n'y a ni lac ni campagne à Paris et les rares maisons sont squattées par des gothiques.
— Vu comme ça.
— Alors, dans quel endroit fantastique allons nous profiter de nos agapes nocturnes ?
— Vous parlez vraiment bien Donald. Je vais avoir du mal à colorier vos paroles.
— Excusez moi. Je m'emballe et quand mon cœur d’artichaut bat la chamade je deviens lyrique.
— Vous chantez aussi l'opéra italien ?
— Oui, parfois. Ma logeuse dit que ça nuit au voisinage et elle vient taper à ma porte.
— Elle est bien effrontée cette logeuse.
— Elle est blonde.
— Je comprends mieux.
— Revenons à nos boutons comme disent les adolescents. Où dois-je piloter mon carrosse pour vous rejoindre, ô colorieuse divine ?
— Je vous écris l'adresse sur un bout de papier rose. C'est dans ma province natale, le Hainaut. Il y a une belle ville appelée Mouscron et le restaurant se trouve sur la Grand-Place. Vous ne pouvez pas le rater. Sinon, rentrez l'adresse dans votre GPS.
— Mon GPS ne fonctionne pas bien.
— Comment est-ce possible ?
— Je l'ai prêté à une amie qui se perdait tout le temps. Quand elle me l'a rendu, il parlait normand.
— Ils sont fous ces Normands !
— En plus, il confondait le Nord avec le Sud, l'Est avec l'Ouest et le périphérique avec la Seine.
— C'est une explication moins poétique à votre arrivée dans Bruxelles.
— La science ne connaît pas la poésie, malheureusement.
La suite aurait du m'alerter. Le problème avec le coup de foudre, c'était qu'il ne faisait pas bon ménage avec le rationnel. Et comme aurait dit ma logeuse : « Faut pas croire, faut être sûr ! ».
— Donald, je dois vous dire quelque chose d'important.
— Vous êtes mariée ?
— Non.
— Vous trouvez que j'ai de trop grands pieds ?
— Eh eh, ça c'est plutôt bon signe si on en croit le dicton populaire.
— Lequel ?
— Donald ! Est-ce une question à poser à une jeune fille après lui avoir extorqué un rendez-vous ?
— Je suis confus. Là  ! Bon, de quoi voulez vous me parler ?
— Ce restaurant est fameux à Mouscron et fort fréquenté. Je vais réserver une table pour deux mais vous devrez vous soumettre à une tradition.
— Un bizutage ? Dois-je faire le tour de la place en vélo avec une bière dans chaque main ?
— Non. Quelque chose de beaucoup plus classieux. Ça va vous plaire. Il s'agit de vêtements.
— Allez y, je n'ai pas peur. J'ai été punk, gothique, grunge, yuppie et j'en passe des pires.
— Je vais vous donner l'adresse d'un loueur de costume près d'ici. Vous lui demanderez une tenue de Hurlu. C'est plutôt tendance à Mouscron.
— A quoi ça ressemble ?
— A du steam-punk. Vous serez à l'aise, surtout avec le chapeau.
— Topez-là ma chère. Considérez la chose faite.
— A ce soir Donald. J'ai hâte de vous revoir.
— Moi aussi.
— Je m'appelle Delphine.
— Moi c'est Donald.
— Je sais, vous me l'avez déjà dit.
— C'est l'émotion, Delphine.
— Donald !
— Delphine !
— Ça va !
Vous le croyez ça ! Je débarquais à Bruxelles, sur une bête erreur d'aiguillage liée à ce foutu GPS et hop, d'un coup, d'un seul, je me retrouvais en face de l'ineffable Delphine, la reine du coloriage, à lui servir mon boniment à la mode parisienne. Selon les statistiques, j'avais autant de chance d'en arriver là que le pape Benoît Seize de se fumer un pétard de jamaïcaine.
« Quand il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir ! » ne cessait de dire ma logeuse quand j'hésitais. Autant dire que je n'avais pas réfléchi une minute et je m'étais lancé à la recherche de ce magasin où le vendeur m'avait fourni la tenue de Hurlu. La totale ! Il m'avait fourgué les chaussures à ma taille, le chapeau, le costume et la chemise. J'avais quand même refusé le caleçon parce que le modèle kangourou était inconfortable. Je m'étais étonné à plusieurs reprises de son regard amusé et surtout de celui des autres clients mais quand j'avais demandé la raison de leur sourire ils m'avaient tous répondu que c'était dans la nature belge d'être toujours joyeux et que nous les Français on ferait bien d'en prendre de la graine.
Sur la route, au volant de ma belle voiture allemande, achetée à prix d'or pour frimer devant Arielle, je m'étais arrêté à une station-service pour remplir le réservoir. Le pompiste, encore un imbécile heureux, n'avait cessé de rigoler en me servant le diesel.
Et voilà  ! Pas de Delphine à l'horizon, juste d'affreux marmots qui me braillaient dans les oreilles leur chanson à deux balles. « Vivent les allumoirs, ma mère, vivent les allumoirs ! » chantaient ils, bientôt rejoints par des adultes habillés de toutes les couleurs.