Plume d'Or
Inscrit: 23/10/2013 18:00
Niveau : 32; EXP : 86 HP : 0 / 796 MP : 493 / 26012
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« Je ne peux pas vous voir... - Je suis invisible. Je vous l'ai dit au téléphone. - Oui, mais... je croyais... - Dites plutôt que vous n'avez pas crû... - Oh ! Je ne doutais pas de votre parole... Seulement... il n'est pas facile pour un homme de science, d'accepter, sans un doute inviolable, l'existence d'un phénomène dont l'impossibilité est évidente. - Ètes-vous maintenant convaincu ? » Je gardai le silence. Devant l'invisible, j'étais muet. Mes sens, vaincus d'avance, ma raison s'opposait furieusement à ma foi en la science. Hélas, ma pauvre raison, chargée du fardeau de tout démontrer, tout prouver, tout baser sur des lois infaillibles, capitula devant ma foi qui me fit accepter la fiction dans laquelle je me trouvais plongé. « Puis-je entrer ? - Oui. Passez. - Allez devant. Je vous suis. » Je traversai le hall d'entrée, sentant derrière moi le souffle de mon visiteur. J'allai m'asseoir à mon bureau, ne lâchant pas des yeux le fauteuil placé en face de moi. Je m'attendais franchement, à le voir se déplacer. J'avais renoncé à toute logique, vivant déjà dans une irréalité que mon imagination m'aidait à anticiper. Le fauteuil ne bougea pas. J'en fus bêtement surpris. En cet instant, hélas, où je ne m'attendais qu'à vivre une scène du roman « L'Homme Invisible » de H. G. Wells, je ne me doutais guère que la réalité qui ne m'avait jamais quitté, allait s'avérer être suprêmement plus grande, plus incroyable et plus impitoyable que la fiction. « Asseyez-vous, fis-je, n'ayant pas encore abandonné l'espoir de voir le meuble se mouvoir. - Merci. Je n'en ai nul besoin. » Dans le volume restreint de mon bureau, la voix de l'inconnu avait acquis plus de densité. Elle pesait sur moi comme un lourd édredon. Cette observation mesurable réveilla en moi ma connaissance des méthodes expérimentales et le souvenir de qui j'étais. Je recouvrai mon calme. L'homme était invisible, mais il parlait. Cette faculté allait m'être utile pour reconstituer au moyen de mots, l'image que je ne pouvais saisir. « Pour être franc avec vous, monsieur Habbel, lors de notre conversation téléphonique, j'avais peut-être trop vite conclu que votre invisibilité était d'ordre psychique. Mais, apparemment (bien que ce mot, dans le cas présent, semble mal choisi), vous êtes physiquement invisible. Cela dépasse le niveau de mes connaissances médicales, et franchit les limites du domaine des spéculations. Y aurait-il une possibilité de mettre en évidence votre présence ? Votre silhouette, dans certaines conditions, serait-elle saisissable à l'œil nu ? Par exemple, vous verrait-on..., du moins, verrait-on votre forme, au sein d'un épais brouillard ou d'un nuage de fumée ? - Non. Plus maintenant. C'est justement pour cette raison que je souffre tant. Vous allez m'aider, n'est-ce pas ? - Oui... naturellement... mais il me faut d'abord comprendre ce qui vous est arrivé... Si je m'approchais de vous... et si vous me tendiez la main... pourrais-je en sentir le contact ? - Voulez-vous en tenter l'expérience ? - Oui... Bien sûr... - Eh bien, je suis là , tout près de vous. J'ai posé ma main sur la vôtre. Sentez-vous quelque chose ? - Non. Absolument rien. Comment est-ce possible ? - Mon invisibilité n'est pas le résultat d'un phénomène optique. Je ne suis pas la victime d'une dépigmentation totale. Je ne vous suis pas invisible parce que vos yeux sont incapables de me voir. - Dans ce cas, comment êtes-vous invisible ? - Je ne sais pas. » Je me sentis d'un seul coup, enveloppé dans le silence de la pièce, par une vapeur glaciale qui me pénétra jusqu'aux os. Puis, un grondement ridicule se fit entendre. Je frissonnai. Peu à peu, le « bruit » diminua d'intensité, s'interrompant périodiquement, en accrocs insonores. Je demeurai perplexe. Était-ce l'augure d'autres plus déplaisantes surprises ? Mes mains étaient devenues moites, mes joues humides. Je compris enfin. L'Homme Invisible pleurait. Ses pleurs épouvantables étaient devenus, littéralement, touchants. En même temps que je les entendais, je pouvais les sentir sur ma peau, pesant sur ma conscience. Pour la première fois depuis le début de cette nuit fantastique, en dépit de ce qui m'avait poussé à penser le contraire, je réalisais que j'avais affaire à un être humain. Un être seul, désespéré, en proie à une mystérieuse et douloureuse affection inconnue sur terre.
Posté le : 22/04/2014 01:36
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