Administrateur
Inscrit: 14/12/2011 15:49
De Montpellier
Niveau : 63; EXP : 94 HP : 629 / 1573 MP : 3168 / 59498
|
Dessinateur
Aux nombreux talents de l'écrivain, il faut ajouter le dessin. L'artiste n'a certes pas éclipsé le poète, mais on continue néanmoins de redécouvrir le travail pictural de Victor Hugo – auquel on a consacré de nombreuses et prestigieuses expositions lors du centenaire de sa mort, en 1985, Soleil d'Encre au Petit Palais et Dessins de Victor Hugo place des Vosges dans la maison qu'il habita sous la Monarchie de Juillet ; mais aussi, plus récemment, à New York, Venise, Bruxelles, ou Madrid. En bon autodidacte, Hugo n'hésite pas à utiliser les méthodes les plus rustiques ou expérimentales : il mélange à l'encre le café noir, le charbon, la suie de cheminée, peignant du bout de l'allumette ou au moyen des barbes d'une plume. Ses œuvres sont, en général, de petite taille et il s'en sert tantôt pour illustrer ses écrits Les Travailleurs de la mer, tantôt pour les envoyer à ses amis pour le jour de l'an ou à d'autres occasions. Cet art, qu'il pratiquera toute sa vie, le divertit. Au début, ses travaux sont de facture plutôt réaliste ; mais avec l'exil et la confrontation mystique du poète avec la mer, ils acquerront une dimension presque fantastique Cette facette du talent d'Hugo n'échappera pas à ses contemporains et lui vaudra les louanges de, notamment, Charles Baudelaire : Je n'ai pas trouvé chez les exposants du Salon la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo comme le mystère dans le ciel. Je parle de ses dessins à l'encre de Chine, car il est trop évident qu'en poésie, notre poète est le roi des paysagistes. Un certain nombre des dessins de Victor Hugo ont été gravés et publiés de son vivant, en particulier Dessins de Victor Hugo en 1863, préfacé par Théophile Gautier, et en tant qu'illustrations de ses œuvres littéraires Les Travailleurs de la mer et Le Rhin.
Victor Hugo et la photographie
Pendant l'exil à Jersey, Victor Hugo s'intéresse au médium de la photographie. Il collabore avec ses fils François-Victor et surtout Charles, ainsi qu'avec Auguste Vacquerie. Hugo leur délègue la partie technique, mais c'est lui qui met en scène les prises de vues. Ils produisent d'abord des daguerréotypes, puis des photographies d'après négatifs sur papier, portraiturant essentiellement le poète ou son entourage familial et amical. Ils prennent aussi des vues de Jersey, de Marine Terrace et de quelques dessins de Hugo. Ces images environ 350 œuvres, qui avaient valeur de souvenir ou de communication médiatique, furent diffusées dans le cercle des intimes ou au-delà , rassemblées en albums, insérées dans certains exemplaires des éditions originales de l'écrivain, mais n'ont jamais connu la diffusion commerciale d'abord envisagée par Victor Hugo.
Pensée politique
À partir de 1849, Victor Hugo consacre un tiers de son œuvre à la politique, un tiers à la religion et le dernier à la philosophie humaine et sociale. La pensée de Victor Hugo est complexe et parfois déroutante. Il refuse toute condamnation des personnes et tout manichéisme, mais n'en est pas moins sévère pour la société de son temps. Au fur et à mesure, sa pensée politique va évoluer, quitter le conservatisme et se rapprocher du réformisme.
Politique intérieure
Dans sa jeunesse, Victor Hugo est proche du parti conservateur. Pendant la restauration, il soutient Charles X. En cela, il s'inscrit dans la ligne politique de Chateaubriand. Lors de la Révolution française de 1848, Victor Hugo, pair de France, prend d'abord la défense de la monarchie le président du Conseil Odilon Barrot, le charge de défendre l'idée d'une régence de la Duchesse d'Orléans. Une fois la république proclamée, Lamartine lui propose un poste de ministre Instruction publique dans le gouvernement provisoire de 1848, mais il refuse. Lors des élections d'avril 1848, bien que non-candidat, il obtient près de 55 500 voix à Paris, mais n'est pas élu. Par contre, aux élections complémentaires du 24 mai, il est élu à Paris avec près de 87 000 voix. Il siège avec la droite conservatrice. Pendant les Journées de Juin 1848, il mène des groupes de forces gouvernementales à l'assaut des barricades dans la rue Saint-Louis. Il vote la loi du 9 août 1848, qui suspend certains journaux républicains en vertu de l'état de siège. Ses fils fondent le journal l’Événement qui mène une campagne contre le président du conseil, le républicain Cavaignac, et soutiendra la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de 1848. Étant contre le principe de l'Assemblée législative unique, il ne vote pas la Constitution de 1848. Au début de la présidence de Louis Napoléon Bonaparte, il fréquente le nouveau président. En mai 1849, il est élu à l'Assemblée législative. C'est à l'été 1849, que progressivement, il se détourne de la majorité conservatrice de l'Assemblée législative dont il désapprouve la politique réactionnaire. En janvier 1850, Victor Hugo combat la loi Falloux réorganisant l'enseignement en faveur de l'Église catholique romaine ; en mai, il combat la loi qui restreint le suffrage universel et, en juillet, il intervient contre la loi Rouher qui limite la liberté de la presse. En juillet 1851, il prend position contre la loi qui propose la révision de la Constitution afin de permettre la réélection de Louis-Napoléon Bonaparte. En juin 1851, au palais de Justice de Paris, il défend son fils qui est poursuivi pour avoir publié un article contre la peine de mort dans son journal, L'Évènement. Au soir du coup d'État du 2 décembre 1851, avec une soixantaine de représentants, il rédige un appel à la résistance armée. Poursuivi, il parvient à passer en Belgique le 14 décembre. C'est le début d'un long exil. Dès lors réformiste, il souhaite changer la société. S'il justifie l'enrichissement, il dénonce violemment le système d'inégalité sociale. Il est contre les riches capitalisant leurs gains sans les réinjecter dans la production : l'élite bourgeoise ne le lui pardonnera pas. De même, il s'oppose à la violence si celle-ci s'exerce contre un pouvoir démocratique, mais il la justifie conformément d'ailleurs à la déclaration des droits de l'homme contre un pouvoir illégitime. C'est ainsi qu'en 1851, il lance un appel aux armes– Charger son fusil et se tenir prêt – qui n'est pas entendu. Il maintient cette position jusqu'en 1870. Quand éclate la guerre franco-allemande, Hugo la condamne : il s'agit pour lui d'une guerre de caprice et non de liberté. Puis, l'Empire est renversé et la guerre continue, contre la République ; le plaidoyer de Hugo en faveur de la fraternisation reste sans réponse. Alors, le 17 septembre, le patriote prend le pas sur le pacifiste : il publie cette fois un appel à la levée en masse et à la résistance. Les élections du 8 février 1871 portent au pouvoir les monarchistes partisans de la paix avec Bismarck. Le peuple de Paris, quant à lui, refuse la défaite et la Commune commence le 18 mars ; on s'arrache les Châtiments.
Commune
En accord avec lui-même, Hugo ne pouvait être Communard : « Ce que représente la Commune est immense, elle pourrait faire de grandes choses, elle n'en fait que des petites. Et des petites choses qui sont des choses odieuses, c'est lamentable. Entendons-nous, je suis un homme de révolution. J'accepte donc les grandes nécessités, à une seule condition : c'est qu'elles soient la confirmation des principes et non leur ébranlement. Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : « civilisation-révolution ». La construction d'une société égalitaire ne saurait découler que d'une recomposition de la société libérale elle-même. » Depuis Bruxelles où il était allé s'installer, il renvoie dos à dos la Commune et le gouvernement d'Adolphe Thiers. Il écrit ainsi le 9 avril 1871 : « Bref, cette Commune est aussi idiote que l’Assemblée est féroce. Des deux côtés, folie. Mais la France et la République s’en tireront. » Devant la répression qui s'abat sur les communards, le poète dit son dégoût et prend la défense des Communards : « Des bandits ont tué soixante-quatre otages. On réplique en tuant six mille prisonniers ! Victor Hugo défend ainsi la demande de grâce de Louis-Nathaniel Rossel, le seul officier supérieur rallié à la Commune où il est ministre délégué à Guerre qui sera finalement exécuté le 28 novembre. Le 22 mai 1876, Victor Hugo demande au Sénat de voter l’amnistie des Communards survivants. Victor Hugo a correspondu avec et soutenu Louise Michel, qui fut déportée en Nouvelle-Calédonie à la suite de sa participation à la Commune de Paris. Il lui dédia un poème Viro Major. Il reste de cette relation épistolaire entre 1850 et 1879 une grande partie des lettres de Louise Michel à Victor Hugo qui ont fait l'objet de publications ultérieures.
Combats sociaux
Victor Hugo a pris des positions sociales très tranchées, et très en avance sur son époque. Son chef-d'œuvre, Les Misérables est un hymne à la misère et aux plus démunis.
Question sociale
Dénonçant jusqu'à la fin la ségrégation sociale, Hugo déclare lors de la dernière réunion publique qu'il préside : « La question sociale reste. Elle est terrible, mais elle est simple, c'est la question de ceux qui ont et de ceux qui n'ont pas ! ». Il s'agissait précisément de récolter des fonds pour permettre à 126 délégués ouvriers de se rendre au premier Congrès socialiste de France, à Marseille.
Peine de mort
Hugo est un farouche abolitionniste. Dans son enfance, il a assisté à des exécutions capitales et toute sa vie, il luttera contre ce châtiment. Le Dernier Jour d'un condamné 1829 et Claude Gueux 1834, deux romans de jeunesse, soulignent à la fois la cruauté, l'injustice et l'inefficacité du châtiment suprême. Mais la littérature ne suffit pas, Hugo le sait. Chambre des Pairs, Assemblée, Sénat : Victor Hugo saisira toutes les tribunes pour défendre l'abolition comme dans son discours du 15 septembre 1848. « ... Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience ... » — Discours de Victor Hugo devant l'Assemblée constituante, 15 septembre 1848.
Victor Hugo vers 1875.États-Unis d'Europe
Victor Hugo a fréquemment défendu l'idée de la création des États-Unis d'Europe. Ainsi, dès 1849, au congrès de la paix, il lance : « Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. - Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France! » Victor Hugo conçoit une Europe axée sur le Rhin, lieu d'échanges culturels et commerciaux entre la France et Allemagne qui serait le noyau central de ces États-Unis d'Europe. Il présente une Europe des peuples par opposition à l'Europe des rois, sous forme d'une confédération d'États avec des peuples unis par le suffrage universel et l'abolition de la peine de mort. L'idée n'est pas neuve, elle fut défendue avant lui par Saint-Simon, Guizot et Auguste Comte, mais Victor Hugo en fut un de ses plus ardents défenseurs à une époque où l'histoire s'y prête peu. Considéré comme visionnaire ou fou, Victor Hugo reconnaît les obstacles qui entravent cette grande idée et précise même qu'il faudra peut-être une guerre ou une révolution pour y accéder.
Colonisation et esclavage Victor Hugo et la conquête de l'Algérie.
Victor Hugo s'est peu exprimé sur la question de la colonisation de l'Algérie, qui a constitué pourtant la principale aventure coloniale de la France de son époque. Ce silence relatif ne doit pourtant pas être trop rapidement assimilé à un acquiescement de la part de l'auteur des Misérables. En effet, si Hugo a été sensible aux discours légitimant la colonisation au nom de la civilisation, une analyse attentive de ses écrits — et de ses silences — montre qu'à propos de la question algérienne ses positions furent loin d'être dénuées d'ambiguïtés : sceptique à l'égard des vertus civilisatrices de la pacification militaire, il devait surtout voir dans l'Algérie colonisée le lieu où l'armée française s'est faite tigre, et où les résistants au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte ont été déportés. Sur la question de l'esclavage, celui qui, dans les années 1820, montrait à travers Bug-Jargal qu'il partageait dans sa vision des peuples noirs les mêmes préjugés que ses contemporains, et qui garda un silence étonnant lors de l'abolition de l'esclavage en 1848, devait intervenir pour demander la grâce de l'abolitionniste américain John Brown150. Notons que l'évocation des méfaits de son personnage Thénardier, le parvenu des Misérables n'oublie pas en fin d'ouvrage la traite des Noirs. Thénardier avec l'argent de Marius donné à titre de remerciement s'installa en Amérique où il y devint négrier.
Féminisme
En 1882, Victor Hugo accepte d'être président d'honneur de la Ligue française pour le droit des femmes, héritière de l'Association pour le droit des femmes, association féministe fondée par Léon Richer. La question de l'égalité des droits des hommes et des femmes avait été déjà traitée quelques années plus tôt dans le dernier chapitre de Quatre-Vingt-Treize.
Droit d'auteur
Victor Hugo fut tenant du droit d’auteur et de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques tout en reconnaissant l'importance de l'accès de tous au savoir : Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.
Discours
Victor Hugo a prononcé pendant sa carrière politique plusieurs grands discours ; la plupart d'entre eux sont regroupés dans Actes et paroles : Pour la Serbie, 1876, Pour une Fédération Européenne; contre le travail des enfants Chambre des pairs, 1847 ; contre la misère Discours sur la misère, 9 juillet 1849 ; sur la condition féminine aux obsèques de George Sand, 10 juin 1876 ; contre l'enseignement religieux et pour l'école laïque et gratuite Discours à propos du projet de loi sur l'enseignement, 15 janvier 1850 ; plusieurs plaidoyers contre la peine de mort Que dit la loi ? Tu ne tueras pas. Comment le dit-elle ? En tuant ! ; plusieurs discours en faveur de la paix Discours d'ouverture du Congrès de la paix, 21 août 1849 ; lettre en 1861 contre le pillage de l'ancien palais d'été par les Français et les Anglais lors de la seconde guerre de l'opium ; pour le droit de vote universel ; sur la défense du littoral ; contre l'invalidation de l'élection de Garibaldi à l'Assemblée nationale en 1871, qui fut à l'origine de sa propre démission Contre l'invalidation de Garibaldi, Discours à l'Assemblée nationale, 8 mars 1871, Grands moments d'éloquence parlementaire.
Convictions religieuses
Selon Alain Decaux, Victor Hugo, élevé par un père franc-maçon et une mère qui n'est jamais entrée dans une église, se construit une foi profonde, mais personnelle. Victor Hugo n'a jamais été baptisé, a tenté l'expérience d'un confesseur, mais finit sa vie en refusant l'oraison des églises. Il reproche à l'Église le carcan dans laquelle celle-ci enferme la foi. Alain Decaux cite, à ce sujet, cette phrase prononcée par Olympio : Les dogmes et les pratiques sont des lunettes qui font voir l’étoile aux vues courtes. Moi je vois Dieu à l’œil nu. Son anticléricalisme transparaît dans ses écrits comme Religions et religion, La fin de Satan, Dieu, Le pape, Torquemada, ainsi que dans son adhésion à des mouvements anticléricaux. Victor Hugo reste cependant profondément croyant, il croit en un Dieu souffrant et compatissant, en un Dieu force infinie créatrice de l'univers, à l'immortalité de l'âme et la réincarnation. La mort de Léopoldine provoque un regain dans sa quête de spiritualité et lui inspire les Contemplations. La quête spirituelle de Victor Hugo l'entraîne à explorer d'autres voies que le catholicisme. Il lit le Coran, s'intéresse au druidisme, critique les religions orientales et expérimente le spiritisme. Comme Balzac et malgré les nombreuses différences entre les visions du monde et de la littérature des deux plus grands hommes du temps, Hugo considère que le principe swedenborgien de correspondance unit l'esprit et la matière. Victor Hugo se trouve en exil sur l'île de Jersey lorsque son amie Delphine de Girardin, qui se sait condamnée, l'initie en 1853 aux tables tournantes. Cette pratique issue du spiritualisme anglo-saxon, vise à tenter d'entrer en communication avec les morts. Hugo, pour qui les poètes sont également des voyants, est ouvert à ce genre de phénomènes. Ces expériences sont consignées dans Le Livre des tables. Durant deux ans, ses proches et lui interrogent les tables, s'émeuvent à l'idée de la présence possible de Léopoldine et enregistrent des communications d'esprits très divers, dont Jésus, Caïn, Dante, Shakespeare ainsi que des entités telles la Mort, la Bouche d'Ombre, Le Drame ou la Critique. S'ébauche ainsi une nouvelle religion dépassant le christianisme et englobant la métempsycose. Selon le docteur Jean de Mutigny, ces séances presque quotidiennes de tables tournantes révèlent une paraphrénie fantastique qui se retrouve dans les œuvres ultérieures de Victor Hugo, notamment le poème Ce que dit la bouche d'ombre des Contemplations. Par la suite, Victor Hugo affiche ses convictions concernant la survie de l'âme en déclarant publiquement : Ceux que nous pleurons ne sont pas les absents, ce sont les invisibles. Lors de l'enterrement de l'écrivain, cette phrase est inscrite sur une couronne de fleurs portée par une délégation de la Société Scientifique du Spiritisme qui considérait que Victor Hugo en avait été un porte-parole. Mais l'expérience spirite n'a été qu'un moment dans la quête par Hugo d'une vérité et ce moment a été dépassé par d'autres recherche à la poursuite du vrai. Son testament, lapidaire, se lit comme une profession de foi : « Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l'oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu.
Hugo et ses contemporains
Estimé par certains et critiqué par d'autres, Victor Hugo reste une figure de référence de son siècle.
Temps des rivaux
Admirateur de Chateaubriand à qui il dédie plusieurs odes, il se détache peu à peu de son ancien maître qui lui reproche une littérature subversive. Il entretient des relations d'estime et d'admiration mutuelles avec Balzac un peu de méfiance, l'ego des grands créateurs y pourvoit, Nerval et Vigny et des relations d'amitié avec Dumas, son compagnon de romantisme, qui dureront, avec beaucoup de hauts et quelques bas, toute la vie. La rivalité est plus exacerbée avec Lamartine, auquel Hugo ne cesse de proclamer son admiration, mais ne lui concède plus, le succès venant, de réelle prééminence artistiqueet avec Musset qui lui reproche ses artifices et son engagement politique. Il détient en Barbey d'Aurevilly, Gustave Planche, et Sainte-Beuve à partir de 1835, des adversaires tenaces et constants, dans les frères Goncourt des lecteurs très critiques et en George Sand une commentatrice très perspicace. Mais il possède en Théophile Gautier un admirateur inconditionnel que Victor Hugo soutiendra jusqu'à sa mort. Les relations sont plus conflictuelles avec les admirateurs de la première heure, que Victor Hugo déçoit parfois par la suite et qui alternent éloges et critiques : Charles Baudelaire, Flaubert… D'autres revendiquent leur filiation avec Victor Hugo tout en empruntant des voies qui leur sont propres, se détachant même du romantisme : Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Mallarmé, Verlaine… L'étiquette d'auteur engagé que lui vaut son exil participe à sa notoriété, mais lui aliène l'estime de poètes comme Baudelaire, et provoque sa rupture avec Vigny, fidèle à l'empereur. Quand il retourne en France après l'exil, il est considéré comme le grand auteur qui a traversé le siècle et comme un défenseur de la république. Les monarchistes ne pardonnent pas facilement à celui qui a trahi son milieu et si les républicains les plus à gauche doutent de sa conversion, il devient cependant un enjeu politique, adulé par la gauche républicaine qui organise pour l'anniversaire de ses 79 ans, une grande fête populaire. Les jeunes poètes continuent de lui envoyer leurs vers – tandis que d'autres se montrent volontiers irrévérencieux. Hugo : l'Homme apocalyptique, L'Homme-Ceci-tûra-cela, Meurt, gardenational épique ; Il n'en reste qu'un – celui-là — Tristan Corbière, Un jeune qui s'en va, Les Amours jaunes 1873 Ce culte hugolien exaspère ses pairs. Paul Lafargue écrit en 1885 son pamphlet La légende de Victor Hugo et Zola s'exclame : Victor Hugo est devenu une religion en littérature, une sorte de police pour le maintien du bon ordre …. Être passé à l'état de religion nécessaire, quelle terrible fin pour le poète révolutionnaire de 1830.
Biographies et commentaires de : Jacques SEEBACHER, Pierre ALBOUY, Anne UBERSFELD, Philippe VERDIER
Roman, critique, voyages, histoire dialoguent dans l'œuvre de Victor Hugo avec le lyrisme, l'épopée, le théâtre en un ensemble dont le « poète » a souvent proposé des articulations historiques, géographiques ou idéologiques plutôt qu'une périodisation. En règle générale, l'œuvre en prose a pour fonction de recueillir les éléments les plus secrets de l'œuvre poétique, de les composer en architectures prospectives ; plus neuve et plus audacieuse ainsi, elle peut servir de préface à toute la création hugolienne. Elle se distribue pourtant en trois masses : la mort de Léopoldine, en 1843, entre l'Académie (1841) et la Chambre des pairs (1845), marque une première rupture ; vers 1866-1868, c'est le tournant proprement historique et politique. Chacune de ces masses est caractérisée par la présence de romans ou quasi-romans (Han d'Islande, Bug-Jargal, Le Dernier Jour d'un condamné, Notre-Dame de Paris, Claude Gueux, pour la première ; Les Misérables, Les Travailleurs de la mer, pour la deuxième ; L'Homme qui rit et Quatrevingt-Treize, pour la troisième), de textes mêlés d'histoire, de politique et de voyages (pour l'essentiel, respectivement : Le Rhin ; Choses vues et Paris ; Actes et Paroles et Histoire d'un crime) et enfin d'essais critiques, qui se fondent avec l'histoire militante dans la troisième période, en une vue rétrospective qu'annonçaient déjà Littérature et philosophie mêlées dans la première période et la somme du William Shakespeare dans la deuxième. La poétique de l'œuvre en prose s'inscrit donc dans un espace à quatre dimensions : le romanesque, le voyage, la politique, la réflexion critique sur le génie. À côté de l'évolution biographique et historique, c'est le William Shakespeare qui forme le centre de gravité du colosse. Poète usé par l'école de la IIIe République et la pratique des morceaux choisis, dramaturge qu'on croit mort avec le théâtre romantique en 1843 (échec des Burgraves), romancier méconnu parce que trop mesuré aux normes de Stendhal, Balzac ou Flaubert, Hugo apparaît de plus en plus dans sa singularité géniale, si l'on examine toute son œuvre à partir du fonctionnement de son intelligence critique, qui est, contre Sainte-Beuve, une réflexion sur le caractère absolu de la modernité. Jacques Seebacher
La poésie hugolienne prend sa source dans la poésie légère du XVIIIe siècle ; elle revêt, d'abord, des allures post-classiques, puis elle parcourt, illustre, promeut chacun des aspects et des moments de la poésie romantique ; elle en réalise, elle seule, le rêve le plus grand, celui d'une épopée de l'humanité. Elle résume ainsi le XIXe siècle, jusque vers 1865, date où Les Chansons des rues et des bois s'accordent à la poésie fantaisiste, joyeuse et artiste d'un Théodore de Banville ; ensuite, Hugo devient, de son vivant même, anachronique. On aurait alors la tentation de résumer le XIXe siècle poétique avant Mallarmé et Rimbaud par Hugo et par Baudelaire, comme Goethe résumait le XVIIIe siècle par Voltaire et Rousseau, en laissant entendre qu'avec Les Fleurs du mal, en 1857, un monde commence tout comme avec Les Contemplations, en 1856, un monde finit. Une telle vision serait fausse. Il y a plus de fulgurations surréalistes dans Ce que dit la bouche d'ombre (ou dans les comptes rendus des séances de spiritisme) que dans toute l'œuvre de Baudelaire. Hugo ne résume pas seulement le romantisme, il en dégage, lui aussi, la modernité par l'audace d'une écriture poétique qui assume la totalité du réel et l'abolit dans son mouvement même. C'est une voix qui donne à entendre toutes les voix, puis le silence. Ce poète est le poète de Dieu. Il a voulu non point enfermer le monde dans son livre – cela lui était facile –, mais abolir le monde par la parole qui en rend compte, tout de même que Dieu est cette fuite vertigineuse qui, à la fois, crée le monde et l'anéantit incessamment. Hugo dit le monde et, ce faisant, le creuse et le dépasse. C'est ainsi qu'il faut l'écouter et l'entendre, voix multiple, sonore, retentissante ou en sourdine, et voix même du silence. Poète de toutes les présences et poète du vide. Poésie, excessivement difficile, de l'affirmation de l'être et de sa négation. On a pris pour rhétorique redondante ce qui était perpétuelle création et abolition – parole même de la transcendance. Hugo est le grand poète de la mort. Pierre Albouy Si Hugo est un grand poète lyrique, il s'est voulu aussi un grand dramaturge dont la longue carrière se déroule de ses quatorze à ses soixante-quatorze ans. Le besoin de cesser d'être celui qui dit Je, de devenir le On de la création dramatique obsède ce génie puissant. Or, on sait que la critique n'a jamais accepté le théâtre de Hugo, qu'elle a toujours été fort réticente devant des œuvres apparemment proches du mélodrame par la technique et par le contenu. Dès le début de sa carrière le problème se pose à lui moins de faire triompher le drame romantique contre la vieille tragédie que de faire coïncider son esthétique dramatique particulière avec les exigences de la scène et du public dans la première moitié du XIXe siècle. Or cette coïncidence ne se fait pas ou se fait fort mal. Si le drame romantique est généralement mal accueilli par la critique et même par le public, s'il ne réussit pas à s'imposer, le drame de Hugo rencontre des difficultés particulières. Très éloigné des conceptions littéraires et politiques d'un Alexandre Dumas ou même d'un Casimir Delavigne, Hugo se refuse à la moindre concession ; son théâtre ne relève, malgré les apparences, ni de la confession sous le couvert de personnages dramatiques, ni de la thèse politique ou sociale, mais d'une certaine forme de tragique dépendant des rapports nouveaux entre l'individu et l'histoire. Théâtre d'intention individualiste et bourgeoise, il traduit en fait l'impuissance de l'individu à trouver son être propre, à agir sur l'histoire, à dépasser les conflits des générations en rachetant la malédiction du passé. Ce qui paraît capital à Hugo, c'est la justification de l'être maudit, du monstre humain ou social, de l'individu marginal, révolté ou exilé de l'ordre social : « Car j'ai collé mon âme à toute âme tuée », dit le poète. De là l'usage qu'il fait de l'imaginaire, et plus particulièrement de ce qu'il appelle le grotesque. Après la renonciation au théâtre joué, fantaisie et grotesque s'épanouissent sans contrainte, dès 1843, dans cet énorme matériel que sont les fragments dramatiques et dans les merveilleux textes poétiques du Théâtre en liberté. Anne Ubersfeld
Beaucoup d'inconnu et plus de malentendu encore recouvre l'image de Victor Hugo dessinateur, qui s'est servi de l'encre pour « fixer des vestiges » et des états de « rêverie presque inconsciente ». Quelque trois cent cinquante dessins illustrent sa légende d'artiste dans le musée de la place des Vosges. Ce que l'on retient surtout d'eux, c'est le tour de force de leur technique, celle d'un autodidacte qui improvisait sa matière – lavis brossés au tampon de papier, mixtures de sépia, de fusain, de marc de café, ou de café au lait, de suie – et qui dégradait ses outils, plumes faussées, allumettes brûlées. Ils continuent à faire figure de Marginalia en lisière de l'œuvre littéraire, selon le propre jugement de leur auteur (« Cela m'amuse entre deux strophes », lettre à Baudelaire, 19 avril 1860), et la réticence qui a fait dire à un de leurs premiers admirateurs, Théophile Gautier, que Victor Hugo n'a pas poussé plus loin qu'un « simple délassement » ces exercices en virtuosité parce qu'il était convaincu que « ce n'est pas trop de tout un homme pour un art ». Et encore une fois Victor Hugo se considérait comme « une bête de somme attelée au devoir », c'est-à -dire à la mission d'un mage devant qui le temps s'abrégeait (lettre à Philippe Burty, 18 avr. 1864). Cependant le cas de Hugo dessinateur-peintre, sculpteur et ébéniste, aquafortiste même, une fois, pour Juliette Drouet, aux étrennes de 1868, n'est pas assimilable à celui d'écrivains doués aussi pour les arts du dessin comme Baudelaire et Valéry, mais qui pourraient souscrire à l'aveu de Goethe : « J'ai essayé bien des choses, j'ai beaucoup dessiné, gravé sur cuivre, peint à l'huile, j'ai aussi bien souvent pétri l'argile... dans un seul art je suis devenu presque un maître : dans l'art d'écriture en allemand » (Épigrammes de Venise). L'art du dessin n'est pas une annexe de l'œuvre de Hugo écrivain, ni pure curiosité exploratrice d'un médium différent de l'écriture.Philippe Verdier
Le prosateur
L'arc oriental. Esthétique Après la préface de Cromwell (1827), qui s'enracine dans l'espace et le temps de la Genèse pour déboucher sur la modernité du drame shakespearien, Littérature et philosophie mêlées (1834) fait le premier bilan d'une période d'activité littéraire (1819-1834). Le passage du Journal... d'un jeune jacobite de 1819 au Journal... d'un révolutionnaire de 1830 commande l'anthologie soigneusement revue et corrigée de ses œuvres critiques, depuis le très ultra Conservateur littéraire jusqu'au ralliement à un libéralisme que la figure de Napoléon, prophétisée par Mahomet, relie, comme dans Les Orientales, à toutes les ambiguïtés du XIXe siècle. Le second volume explicite ainsi, de Voltaire à Mirabeau, l'ambition inquiète de prendre place parmi les génies prophétiques et maudits, en un étrange mélange de fantaisie provocatrice et d'humour prudent. La Grèce apparaît comme la plaque tournante des plus anciennes civilisations et de l'époque moderne, qu'il s'agisse de Chénier ou de Byron, de Lamartine entre Platon et Ossian, ou de Walter Scott qu'il faut « enchâsser dans Homère ». La préface avoue le « But de cette publication », en un texte qui combine l'examen de conscience et la réflexion théorique pour passer du « système » à l'« action », d'une appréhension de l'héritage des Lumières et de la Révolution à la construction d'un siècle neuf sur le principe de « la substitution des questions sociales aux questions politiques ». La thèse fondamentale réside dans le passage d'une esthétique classique (« Une idée n'a jamais qu'une forme, qui lui est propre ») à une esthétique fondée sur l'étude historique et linguistique du style (« Rien de plus consubstantiel que l'idée et l'expression de l'idée »). De là découle la nécessité globale du drame, dans sa pertinence à l'évolution des genres, à la révolution politique, aux réalités sociales d'un public qui fait l'art « populaire », bref à la rencontre exacte d'un génie et du génie de l'époque, en une dynamique critique.
L'impossible roman
C'est pourquoi le roman reste un genre « ironique et railleur », quand il n'est pas simplement lié aux circonstances de la polémique, sans parler de son utilité purement alimentaire. Cette époque se caractérise par les plus grandes hésitations à composer des romans. La rédaction de Han d'Islande (1823) n'a été achevée que pour faire vivre le poète qui venait de se marier. Notre-Dame de Paris (1831) a été écrit in extremis sous la menace de poursuites. Bug-Jargal, simple conte de 1819 pour le pari d'un dîner, prend corps en 1826 à l'occasion assez financière d'une édition de ses Œuvres complètes. Mais ce malaise du roman hugolien, qui s'associe chaque fois à une interrogation politique complexe, est à l'origine de sa vertu critique. Han caricature le roman de la quête chevaleresque en une Norvège qui hérite de toutes les perversions du roman noir anglo-saxon, Bug démarque la simplicité du roman sentimental sous la Restauration, se pare des couleurs de l'exotisme antillais, Notre-Dame bat Walter Scott sur son propre terrain. Cette rivalité caustique se retrouve à l'intérieur même de chacun de ces romans, qui devient ainsi un monstre autophage. Le résidu de cette dévoration littéraire, l'unité qui résulte de ce fourmillement archéologique et de cette fantaisie débridée, est la superposition d'un destin individuel et d'un grand mouvement de masse : le noble Ordener et les mineurs révoltés, Bug et les Noirs déchaînés, les Frollo, Quasimodo et un Gringoire inverse de Hugo devant les truands qui montent à l'assaut de la cathédrale. On a donc la figure constante d'un mythe double du génie et du peuple, combinée à une virtuosité romanesque qui repose sur « Ceci tuera cela » ( Notre-Dame de Paris, V, 2) : l'imprimerie tuera l'architecture, l'écriture romanesque démontera la fantaisie, la gratuité et la féminité du genre, l'exercice de la prose va dire la véritable poésie. À ce degré de réduction, Le Dernier Jour d'un condamné (1829) et Claude Gueux (1834), œuvres à peine romanesques du combat contre l'homicide légal, textes de la prison des lois, des corps et de l'âme, procurent la plus extrême tension de l'écriture, le monologue intérieur, l'origine de Dostoïevski et de Camus, le lent tournoiement d'obsessions justiciables de la psychanalyse. Critique puis autocritique, le roman n'attend plus que la marée lyrique, épique et contemplative pour devenir Les Misérables, par effacement de ce qui restait d'oriental dans le Paris du XVe siècle, de « mosquée » dans la cathédrale, de théologie dogmatique dans l'œuvre.
L'œil écrit
L'expérience personnelle qui alimente et informe cette évolution est certainement le voyage, dans les souvenirs qu'il laisse et que, de plus en plus, fixe la pratique épistolaire. Les souvenirs de Bayonne et de Madrid (1811-1812) avec le premier émoi amoureux, de Dreux (1821) dans l'espoir d'obtenir la femme de sa vie, de Reims (1825) pour le sacre de Charles X, de Chamonix (1825) avec Nodier en passant chez Lamartine, de la route de Brest (1834) à la poursuite de Juliette Drouet, avec retour par la Loire, de Champagne, Normandie, Bretagne et Belgique chaque année de 1835 à 1838 en compagnie de sa maîtresse attitrée désormais, marquent moins les vacances de la passion que la détermination progressive d'un espace intérieur de la vision à partir du regard des « choses vues » qui abolit, dans la netteté même du trait pittoresque, les risques de l'anecdote faussement réaliste à quoi l'archéologue, l'historien, le dessinateur, le père de famille, le poète intimiste n'eussent été que trop enclins. C'est à Montreuil-sur-Mer, lieu futur des Misérables, qu'il fixe, sur un fond inexplicable de tristesse, le 4 septembre 1837, six ans avant la mort de sa fille, et en songeant à elle, le principe de l'échelle des êtres et l'espace que forme en se dissolvant au rythme de la mer l'universelle analogie. S'installe alors une géographie du rêve et de l'action où les voyages vers l'est, en 1839 et 1840, recomposés pour Le Rhin (1842), viennent inscrire une politique européenne, dans le mythe d'un Empire où Charlemagne et Napoléon se tiennent à égale distance du despotisme oriental et du mercantilisme occidental. Ce qui germe donc, dans ces lettres, nées du choc entre le saisissement des choses et la discursivité des guides pour touriste, c'est une figure du destin : géographie et histoire se bloquent mutuellement, le voyage est exil, l'impossible épopée va faire naître les voix du silence. En 1843, le voyage aux Pyrénées, retour à l'enfance, produit les textes les plus aigus de notre littérature descriptive, la métaphysique de la négativité et du renversement y devient comme naturelle dans sa plénitude. Léopoldine se noie. L'écrivain se tait. Les occupations politiques et mondaines, le flamboiement de l'amour charnel aussitôt interdit que trouvé (constat d'adultère de juillet 1845) masquent désormais, pour dix ans, le lent travail de ressourcement d'une carrière finie l'année même où la pairie la consacre. C'est en 1845 qu'un Hugo misérable commence à écrire ce qui ne pourra devenir Les Misérables qu'au travers de l'exil. Babel est définitivement renversée.
L'arc occidental
L'âme. Entrepris peut-être sans projet bien défini, à une époque de difficultés financières que le roman pourrait bien une fois de plus pallier, Les Misérables sont abandonnés en février 1848, moins sans doute à cause de la révolution que parce qu'ils sont au bord de l'indicible, au point précis de l'aveu de l'inceste. Les discours de l'orateur politique ne culminent peut-être avec le discours sur la misère (9 juillet 1849), qui date le ralliement du conservateur à la gauche quasi républicaine, qu'en fonction d'un creusement de la misère personnelle à quoi l'exil politique devient indispensable. Quand la rage s'est vidée dans les Châtiments et dans Napoléon le Petit, l'histoire peut se faire intérieure et exemplaire avec Les Contemplations. De Bruxelles à Jersey, de Jersey à Guernesey, elle devient histoire universelle par La Légende des siècles et se transcende même en une immanence hors des temps (Dieu et La Fin de Satan) qui fait que tout l'Océan est toute l'âme. Sur son roc anglo-normand, Hugo contemple l'être : il peut reprendre Les Misérables, mais il lui faut se relire, constituer un corps de Philosophie (ou « préface philosophique » des Misérables). Cet essai restera inachevé parce que, le roman une fois publié, c'est William Shakespeare (1864) qui administre toutes les preuves de Dieu, de l'âme et de la responsabilité au seul niveau qui importe à Hugo et à ses lecteurs, celui de la littérature, c'est-à -dire de l'histoire, du génie, de l'action.
Forme du génie
La théorie de base, plus ou moins dissimulée pour des raisons d'opportunité politique, réside dans la fonction spontanément civilisatrice, voire révolutionnaire, du beau, parce qu'il n'y a pas d'autre fond à l'œuvre d'art que sa forme même. Puisque Les Contemplations ont repris en « Mémoires d'une âme » ce que Littérature et philosophie mêlées présentait en examen de conscience, le livre majeur de critique peut bien développer, comme d'outre-tombe, une théorie transcendante de la langue universelle du génie. Les « hommes océans » habitent la « région des Égaux ». Au-delà d'une certaine limite, la nature de l'art interdit toute comparaison. Le mouvement de l'histoire aligne cette galerie de portraits selon l'axe qui passe par Eschyle et Shakespeare, et que la révolution continue : le blocage de tous les éléments de la prose est ici parfait dans le mythe qui fait de l'œuvre d'art le modèle privilégié de toute existence historique et spirituelle, jusqu'à l'intériorisation du drame par un système de double action en reflet réciproque, par un jeu de miroirs qui ouvre sur l'ubiquité, sur l'immensité de la création. D'où le rapport entre « les esprits et les masses », « le beau, serviteur du vrai » et, pour finir, « la nature révolutionnaire » du XIXe siècle, qui est « de se passer d'ancêtres ». De même qu'on est passé de l'Inde et de la Grèce à l'Angleterre industrielle autant qu'océanique, en une sorte de tradition géographique, de même l'héritage historique fonde le droit du siècle à son indépendance, son devoir d'élaborer une théorie critique inséparable du progrès des masses et de la révolution : idéologie visionnaire d'un bourgeois républicain qui embrasse à la fois Jésus-Christ et le drapeau rouge, le William Shakespeare circonscrit le lieu poétique où naîtront les efforts les plus scientifiques de la recherche moderne. Cent ans d'historicisme n'ont pu empêcher « que l'histoire soit à refaire », à la frontière du paysage intérieur et des échappées sur la nature sociale.
Tempêtes
Les Misérables 1862 répondaient à cette dynamique. Analogue jusque dans sa composition aux Contemplations, le roman vaut par la manière dont toute une série de « digressions » déterminent, au contact de la destinée du forçat Jean Valjean qui subit les épreuves successives de sa régénération, les conditions critiques du siècle romantique. La réalité, le réalisme poétique, le résidu de tous les sentimentalismes et du roman-feuilleton, le paternalisme, la morale, tout est employé pour être nié par un fonctionnement original de l'ironie, qu'on aperçoit rarement et qui éclate dans les dialogues. De la catastrophe de Waterloo à l'écrasement de l'insurrection de 1832, le roman dit la négativité du siècle. De la mort de Fantine au mariage de Cosette, tendrement et cruellement placé au jour de naissance de l'amour pour Juliette Drouet (16 févr. 1833), Les Misérables crient l'insuffisance de l'amour. Et les différents personnages dans lesquels le romancier s'est peint, Marius en tête, sont menacés d'embourgeoisement stupide quand ils ne consentent pas à mourir pour l'avenir. Le gamin Gavroche, sur la barricade, meurt peut-être en transmettant la chanson du progrès, Voltaire et Rousseau, et tous les socialismes, de même que les flambeaux de l'évêque symbolisent la transmission de la charité. Tout s'évanouit, la tombe du martyr se recouvre d'herbe. Seul le poète y inscrit, au crayon, sa trace. C'est ailleurs, dans l'immensité de l'utopie, dans la réduction forcenée de la fatalité sociale à la fatalité de la nature, en plein océan, qu'il faut achever tout ce que l'œuvre poétique préparait dans le thème des marins perdus. De tous les romans de Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer (1866) sont sans doute le plus poétique et le plus achevé. Réfection avouée de Notre-Dame de Paris, autobiographie mythique à peine dissimulée, le roman s'étend en préparations sur le jeu des deux abîmes, celui de la mer, celui du cœur, jusqu'à la précipitation de l'intrigue dans le sacrifice suprême, qui est à la fois suicide de Gilliatt et réintégration du héros, de l'auteur et de l'œuvre elle-même dans l'espace infini de la création. L'érotisme, la mort, le travail, la nature même ont été arrachés à leurs déterminations particulières pour se fondre en une sorte de surnature plus expérimentale que métaphysique. Le roman sécrète alors comme un prologue géographique et historique sur L'Archipel de la Manche, où l'« antiquaire » dénote en fait l'ensemble du livre comme un poème de l'utopie : le pessimisme de la dégradation des rochers, des mœurs et des hommes, l'entropie de la nature et de l'histoire se renversent en espoir spirituel. C'est l'aboutissement de toutes les « choses vues « : la multiplication des détails, l'incision du dessin font paradoxalement se dissoudre les barrières.
Conquêtes
De Guernesey ou de Serk, par la Belgique, le Luxembourg et la Rhénanie, les voyages, qui lui font rencontrer de plus en plus d'opposants au régime impérial, décrivent comme la limite de l'exil. De l'Angleterre à la Suisse, l'espace occidental de la démocratie guette Paris, cœur de la France, capitale des futurs États-Unis d'Europe, puisque l'esclavage et la sécession ont éclipsé les espoirs d'outre-Atlantique. Nous sommes, en 1867, au point où toutes les traditions, à partir d'une autobiographie enfin assumée, convergent vers la mission révolutionnaire de Paris (Introduction pour un guide de l'Exposition universelle) : l'avenir oriente le passé, le siècle romantique, commencé dans l'interrogation sur toutes les légitimités et tous les conflits, proclame, à la veille de la guerre, la suprématie de la paix à conquérir. La purgation des forces profondes s'est achevée dans la dilatation de l'espace poétique. Les fatalités sont mortes : l'histoire devient possible, l'écriture est action.
L'axe historique
Écrits; De part et d'autre de la convulsion politique et sociale (la guerre de 1870 et la Commune), Hugo s'engage. Pour la paix, pour la démocratie, pour l'amnistie aux communards, pour une république fondée sur la mystique de l'instruction gratuite, laïque et obligatoire, trouvant dans une sorte de radicalisme la synthèse pratique de son paternalisme populaire et de son anarchisme bourgeois. Patriarche, sorte de Noé vénéré et vilipendé, sénateur de la République comme Sainte-Beuve l'avait été de l'Empire, il est la figure même de l'histoire. La publication de l'Histoire d'un crime contre les tentatives de coup d'État de Mac-Mahon (1877) peut symboliser l'indissolubilité de l'engagement littéraire et politique et le passage de l'exil au combat. La perfection narrative de ce livre écrit au lendemain du coup d'État de 1851 provient d'une double urgence : celle du vaincu qui plaçait sa rage dans le collage objectif des témoignages documentaires, celle du chef spirituel du parti démocratique qui sent à portée de sa main la victoire décisive sur la droite et les possibilités à gauche de ne pas être débordé par la foule. L'impassibilité de cette prose combine la perpétuelle présence du scripteur et son incessant effacement. Le combattant qui se justifie disparaît au profit d'une histoire qui n'est plus fatalité du passé, mais nécessité de l'action. Le juste retour des choses transforme la hantise de l'éternel retour en un texte, proposé aux masses, mais qui, comme les masses, doit d'abord se lire lui-même : le drame de l'histoire s'effectue en conscience critique et autocritique.
Réduction du surréel
Le cheminement romanesque obéit, au fil de cette période, à un schéma analogue. De L'homme qui rit (1869), roman baroque aux prodigieuses inventions apocalyptiques, à Quatrevingt-Treize (1874), où le rêve ne déborde plus de la réalité qu'il interprète, on est passé de l'aristocratie à la république, de l'exil militant au désengagement apparent, du symbolisme initiatique à l'histoire lue comme texte, écrite comme procès et progrès, de tous les héritages à la mort de la paternité, de l'empire maritime de Grande-Bretagne au dialogue français de Paris et de la « Vendée », des exploitations spiritualistes à l'urgence de la démocratie. Le roman intermédiaire qui avait été prévu, sur la monarchie française au XVIIIe siècle, n'a pas été écrit, peut-être parce que la « substitution des questions sociales aux questions politiques » s'est enfin comprise elle-même, parce que la souveraineté du moi s'est fondée dans une pratique de la disparition, parce que le XVIIIe siècle n'exerce plus sa fascination. Tout prend désormais figure pour l'aventure du XXe siècle, et c'est à la veille de l'attaque qui va mettre fin à sa carrière d'écrivain, en 1878, que Hugo célèbre en Voltaire un autre lui-même, qui meurt immortel, dans « la transparence [...] propre aux révolutions » – propre aussi à ce génie de la prose vers quoi tendait toute son œuvre poétique. Actes et Paroles marque peut-être, sous le plaidoyer personnel, la disparition du personnage encombrant l'horizon, du mythe politique, littéraire, social, de l'impérialisme hugolien, au bénéfice de cette « prose du monde » qui ouvre le champ de toute la modernité.Jacques Seebacher
Le poète
« Toute la lyre » En 1888, Paul Meurice intitulait deux volumes de poèmes posthumes de Hugo Toute la lyre. C'est sous ce titre qu'on peut traiter des débuts de Victor Hugo et de la première partie de sa carrière. Arraché aux Feuillantines et à sa mère par ordre paternel (ses parents sont séparés), Victor s'ennuie à la pension Cordier et, de 1815 à 1818, y remplit de vers trois cahiers. Beaucoup de pièces dans le goût de L'Almanach des Muses, des charades, des énigmes, des épigrammes, des fables. Des traductions du latin, aussi, de Virgile en particulier. En 1816, Victor Marie, en même temps que son frère Eugène, son rival en poésie, écrit une épopée en trois chants, Le Déluge, dont le merveilleux chrétien avoue l'influence du Génie du christianisme. Elle se mêle aux leçons de Virgile et s'accommode de la domination de Voltaire : comme sa mère, Victor est « royaliste voltairien », et, après que « Le Bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie », son premier poème publié, lui a valu, en 1817, l'« encouragement » de l'Académie française, les poèmes académiques et satiriques de 1819 font de cette année celle du « royalisme voltairien ». Le chef-d'œuvre en est assurément le poème du Télégraphe, qui raille les libéraux et les ministériels, avec une verve, un esprit, une bonne humeur qui font songer à Voltaire plus qu'à Joseph de Maistre. Mais déjà se multiplient les odes vengeresses où la lamentation sur l'hydre de l'anarchie se mêle à la prophétie du malheur. Rappelons encore qu'en plus de la poésie lyrique, de l'épopée et de la satire l'adolescent s'est exercé au théâtre et au roman, et, à lui seul, ou presque, assure, quinze mois durant, la rédaction d'une revue, Le Conservateur littéraire. Toute la lyre en vérité ! Le 8 juin 1822 paraît en librairie le premier livre de Victor Hugo, sous le titre d'Odes et poésies diverses. Le recueil ira s'enrichissant et se diversifiant jusqu'à l'édition dernière de 1828. Qu'il déplore la mort du duc de Berry ou célèbre le sacre de Charles X, Victor Hugo est le poète du royalisme ultra. Mais, du début à la fin, il mêle à ses odes politiques les odes « rêveuses » où il dit ses souffrances de fiancé séparé, sa joie et sa fierté d'époux qui se juge comblé. La poésie royaliste l'entraîne, en outre, à prendre l'attitude du prophète jetant l'anathème sur son temps ; en appelant du tribunal des hommes à celui de Dieu, il cultive le genre de la vision comme dans l'ode qui porte ce titre et qui, dans un décor miltonien, fait condamner par Jéhovah le siècle coupable de Voltaire et de Robespierre. Genre, attitude que Hugo pratique avec une sincérité plus entière dans les odes écrites en 1823 : alors, à l'influence de Chateaubriand succède celle de Lamennais ; on devine une première « crise mystique », qui l'autorise à s'écrier dans Action de grâces : « Mon esprit de Patmos connut le saint délire. » Les prophètes et l'Apocalypse au service d'une cause politique, c'est déjà , dans un parti opposé, le prélude aux Châtiments, cependant que l'inspiration cosmique et visionnaire, çà et là , à travers la forme vieillie, annonce Les Contemplations. En 1826, aux Odes s'ajoutent des Ballades : Moyen Âge, « mythologie » à la Nodier, avec des sylphes et des lutins, acrobaties rythmiques et verbales, c'est le temps de la fantaisie. Au début de 1829, Les Orientales achèvent de faire de Hugo le maître des deux domaines romantiques, l'Orient et le Moyen Âge, de la poésie pittoresque et de l'« école de l'art ». Le recueil, cependant, est plus mystérieux qu'on ne croirait : livre souvent nocturne que la lune éclaire davantage que le soleil, livre voluptueux et cruel... À vingt-sept ans, Hugo a parcouru tout l'espace poétique, essayé toutes ses voix.
Lire la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... t_id=11039#forumpost11039
Posté le : 21/05/2016 17:53
|