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Choderlos de Laclos
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Le 18 octobre 1741 naît Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos

à Amiens, officier militaire et écrivain français du mouvement des lumières, dont l'Œuvre principale est "Les Liaisons dangereuses " en 1782, il meurt à 61 ans, à Tarente, dans le royaume des deux-siciles, le 5 septembre 1803.
Laclos a écrit quelques poésies publiées dans L’Almanach des Muses. Il a aussi composé les livrets de deux opéras-comiques. L’un, Ernestine, est inspiré d’un roman de Mme Riccoboni et tombe lors de sa première représentation. Issu de la petite noblesse de robe récemment anoblie en 1701 par l’achat d’une charge de secrétaire des Finances de Monsieur, frère de Louis XIV. Une naissance médiocre, peu de fortune amenèrent Laclos à choisir le métier des armes. Officier d'artillerie besogneux qui ne trouva pas le champ libre pour ses ambitions, il n'était encore que capitaine en 1769. En garnison à l'île d'Aix et à l'île de Ré.
UIl choisit l'écriture et il est l'homme d'une seule œuvre : Les Liaisons dangereuses, commencées en 1779 sur l’île d’Aix, et publiées en 1782. Scandale immédiat. En 1785, pour participer à un concours académique à Châlons-sur-Marne, Laclos rédige De l’éducation des femmes.
Pour prévenir contre le vice, il faut bien le peindre. Tel est le prétendu propos des Liaisons dangereuses, ce livre qui, suivant le mot de Baudelaire, s'il brûle, ne peut brûler qu'à la manière de la glace. Sans doute s'agit-il d'une satire des mœurs contemporaines qui montre la décadence des valeurs morales à la fin du XVIIIe s. on n'est d'ailleurs pas très sûr que Laclos n'éprouve pas quelque admiration pour le monde corrompu qu'il dépeint.

En bref

En définitive, Laclos est l'auteur d'un seul livre, Les Liaisons dangereuses, qui subsiste envers et contre tout : le milieu, les mœurs ont changé, l'anecdote offre peu d'intérêt par elle-même ; mais il manifeste, caché sous l'analyse la plus claire, on ne sait quel secret qui touche à la réalité de l'amour et de ses fantasmes. L'homme et l'œuvre : une double énigme. Un homme énigme, tout fait énigme ici, à commencer par l'homme. Sa vie paraît presque plate. Né à Amiens, Pierre Ambroise Choderlos de Laclos, écuyer infime et récente noblesse, entre à dix-huit ans à l'école d'artillerie de La Fère ; ne réussit pas, en 1761, à embarquer pour l'Amérique avec la Brigade des colonies, traîne de garnison en garnison, invente un boulet creux (l'obus), se morfond à l'île d'Aix où il écrit Les Liaisons, publiées en 1782, a, l'année suivante, un enfant de Marie-Solange Duperré qu'il épouse en 1786 et qui lui donnera deux autres enfants, polémique contre les théories – toujours en honneur – de Vauban, prend un congé en 1788, se voue – certains disent : se damne – à Philippe-Égalité jusqu'en 1792, milite chez les jacobins, échappe à la guillotine, est réintégré dans l'armée, promu général, et meurt de fièvre, en 1803, au siège de Tarente. Voilà, en gros, pour le donné manifeste. Les dessous ? Marcel Proust a opposé trop schématiquement au portrait de Mme de Genlis, hypocrite moralisatrice, le portrait de Laclos, l'honnête homme par excellence, le meilleur des maris ... qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres ». Le meilleur des maris – les portraits de sa femme évoquent Cécile de Volanges – a une étrange bouche sensuelle. Cet honnête homme est l'indicateur du duc d'Orléans. Cet indicateur est jacobin. Ce jacobin, le voici nommé général, en 1800, par le Premier Consul. Ce rousseauiste, comme Bonaparte, semble placer l'énergie de l'intelligence bien au-dessus de la bonté. Et puis, enfin, l'honnête homme par excellence, avant de devenir le meilleur des maris, a tout de même écrit le plus effroyablement pervers des livres.
L'œuvre n'est pas moins énigmatique. Poésies légères, discours académique sur L'Éducation des femmes 1783, éloge de Vauban 1787, deux articles de critique littéraire, quelques proclamations jacobines, tout cela ensemble reste si léger, même de style, qu'un des éditeurs des Liaisons dangereuses, Yves Le Hir, en a conclu qu'il était impossible que ce chef-d'œuvre fût de Laclos, ce dernier s'étant contenté de raccorder et d'ajuster des lettres véritables.

Sa vie

Deuxième fils d’un secrétaire à l’intendance de Picardie et d’Artois, d'une famille de robe récente, il est poussé par son père à s'engager dans l'armée, bien que les perspectives de promotion soient restreintes, puisqu'il choisit l’artillerie, arme technique convenant à son esprit mathématique. Il est admis en 1760 à l’École royale d'artillerie de La Fère – ancêtre de l’École polytechnique.
Il est nommé successivement sous-lieutenant en 1761 puis lieutenant en second en 1762. Rêvant de conquêtes et de gloire, il se fait affecter à la Brigade des colonies, en garnison à La Rochelle. Mais le traité de Paris en 1763, met fin à la guerre de Sept Ans. Faute de guerre, le jeune lieutenant de Laclos est obligé d’étouffer ses ambitions dans une morne vie de garnison : au 7e régiment d’artillerie de Toul en 1763, où il deviendra franc-maçon dans la loge L’Union1, à Strasbourg de 1765 à 1769, à Grenoble de 1769 à 1775, puis à Besançon de 1775 à 1776. Cette année-là, affilié à la loge parisienne Henri IV, il en devient le Vénérable Maître. Parvenu dans les Hauts grades de la franc-maçonnerie, il créera son propre chapitre, la Candeur. Nommé capitaine à l’ancienneté en 1771 – il le restera durant dix-sept ans jusqu’à la veille de la Révolution – cet artilleur, froid et logicien, à l’esprit subtil, s’ennuie parmi ses soldats grossiers. Pour s'occuper, il s'adonne à la littérature et à l’écriture. Ses premières pièces, en vers légers, sont publiées dans l’Almanach des Muses. S’inspirant d’un roman de Marie-Jeanne Riccoboni, il écrit un assez mauvais opéra-comique Ernestine, le chevalier de Saint-Georges se chargeant de la partition. Cette œuvre n’aura qu’une seule désastreuse représentation, le 19 juillet 1777 devant la reine Marie-Antoinette.
Lors de cette même année 1777, il reçoit la mission d’installer une nouvelle école d’artillerie à Valence qui recevra notamment le jeune Napoléon Bonaparte. De retour à Besançon en 1778, il est promu capitaine en second de sapeurs. Durant ses nombreux temps libres en garnison, il rédige plusieurs œuvres, où il apparaît comme un fervent admirateur de Jean-Jacques Rousseau et de son roman la Nouvelle Héloïse, qu’il considère comme le plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman. En 1778, il commence à rédiger Les Liaisons dangereuses.
Choderlos de Laclos est nommé maréchal de camp le 22 septembre 1792.
Il eut un fils : Étienne Fargeau Choderlos de Laclos, auteur des Carnets de marche du commandant Choderlos de Laclos An XIV- 1814, suivis de lettres inédites de Mme Pourrat, publiés avec une préface et des notes par Louis de Chauvigny Payot, 1912, né le 1er mai 1784 à La Rochelle et mort à la bataille de Berry-au-Bac le 18 mars 1814 lors de la campagne de France sous les ordres du Maréchal Marmont.

Les Liaisons dangereuses

En 1779, il est envoyé en mission dans l’île d'Aix pour assister le marquis de Montalembert dans la direction de la construction de fortifications contre les Britanniques. Néanmoins, il passe beaucoup de temps à l'écriture des Liaisons dangereuses qu'il rédige au cours de ses passages dans l'île mais également à Besançon et Paris3, de même qu'une Épître à Madame de Montalembert. Promu en cette fin d’année capitaine de bombardier, il demande un congé de six mois qu’il passe dans la capitale française où il écrit ; il sait que désormais son ambition littéraire doit passer avant son ambition militaire en impasse.
Son ouvrage en gestation contient ses frustrations militaires – n’avoir jamais pu faire valoir ses qualités lors d’une guerre – mais aussi les nombreuses humiliations qu’il estime avoir subies au long de sa vie, de la part des vrais nobles, ainsi que des femmes qu’il pense inaccessibles. Les Liaisons dangereuses sont donc aussi pour lui une sorte de revanche et une thérapie.
En 1781, promu capitaine-commandant de canonniers, il obtient une nouvelle permission de six mois, au cours de laquelle il achève son chef-d’œuvre. Il confie à l’éditeur Durand Neveu la tâche de le publier en quatre volumes qui sont proposés à la vente le 23 mars 1782. Le succès est immédiat et fulgurant ; la première édition comprend deux mille exemplaires qui sont vendus en un mois — ce qui pour l’époque est déjà assez extraordinaire — et dans les deux années qui suivent une dizaine de rééditions sont écoulées.
La publication de cet ouvrage, considéré comme une attaque contre la noblesse, est jugée comme une faute par la hiérarchie militaire. Ordonné de se rendre immédiatement dans sa garnison en Bretagne, depuis laquelle il est envoyé à La Rochelle en 1783 pour participer à la construction du nouvel arsenal, il fait la connaissance de Marie-Soulange Duperré5, qui le séduit et avec qui il aura rapidement un enfant. Il a 42 ans, elle seulement 24, mais, réellement amoureux, il l’épousera en 1786 et reconnaîtra l’enfant. Marie-Soulange sera le grand amour de sa vie et lui donnera deux autres enfants.
Choderlos de Laclos ne ressemble en rien au séducteur archétype du personnage de Valmont et n’en a aucune des tares6. Il n’est en rien un séducteur et on le décrit comme « un monsieur maigre et jaune à la conversation froide et méthodique. Sa vie sentimentale se limite à son épouse Marie-Soulange à qui il est fidèle, de même qu’il est pour ses enfants un père attentionné.
Par la suite, il participe à un concours académique dont le sujet est Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ?, ce qui lui permet de développer des vues plutôt féministes sur l’égalité des sexes et l’éducation des jeunes filles. Dans ce texte resté inachevé, il dénonce l’éducation donnée aux jeunes filles qui ne vise, selon lui, qu’à les accoutumer à la servitude, et à les y maintenir. Le thème de l’émancipation féminine avait déjà dans Les Liaisons dangereuses un rôle important.
Le 17 juin 1787, il écrivait au Journal de Paris son projet de numérotation des rues de Paris.

La Révolution

En 1788, il quitte l’armée. Après une période de recherche personnelle du meilleur moyen de favoriser son ambition et diverses tentatives pour approcher un grand seigneur, il entre au service du duc d’Orléans dont il partage les idées sur l’évolution de la royauté.
La révolution qui éclate est enfin pour lui l’occasion de vivre intensément, il s'engage dans la Ligue des aristocrates, un groupuscule de petits nobles qui sera interdit par Robespierre. Dès le début il mène des intrigues en faveur de son maître et organise complots et machinations. Les 5 et 6 octobre 1789, il travaille aux journées versaillaises. D’après Gonzague Saint Bris, Choderlos de Laclos aurait organisé de bout en bout la marche des femmes à Versailles pour réclamer du pain7. Parmi les manifestantes, quelques hommes déguisés auraient été prévus pour s'infiltrer dans le palais7 et il rédige avec Brissot la pétition à l’origine de la fusillade du Champ-de-Mars. En octobre 1790, il fonde le Journal des Sociétés des amis de la constitution, émis par le Club des Jacobins. Le 17 juillet 1791, il négocie le rachat des six cents piques du 14 juillet.
Il se rallie à l’idée républicaine et quitte l'exil à Londres qu'il aurait partagé avec le duc d’Orléans7 pour un poste de commissaire au ministère de la Guerre où il a la charge de réorganiser les troupes de la jeune République. Ce poste de commissaire du ministère est équivalent au grade de général de brigade. Grâce à ses activités, il est chargé de l'organisation du camp de Châlons en septembre 1792 et il prépare de façon décisive la victoire de la bataille de Valmy. À cause de la trahison de Dumouriez, il est emprisonné comme orléaniste, mais sera libéré sous la Convention thermidorienne.
Ayant mis au point, lors d’expériences balistiques, un boulet creux chargé de poudre, de son invention, la mise au point des premiers boulets explosifs lui est attribuée. En 1795, espérant être réintégré dans l’armée, il rédige un mémoire intitulé « De la guerre et de la paix » qu’il adresse au Comité de salut public, mais sans effet. Il tente aussi d’entrer dans la diplomatie et de fonder une banque sans davantage de succès.
Finalement, il fait la connaissance du jeune général Napoléon Bonaparte, le nouveau Premier Consul, artilleur comme lui, et il se rallie aux idées bonapartistes. Le 16 janvier 1800, il est réintégré comme général de brigade d’artillerie et affecté à l’Armée du Rhin, où il reçoit le baptême du feu à la bataille de Biberach. Affecté au commandement de la réserve d’artillerie de l’armée d'Italie, il meurt le 5 septembre 1803 à Tarente, non pas lors d’un affrontement, mais affaibli par la dysenterie et le paludisme, et est enterré sur place. Au retour des Bourbons en 1815, sa tombe fut violée et détruite.

Prononciation

Certains francophones ne savent pas prononcer Choderlos, soit sho-der-lo et non ko-der-lo. Roger Vailland, dans son Laclos par lui-même, donne un fac-similé d’un Mémoire pour demander la Croix de Saint-Louis rédigé par Laclos et daté du 26 août 1787 ; il s’y dénomme Chauderlot de Laclos. D'ailleurs, on trouve souvent dans les écrits de l'époque l'orthographe Chauderlos-Laclos, qui confirme la prononciation sho-der-lo. Par exemple, dans son Histoire de France8, Rocques de Montgaillard écrit en 1827 que ... la compagnie d'artillerie destinée à agir contre l'Assemblée nationale, est commandée par Chauderlos-Laclos (si connu par son infâme roman intitulé Les Liaisons dangereuses, officier entièrement dévoué au duc d'Orléans… Les actuels descendants de Choderlos de Laclos prononcent leur nom : sho-der-lo.

Les Liaisons dangereuses Une Å“uvre test

Les Liaisons sont un chef-d'œuvre énigmatique. Qu'a voulu démontrer l'auteur ? Il porte un masque, et il nous dit d'entrée qu'il porte un masque, pour que nous ne sachions plus, en définitive, s'il porte un masque : un « Avertissement » prévient : « Ce n'est qu'un roman », et la préface qui le double garantit que ce recueil de lettres est authentique. Ce dédoublement caractérisera l'art de Laclos. Honnête homme par excellence ? Mais peut-être, par cela même, romancier d'un livre pervers, prêchi-prêchant l'utilité de dévoiler les moyens qu'emploient les corrupteurs, pour mieux s'octroyer le droit d'observer, sentir et peindre, selon sa définition du romancier, le trouble de la présidente de Tourvel prise aux rets de ses liaisons dangereuses.
En doute sur les intentions de l'auteur, il convient de consulter l'œuvre seule. Que signifie-t-elle ? La signification du Père Goriot ou de Madame Bovary ne se prête guère à des interprétations aussi contrastées que celles – horreur ou extase – dont les Liaisons sont l'épreuve, chacun s'y projetant, comme dans le test de Rorschach : Grimm, sa prudence cauteleuse à l'égard de la bonne compagnie ; La Harpe, sa hargne de réactionnaire ; Musset, sa suffisance de dandy romantique qui rabaisse Valmont au-dessous de Lovelace ; Baudelaire, son satanisme ; Giraudoux, tendre racinien, son hermaphrodisme du couple tragique ; Malraux, sa mythologie de la volonté ; Vailland, son petit catéchisme de crypto-roué communiste ; Dominique Aury, son espoir de libérer la femme ; pour ne rien dire de tous ceux – Sainte-Beuve, Lanson, etc. – qui préfèrent la consigne du silence sur cet ouvrage interdit de 1815 à 1875.
L'énigme ne vient pas de l'anecdote. Presque du feuilleton : deux complices, deux séducteurs, chacun à la manière de son sexe selon les mœurs du temps ; elle, la marquise de Merteuil, en se dissimulant – Tartuffe femelle, pour Baudelaire ; lui, le vicomte de Valmont, en fanfaronnant, se vengent à pervertir Cécile de Volanges, une innocente de quinze ans ; entre-temps, Valmont parvient encore à déshonorer la vertu même, la présidente de Tourvel qui en meurt, et, tandis qu'il se fait tuer en duel, sa complice, trahie, ruinée, défigurée par la petite vérole, quitte la France.

Trop de clarté devient suspecte

Observons l'art du romancier. Rien de plus simple en apparence : un récit par lettre, qui suit l'ordre linéaire du calendrier. Les lettres offrent de nombreux avantages. On nous les livre, elles détectent ; c'est, sous une autre forme, mais selon le même principe, la technique du Diable boiteux qui soulève les toits de Paris : elles découvrent ce qui est couvert. Comme, d'ailleurs, chaque épistolier y parle nécessairement de ce qu'il connaît en première personne, le romancier n'a pas à faire preuve de cette voyance qui – reprochait Sartre à Mauriac – prive les personnages de leur liberté : le lecteur est informé de tout, sans avoir à intervenir. Au surplus, chaque épistolier, menteur ou sincère, s'exprime à sa manière : d'où la rare « variété des styles » dont se flatte Laclos en sa préface, dont Grimm le félicite, et si frappante que Y. Le Hir n'en voit d'autre explication que l'authenticité des lettres. Menteuse ou véridique, une lettre s'adresse toujours à quelqu'un qu'il importe de prendre en considération si l'on a de l'usage ; c'est ce qu'enseigne la marquise de Merteuil à Cécile de Volanges : « Vous écrivez toujours comme un enfant... c'est que vous dites tout ce que vous pensez, et rien de ce que vous ne pensez pas ; [or] vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu'un, c'est pour lui et non pas pour vous : vous devez donc moins chercher à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaît davantage. » Mais mentir n'est pas si facile, et, cette fois, c'est à Valmont que la marquise donne une leçon de style ; rien de si difficile en amour que d'écrire d'une façon vraisemblable ce qu'on ne sent pas : « Ce n'est pas qu'on ne se serve des mêmes mots ; mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, et cela suffit. » Ainsi, en un jeu de miroirs, Laclos approfondit, par la variété des styles, la très banale technique des lettres : chaque scripteur y exprime à la fois sa personnalité, son rapport à la personnalité à laquelle il s'adresse, le rapport des divers milieux sociaux. Autre jeu de miroirs : la même scène – le bienfait truqué, la chute de Cécile, la rencontre des voitures devant la Comédie, etc. – reflétée sans déformation par deux témoins, mais avec des significations différentes. Variété des personnages dans la variété des styles, variété de signification des mêmes circonstances, machinations que l'on démonte avant de les monter, mensonges expliqués d'avance, rien n'échappe, par la correspondance des miroirs, tout apparaît dans la clarté d'un impeccable mécanisme.

Des personnages transformés

Cette clarté, précisément, devient suspecte, anormale. Que cache-t-elle ? Elle cache, sous l'ordre abstrait des dates que portent les lettres, le travail du temps subjectif. Le héros du roman classique, trop souvent demeure le même, à peine marqué, à la fin, de quelques traces extérieures de ses aventures, à peine grimé en vieillard. En dehors de La Vie de Marianne, on ne voit guère, au XVIIIe siècle, que Les Liaisons dangereuses pour remplacer ou compléter le caractère, immuable comme une espèce, par un individu qui change avec l'expérience. Seules les dames que leur âge met à l'abri de la passion – la mère de Cécile de Volanges, la tante de Valmont, dont les lettres sont admirables – ne sont pas touchées par le temps. Tous les autres personnages sont transformés. Par quoi ? Par l'amour. La moins atteinte est Cécile de Volanges, son amour est trop juvénile. Il semble, dans Les Liaisons, que le désir ou le plaisir garde l'immédiateté de la nature, ne dure que l'espace d'un besoin, n'offre qu'un bonheur passager, n'engage pas, obéisse à des lois mécaniques et, par cela même, puisse être exploité comme jeu social de vanité perverse. Au contraire, l'amour dépasse la nature, peut-être la société, il aspire au bonheur durable, il engage, il transforme, on ne peut jouer avec lui. Le plaisir et l'amour peuvent être dissociés Cécile. On va du désir à l'amour Valmont, ou de l'amour au désir avoué la présidente. La marquise permet le plaisir à Valmont ; elle se trouble dès qu'elle le sent amoureux. L'art de Laclos excelle lorsque, ingénieur de la femme, il analyse en elle – Cécile, Mme de Tourvel dans sa chute – le mécanisme, le comportement du désir.

Un caractère

Bien entendu, le changement du personnage a lieu selon la loi du caractère. Danceny restera honnête, Valmont volage, Cécile « niaise et sensuelle », la Présidente sans mensonge. Cependant, si Les Liaisons s'élèvent au chef-d'œuvre, elles le doivent, en grande partie, au caractère de la marquise de Merteuil. Quel caractère ! Elle est la première héroïne tragique à ne pas dépendre des dieux, mais à être le dieu d'elle-même. Elle se crée. Elle maîtrise même sa physionomie. Son énergie, son œil d'aigle, sa passion de la liberté en font un archétype, un fantasme de cape et d'épée contre les injustices. À s'en tenir à l'anecdote de ses conquêtes, on regrette qu'elle dépense le génie de Bonaparte à des batailles de café du Commerce. Mais c'est sa révolte qui compte. Elle sert une cause. Elle en accepte tous les risques. Son inévitable point faible : ayant pris le maquis, pouvait-elle agir sans complice ? et ne pas aimer ce complice ? Yvon Beltran;

Les liaisons dangereuses, livre de Choderlos de Laclos


Rien ne semblait destiner l'officier d'artillerie Choderlos de Laclos (1741-1803) à la littérature, ni son roman, Les Liaisons dangereuses, paru en 1782, à un tel succès de scandale. Sa formation lui assura une solide culture scientifique et technique ; son expérience, de garnison en garnison, lui permit de côtoyer le libertinage aristocratique plus que de le pratiquer lui-même. Il offre pourtant à l'Ancien Régime finissant l'image la plus cruelle de la crise des valeurs, et à la tradition littéraire du roman libertin un chef-d'œuvre qui semble en épuiser la veine.
Le sous-titre complet du roman, Lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres, indique la forme adoptée : le roman épistolaire, illustré par Richardson et Rousseau et devenu la forme romanesque dominante dans l'Europe des Lumières. L'épigraphe, J'ai vu les mœurs de mon temps, et j'ai publié ces lettres, est empruntée quant à elle à la Préface de La Nouvelle Héloïse (1761) de Rousseau. C'est en disciple de Jean-Jacques Rousseau que Laclos entreprend de critiquer les mœurs dépravées de la noblesse de cour pour laquelle la morale religieuse est devenue conformisme et formalisme, tandis que quelques libertins, qui se proclament roués, c'est-à-dire dignes du supplice de la roue, bafouent l'amour et le mariage. Les « liaisons dangereuses » désignent les mauvaises fréquentations qui menacent les jeunes gens, et les lettres imprudentes qui tombent entre les mains de séducteurs et deviennent des armes contre leurs auteurs. Le texte est si bien agencé en machine infernale qu'il finit par apparaître comme une peinture complaisante des conduites de séduction. Les Liaisons dangereuses ont pu être lues comme une apologie de cette maîtrise du mensonge qu'est le libertinage, qui mime le langage de l'amour et tend à contrôler les aveux et les déclarations de chacun. Le romancier et son lecteur risquent alors de devenir les complices objectifs des roués. Les Liaisons dangereuses peuvent donc aussi apparaître comme l'exacte antithèse de La Nouvelle Héloïse.

Les dangers du libertinage

L'intrigue commence avec l'entrée dans le monde de la jeune Cécile Volanges qui quitte son couvent pour être mariée au comte de Gercourt. Elle raconte à son amie de couvent ses premières expériences mondaines et amoureuses : elle s'éprend de son maître de musique, Danceny. Une de ses parentes, la marquise de Merteuil, entend se venger de Gercourt qui lui a été autrefois infidèle, et convainc son complice en libertinage, le vicomte de Valmont, de séduire et de déflorer la jeune Cécile pour ridiculiser son futur époux : « Je veux donc bien vous instruire de mes projets : mais jurez-moi qu'en fidèle chevalier vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d'un héros : vous servirez l'amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie de plus à mettre dans vos Mémoires... » Mais Valmont est obsédé par la conquête d'une femme apparemment vertueuse et inaccessible, la présidente de Tourvel. Il faut que Cécile et la présidente se trouvent l'une et l'autre dans un château de province pour que Valmont mène de front les deux entreprises. Il couche facilement avec la jeune Volanges, mais n'obtient la présidente qu'au terme d'une longue traque. La marquise de Merteuil, qui est la confidente de ces hauts faits libertins, diagnostique dans le bulletin de victoire de Valmont la naissance d'un sentiment amoureux pour la présidente de Tourvel. Elle oppose à l'efficacité libertine de son complice sa propre dextérité. Elle séduit et mène à sa perte Prévan, qui est un double de Valmont et qui croyait contrôler leur relation. Elle séduit ensuite le jeune Danceny. C'est désormais la guerre entre les anciens amants, entre les libertins. Tandis que Valmont refuse de perdre la présidente, Merteuil le fait provoquer en duel par Danceny, furieux de découvrir comment Cécile a été déshonorée. Valmont meurt ou se laisse tuer, et révèle la correspondance de la marquise. Celle-ci, défigurée par la petite vérole, partiellement ruinée et surtout rejetée par l'opinion publique, doit fuir en Hollande.

L'effondrement d'une société corrompue

L'œuvre commence par l'ironique contradiction entre un « Avertissement de l'éditeur » et une « Préface du rédacteur » qui postulent l'authenticité des lettres ou bien leur caractère factice ; elle s'achève par un énigmatique dénouement. Valmont meurt-il par amour ? C'est bien en tout cas ce qui arrive à la présidente de Tourvel, frappée par l'annonce de son décès. La marquise meurt quant à elle sur le plan social : la Hollande peut-elle lui assurer une autre vie ? Cécile ira dans un couvent et Danceny risque de prendre la place de libertin que vient d'abandonner le vicomte de Valmont. La critique du libertinage ne débouche donc ici sur aucune morale positive. La société aristocratique semble irréversiblement corrompue et fausse, la perspective d'un sentiment authentique reste hypothétique et floue. Le roman donne le sentiment d'une habileté rhétorique qui renvoie dos à dos le lyrisme amoureux et la méchanceté libertine, la passion rousseauiste et l'analyse froide à la Crébillon Fils 1707-1777.
Mais en doublant la figure traditionnelle du libertin par celle de la libertine qui prétend agir avec les armes des hommes et dénonce la fatuité masculine, Laclos ne se contente pas de reproduire le schéma de la séduction selon Crébillon Fils, auteur à succès de romans licencieux. La marquise de Merteuil critique la vanité de Valmont avec des arguments qui semblent ceux qu'emploie le valet de Beaumarchais contre le comte Almaviva dans Le Mariage de Figaro : « Où est le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard ; des grâces que l'usage donne presque toujours ; de l'esprit à la vérité, mais auquel le jargon suppléerait au besoin ; une impudence assez louable, mais peut-être uniquement due à la facilité de vos premiers succès, voilà tous vos moyens. »
La force de caractère de la marquise de Merteuil et l'abandon amoureux de la présidente de Tourvel apparaissent comme des énergies qui dissolvent de l'intérieur la société de l'Ancien Régime. Laclos montre surtout que chaque rêve de maîtrise se heurte à une part d'illusion et de faiblesse. Les libertins qui se croyaient tout-puissants sont emportés à leur tour par le sentiment ou le ressentiment. Reste l'exceptionnelle maîtrise narrative d'un écrivain qui ne pourra pourtant jamais composer de second roman. Michel Del

Å’uvres

Ernestine, opéra-comique, 1777.
Pierre Choderlos de Laclos : Å’uvres et bibliographie
Les Liaison dangereuses
Des Femmes et de leur éducation, 1783.
Instructions aux assemblées de bailliage, 1789.
Journal des amis de la Constitution, 1790-1791.
De la Guerre et de la paix, 1795.


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Posté le : 16/10/2015 21:10
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Re: Choderlos de Laclos
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Chère Loriane,

Grâce à toi, j'ai beaucoup appris sur la vie de CHoderlos de Laclos. J'ignorais sa longue carrrière militaire .
Comme quoi, on peut avoir tendance à réduire la dimension d'un être humain à son activité principale, ou du moins à celle que l'on croit être son activité principale.

Merci à toi, vraiment.

Amitiés de Dijon.

Posté le : 24/10/2015 17:26
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Re: Choderlos de Laclos
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Frère Jacques,
Tu as tout à fait raison, c'est pourquoi j'aime les biographies.
Sans qu'il soit utile de trop approfondir mais au moins juste casser la " vitrine" qui, tu as raison de le dire, est si réductrice. Si contente d'avoir publié utile.
Oui l'homme a un peu plus " d'épaisseur " que ne le laisse supposer son oeuvre.
Poutous.

Posté le : 25/10/2015 17:53
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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