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De Montpellier
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Le 10 Novembre 1981 à Paris 16 éme, meurt Abel Gance
réalisateur français, scénariste et producteur de cinéma, né Abel Eugène Alexandre Perthon, le 25 octobre 1889 à Paris 18e. Abel Gance est l'un des pères du langage moderne dans le cinéma et compte parmi les plus importants pionniers de son histoire, avec D. W. Griffith aux États-Unis et Sergueï Eisenstein pour l'URSS.
Dès 1909, Abel Gance commence à écrire ses premiers scénarios, d'abord pour la Gaumont, puis pour la S.C.A.G.L. À cette époque, il hésite encore sur sa vocation : il se sent attiré à la fois par la poésie, il écrit un recueil : Un doigt sur le clavier, le théâtre, parmi ses essais, une pièce en cinq actes et en vers, la Victoire de Samothrace, plaira beaucoup à Sarah Bernhardt, et le cinéma, il interprète un rôle important dans le Molière de Léonce Perret 1909. Mais l'envie de réaliser des films l'emporte bientôt.
Grande figure du cinéma français muet, Abel Gance impose pendant la Première Guerre mondiale un lyrisme exacerbé, un imaginaire déchaîné, un sens des éclairages qui tranchent sur la grisaille d'un cinéma national qui ne s'est pas relevé du choc d'août 1914. Il va être, dans les années 1920, l'homme d'un cinéma épique, visionnaire et démesuré qui culmine avec le Napoléon inachevé de 1927. Le passage au cinéma parlant, deux ans plus tard, lui est fatal. Gance a passé le reste de sa longue vie à tenter de convaincre les maîtres de l'industrie et les pouvoirs publics, tous régimes confondus, de mettre à sa disposition les moyens nécessaires à la réalisation des projets pharaoniques nés de son imagination de poète, qui assurait porter en lui le génie d'Eschyle, de Dante et de Victor Hugo.
Sa vie
Né à Paris, Abel Gance avait par sa mère, Françoise Perthon, une origine bourbonnaise. Il passa une partie de sa petite enfance à Commentry dans l'Allier chez ses grands-parents. Il commença des études de droit, les abandonna pour se consacrer au théâtre et à la poésie, puis au cinéma vers 1909. Il s'affirme dès 1918 comme un cinéaste novateur, dont le style empreint de lyrisme tranche sur la production de l'époque. J'accuse et La Roue font de lui un réalisateur vedette, tandis que Napoléon est l'un des derniers grands succès français du cinéma muet. Mais le grave échec financier de La Fin du monde brise sa carrière. Il est amené à tourner des films moins personnels et, bien que sa carrière compte des succès commerciaux comme Lucrèce Borgia ou La Tour de Nesle ou Austerlitz en 1960, il ne retrouvera jamais le prestige qui était le sien. En 1974, il a reçu le prix national du Cinéma et, en 1981, un hommage à la cérémonie des César, quelques mois avant sa mort, qui survient le 10 novembre de la même année. Kurosawa et Coppola n'ont jamais caché leur admiration pour Gance. Il a eu comme secrétaire et assistante Nelly Kaplan. La rue Abel-Gance à Paris porte son nom en hommage. Il est inhumé au cimetière d'Auteuil, à Paris.
État civil
Le père d'Abel ne le reconnaît pas à sa naissance, il est donc inscrit à l'état-civil par un tiers sous le nom de sa mère, selon l'usage de l'époque. 25 septembre 1895 : Françoise Perthon reconnaît Abel pour son fils, toujours selon l'usage en vigueur, suivant acte passé à la mairie du 18e arrondissement de Paris. 5 juin 1897 : Françoise Perthon épouse Adolphe Gance à la mairie de Saint-Leu-Taverny, Seine-et-Oise, aujourd'hui, Saint-Leu-La-Forêt, Val d'Oise. Par leur mariage, ils légitiment Abel, qui portera désormais le patronyme de Gance. 9 novembre 1912 : il épouse en premières noces Mathilde Angèle Thizeau à Paris 16e. 7 novembre 1922 : il épouse en secondes noces Marguerite Danis à Neuilly-sur-Seine. 7 octobre 1933 : il épouse en troisièmes noces l'actrice Odette Marie Vérité 1902 - 1978 à Paris 16e, dont il aura une fille, Clarisse.
Le cinéma, musique visuelle
Abel Gance est né le 25 octobre 1889 dans un quartier populaire de Paris. Fils naturel d'un médecin qui subviendra à ses études secondaires, il est reconnu en 1892 par le compagnon de sa mère, Adolphe Gance, chauffeur mécanicien. Sa petite enfance se passe chez ses grands-parents à Commentry, alors cité minière de l'Allier. Revenu à Paris, on l'inscrit dans un collège catholique puis au lycée Chaptal, qu'il quitte pour travailler chez un huissier. Passionné de poésie, il dit s'être enfermé des jours entiers à la Bibliothèque nationale. C'est alors le théâtre qui l'attire. Dès 1906, il monte sur les planches, sans grand succès. Il écrit des poèmes, puis des pièces exaltées. Il fréquente la bohème, veut s'affirmer, aller plus loin que les autres. À partir de 1910, il gagne sa vie en vendant des scénarios à différentes maisons de production. En mars 1912, il publie un manifeste qu'il a intitulé : Qu'est-ce que le cinématographe ? Un Sixième Art .
Au début de 1912, Abel Gance réalise quatre petits films, aujourd'hui perdus. En 1915, il signe un contrat avec une filiale de Pathé pour laquelle il tourne en quelques mois dix films courts, dont La Folie du docteur Tube, une pochade fondée sur la déformation de l'image obtenue par des jeux de miroirs. En 1916, il aborde le long-métrage et s'oriente vers le drame mondain avec Le Droit à la vie, Mater dolorosa, puis La Dixième Symphonie. C'est le moment où une critique sérieuse commence à prêter attention au cinéma. Émile Vuillermoz en fait partie, qui s'enthousiasme pour cette Symphonie : "On pourra un jour photographier la musique jusqu'à l'âme, fixer sur l'écran, en reflets rythmés, son visage changeant : les frontières de l'art muet sont reculées, des lueurs grandissent et des fenêtres s'ouvrent" .
J'accuse, qu'il tourne à l'automne de 1918 et qui sort en mars 1919 en trois épisodes, va atteindre le grand public. Le film convoque à l'écran les morts de la guerre qui vient de se terminer pour hurler l'horreur de ses carnages. En 1922, Gance réduira ce J'accuse à un seul très long-métrage, gommant l'outrance nationaliste et accentuant la dimension pacifiste et universelle de l'œuvre.
Dans cet après-guerre où le cinéma hollywoodien occupe les trois quarts des écrans français, Gance est, avec Louis Delluc, Jean Epstein et quelques autres, un phare de cette avant-garde qui théorise et réalise une première vague de cinéma d'auteur. De 1919 à 1922, il tourne dans les Alpes et à Nice un premier film hors norme, La Roue, dont le héros est un conducteur de locomotive qu'il a appelé Sisif. Gance en a travaillé durant un an le montage rythmique : il segmente les scènes d'action en plans brefs, heurtés, qui composent ce qu'il appelle une musique visuelle. À sa sortie dans une version très longue, le film est mal accueilli par une grande partie de la critique. Ainsi de René Clair : " Ah ! si M. Abel Gance voulait renoncer à faire dire „oui“ ou „non“ à des locomotives, à prêter à un mécanicien les pensées d'un héros antique, à citer ses héros favoris ! Ah, s'il voulait renoncer à la littérature et faire confiance au cinéma !". Gance réduit alors son film de 10 200 mètres à 9 200 puis à 4 200 mètres. C'est cette dernière version qui a été restaurée par la Cinémathèque française en 1985. Si l'histoire de Sisif demeure d'une naïveté consternante, certaines scènes d'action, d'acier et de fumées sont fascinantes.
Gance et la technique
Abel Gance élabore en 1925 avec André Debrie, 40 ans avant le cinérama, un procédé de film avec trois caméras par juxtaposition qui donne une largeur d'image trois fois supérieure au format traditionnel et permet aussi un récit en trois images différentes, la polyvision. Voir Napoléon en 1927. En 1929/1932, il dépose, avec André Debrie, un brevet sur la perspective sonore, ancêtre de la stéréophonie. En 1934, il sonorisa son film Napoléon, avec ce procédé. Il met au point à partir de 1937, avec l'opticien Pierre Angénieux, le pictographe, appareil optique pour remplacer les décors par de simples maquettes ou photographies, et qui est à l'origine de l'incrustation télé d'aujourd'hui. Ses derniers travaux avant sa mort portaient sur l'image virtuelle.
Napoléon Bonaparte
En septembre 1923, Abel Gance présente le projet d'un film épique sur Napoléon, en huit épisodes de 2 000 mètres chacun. Projet démesuré, qui implique un financement européen. Gance l'obtient en 1924 auprès de deux financiers, le Russe émigré Vladimir Wengeroff et l'Allemand Hugo Stinnes, qui ont créé une entreprise de production, la Westi Film Gmbh, qui s'est associée à d'autres producteurs, dont Pathé. Le tournage de Napoléon commence en janvier 1925. Interrompu par la mort de Stinnes et l'effondrement de son empire, il reprend de janvier à août 1926 avec une ambition réduite. Abel Gance avait mis au point une technique permettant de coordonner trois projecteurs et donc trois écrans qui proposaient trois scènes complémentaires, voire une image unique, comme l'aigle impérial déployant ses ailes sur un écran plus large que ne sera celui du Cinémascope. Il a d'emblée monté plusieurs versions du Napoléon – l'une de six heures découpée en trois épisodes pour la diffusion en salle, et une autre de 3 heures 15 minutes, avec les triptyques, présentée le 7 avril 1927 à l'Opéra de Paris devant un public d'invités qui fit de cette première un triomphe. L'accueil du grand public, qui voyait le film en plusieurs fois, et sans l'attraction du triple écran, fut moins chaleureux. Bientôt, l'apparition du parlant rejeta cruellement Napoléon au magasin des vieilleries.
Les copies de 1927 ont disparu. En 1935, Abel Gance en a tiré une version sonorisée sous le titre Napoléon Bonaparte. Les triptyques ont alors disparu, quelques scènes en son direct ont été ajoutées, de nombreuses scènes muettes écourtées. En 1955, Gance a revu cette version à l'occasion d'une projection au Studio 28 à Paris. Le montage a été resserré, et Gance a réinséré le triptyque final. En 1970, Claude Lelouch, qui a racheté les droits du film, en tire avec l'aval de Gance une version intitulée Bonaparte et la Révolution. Il ajoute quelques scènes, en mutile d'autres et refait le son. Cette version a été exploitée, sans triptyques, pendant quelques années. Depuis les années 1960, l'historien britannique Kevin Brownlow avait commencé une restauration rigoureuse, cherchant dans les archives du monde entier des copies ou des fragments du chef-d'œuvre vandalisé. La version Brownlow est projetée en l'état de sa recherche en 1979, au festival américain de Telluride. Francis Ford Coppola finance une sonorisation du film dont il fait aussi retoucher le montage. Brownlow continue sa reconstruction, et peut proposer à Londres en 1980, et pour la première fois en France au Havre en 1982 une version presque complète, il manque encore quelques scènes et deux triptyques du Napoléon de 1927.
C'est une redécouverte majeure.
Trois générations de cinéphiles, qui pendant un demi-siècle avaient été plus ou moins déçus par des copies défigurées, ont enfin pu sentir le souffle unique du chef-d'œuvre que Gance n'avait pas su préserver. L'inventivité, le lyrisme, une ampleur effectivement hugolienne, la folie à l'occasion, déployés par Gance, tant au tournage qu'au montage font passer les à -peu-près historiques. Les scories du scénario sont emportées par la puissance tellurique de la mise en scène, et par l'interprétation hallucinée d'Albert Dieudonné.
Et après ? La Fin du monde, conçu en 1929, qui est tourné pour partie en muet, pour partie en sonore à Joinville, est maltraité par des montages successifs. Le film, qui se veut porteur d'un message gancien, un illuminé se bat pour sauver la planète est en 1931 un échec artistique et commercial. Gance tourne ensuite un remake ambitieux de sa Mater dolorosa, puis s'aligne sur la médiocrité du cinéma de petits producteurs à laquelle peu échappent dans les années trente du cinéma français. Neuf films jusqu'à La Vénus aveugle, un lourd mélodrame qu'il dédie en 1941 au maréchal Pétain. Entre 1943 et 1945, Gance cherche des fonds dans l'Espagne de Franco. Après la guerre, il prolonge, avec l'aide de Nelly Kaplan, ses recherches sur la lumière et les formats, et tourne encore trois films étouffés par des budgets défaillants, tout en cherchant auprès des vrais maîtres du monde, en 1964, il s'adresse à Mao Zedong et à de Gaulle l'appui qui lui permettrait de réaliser les monuments qu'il dit porter en lui. Abel Gance est mort le 10 novembre 1981.
Filmographie
1911 : La Digue 1912 : Il y a des pieds au plafond 1912 : La Pierre philosophe 1912 : Le Masque d'horreur 1912 : Le Nègre blanc 1915 : La Fleur des ruines 1915 : La Folie du docteur Tube 1915 : L'Énigme de dix heures 1915 : L'Héroïsme de Paddy 1915 : Strass et Compagnie 1915 : Un drame au château d'Acre 1916 : Ce que les flots racontent 1916 : Fioritures 1916 : Le Fou de la falaise 1916 : Le Périscope 1916 : Les Gaz mortels 1917 : Barbe rousse 1917 : La Zone de la mort 1917 : Le Droit à la vie 1917 : Mater Dolorosa 1918 : Ecce Homo inachevé 1918 : La Dixième Symphonie 1919 : J'accuse 1923 : La Roue 1924 : Au secours ! 1927 : Napoléon 1928 : Marines et cristaux court-métrage 1931 : La Fin du monde 1932 : Mater Dolorosa 1933 : Le Maître de forges avec Fernand Rivers scénario et production 1934 : La Dame aux camélias avec Fernand Rivers scénario et production 1934 : Poliche 1935 : Jérôme Perreau héros des barricades 1935 : Le Roman d'un jeune homme pauvre 1935 : Lucrèce Borgia 1935 : Napoléon Bonaparte 1937 : Un grand amour de Beethoven 1938 : J'accuse 1938 : Le Voleur de femmes 1939 : Louise 1940 : Paradis perdu 1941 : Vénus aveugle 1943 : Le Capitaine Fracasse 1953 : Lumière et l'invention du cinématographe de Paul Paviot, seulement auteur du commentaire et interprète 1953 : Quatorze juillet documentaire 1955 : La Tour de Nesle 1956 : Magirama suite de courts-métrages : Auprès de ma blonde, Fête foraine, Begone Dull Care, Le Départ de l’armée d’Italie, Châteaux de nuages 1960 : Austerlitz 1964 : Cyrano et d'Artagnan 1966 : Marie Tudor film TV 1967 : Valmy téléfilm terminé par Jean Chérasse 1971 : Bonaparte et la Révolution
Metteur en scène
1958 : La Cathédrale de cendres de Berta Dominguez D., distr.: Tania Balachova, Antoine Balpêtré, Giani Esposito, Tony Taffin, Roque Carbajo, Théâtre de l'Alliance française
Hommages
En 1993, la Rue Abel-Gance dans le 13e arrondissement de Paris prend son nom en souvenir. En 2010, Philippe Starck utilise des citations d'Abel Gance dans le design de la salle de cinéma numérique du palace parisien Le Royal Monceau, Le Cinéma des Lumières , avenue Hoche, Paris.
Napoléon, film de Abel Gance
Faut-il le préciser, Napoléon d'Abel Gance 1889-1981, le seul film français muet connu aujourd'hui aux États-Unis, est un monument de l'histoire du cinéma. Il est l'équivalent hexagonal, et même corse de Naissance d'une nation en 1915, le célèbre film fondateur des États-Unis de D. W. Griffith. La démesure des moyens plus de cent mille mètres de pellicule enregistrée, un millier de figurants, trois caméras enregistrant des images distinctes ou combinées, la durée de réalisation du film, qui s'étale de 1925 à 1926, son montage final présenté le 7 avril 1927 à l'Opéra de Paris attestent du caractère hors norme de cette œuvre protéiforme. Quand le cinéaste se lance dans cette épopée, il a déjà une dizaine d'années d'expérience, mais il n'a pu s'exprimer librement qu'avec La Roue, autre film fleuve de 1921, distribué après de multiples péripéties en 1923. Il écrit alors une série de six, puis huit scénarios consacrés à l'empereur dont il ne réalisera que les premiers épisodes. Le triomphe de Napoléon suscitera de nombreuses polémiques, Un Bonaparte pour apprentis fascistes, commente en 1927 Léon Moussinac, le critique de cinéma de L'Humanité, mais offrira à Abel Gance l'admiration de D. W. Griffith et de Charlie Chaplin.
Une œuvre irréalisable
Du scénario fleuve initial en huit parties, allant de l'école militaire de Brienne au rocher de Sainte-Hélène, Abel Gance n'a réalisé que les trois premières, décomposées en six périodes :
– La jeunesse de Bonaparte à Brienne où le jeune Corse fait preuve de ses talents de tacticien lors d'une bataille de boules de neige entre collégiens. La jeune Violine, fille du cuisinier, est amoureuse de lui. – Neuf ans plus tard, au club des Cordeliers, Rouget de Lisle interprète La Marseillaise, reprise en chœur par l'assemblée. Bonaparte le remercie pour la France. – Bonaparte retourne en Corse. Il est poursuivi par les troupes de Paoli, allié des Anglais. Il s'échappe en affrontant une tempête pendant qu'une autre tempête se déchaîne à la Convention. Les Girondins sont envoyés à l'échafaud. – Nommé capitaine, Bonaparte prépare le siège de Toulon insurgé et s'empare du fort. – Les épisodes suivants décrivent la Terreur, la rencontre avec Joséphine de Beauharnais, l'assassinat de Marat par Charlotte Corday. Nommé général d'infanterie, Bonaparte sauve les dirigeants révolutionnaires menacés par la foule affamée. Le « général Vendémiaire » assiste au bal des Victimes où il retrouve Joséphine. Il fait ses adieux à la Révolution dans l'enceinte de la Convention, où les fantômes de Robespierre, Danton, Saint-Just, Marat lui apparaissent. – Bonaparte réorganise l'armée en Italie du Nord en s'imposant à l'état-major d'Augereau et de Masséna. L'armée des révolutionnaires en haillons devient la Grande Armée et entre dans l'épopée.
Une œuvre d'une grande virtuosité poétique et technique
Le scénario reprend les épisodes de la légende napoléonienne telle qu'elle a été vulgarisée au XIXe siècle. Abel Gance n'évite aucune image d'Épinal, ni aucune réplique historique. Mais son écriture cinématographique, d'une extrême audace pour le cinéma des années 1920, métamorphose cette accumulation de stéréotypes en s'appuyant sur des figures de style radicales. Il y a d'abord la sinuosité du récit et ses excroissances feuilletonesques qui ne cessent d'entremêler avec ironie la « Grande Histoire » et l'anecdote sentimentale. Ces digressions servent à mettre en place des figures métaphoriques, certes conventionnelles l'aigle qui vient se poser sur le canon, à la fin de l'épisode de Brienne, le drapeau transformé en voile, etc., mais d'une extraordinaire virtuosité plastique. Les métaphores sont démultipliées par les surimpressions, très nombreuses et multiples, jusqu'à 16 images superposées, lors de la déclamation de La Marseillaise, de la chevauchée en Corse, des débats houleux à la Convention, etc.
Napoléon est certes un film à grand spectacle, mais c'est aussi un film expérimental. Ces expériences rhétoriques culminent dans le montage de plus en plus rapide dans toutes les séquences d'action. Abel Gance va jusqu'à monter des plans d'une à deux images seulement, quasi imperceptibles, mais productrices d'effets rythmiques vertigineux. À cela s'ajoute le célèbre triptyque, ou polyvision qui démultiplie l'écran en trois parties, avec une image centrale et deux images latérales, parfois inversées, parfois continues, lors de la représentation de l'armée d'Italie. Enfin, il faut mentionner le choix des acteurs, leur jeu survolté, la caricature délibérée des silhouettes et des visages. Antonin Artaud compose un Marat halluciné, les yeux injectés de sang, Van Daële est un Robespierre machiavélique, froid, pâle, avec les lèvres minces et le regard glacé, le russe Koubitzky est un Danton crinière en bataille, brailleur et débraillé Abel Gance. Les tricoteuses et les sans-culottes semblent sortir de la cour des Miracles, avec leurs trognes de mégères bestiales et avinées, les colosses, torse nu et aux bras rouges de sang : tous s'opposent à l'élégant Albert Dieudonné qui s'est totalement identifié au jeune Bonaparte des tableaux de la légende. Comme l'a indiqué le restaurateur du film, Kevin Brownlow, voir Napoléon vu par Abel Gance, c'est se retrouver devant des actualités cinématographiques des années 1790, un siècle avant l'invention du cinéma.
Liens
http://youtu.be/l2ViW4lxmD0 La roue film noir et blanc muet http://youtu.be/aW1p05MGePE Austerlitz http://youtu.be/4BPrEPwOiz4 Austerlitz http://youtu.be/YlXz3NJdRXk Austerlitz Abev Gance http://youtu.be/2HObklmR_ZQ Napoléon (fin) http://youtu.be/wPr-TwPh9sk J'accuse Abel gance
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Posté le : 09/11/2013 20:11
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