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De Montpellier
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LE MARIAGE DE FIGARO ,
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Le Mariage de Figaro , comédie en cinq actes, créée à la Comédie-Française le 27 avril 1784, est sans aucun doute le grand succès théâtral du XVIIIe siècle (73 représentations au cours de la seule saison 1784-1785). C'est aussi l'œuvre dramatique la plus profondément novatrice entre la période classique et l'aube du XXe siècle. De 1781 à 1784, Beaumarchais (1732-1799) dut se débattre dans des difficultés sans nombre pour la faire représenter. Pour contourner les censures successives, il mena avec succès une campagne de lectures dans les salons de la grande noblesse dont il obtint l'appui. Louis XVI avait déclaré de façon péremptoire : « C'est détestable ; cela ne sera jamais joué. Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. » Il céda pourtant, et ce recul du pouvoir fut sans doute la première raison du succès public de la pièce.
Un entrelacement d'intrigues
Le Mariage de Figaro compose, avec Le Barbier de Séville (1775) et La Mère coupable (1792), une trilogie dont il constitue l'épisode médian. Son sujet est esquissé dans la « Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville » que Beaumarchais rédigea en 1775. Le début de la pièce nous transporte au château d'Aguas Frescas où nous retrouvons les héros du Barbier de Séville : Rosine, devenue comtesse Almaviva, et son époux, le comte, ainsi que Figaro, valet de chambre et concierge du château, qui se prépare à épouser le soir même Suzanne, la camériste de la comtesse. Alors que Le Barbier de Séville développe une intrigue simple mais traversée de péripéties très complexes, Le Mariage de Figaro entrelace plusieurs intrigues dont le croisement détermine les péripéties. D'une longueur exceptionnelle, la comédie compte seize personnages actifs. Le premier fil du tissu est celui des projets de mariage de Figaro et de Suzanne, entravés par une succession d'obstacles. Le second fil dessine un motif galant : le comte se détourne de son épouse et tente de séduire Suzanne ou d'acheter ses faveurs ; c'est à ce prix qu'il autorisera son mariage. Le troisième trace le roman familial de Figaro : Marceline veut épouser Figaro qui a contracté une dette à son égard ; mais on découvre qu'elle est sa mère et que Bartholo, le barbon, tuteur de Rosine dans le Barbier, est son père. Une quatrième intrigue vient perturber toutes les autres. Elle a pour héros le jeune Chérubin, amoureux de toutes les femmes de la maison, dont les entreprises de séduction viennent déranger les projets de tous les protagonistes. À l'intérieur de chacun des cinq actes, les scènes s'organisent en séquences. L'exposition a pour cadre la chambre encore démeublée promise au couple des domestiques. On y apprend le projet de mariage imminent de Suzanne et de Figaro, les deux premiers obstacles qu'il rencontre, le dessein libertin du comte et le projet conjugal de Marceline. L'apparition de Chérubin, puis de Bazile et du comte, constitue une première péripétie et marque le début du nœud. La contre-attaque de Figaro (acte II) déclenche le retour intempestif du comte qui vient faire irruption dans la chambre de la comtesse, et perturbe une scène ambiguë où la comtesse et Suzanne font essayer un costume de Suzanne à Chérubin : leur intention est de prendre le comte en flagrant délit d'infidélité, à la faveur de ce travestissement. Le troisième acte se déroule dans la salle d'apparat du château. On y assiste à l'affrontement de Figaro et du comte qui tente de percer à jour les projets de son valet. Pris au piège d'un procès, Figaro n'échappe au mariage avec Marceline que par la soudaine révélation, au cours d'une scène de « reconnaissance », des liens de filiation qui l'unissent à elle. Le quatrième acte, dans une galerie du château, est surtout consacré au piège monté par la comtesse et Suzanne à l'insu de Figaro pour attraper le séducteur. Mais Figaro en découvre partiellement l'existence, sans en comprendre le sens. D'où la fureur jalouse qui l'anime au dernier acte : « Ô Femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de tromper ? » (V, 3). Celui-ci a pour cadre la « salle de marronniers » du parc. Il fait se succéder des moments de tension extrême, entrecoupés par un immense monologue de Figaro, et le soulagement qui naît de la confusion de « l'époux suborneur », avec la fantaisie comique qui caractérise la fête finale.
Beaumarchais, inventeur de la comédie moderne
Le succès premier du Mariage de Figaro, dans le milieu de la grande noblesse du royaume, reposait sur un paradoxe dont certains contemporains s'étaient avisés. La baronne d'Oberkirch écrit ainsi : « Le Mariage de Figaro est peut-être la chose la plus spirituelle qu'on ait écrite, sans en excepter peut-être les œuvres de Monsieur de Voltaire [...] Je rentrai chez moi en sortant de la comédie, le cœur serré de ce que je venais de voir et furieuse de m'être amusée. » Emportée par le tempo rapide de cette conversation à la mode dans les milieux des élites sociales de l'Ancien Régime, la comédie de Beaumarchais décoche une volée de traits brillants contre les abus qui caractérisent cette société. Elle se fait l'écho de toutes les insolences satiriques de l'époque et leur donne cette forme acérée qui emporte l'adhésion complice des spectateurs : la censure, la justice, les préjugés de la naissance, les privilèges de la noblesse, les mœurs libertines des « mâles », les relations de service, marquées par leur origine féodale et désormais insupportables, sont des cibles désignées pour un rire qui n'exclut pas la révolte. La fable elle-même, parce qu'elle raconte la rivalité d'un aristocrate et d'un plébéien qui parvient à ses fins, confirme une leçon politique et morale dans l'esprit des Lumières. La virtuosité du jeu sur l'espace et le temps est d'autant plus sensible qu'ils sont « réalistes » dans leur détermination. Beaumarchais ne cesse de jouer sur des gageures : comment se cacher dans une chambre démeublée (au premier acte), comment escamoter cinq personnages dans un jardin, comment résoudre le mystère, déjà policier, qui s'offre au comte devant un cabinet fermé à clé, dans une chambre non moins fermée, qui devait bien receler un amant, mais qui est vide lorsqu'il y revient. Le théâtre du XIXe siècle tout entier s'en inspirera. Beaumarchais introduit dans la comédie la tonalité « sensible » qui caractérisait ses deux drames (Eugénie, 1767, et Les Deux Amis, 1770) et dote ses « héros » d'une épaisseur romanesque soulignée par la temporalité spécifique de la trilogie. La comtesse, jeune femme délaissée par son époux, est l'âme poétique d'un gynécée où s'organise une sorte de résistance morale (Mozart et son librettiste Da Ponte se montreront très sensibles à cette dimension dans Les Noces de Figaro, opéra-comique représenté en 1786). Figaro, dont les entreprises ne parviennent qu'à embrouiller l'intrigue, ne parvient à ses fins que par la rencontre du hasard et des projets de Suzanne et de la comtesse. Nouveau héros bourgeois, le « bâtard conquérant » des romans suscite une interrogation profonde sur le sujet, sur l'identité d'un plébéien en même temps que sur la parole théâtrale, sur le « je » qui advient au théâtre. Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais invente les structures profondes de la comédie moderne, lisibles chez Labiche ou chez Feydeau comme dans le cinéma de René Clair ou de Renoir, et du drame romantique : l'hommage rendu par Hugo à Beaumarchais en qui il voit, aux côtés de Corneille et de Molière, l'un des trois fondateurs de la scène française, a valeur emblématique. Si le lien du Mariage de Figaro à la Révolution française a été longtemps surévalué, sa portée idéologique et poétique en fait une œuvre majeure de la littérature française. Pierre Frantz
LE BARBIER DE SÉVILLE ,
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile fut créé à la Comédie-Française le 23 février 1775 dans une version en cinq actes et connut un échec retentissant. Mais Beaumarchais (1732-1799) sut revoir rapidement sa pièce pour la resserrer en quatre actes. Ce fut alors un triomphe mémorable, et le premier grand succès au théâtre de l'auteur. Le parfum de scandale qui flottait autour de Beaumarchais à la suite de diverses affaires et son goût immodéré pour les allusions piquantes donnèrent des armes à la censure qui tarda à autoriser la première représentation. La pièce est publiée avec une Préface, un morceau de bravoure, insolent, vif et drôle, la Lettre modérée sur la chute et la critique du « Barbier de Séville », où Beaumarchais dessine également les contours de son projet littéraire. Le Barbier de Séville frappe par son originalité : c'est une comédie qui, sur un canevas très classique, voire banal, brode des incidents, un suspense et une poésie comiques d'une radicale nouveauté.
L'imbroglio
Le Barbier de Séville constitue le premier épisode d'une trilogie dramatique qui comprendra ensuite Le Mariage de Figaro (1784) et La Mère coupable (1792). Ses protagonistes reviennent dans ces deux pièces (auxquelles il faudrait adjoindre, en toute rigueur, le Compliment de clôture), fictivement séparées dans le temps par quelques années. « Un vieillard amoureux prétend épouser demain sa pupille ; un jeune amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme, à la barbe et dans la maison du tuteur. Voilà le fond... », tel que le résume Beaumarchais. Rien de plus simple en apparence que cette intrigue. Voyons sa mise en œuvre. Nous sommes dans une rue de Séville, à l'aube. Un jeune homme fait le guet sous le balcon de la jolie Rosine dont il espère être remarqué. C'est le comte Almaviva qui est tombé amoureux de la jeune fille sans lui avoir jamais parlé, et qui a quitté Madrid pour la suivre. Apparaît un personnage au costume pittoresque, Figaro, ancienne connaissance du comte et présentement « barbier de Séville », qui officie précisément chez le docteur Bartholo, tuteur de Rosine. Il apprend au comte que le vieillard s'apprête à épouser sa pupille – le soir même, on le saura plus tard –, mais se fait fort d'aider le galant à s'introduire dans la place. De sa fenêtre, Rosine laisse échapper un papier, une chanson au titre symbolique, La Précaution inutile, au grand dam de Bartholo. Elle y demande au jeune homme de se faire connaître en chantant une romance. Il se présente sous le nom de Lindor, bachelier de son état. Dans les actes suivants, qui se déroulent à l'intérieur de la maison du docteur, nous assistons aux tentatives successives du comte, déguisé en soldat, puis en bachelier maître de musique, pour tromper la surveillance du barbon et entrer en contact avec Rosine – manœuvres facilitées par Figaro mais intelligemment contrées par Bartholo et son allié don Bazile, le maître de musique de la jeune fille. Au fil des scènes, Beaumarchais emmêle les fils de l'intrigue en un imbroglio d'une éblouissante virtuosité, qui atteint son sommet avec la « scène de la stupéfaction » : le comte affirme être envoyé par don Bazile, malade, pour donner une leçon de musique à Rosine ; il a convaincu Bartholo qu'il était dans son camp grâce à un stratagème complexe et compromettant (il lui a remis une lettre de Rosine) mais doit en informer Rosine de toute urgence. Les amoureux jouissent à peine d'un instant d'entretien, ménagé par Figaro, lorsque arrive inopinément don Bazile. Stupéfaction générale. Tension extrême. Chacun a intérêt, ou croit avoir intérêt, à éviter une explication générale. Le comte, sans aucun doute le plus directement menacé d'une révélation, manœuvre de telle façon qu'il réussit à pousser Bartholo contre Bazile, finalement renvoyé dans son lit : « LE COMTE.– Allez vous coucher, mon cher Bazile : vous n'êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher./ FIGARO.– Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher./ BARTHOLO.– D'honneur, il sent la fièvre d'une lieue. Allez vous coucher./ ROSINE.– Pourquoi êtes-vous donc sorti ! On dit que cela se gagne. Allez vous coucher./ BAZILE, au dernier étonnement.– Que j'aille me coucher !/ TOUS LES ACTEURS ENSEMBLE.– Eh ! sans doute./ BAZILE, les regardant tous.– En effet, Messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer ; je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire. » Au dernier acte, Rosine, trompée par son tuteur, lui avoue que son amant doit venir la rejoindre en passant par la jalousie dont Figaro a dérobé la clef. Le temps que Bartholo file chercher main forte, Almaviva pénètre dans la maison, s'explique avec la jeune fille, révèle son identité et l'épouse devant le notaire qui devait la marier à son tuteur.
La poésie comique
Avant que Le Mariage de Figaro ne vienne fonder un théâtre radicalement nouveau, Beaumarchais transforme profondément la comédie en lui donnant une étonnante poésie. « L'embrouille », on l'a vu, provoque sur le spectateur un effet d'éblouissement obtenu non seulement par le mélange de complexité et de lisibilité, mais encore par l'utilisation simultanée ou par la succession en accéléré des procédés de l'intrigue comique traditionnelle. À tout instant, la complexité des situations donne aux répliques une multiplicité de significations : le spectateur les entend ainsi dans un « feuilletage » étonnant, car il sait immédiatement et ce que chacun des personnages peut comprendre, et ce que le personnage qui parle veut dire ; il mesure les risques, la provocation, la part d'implicite et les présupposés de chaque mot. L'art de la scène n'est pas moins admirable dans les scènes de chansons qui donnent à chaque personnage sa couleur poétique et campent son caractère, offrant au comédien des possibilités de jeu extrêmement riches. La sécheresse du canevas ou de la comédie d'intrigue n'entraîne pas, comme à l'habitude, le schématisme de personnages. Almaviva est bien plus que l'amoureux de la commedia dell'arte ou du théâtre forain. C'est un jeune noble impérieux, plein d'énergie et de flamme, et qui veut être aimé pour lui-même. C'est aussi un joueur virtuose, un comédien farceur. Plus qu'une amoureuse, Rosine est une jeune fille hardie, éprise de liberté, révoltée par le sort qu'on lui prépare. Quant à Bartholo, « beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furète et gronde et geint tout à la fois », c'est un barbon à l'intelligence toujours en éveil, et non un monstre fascinant comme l'Arnolphe de L'École des femmes. Sa lucidité fait son malheur, et son malheur lui donne in extremis une dignité qu'on ne rencontre guère dans ce type comique. Figaro et don Bazile sont dessinés avec une sûreté de trait qui a fait d'eux, immédiatement, des types : le premier vif et ironique, à l'image de la langue qu'il emploie, le second, comme nous le dépeint Beaumarchais, « chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau ». Relève enfin de cette poésie comique nouvelle un sens du mot brillant, qui frappe et ne se laisse pas oublier, comme cette réplique adressée par Figaro au comte et qui condense si bien l'insolence du personnage, celle de l'auteur et la portée sociale de la pièce : « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? » C'est ce sens de la formule que le théâtre de boulevard des XIXe et XXe siècles s'échinera si laborieusement à reproduire comme une recette destinée à entraîner le spectateur dans une complicité faite de distinction sociale. La complicité sollicitée par Beaumarchais est, au contraire de tout conformisme, celle de la fronde et de la jeunesse. Cette relation est le secret d'un théâtre que rien ne peut démoder. En 1816, Gioacchino Rossini a donné une étincelante version pour l'opéra du Barbier de Séville. Pierre Frantz
Posté le : 23/01/2016 23:02
Edité par Loriane sur 24-01-2016 17:42:19 Edité par Loriane sur 24-01-2016 17:44:02
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