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Vassily Kandinsky
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Le 13 décembre 1944 meurt Vassily Kandinsky

en russe : Василий Васильевич Кандинский, Vassili Vassilievitch Kandinski, à Neuilly sur Considéré comme l’un des artistes les plus importants du XXe siècle aux côtés notamment de Picasso et de Matisse, il est un des fondateurs de l'art abstrait : il est généralement considéré comme étant l’auteur de la première œuvre non figurative de l’histoire de l’art moderne, une aquarelle de 1910 qui sera dite abstraite. Certains historiens ou critiques d'art ont soupçonné Kandinsky d'avoir antidaté cette aquarelle pour s'assurer la paternité de l'abstraction au motif qu'elle ressemble à une esquisse de sa Composition VII de 1913.
Cette aquarelle, qui serait le premier tableau abstrait du monde, a soulevé controverses et discussions, et suscité bien des thèses contradictoires. Deux tendances s'opposent : celle qui la date réellement de 1910 et qui l'inclut dans une série d'études pour Composition VII, celle qui rejette cette datation et la rapproche des œuvres et du style de 1913. Plaident pour cette dernière thèse le format inhabituel et trop grand pour l'époque et surtout une inscription tardive de cette œuvre dans le registre manuscrit que tient régulièrement Kandinsky à partir de 1919
Cependant, le mouvement des Arts Incohérents avait produit dès les années 1880 des œuvres abstraites, dont le monochrome noir de Paul Bilhaud, puis les œuvres d'Alphonse Allais
.

En bref

Depuis longtemps considéré, à côté de Mondrian, comme l'« inventeur » de la peinture abstraite dans le courant des années 1910 et comme l'un de ses principaux théoriciens, Kandinsky a vu, après la Seconde Guerre mondiale, sa position remise en cause par l'apparition de nouvelles formes d'art abstrait, et le renouveau même de la peinture figurative. Mais, depuis le début des années 1970, l'ensemble de son œuvre a commencé à faire l'objet d'un nouvel examen : elle ne cesse aujourd'hui de redéployer toute sa richesse et sa complexité pour retrouver la place centrale qu'elle mérite d'occuper dans l'histoire de l'art européen de la première moitié du siècle. La marche à l'abstraction. La vocation de Kandinsky (né le 4 décembre 1866 à Moscou, dans une famille aisée et cultivée) est tardive : ce n'est qu'à quarante ans qu'il abandonne la carrière universitaire pour se consacrer à la peinture. Mais cette conversion a été précédée d'une longue maturation : depuis la petite enfance le futur peintre a appris dans les domaines les plus divers (la musique, le droit, l'art populaire...) à reconnaître au-delà de l'apparence des choses le poids déterminant des motivations intérieures. La découverte de la peinture impressionniste, où l'objet ne semble jouer qu'un rôle secondaire, a été l'ultime révélateur : il choisit alors d'étudier la peinture à Munich, où il se rend en 1896. Mais entre 1903 et 1908 il voyage aussi dans toute l'Europe (avec un séjour d'un an à Paris, en 1906-1907) et découvre les plus récentes avant-gardes : Cézanne, Matisse, Picasso, les trois noms qu'il fait ressortir en tête de son livre Du spirituel dans l'art, achevé en 1910, prouvent des connaissances et une lucidité alors peu courantes.
À Munich, Kandinsky déploie une activité inlassable au sein de plusieurs groupes dont il est successivement président : Phalanx, de 1901 à 1904 ; la Nouvelle Association des artistes de Munich (N.K.V.M.), fondée en 1909 ; Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), en 1911. Mais sa peinture, en constante progression, ne cesse de déborder celle de ses amis (Gabriele Münter, rencontrée à Phalanx en 1902, et avec laquelle il vit jusqu'en 1915 ; Franz Marc, avec lequel il édite l'Almanach du Cavalier bleu en 1912) : c'est finalement un homme seul dont l'univers pictural conquiert peu à peu son autonomie et trouve sa cohérence.
Jusqu'en 1910 environ, son œuvre se développe parallèlement selon deux séries, en apparence hétérogènes : des paysages « d'après nature », peints notamment au village de Murnau, en Haute-Bavière, où le peintre séjourne l'été ; et des scènes « de fantaisie », inspirées en partie du Moyen Âge russe ou germanique. Dans la première, Kandinsky fait peu à peu l'apprentissage des toutes dernières recherches formelles – celle du fauvisme en particulier – libérant la couleur et simplifiant le dessin, avec des références à l'objet de plus en plus allusives. Dans la seconde, au contraire, la forme reste longtemps marquée par l'Art Nouveau international : Jugendstil allemand ; Monde de l'art russe, Ivan Bilibine et Nicolas Roerich surtout ; Nabis français, Vallotton notamment, très présent dans les gravures sur bois ; mais la thématique propre du peintre peu à peu s'y découvre, et s'y concentre sur un petit nombre de motifs à forte résonance spirituelle. C'est la fusion progressive des deux séries (par l'intermédiaire des montagnes de Murnau en particulier, et des églises à bulbe de Haute-Bavière) qui conduit à la nouvelle peinture.
Dans ce processus la mémoire joue un rôle essentiel : à Munich, Kandinsky peint des « souvenirs » de Russie (avec laquelle il garde des contacts étroits) ou de Tunisie (où il a séjourné en 1905). L'éloignement du motif permet d'en épurer la représentation et favorise son investissement par les données de l'inconscient. L'œuvre se réorganise ainsi en trois nouvelles séries : les « Impressions », bien vite arrêtées, car elles sont sous la seule dépendance de la réalité extérieure, les « Improvisations », et les « Compositions » (en fait, des improvisations plus élaborées), où, au contraire, les images surgies de l'inconscient ont la première place. Le travail du peintre consiste à conserver à ces dernières toute leur fraîcheur et leur force, sans chercher à en élucider pleinement la signification, mais en tirant tout le parti des ressources propres à la peinture : il ne s'agit donc nullement d'une peinture « littéraire », et encore moins « symboliste », mais bien d'une peinture « pure » ou « absolue », dont la seule différence avec celle des Français est qu'elle reste liée à un « contenu ». À partir de 1910, le problème principal du peintre – et ce qui, malgré ses fortes réticences, le conduit inéluctablement à l'abstraction – est précisément de trouver la forme « nécessaire » qui découle immédiatement de ce contenu, et le manifeste tout entier.
De mois en mois on assiste ainsi à une forte concentration de la thématique et de l'iconographie, qui viennent proprement « coïncider » avec les moyens plastiques. À partir des sujets religieux, le grand thème de l'Apocalypse, du Déluge et de la Résurrection s'impose de plus en plus nettement et annonce la « nouvelle aurore » spirituelle qui suivra l'écroulement du vieux monde matérialiste condamné par la guerre qui menace. Ce noyau thématique voit graviter autour de lui autant de motifs satellites : la barque et ses rameurs sur les flots déchaînés du déluge, la montagne couronnée par l'église ou la forteresse de la spiritualité, le cavalier surtout, héros des forces du Bien, qui au milieu de la tempête maîtrise les forces brutales de l'inconscient... Mais les uns et les autres ne valent que pour autant qu'ils peuvent se transfigurer en signes purement plastiques (l'arc de cercle coupé par des segments de droite par exemple, pour la barque et ses rameurs...) et qu'ils servent à renforcer la structure de l'œuvre. Le choix fréquent des formats carrés, la concentration sur des compositions binaires (fondées sur la diagonale notamment), qui traduisent l'affrontement du Bien et du Mal mieux encore que la représentation de saint Georges et du dragon, vont en ce sens.
Les sept grandes « Compositions » d'avant guerre, qui font passer de l'affrontement des cavaliers ou de paysages d'ambiances différentes à la seule opposition de « centres » contrastés de lignes et de couleurs, résument cette évolution qui culmine dans Composition VII (1913), l'œuvre la plus importante de la période. Mais, dans ces conditions, on ne peut s'étonner non plus de la persistance çà et là, et même après 1913, d'une donnée figurative sous-jacente, et parfois même très explicite, qui a plongé naguère dans l'embarras les partisans et les théoriciens d'une abstraction « pure » et « définitive »...
Pendant cette période décisive où l'amateur moscovite se hausse au premier rang de l'art international, les textes tiennent une place importante. Le plus célèbre, Du spirituel dans l'art, traduit en français en 1949, n'est peut-être pas le plus utile pourtant pour la compréhension même de la peinture de Kandinsky. Publié à la fin de 1911, mais écrit pour l'essentiel en 1910, il donne en fait l'état de la pensée du peintre au moment où il hésite encore devant l'étape ultime : son chapitre le plus connu, sur « le langage des formes et des couleurs », risque d'égarer si l'on veut s'en servir simplement comme d'un dictionnaire pour les œuvres à venir. Publié en 1912 dans l'Almanach du Cavalier bleu, le long article « sur la question de la forme » est d'une autre pertinence, qui commente l'axiome fondamental selon lequel « la forme est l'expression extérieure du contenu intérieur », pour conclure qu'« il n'existe pas de problème de la forme », et qu'une forme (l'abstraction par exemple) n'est pas a priori meilleure qu'une autre (la constante admiration de Kandinsky pour le Douanier Rousseau, et sa croyance affirmée en la possibilité, à côté de l'art abstrait, d'un « grand réalisme » s'expliquent aussi par là). La forme n'est donc déterminée que par la « nécessité intérieure » (innere Notwendigkeit), notion qui tient une place centrale dans ces textes, mais dont on a voulu faire un concept obscur, alors qu'à ce moment délicat elle a surtout pour Kandinsky une fonction pratique et toute personnelle : éviter, dans l'abstraction, les formes qui seraient seulement stylisées, la pure décoration, et l'expérimentation gratuite.
Au demeurant, le peintre l'a répété, la théorie n'influe alors en rien sur sa pratique et n'intervient qu'au moment des bilans, hors de l'atelier : l'évolution de sa peinture résulte d'un enchaînement logique interne dont le peintre doit prendre conscience mais dont il est à peine le maître (et le parallèle avec Braque et Picasso, au même moment, est là encore saisissant). Le désir de chercher une « explication » immédiate et d'ordre rationnel dans un « manifeste » théorique que Kandinsky n'a en fait jamais écrit a ainsi dissimulé longtemps l'importance et la fonction réelle des nombreux autres textes publiés pendant cette période : les « compositions scéniques » (La Sonorité jaune, 1909, publiée dans l'Almanach du Cavalier bleu), où l'addition des moyens qui finalement s'annulent dans le théâtre et l'opéra traditionnels (le geste emphatique du chanteur, la musique « illustrative »...) est remplacée par l'utilisation spécifique de chacun d'eux pour démultiplier l'effet de l'ensemble ; les poèmes réunis dans le volume de 1913, Sonorités (Klänge), qui ne sont pas « transpositions d'art », mais où joue le même rapport dialectique entre forme et contenu, avec cette fois toutes les ressources propres de l'écriture qui font aussi de Kandinsky l'un des écrivains d'avant-garde des années 1910.
Mais les textes autobiographiques sont les plus révélateurs, et les plus utiles pour la compréhension de l'œuvre du peintre : la « Conférence de Cologne » (1914, publiée seulement en 1957) et surtout Regards sur le passé (Rückblicke, 1913, nouvelle traduction française en 1974). Source d'information de premier ordre bien sûr, mais importante plus encore par la construction du texte lui-même, où la suite chronologique et la linéarité de la narration sont brisées en courts fragments soigneusement remontés, exemple de ce qui est à l'œuvre au même moment dans la peinture ; et libération, par le regard rétrospectif sinon par l'auto-analyse, des thèmes de l'inconscient, qui permet d'en bannir définitivement la figuration littérale dans le tableau. Les précieux commentaires de ses œuvres dont Kandinsky fait suivre son texte sont souvent partiels, et détournés, omettant des éléments qui nous semblent essentiels ; mais la démarche est typique : expliquer « le caché par le caché », selon la formule favorite du peintre, et remplacer la désignation par la métaphore, ce qui, là encore, est au cœur de la peinture même.

Sa vie

Né dans un milieu aisé, à Moscou, le 16 décembre 4 décembre 1866, Vassily est le fils aîné de Vassily Silvestrovitch Kandinsky et de Lydia Ivanovna. L'enfant a cinq ans lorsque son père décide s'installer en au bord de la mer Noire pour raisons de santé. Vassilily passe son enfance à Odessa, où ses parents se séparent. Vassily vit chez son père, et chaque jour, sa mère lui rend visite. L'éducation de Vassily est confiée à sa tante maternelle, Élisabeth Ivanovna, qui l'initie au dessin et à la peinture. Sa mère se remarie avec un médecin d'Odessa.
Chaque année, pendant son adolescence, il accompagne son père pour un voyage à Moscou.
En août 1885, il s'inscrit à l’université de Moscou en faculté de Droit.
Il décide de commencer des études de peinture dessin d’après modèle, croquis et anatomie à l’âge de 30 ans.
En 1896, il s’installe à Munich, où il étudie à l’Académie des Beaux-Arts. Il retourne à Moscou en 1918,après la Révolution russe. En conflit avec les théories officielles de l’art, il retourne en Allemagne en 1921. Il y enseigne au Bauhaus à partir de 1922 jusqu’à sa fermeture par les nazis en 1933. Il émigre alors en France et y vit le reste de sa vie, acquérant la nationalité française en 1939. Il s'éteint à Neuilly-sur-Seine en 1944, laissant derrière lui une œuvre abondante.

Périodes artistiques

La création par Kandinsky d’une œuvre purement abstraite n’est pas intervenue comme un changement abrupt, elle est le fruit d’un long développement, d’une longue maturation et d’une intense réflexion théorique fondée sur son expérience personnelle de peintre et sur l'élan de son esprit vers la beauté intérieure et ce profond désir spirituel qu’il appelait la nécessité intérieure et qu’il tenait pour un principe essentiel de l’art.

Jeunesse et inspirations 1866-1896

La jeunesse et la vie de Kandinsky à Moscou lui apportent une multitude de sources d’inspiration. Il se souvient plus tard qu’étant enfant, il était fasciné et exceptionnellement stimulé par la couleur. C’est probablement lié à sa synesthésie, qui lui permettait littéralement de transformer les sons en couleurs. Sa fascination pour les couleurs continue à augmenter pendant son enfance à Moscou. Il pratique seul la joie du dessin, bien qu’il n’eût, semble-t-il, jamais tenté de faire des études artistiques.
En 1889 il participe à un groupe ethnographique qui voyagea jusqu’à la région de Vologda au nord-est de Moscou pour étudier les coutumes relatives au droit paysan. Il raconte dans Regards sur le passé qu’il a l’impression de se mouvoir dans un tableau lorsqu’il rentre dans les maisons ou dans les églises de cette région décorées des couleurs les plus chatoyantes. Son étude du folklore de cette région, en particulier l’usage de couleurs vives sur un fond sombre a rejailli sur son œuvre primitive. Kandinsky écrit quelques années plus tard que la couleur est le clavier, les yeux sont les marteaux et l’âme est le piano avec les cordes. Cette même année, avant de quitter Moscou, voyant une exposition de Monet, il est impressionné par la représentation d’une meule de foin, qui lui montre la puissance de la couleur utilisée presque indépendamment de l’objet lui-même.
En 1892, il obtient son diplôme de droit et épouse sa cousine Anja Shemyakina, une des rares étudiantes de l'université de Moscou. Ils divorceront en 1911. Entre-temps, Kandinsky avait commencé à suivre des cours dans une académie des beaux-arts avec Franz von Stuck qui avait été le professeur de Paul Klee et de Josef Albers, deux futurs membres du Bauhaus.

Épanouissement artistique 1896-1911

Le temps que Kandinsky a passé à l’École des Beaux-Arts est facilité par le fait qu’il est plus âgé et plus expérimenté que les autres étudiants. Il commence une carrière de peintre tout en devenant un véritable théoricien de l’art du fait de l’intensité de ses réflexions sur son propre travail. Malheureusement, très peu de ses œuvres de cette période ont subsisté au temps, bien que sa production ait probablement été importante. Cette situation change à partir du début du XXe siècle.Un grand nombre de tableaux de paysages et de villes, utilisant de larges touches de couleur, mais des formes bien identifiables, ont été conservés.
Pour l’essentiel, les peintures de Kandinsky de cette époque ne comportent pas de visages humains. Une exception est Dimanche, Russie traditionnelle 1904 où Kandinsky nous propose une peinture très colorée et sans doute imaginaire de paysans et de nobles devant les murs d’une ville. Sa peinture intitulée Couple à cheval 1906-1907 dépeint un homme sur un cheval, portant avec tendresse une femme, et qui chevauche devant une ville russe aux murs lumineux au-delà d’une rivière. Le cheval qui est couvert d’une étoffe somptueuse se tient dans l’ombre, tandis que les feuilles des arbres, la ville et les reflets dans la rivière luisent comme des taches de couleur et de lumière.
Une peinture fondamentale de Kandinsky de ces années 1900 est probablement Le cavalier bleu Der Blaue Reiter, 1903 qui montre un personnage portant une cape chevauchant rapidement à travers une prairie rocailleuse. Kandinsky montre le cavalier davantage comme une série de touches colorées que par des détails précis. En elle-même, cette peinture n’est pas exceptionnelle, lorsqu’on la compare aux tableaux d’autres peintres contemporains, mais elle montre la direction que Kandinsky va suivre dans les années suivantes, et son titre annonce le groupe qu’il va fonder quelques années plus tard.
De 1906 à 1908 Kandinsky passe une grande partie de son temps à voyager à travers l’Europe, jusqu’à ce qu’il s’installe dans la petite ville bavaroise de Murnau. La montagne bleue (1908-1909) peinte à cette époque montre davantage sa tendance vers l’abstraction pure. Une montagne de bleu est flanquée de deux grands arbres, l’un jaune et l’autre rouge. Un groupe de trois cavaliers et de quelques autres personnages traverse le bas de la toile. Le visage, les habits et la selle des cavaliers sont chacune d’une couleur unie, et aucun des personnages ne montre de détail réaliste. Le large emploi de la couleur dans La montagne bleue illustre l’évolution de Kandinsky vers un art dans lequel la couleur elle-même est appliquée indépendamment de la forme.
À partir de 1909, ce que Kandinsky appelle le chœur des couleurs devient de plus en plus éclatant, il se charge d’un pouvoir émotif et d’une signification cosmique intense. Cette évolution a été attribuée à un ouvrage de Goethe, le Traité des couleurs Farbenlehre, qui a influencé ses livres Du Spirituel dans l’Art et Regards sur le passé. L'année suivante, il peint la première œuvre abstraite réalisée à partir d’une conviction profonde et dans un but clairement défini : substituer à la figuration et à l’imitation de la réalité extérieure du monde matériel une création pure de nature spirituelle qui ne procède que de la seule nécessité intérieure de l’artiste. Ou pour reprendre la terminologie du philosophe Michel Henry, substituer à l’apparence visible du monde extérieur la réalité intérieure pathétique et invisible de la vie. Kandinsky a expliqué que l'intuition qui l'avait mené vers l'abstraction s'était produite en 1908, à la vue d'un de ses propres tableaux posé sur le côté, méconnaissable dans la lumière déclinante du crépuscule.

Le Cavalier bleu 1911-1914

Les peintures de cette période comportent de grandes masses colorées très expressives évoluant indépendamment des formes et des lignes qui ne servent plus à les délimiter ou à les mettre en valeur, mais se combinent avec elles, se superposent et se chevauchent de façon très libre pour former des toiles d’une force extraordinaire.
La musique a eu une grande influence sur la naissance de l’art abstrait, étant abstraite par nature et ne cherchant pas à représenter vainement le monde extérieur, mais simplement à exprimer de façon immédiate des sentiments intérieurs à l’âme humaine. Kandinsky utilise parfois des termes musicaux pour désigner ses œuvres : il appelle beaucoup de ses peintures les plus spontanées des improvisations, tandis qu’il nomme compositions quelques-unes parmi les plus élaborées et les plus longuement travaillées, un terme qui résonne en lui comme une prière.
En plus de la peinture elle-même, Kandinsky se consacre à la constitution d’une théorie de l’art. Il a contribué à fonder l’association des Nouveaux Artistes de Munich dont il devint le président en 1909. Le groupe fut incapable d’intégrer les approches les plus radicales comme celle de Kandinsky du fait d’une conception plus conventionnelle de l’art, et le groupe se dissout fin 1911. Kandinsky fonde alors une nouvelle association, Le Cavalier bleu Der Blaue Reiter avec des artistes plus proches de sa vision de l’art tels que Franz Marc. Cette association réalise un almanach, appelé L’Almanach du Cavalier Bleu qui connut deux parutions. Davantage de numéros étaient prévus, mais la déclaration de la première guerre mondiale en 1914 mit fin à ces projets, et Kandinsky retourna chez lui en Russie via la Suisse et la Suède.
Son premier grand ouvrage théorique sur l’art, intitulé Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, paraît fin 1911. Il expose dans ce court traité sa vision personnelle de l’art dont la véritable mission est d’ordre spirituel, ainsi que sa théorie de l’effet psychologique des couleurs sur l’âme humaine et leur sonorité intérieure. L’Almanach du Cavalier Bleu est publié peu de temps après. Ces écrits de Kandinsky servent à la fois de défense et de promotion de l’art abstrait, ainsi que de démonstration que toute forme d’art authentique était également capable d’atteindre une certaine profondeur spirituelle. Il pense que la couleur peut être utilisée dans la peinture comme une réalité autonome et indépendante de la description visuelle d’un objet ou d’une autre forme.

Sa première huile sur toile : L'arc noir

C’est une des premières œuvres abstraites qui ne représente rien de la réalité, et conçue comme telle, de l’histoire de l’art. Elle ne représente rien d'autre que des formes et des couleurs libérées de la figure, de la représentation du monde. Cette liberté des formes tend à provoquer des émotions, des sentiments par le jeu de la composition, des harmonies colorées, des équilibres, des masses et du mouvement organisé autour de l'arc noir. Il est comme le chef d’orchestre de toute la toile. Le geste improvisé du peintre révèle malgré tout une mise en scène réfléchie, pensée, où rien n'est laissé au hasard pour déclencher chez le spectateur une vibration. Kandinsky cherche ici à restituer la musique de Wagner, d’où le terme abstraction lyrique lié à la musique . Il est d’ailleurs ami du compositeur Arnold Schoenberg, qui écrira la première partition atonale.

Retour en Russie 1914-1921

Durant les années 1918 à 1921, Kandinsky s’occupe du développement de la politique culturelle de la Russie, il apporte sa collaboration dans les domaines de la pédagogie de l’art et de la réforme des musées. Il se consacre également à l’enseignement artistique avec un programme reposant sur l’analyse des formes et des couleurs, ainsi qu’à l’organisation de l’Institut de culture artistique à Moscou. Il peint très peu durant cette période. Il fait la connaissance en 1916 de Nina Andreievskaïa qui deviendra son épouse l’année suivante. Kandinsky reçu en 1921 pour mission de se rendre en Allemagne au Bauhaus de Weimar, sur l’invitation de son fondateur, l’architecte Walter Gropius. L’année suivante, les Soviétiques interdirent officiellement toute forme d’art abstrait, car jugé nocif pour les idéaux socialistes.

Les utopies de la reconstruction

Le grand déluge qu'annonce avec une tension croissante la peinture de Kandinsky avant 1914 est suivi d'une apocalypse bien réelle. Mais la guerre marque aussi pour lui une crise profonde ; en 1915, il note pour la première fois dans son catalogue : « Aucun tableau ». À quoi s'ajoute la rupture avec Gabriele Münter. C'est la révolution russe qui paraît enfin annoncer la « résurrection » attendue : Kandisky va devoir maintenant, et jusqu'en 1933, mettre à l'épreuve de la réalité, en Russie puis en Allemagne, le projet utopique de reconstruction d'un monde placé cette fois sous le seul signe du spirituel.
Comme plus d'un artiste de l'avant-garde, il semble avoir cru fermement à cette impossible gageure. Après son retour en Russie, dès la fin de 1914, l'une de ses premières préoccupations est de faire publier en russe ses textes antérieurs, et notamment Regards qui, sous un rhabillage de surface, réaffirme, en octobre 1918, le même idéalisme fervent au cœur d'un pays dont pourtant la philosophie est maintenant officiellement celle du plus strict matérialisme... Mais le projet d'éditer Du spirituel dans l'art, lui, n'aboutira pas.
Chargé d'importantes responsabilités officielles, il fait passer au second plan sa propre peinture, dont la production se réduit sensiblement (aucun tableau à nouveau en 1918), pour se consacrer à une intense activité théorique, pédagogique, administrative (pour la réorganisation des musées notamment), appuyée par de nouveaux textes. Il espère notamment pouvoir abolir les cloisonnements antérieurs (entre les différents arts, les artistes des différents pays...) pour aboutir à une nouvelle « synthèse », et pense que cette « grande utopie » (c'est le titre, significatif, d'un de ses articles) va devenir réalité. La radicalisation croissante du milieu artistique lui-même ne laisse que peu de chances à cet immense effort, qui reste fondé sur les principes énoncés avant 1914. De plus en plus vivement contesté, notamment à propos du programme de l'Institut de la culture artistique (Inkhouk) à la fondation duquel il a participé, Kandinsky part définitivement pour l'Allemagne en décembre 1921, avec Nina Andreievskaïa qu'il a épousée en 1917 et qui sera sa compagne jusqu'à la fin de sa vie.
Parallèlement, son œuvre a vu surgir, sur sa « gauche » cette fois, de nouveaux adversaires. Le suprématisme de Malévitch et de ses disciples, qui se développe à partir de 1915, participe sans doute d'un idéalisme comparable, mais ses formes géométriques simples sur fond blanc apparaissent à bien des égards plus neuves et plus radicales. De même pour les différentes tendances du constructivisme, dont la géométrie froide et rigoureuse semble assurer, mieux que le lyrisme subjectif de l'avant-guerre, l'objectivité scientifique requise pour l'édification du monde nouveau. Et plus encore, à l'extrême gauche, pour l'art de la « culture des matériaux » prôné par Tatline, et qui va conduire en quelques années à une production purement utilitaire : Kandinsky ne peut qu'en rejeter en bloc le matérialisme et le dogmatisme sectaire. Mais sa peinture marque un temps d'hésitation devant les nouvelles formes d'abstraction géométrique (et quelques tableaux, non retenus dans le catalogue il est vrai, indiquent même un retour passager à la figuration la plus traditionnelle) : après un assagissement de la composition et un assourdissement des couleurs, la conversion va s'effectuer progressivement en effet, jusqu'au début des années 1920, pour aboutir à une peinture géométrique claire et vivement colorée que résument les grands tableaux de 1923, Composition VIII ou Trait transversal (Durchgehender Strich), et qui donne, pour l'essentiel, l'orientation de l'œuvre de Kandinsky pour les dix ans à venir. Malgré d'évidentes analogies de surface, il ne s'agit pourtant pas d'une adhésion au suprématisme : le support thématique reste celui de l'avant-guerre, et les données iconographiques, qui persistent dans plus d'une œuvre « à double lecture » (abstraite et figurative), assurent la continuité. En 1924, un tableau qui porte à son tour le titre révélateur de Regard sur le passé (Rückblick) reprend purement et simplement, en le géométrisant, un tableau important de 1913, Petites Joies (Kleine Freuden), et donne la mesure d'une plus fondamentale fidélité.
Appelé par Walter Gropius au Bauhaus, fondé en 1919 à Weimar (puis transféré à Dessau et à Berlin, où le peintre restera jusqu'à sa fermeture par les nazis en 1933, témoignant ainsi de sa foi persistante dans l'entreprise), Kandinsky retrouve dans un pays qui croit lui aussi avoir fait table rase du passé les conditions de mise en œuvre de la « grande utopie ».
Dans la nouvelle école, les paradoxes ne manquent pourtant pas. En principe la peinture de chevalet, jugée trop individualiste, n'a pas droit de cité dans un établissement dont le but ultime est la « construction », au service de laquelle doivent se mettre tous les arts : Kandinsky est d'abord nommé à la tête de l'atelier de peinture murale. Mais il ne travaillera lui-même qu'à deux réalisations de ce type : un projet pour un hall de musée (exposition de la Juryfreie, Berlin, 1922) et un salon de musique revêtu de céramique (également exposé à Berlin, en 1931). Et la mise en scène des Tableaux d'une exposition de Moussorgski (1928) est la seule occasion qui lui soit donnée de témoigner de son aspiration renouvelée à la synthèse des arts.
La peinture de chevalet continue pourtant, dans l'atelier personnel, et pendant les heures du travail libre. Ses éléments constitutifs font l'objet d'analyses approfondies (dessin analytique et séminaire sur la couleur) dans le « cours préliminaire » puis à la « classe de peinture libre », à partir de 1927. Kandinsky en résume l'apport dans plusieurs textes, dont le plus important est son livre Punkt und Linie zu Fläche (littéralement : « Point et ligne (rapportés) au plan »), publié en 1926 dans la collection du Bauhaus. Mais, et c'est un second paradoxe, on peut se demander comment la tentative pédagogique, qui a vocation scientifique, et universelle, peut se concilier avec le développement d'une œuvre aussi individualisée et si profondément ancrée dans la structure d'une personnalité. De fait, la théorie reste marquée par la préoccupation spiritualiste et, malgré le recours à la psychologie de la forme ou à des analyses qui anticipent largement sur la « sémiotique » contemporaine, guidée d'abord par l'intuition personnelle, ce qui vaudra à Kandinsky de vives attaques au sein même de l'école. Quant à son œuvre propre – que Kandinsky caractérise, pendant cette période, comme un « grand calme avec forte tension intérieure » –, il lui arrive parfois de subir le contrecoup du caractère expérimental de la recherche : tableaux plus froids, d'un dessin et d'une couleur plus sèche, et dont le systématisme pourrait finir par étouffer la spontanéité.
Plus généralement, la géométrie implique maintenant la substitution à l'espace fluide et homogène de l'avant-guerre d'un ensemble de figures distinctes du fond sur lequel elles se détachent, et pose ainsi le problème difficile de la structuration cohérente du tableau. Le recours renouvelé, et même renforcé, à l'allusion figurative pourrait être l'indice ici d'une difficulté qui n'est pas totalement résolue.
Avec l'irruption de plus brutales réalités, la fermeture du Bauhaus marque la fin du temps des utopies : l'aurore tant espérée n'est plus qu'une étroite bande claire, menacée d'étouffement, au milieu de Développement en brun (Entwicklung in Braun), le dernier tableau peint en Allemagne, en août 1933.

L'ultime décennie

Réfugié désormais à Paris (où il se fait naturaliser, en 1939, et où il mourra le 13 décembre 1944), Kandinsky est entouré d'amis et de nombreuses relations, mais dans un milieu qui n'est pas vraiment préparé à comprendre sa démarche et où les éloges mêmes (ceux des surréalistes, André Breton au premier chef, et simultanément ceux des abstraits parisiens, le groupe Cercle et Carré puis Abstraction-Création) reposent sur l'équivoque. Sa peinture s'oriente alors différemment et peut donner d'abord l'impression d'un repli, sinon d'un reflux, malgré la qualité du métier, qui n'a peut-être jamais été aussi grande. On y voit en particulier apparaître un étrange univers de formes biologiques : feuilles, vers, serpents, insectes, oiseaux, mais surtout larves, amibes, embryons, groupements cellulaires...Souvent présentées dans des enveloppes au contour mou et flottant, mais dans une ambiance lumineuse et légère, ces formes renvoient avant tout à une vision ludique et paradisiaque du monde fœtal, même quand elles servent ensuite à l'élaboration de compositions complexes où la géométrie conserve ses droits et qui jouent avec subtilité des effets d'équilibre, d'échos le tableau dans le tableau, de contrastes, de matières (avec l'introduction temporaire du sable, seule innovation technique, empruntée aux Français.
La référence biologique qui est au centre de cette nouvelle peinture s'appuie en partie sans doute sur les découvertes de la science contemporaine et trouve sa justification théorique dans l'affirmation, répétée, qu'art et science doivent marcher de pair pour l'avènement de la « grande synthèse ». Mais l'on peut se demander si, plus profondément, elle ne traduit pas aussi une aspiration à retourner aux origines, physiques et spirituelles, du moi, qui se situent bien à Moscou, et à Munich, avant 1914. On en lirait alors d'autres indices dans la vie même de Kandinsky, qui utilise à nouveau la langue russe, meuble son appartement de Neuilly-sur-Seine avec une partie du mobilier de Munich, rendu par Gabriele Münter, reprend la technique ancienne de la peinture a tempera sur carton, et tend, pour ses expositions, à omettre la période du Bauhaus pour rapprocher ses toiles récentes de celles de l'avant-guerre...
Dans la peinture même, les formes « amibiennes » finissent par retrouver les motifs fondateurs de la période de Munich : la barque et ses rameurs, le saint Georges armé de sa lance, lui-même avatar du cheval de la petite enfance, traversent les dernières œuvres ; et dans le tout dernier tableau inscrit au catalogue (L'Élan tempéré, mars 1944) le chevalier est bien là, protégé des forces du Mal par une Vierge tutélaire... Avec ce refermement sur soi qui est aussi l'affirmation renouvelée de la foi dans les valeurs de l'esprit, la boucle est bouclée. Il y a bien eu, chez Kandinsky, abstraction du monde et perpétuel exil, non pour un passage à l'au-delà comme chez Malévitch, ou une révélation privilégiée de l'essence même de l'Univers, comme chez Mondrian, mais pour un retour aux sources du moi. Les origines de l'abstraction pourraient bien n'avoir été, après tout, qu'une autre forme de la quête des origines. Jean-Paul Bouillon

Le Bauhaus 1922-1933

Le Bauhaus est alors une école d'architecture et d’art novateur qui a pour objectif de fusionner les arts plastiques et les arts appliqués, et dont l’enseignement repose sur la mise en application théorique et pratique de la synthèse des arts plastiques. Kandinsky y donne des cours dans le cadre de l’atelier de peinture murale, qui reprennent sa théorie des couleurs en y intégrant de nouveaux éléments sur la psychologie de la forme. Le développement de ces travaux sur l’étude des formes, en particulier le point et les différentes formes de lignes, conduit à la publication de son second grand ouvrage théorique Point et ligne sur plan en 1926.
Les éléments géométriques prennent dans son enseignement comme dans sa peinture une importance grandissante, en particulier le cercle, le demi-cercle, l’angle et les lignes droites ou courbes. Cette période est pour lui une période d’intense production. Par la liberté dont témoigne chacune de ses œuvres, par le traitement des surfaces riches en couleurs et en dégradés magnifiques comme dans sa toile Jaune – rouge – bleu 1925, Kandinsky se démarque nettement du constructivisme ou du suprématisme dont l’influence était grandissante à cette époque.
Les formes principales qui constituent cette toile de deux mètres de large intitulée Jaune – rouge – bleu sont un rectangle vertical jaune, une croix rouge légèrement inclinée et un grand cercle bleu foncé, tandis qu’une multitude de lignes noires droites ou sinueuses et d’arcs de cercles, ainsi que quelques cercles monochromes et quelques damiers colorés contribuent à sa délicate complexité. Cette simple identification visuelle des formes et des principales masses colorées présentes sur la toile ne correspond qu’à une première approche de la réalité intérieure de l’œuvre dont la juste appréciation nécessite une observation bien plus approfondie non seulement des formes et des couleurs utilisées dans la peinture, mais également de leur relation, de leur position absolue et de leur disposition relative sur la toile, de leur harmonie d’ensemble et de leur accord réciproque.
Confronté à l’hostilité des partis de droite, le Bauhaus quitta Weimar pour s’installer à Dessau-Roßlau dès 1925. À la suite d'une campagne de diffamation acharnée de la part des nazis, le Bauhaus est fermé à Dessau en 1932. L’école poursuit ses activités à Berlin jusqu’à sa dissolution en juillet 1933. Kandinsky quitte alors l’Allemagne pour venir s’installer à Paris.

La grande synthèse 1934-1945

À Paris, il se trouve relativement isolé, d’autant que l’art abstrait, en particulier géométrique, n’est guère reconnu : les tendances artistiques à la mode étaient plutôt l’impressionnisme et le cubisme. Il vit et travaille dans un petit appartement dont il a aménagé la salle de séjour en atelier. Des formes biomorphiques aux contours souples et non géométriques font leur apparition dans son œuvre, des formes qui évoquent extérieurement des organismes microscopiques, mais qui expriment toujours la vie intérieure de l’artiste. Il recourt à des compositions de couleurs inédites qui évoquent l’art populaire slave et qui ressemblent à des ouvrages en filigrane précieux. Il utilise également du sable qu’il mélange aux couleurs pour donner à la peinture une texture granuleuse.
Cette période correspond en fait à une vaste synthèse de son œuvre antérieure, dont il reprend l’ensemble des éléments tout en les enrichissant. Il peint en 1936 et 1939 ses deux dernières grandes compositions, ces toiles particulièrement élaborées et longuement mûries qu’il avait cessé de produire depuis de nombreuses années. Composition IX est une toile aux diagonales puissantes fortement contrastées et dont la forme centrale évoque un embryon humain dans le ventre de sa mère. Les petits carrés de couleurs et les bandes colorées semblent se détacher du fond noir de Composition X comme des fragments ou des filaments d’étoiles, tandis que d’énigmatiques hiéroglyphes aux tons pastels recouvrent la grande masse marron qui semble flotter dans le coin supérieur gauche de la toile.
Dans les œuvres de Kandinsky, un certain nombre de caractéristiques sautent immédiatement aux yeux tandis que certaines sonorités sont plus discrètes et comme voilées, c’est-à-dire qu’elles ne se révèlent que progressivement à ceux qui font l’effort d’approfondir leur rapport avec l’œuvre et d’affiner leur regard. Il ne faut donc pas se contenter d’une première impression ou d’une identification grossière des formes que l’artiste a utilisées et qu’il a subtilement harmonisées et mises en accord pour qu’elles rentrent efficacement en résonance avec l’âme du spectateur.

Gloire posthume

À partir de la mort de Vassily Kandinsky et durant une trentaine d’années, Nina Kandinsky n’a cessé de diffuser le message et de divulguer l’œuvre de son mari. L’ensemble des œuvres en sa possession ont été léguées au Centre Georges Pompidou, à Paris, où l’on peut voir la plus grande collection de ses peintures.
Nina Kandinsky créa en 1946 le prix Kandinsky destiné à couronner la recherche de jeunes peintres dans le domaine de l’abstraction et décerné pour la première fois à Jean Dewasne

Écrits théoriques sur l’art

Les analyses de Kandinsky sur les formes et sur les couleurs ne résultent pas de simples associations d’idées arbitraires, mais de l’expérience intérieure du peintre qui a passé des années à créer des peintures abstraites d’une incroyable richesse sensorielle, à travailler sur les formes et avec les couleurs, observant longuement et inlassablement ses propres toiles et celles d’autres artistes, constatant simplement leur effet subjectif et pathétique sur son âme d’artiste et de poète d’une très grande sensibilité aux couleurs.
Il s’agit donc d’une forme d'expérience purement subjective que chacun peut faire et répéter en prenant le temps de regarder ses peintures et de laisser agir les formes et les couleurs sur sa propre sensibilité vivante. Il ne s’agit pas d’observations scientifiques et objectives, mais d’observations intérieures radicalement subjectives et purement phénoménologiques qui relèvent de ce que le philosophe Michel Henry appelle la subjectivité absolue ou la vie phénoménologique absolue.
Du spirituel dans l’art
Cet ouvrage est écrit en 1910, alors que l'artiste vient de peindre son premier tableau abstrait.
Kandinsky compare la vie spirituelle de l’humanité à un grand Triangle semblable à une pyramide et que l’artiste a pour tâche et pour mission d’entraîner vers le haut par l’exercice de son talent. La pointe du Triangle est constituée seulement de quelques individus qui apportent aux hommes le pain sublime. Un Triangle spirituel qui avance et monte lentement, même s’il reste parfois immobile. Durant les périodes de décadence les âmes tombent vers le bas du Triangle et les hommes ne recherchent que le succès extérieur et ignorent les forces purement spirituelles.
Lorsque l’on regarde les couleurs sur la palette d’un peintre, un double effet se produit : un effet purement physique de l’œil charmé par la beauté des couleurs tout d’abord, qui provoque une impression de joie comme lorsque l’on mange une friandise. Mais cet effet peut être beaucoup plus profond et entraîner une émotion et une vibration de l’âme, ou une résonance intérieure qui est un effet purement spirituel par lequel la couleur atteint l’âme.
La nécessité intérieure est pour Kandinsky le principe de l’art et le fondement de l’harmonie des formes et des couleurs. Il la définit comme le principe de l’entrée en contact efficace de la forme et des couleurs avec l’âme humaine. Toute forme est la délimitation d’une surface par une autre, elle possède un contenu intérieur qui est l’effet qu’elle produit sur celui qui la regarde avec attention. Cette nécessité intérieure est le droit de l’artiste à la liberté illimitée, mais cette liberté devient un crime si elle n’est pas fondée sur une telle nécessité. L’œuvre d’art naît de la nécessité intérieure de l’artiste de façon mystérieuse, énigmatique et mystique, puis elle acquiert une vie autonome, elle devient un sujet indépendant animé d’un souffle spirituel.
Les premières propriétés qui sautent aux yeux lorsque l’on regarde la couleur isolée, en la laissant agir seule, c’est d’une part la chaleur ou la froideur du ton coloré, et d’autre part la clarté ou l’obscurité de ce ton.
La chaleur est une tendance au jaune, la froideur une tendance au bleu. Le jaune et le bleu forment le premier grand contraste, qui est dynamique. Le jaune possède un mouvement excentrique et le bleu un mouvement concentrique, une surface jaune semble se rapprocher de nous, tandis qu’une surface bleue semble s’éloigner. Le jaune est la couleur typiquement terrestre dont la violence peut être pénible et agressive. Le bleu est la couleur typiquement céleste qui évoque un calme profond. Le mélange du bleu et du jaune produit l’immobilité totale et le calme, le vert.
La clarté est une tendance vers le blanc et l’obscurité une tendance vers le noir. Le blanc et le noir forment le second grand contraste, qui est statique51. Le blanc agit comme un silence profond et absolu plein de possibilités55. Le noir est un néant sans possibilité, il est un silence éternel et sans espoir, il correspond à la mort. C’est pourquoi toute autre couleur résonne si fortement à son voisinage56. Le mélange du blanc et du noir conduit au gris, qui ne possède aucune force active et dont la tonalité affective est voisine de celle du vert. Le gris correspond à l’immobilité sans espoir, il tend vers le désespoir lorsqu’il devient foncé et retrouve un peu d’espoir en s’éclaircissant.
Le rouge est une couleur chaude très vivante, vive et agitée, il possède une force immense, il est un mouvement en soi. Mélangé au noir, il conduit au brun qui est une couleur dure58. Mélangé au jaune, il gagne en chaleur et donne l’orangé qui possède un mouvement d’irradiation sur l’entourage. Mélangé au bleu, il s’éloigne de l’homme pour donner le violet, qui est un rouge refroidi. Le rouge et le vert forment le troisième grand contraste, l'orangé et le violet le quatrième.

Point Ligne Plan

Ce second ouvrage est publié en 1926, quand Kandinsky est professeur au Bauhaus.
L'artiste y analyse les éléments géométriques qui composent toute peinture, à savoir le point et la ligne, ainsi que le support physique et la surface matérielle sur laquelle l’artiste dessine ou peint et qu’il appelle le plan originel ou P.O.62 Il ne les analyse pas d’un point de vue objectif et extérieur, mais du point de vue de leur effet intérieur sur la subjectivité vivante du spectateur qui les regarde et les laisse agir sur sa sensibilité63.
Le point est dans la pratique une petite tache de couleur déposée par l’artiste sur la toile. Le point qu’utilise le peintre donc n’est pas un point géométrique, il n’est pas une abstraction mathématique, il possède une certaine extension, une forme et une couleur. Cette forme peut être carrée, triangulaire, ronde, en forme d’étoile ou plus complexe encore. Le point est la forme la plus concise, mais selon son emplacement sur le plan originel il va prendre une tonalité différente. Il peut être seul et isolé ou bien être mis en résonance avec d’autres points ou avec des lignes.
La ligne est le produit d’une force, elle est un point sur lequel une force vivante s’est exercée dans une certaine direction, la force exercée sur le crayon ou sur le pinceau par la main de l’artiste. Les formes linéaires produites peuvent être de plusieurs types : une ligne droite qui résulte d’une force unique exercée dans une seule direction, une ligne brisée qui résulte de l’alternance de deux forces possédant des directions différentes, ou bien une ligne courbe ou ondulée produite par l’effet de deux forces qui agissent simultanément. Une surface peut être obtenue par densification, à partir d’une ligne que l’on fait pivoter autour d’une de ses extrémités.
L’effet subjectif produit par une ligne dépend de son orientation : la ligne horizontale correspond au sol sur lequel l’homme se repose et se meut, au plat, elle possède une tonalité affective sombre et froide semblable au noir ou au bleu, tandis que la ligne verticale correspond à la hauteur et n’offre aucun point d’appui, elle possède au contraire une tonalité lumineuse et chaude proche du blanc ou du jaune. Une diagonale possède par conséquent une tonalité plus ou moins chaude ou froide selon son inclinaison par rapport à la verticale ou à l’horizontale.
Une force qui se déploie sans obstacle comme celle qui produit une ligne droite correspond au lyrisme, tandis que plusieurs forces qui s’opposent et se contrarient forment un drame67. L’angle que forme une ligne brisée possède également une sonorité intérieure qui est chaude et proche du jaune pour un angle aigu triangle, froide et similaire au bleu pour un angle obtus cercle et semblable au rouge pour un angle droit carré.
Le plan originel est en général rectangulaire ou carré, il est donc composé de lignes horizontales et verticales qui le délimitent et qui le définissent comme un être autonome qui va servir de support à la peinture en lui communiquant sa tonalité affective. Cette tonalité est déterminée par l’importance relative de ces lignes horizontales et verticales, les horizontales donnant une tonalité calme et froide au plan originel, tandis que les verticales lui communique une tonalité calme et chaude. L’artiste possède l’intuition de cet effet intérieur du format de la toile et de ses dimensions, qu’il va choisir en fonction de la tonalité qu’il souhaite donner à son œuvre. Kandinsky considère même le plan originel comme un être vivant que l’artiste « féconde » et dont il sent la « respiration.
Chaque partie du plan originel possède une coloration affective qui lui est propre et qui va influer sur la tonalité des éléments picturaux qui seront dessinés dessus, ce qui contribue à la richesse de la composition qui résulte de leur juxtaposition sur la toile. Le haut du plan originel correspond à la souplesse et à la légèreté, tandis que le bas évoque plutôt la densité et la pesanteur. Il appartient au peintre d’apprendre à connaître ces effets afin de produire des peintures qui ne soit pas l’effet du hasard, mais le fruit d’un travail authentique et le résultat d’un effort vers la beauté intérieure.
Ce livre comporte une multitude d’exemples photographiques et de dessins issus d’œuvres de Kandinsky qui offrent la démonstration de ses observations théoriques, et qui permettent au lecteur d’en reproduire en lui l’évidence intérieure pour peu qu’il prenne le temps de regarder avec attention chacune de ces images, qu’il les laisse agir sur sa propre sensibilité et qu’il laisse vibrer les cordes sensibles de son âme et de son esprit. Kandinsky met néanmoins son lecteur en garde contre une contemplation trop longue, qui conduirait l'imagination à prendre le dessus sur l'expérience intérieure immédiate :
Pour ce genre d'expérience, il vaut mieux se fier à la première impression, car la sensibilité se lasse vite et cède le champ à l'imagination

Œuvres

1914 : Improvisation avec Formes froides, huile sur toile, Galerie Tretiakov, Moscou.
1915 : Peinture non objective, Musée des beaux-arts de Riazan.
1916 : Moscou. La Place Rouge, huile sur toile, Galerie Tretiakov, Moscou.
Composition VII
Sans titre
1925 : Jaune ; Rouge ; Bleu, huile sur toile, Centre Pompidou, Paris
1939 : Complexité simple, huile sur toile, Musée de Grenoble

Publications de Vassily Kandinsky

Interférences, traduit en français par Armel Guerne, Delpire, 1959 ; éd. Gallimard, 1967.
Point Ligne Surface. Contribution à l'analyse des éléments picturaux, traduit de l'allemand par Christine Boumeester, Paris, Éditions de Beaune, Les nouveaux manifestes no 4, in-8 broché, 126 pp + 26 planches d'illustrations hors-texte, 1963.
Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier, éd. Denoël-Gonthier, 1969, 1979, 1989 ; éd. Gallimard, coll. « Folio Essais », 1989.
Point Ligne Plan, éd. Denoël-Gonthier, 1970, 1991 ; éd. Gallimard, coll. « Folio Essais », 1991.
Écrits complets (tome I), éd. Denoël-Gonthier, 1970.
Écrits complets (tome II) : Point ligne plan - La grammaire de la création - L'avenir de la peinture., éd. Denoël-Gonthier, 1970.
Regards sur le passé et autres textes 1912-1922, éd. Hermann, 1974.
Écrits complets (tome III) : La synthèse des arts, éd. Denoël-Gonthier, 1975.
Cours du Bauhaus, éd. Denoël-Gonthier, 1978.
Vassily Kandinsky et Franz Marc (éd.), L’almanach du "Blaue Reiter" : Le Cavalier bleu, éd. Klincksieck, 1987.
Vassily Kandinsky et Olga Medvedkova, Kandinsky ou la critique des critiques – Les Écrits russes de Kandinsky (1901-1911), Centre d'Histoire de Sciences Po - Les Presses du Réel, 2014

Ouvrages sur Kandinsky Ouvrages philosophiques

Michel Henry, Voir l’invisible. Sur Kandinsky, Bourin-Julliard, 1988, PUF, coll. "Quadridge", 2005.
Philippe Sers, Kandinsky. Philosophie de l'art abstrait: peinture, poésie, scénographie., éd. Skira, 2003.
Alexandre Kojève, Les Peintures concrètes de Kandinsky, La Lettre volée, 2002.
Serge Chamchinov, La méthode du « lire » la peinture: Michaux, Klee, Kandinsky, Moscou, éd. OGI, 2006, ISBN 5-94282-341-3.
Témoignages et correspondances
Nina Kandinsky, Kandinsky et moi, éd. Flammarion, 1978.
Schoenberg - Busoni, Schoenberg - Kandinsky, correspondances, textes, Éditions Contrechamps, Genève, 1995.
Reproductions de ses œuvres
Jéléna Hahl-Fontaine, Kandinsky, Marc Vokar éditeur, 1993.
François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, collection "Les grands maîtres de l’art contemporain", 1986.
Hajo Duechting, Kandinsky, éd. Taschen, 1990.
Pierre Volboudt, Kandinsky, éd. F. Hazan, 1984.
V. E. Barnett et A. Zweite, Kandinsky. Dessins et aquarelles, éd. Flammarion, 1992.
A. et L. Vezin, Kandinsky et le cavalier bleu, éd. Terrail, 1991.
Ramon Tio Bellido, Kandinsky. Les Chefs d'œuvre, Fernand Hazan. Paris,‎ 1987, 142 p. .
Catalogues d'expositions
Kandinsky. Trente peintures des musées soviétiques, Centre Georges Pompidou, 1979.
Kandinsky. Œuvres de Vassily Kandinsky (1866-1944), Centre Georges Pompidou, 1984.
Kandinsky. Rétrospective, Fondation Maeght, 2001.
Kandinsky 1914-1921, Christian Derouet et Fabrice Hergott, monographie, Hazan, 2001, 160 p.
Sjeng Scheijen (dir.), The Big Change. Revolution in Russian Painting 1895-1917, Musée des Bons-Enfants Maastricht, 2013, 188 p.

Ouvrages d'histoire de l'art

Marcel Brion, Kandinsky, éd. Somogy, 1960.
Dictionnaire Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres,sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, vol. 7, éditions Gründ,‎ janvier 1999, 13440 p. (ISBN 2700030176), p. 681-685.
Philippe Sers, Comprendre Kandinsky, éd. Infolio, 2009.
Brigitte Hermann, Kandinsky : sa vie, Paris, Hazan, coll. « Bibliothèque Hazan »,‎ 2009, 440 p.
Nicholas Fox Weber, La Bande du Bauhaus, six maîtres du modernisme, Fayard 2015.
Filmographie
Wassily Kandinsky (1866-1944), Figures de l'invisible, « Jaune-Rouge-Bleu » ou « gelb-rot-blau » , émission de la série Palettes dirigée par Alain Jaubert, 25 min, réalisée par Palettes production en 1994, diffusée le 27 novembre 1994 sur Arte, première édition vidéo en 1995, DVD vidéo ARTE/ éditions Montparnasse, 2007.


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Posté le : 13/12/2015 14:07
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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