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De Montpellier
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Le 18 Août 1906 naît Marcel Carné cinéaste réalisateur et critique français
Assistant de René Clair et de Jacques Feyder à ses débuts, Marcel Carné est indissociable de Jacques Prévert, qui fut le scénariste de la plupart de ses films. Il reste dans l'histoire comme le cinéaste emblématique du réalisme poétique.
Enfance
Marcel Carné est né à Paris en 1906 dans le quartier des Batignolles (XVIIe arrondissement), d'un père ébéniste. Sa mère meurt alors qu'il a cinq ans son père souvent absent, Marcel Carné est élevé librement par une grand-mère et une tante. Il est très vite attiré par le cinéma : il se rend chaque jeudi à une projection de film, puis de plus en plus souvent, trichant quelquefois pour ne pas avoir à payer le prix de sa place. Son père souhaite qu'il reprenne sa succession et devienne ébéniste, comme lui. Marcel Carné commence donc des cours pour apprendre à tailler le bois. Il les abandonne ensuite même s'ils ne lui déplaisent pas plus que ça. Il suit à la place deux fois par semaine, en cachette, des cours de photographie à l'école des Arts et Métiers. Pour payer ses séances de cinéma qui se font de plus en plus nombreuses, il travaille alors dans une banque, puis une épicerie, puis à 17 ans, il trouve un emploi dans une compagnie d'assurances.
Premiers contacts avec le cinéma
Après son travail, il suit aux Arts et Métiers des cours de photographie. L'amitié de Françoise Rosay, rencontrée chez des amis communs en 1928 lui ouvre l'accès des studios. À la fin du repas, il obtient de celle-ci qu'elle organise pour lui une rencontre avec Feyder. Carné est alors engagé comme assistant-réalisateur secondaire sur le nouveau film de Feyder, Les Nouveaux Messieurs en 1929. Mais ce dernier est appelé à Hollywood, et Carné se tourne vers le journalisme et la critique de cinéma. Mais à la suite de cette première expérience cinématographique, il part faire son service militaire en Rhénanie. Lorsqu'il revient en France, en 1929, la revue Cinemagazine organise un concours de critique de films. Carné en soumet cinq, et reçoit le premier prix. Il est engagé comme critique cinématographique. Il écrit aussi dans les revues Hebdo-Film, Vu, Cinémonde et Film-Sonore. En 1929, il décide de réaliser son premier documentaire poétique sous le titre Nogent, Eldorado du dimanche, aidé financièrement par Michel Sanvoisin. Ce court-métrage raconte l'échappée dominicale de la jeunesse parisienne dans les guinguettes des bords de Marne. Charles Peignot le convainc ensuite de tourner des films publicitaires avec Jean Aurenche et Paul Grimault. Puis il devient assistant pour la mise en scène de Richard Oswald dans le film Cagliostro 1929, de René Clair dans le film Sous les toits de Paris en 1930, de Jacques Feyder pour Le Grand Jeu en 1934, Pension Mimosas en 1935 et La Kermesse héroïque en 1935. Il dit de Feyder : "je dois à peu près tout à Feyder. II m'a appris ce qu'est un film, depuis sa préparation jusqu'à la mise en scène proprement dite et aussi la direction des acteurs... La meilleure école de cinéma, c'est la pratique."
Entre 1930 et 1932, Carné tourne de petits films publicitaires en collaboration avec Paul Grimault et Jean Aurenche de 1904 à 1992. Il assiste ensuite Feyder, rentré d'Amérique, pour le Grand Jeu en 1934, Pension Mimosas en 1935 et la Kermesse héroïque. Il débute enfin dans la mise en scène, en 1936, et signe Jenny.
Collaboration avec Prévert
Enthousiasmé par le "Crime de M. Lange", réalisé par Jean Renoir avec la collaboration de Jacques Prévert, il exige de son producteur que ce dernier soit le scénariste et le dialoguiste de Jenny. C'est le début d'une collaboration qui marquera dix ans de cinéma français. Peut-être en raison de sa précocité, le réalisateur aura du mal, au début, à se faire une place dans le petit monde des studios français des années 1930. Les techniciens et les figurants, qui vénèrent l'aimable Jean Renoir comme un père de famille, vivent mal l'arrogance de ce jeune cinéphile qui vient du journalisme et a su profiter d'amis personnels que sont Jacques Feyder et son épouse Françoise Rosay, pour s'introduire dans le milieu. Sur le plateau, on le dit froid, dictatorial, peu sûr de lui, ne fréquentant que les vedettes et les chefs d'équipe. C'est donc presque à contrecœur, et le succès aidant, que l'on va reconnaître, au sein des équipes, le génie professionnel de Carné, son perfectionnisme et sa capacité à galvaniser les talents qui l'entourent En 1937, Carné réalise Drôle de drame. L'univers du tandem Carné-Prévert est en place.
Réalisme poètique
Bien qu'édifié sur un scénario et des dialogues d'Henri Jeanson de 1900 à 1970 et Jean Aurenche, Hôtel du Nord en 1938 ne détonne nullement dans cet univers, même si le réalisme noir de ce film doit plus à la littérature de "Eugène Dabit" qu'à cette atmosphère picturale que Quai des brumes de 1938 enveloppe de sa magie désespérée. Là , tous les horizons sont barrés, ceux de l'amour, ceux de l'art, ceux de la liberté. La règle des trois unités commande aussi au Jour se lève en 1939, sommet de l'œuvre du cinéaste. Carné trouve en Jean Gabin une incarnation parfaite de sa vision fraternelle, insurgée et désespérée. Surtout, il porte à la perfection, deux ans avant Citizen Kane, un cinéma de la mémoire. Après les Visiteurs du soir en 1942 et avant les Portes de la nuit en 1946, Carné tourne les Enfants du paradis en 1945. Le réalisme poétique opte pour le Paris de Louis-Philippe et de Balzac ; il s'y dévoile comme un néoromantisme dévoré d'énergies encore plus que de passions. Apothéose du spectacle, cinéma impur c'est à dire, à la fois théâtre et cinéma, était ce film – avec Henri V par Laurence Olivier et Ivan le Terrible de Eisenstein parus à la même époque – ont fait parler les théoriciens de la "troisième voie", et en conduit d'autres à renoncer à la notion d'une spécificité du septième art. Avec Le Quai des Brumes et Le jour se lève, il va devenir une figure clé du "réalisme poétique ". Durant la Seconde Guerre mondiale, Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis marquent l’apogée de sa carrière, en même temps qu’ils traduisent une inflexion certaine de l’œuvre. Après la guerre, malgré des réussites certaines, Carné ne parvient pas à renouer avec la créativité de ces deux périodes.
Entre réalisme et féerie
En 1947, la paix est revenue, une nouvelle époque commence. Le néoréalisme italien impose ses modèles. Le réalisme poétique n'est plus viable ; le personnage mythologique de Gabin est anachronique. Avec la Marie du port en 1950, adapté de Georges Simenon, Carné va s'en délivrer. Il se sépare de Prévert. Il prend le contre-pied de ses anciens thèmes. Il tourne dans une Normandie bien réelle. Finis le manichéisme, l'amour fou, le destin. La séparation du tandem consacre la décadence d'un point de vue strictement cinématographique de l'un et de l'autre. "Carné encadrait bien le délire de Jacques, dira l'acteur Raymond Bussières. Leur œuvre est faite de leur perpétuel conflit. Carné est aussi froid que Jacques est délirant. Chacun apportait à l'autre ce qu'il n'avait pas. "Sans Prévert, Carné va balancer entre réalisme et féerie sur une pente descendante, même si Juliette ou la Clé des songes en 1951 n'est pas sans prestige, même si les Tricheurs en 1958 obtiennent un énorme succès. Thérèse Raquin en 1953, d'après Émile Zola, restera la seule réussite dans sa carrière post-prévertienne.
Homosexuel lui-même, mais de manière non publique, Marcel Carné traita dans plusieurs de ses films, de manière secondaire ou parfois oblique, de thèmes homosexuels : les relations ambiguës entre Jean Gabin et Roland Lesaffre dans L'Air de Paris, le personnage de Laurent Terzieff, qui se fait entretenir par des personnes des deux sexes dans Les Tricheurs, le gigolo bisexuel des Jeunes Loups. Il déclarait à ce sujet : "Je n'ai peut-être jamais tourné d'histoire d'amour entre hommes, mais ça a été souvent sous-jacent. ..." "Mais d'histoires entre homos, non. Je me suis souvent posé la question : est-ce que c'est un manque d'audace ? Les films homosexuels ne font pas beaucoup d'entrées, c'est un circuit restreint, et je n'aimerais pas avoir un insuccès dans ce domaine, d'autant que je n'aimerais filmer alors qu'une grande histoire d'amour. Mais je crois surtout que j'aime mieux les choses qu'on devine;"
Marcel Carné meurt à Paris le 31 octobre 1996. Il est enterré au cimetière Saint-Vincent dans le 18e arrondissement de Paris, au pied de la butte Montmartre.
Survol de l'oeuvre ;
Le réalisme poétique
"Quand le cinéma descendra-t-il dans la rue ?", s'interroge Carné en 1933, dans un article rétrospectivement célèbre de Cinémagazine. Son premier film, Nogent, Eldorado du dimanche en 1929, avait été un court-métrage documentaire poétique, produit loin des structures traditionnelles. Il est paradoxal, à moins d'invoquer quelque inéluctable logique de l'histoire que, trente années après ce premier opus, Carné ait été à son tour méprisé par les jeunes loups de la Nouvelle Vague, qui voudront voir en lui le représentant d'un cinéma de studio, sclérosé, artificiel et insincère. Entre-temps, il aura connu une gloire sans pareille, suivie d'une désaffection brutale à la suite de la sortie des Portes de la nuit en 1946, puis d'allers et retours indécis dans les faveurs de la critique comme du public.
Dans l'exceptionnelle série des huit films de la période 1936-1946, la variété de tons et de sujets n'est point contradictoire avec l'homogénéité des thèmes et de la plastique. Certains leitmotiv tournent à l'obsession, et le florilège le plus complet en est livré dans le dernier film du tandem légendaire qu'il forma avec son scénariste Jacques Prévert, Les Portes de la nuit en 1946 : l'amour qui transfigure les êtres et brise les barrières sociales est destiné à être détruit par une fatalité qui, loin d'en anéantir l'éclat, renforce sa puissance en l'inscrivant dans la mémoire. Si la fin d'un film de Carné est tragique, elle n'est jamais cynique ; et si l'épilogue est optimiste, il nous fera toujours sentir la précarité du bonheur, qui en fait tout le prix comme dans "Hôtel du Nord" en 1938, où Henri Jeanson remplace Prévert. Afin d'être plus profondément transfigurés, les protagonistes partent souvent du plus bas, socialement et moralement ; c'est ce qui les rendait si peu ragoûtants pour la critique de l'époque, qu'elle fût de droite ou de gauche, qui jugea souvent le cinéma de Carné démoralisant ou démobilisateur. Mais, toujours, leur parcours les rend mythiques, même s'ils n'ont que dix-sept ans comme Nelly , jouée par Michèle Morgan, dans Le Quai des Brumes, en 1938. Et, transformés en statues de pierre, ils continueront d'avoir le cœur qui bat : c'est la splendide dernière séquence d'un film inégal, Les Visiteurs du soir en 1942. Les décors d'Alexandre Trauner, la musique de Maurice Jaubert ou de Joseph Kosma, la lumière des plus grands opérateurs de l'époque construisent l'espace visuel et sonore au sein duquel le fatum selon Carné tisse sa toile, dans les brumes épaisses du Havre comme sous le soleil trompeur d'une Provence médiévale dans "Les Visiteurs du soi
Les Visiteurs du soir, M. Carné
C'est la grande actrice Arletty qui joue le rôle de Dominique dans Les Visiteurs du soir, de Marcel Carné en 1942. En choisissant de porter à l'écran cette légende médiévale, Carné joue la lumière sans ombres du mythe contre l'opacité de l'Occupation. Le cinéma de Carné échappe cependant à l'esprit de système. Ainsi, ses règles narratives trouvent une exception dans la loufoquerie iconoclaste de Drôle de drame de 1937. Peut-être concocté pour se venger de l'intrigue conventionnelle imposée par le producteur de Jenny en 1936, où la poésie et l'originalité étaient avant tout l'apanage d'insolites seconds couteaux, Drôle de drame tient à la fois du pastiche cérébral et du canular surréaliste. Expérience hors normes, servie par des comédiens grandioses, tels : Michel Simon, Louis Jouvet, Françoise Rosay, Jean-Louis Barrault, Jean-Pierre Aumont, jouant comme s'il n'y avait que des seconds rôles !, l'exception est elle-même révélatrice : un monde sans les " enfants qui s'aiment" est voué au chaos le plus dément. Mais, de l'échec commercial du film, Carné retiendra une leçon pour le reste de sa carrière : ne jamais oublier de présenter au public des personnages auxquels il puisse s'identifier.
Deux mythes cinématographiques
Deux chefs-d'œuvre encadrent la période de la guerre.
Le premier, Le jour se lève en 1939, verra son importance minimisée en regard des préoccupations du moment ; le second, Les Enfants du paradis, commencé sous l'Occupation et sorti en mars 1945, sera le film du triomphe sur l'adversité, entretenant l'illusion d'une continuité du cinéma français au-delà des tourments de l'histoire : étrangement, la pérennité des mythes accompagnant la perte de l'innocence est le thème sous-jacent du film, qui met en scène des personnages célèbres : Jean-Louis Barrault en Deburau, Pierre Brasseur en Frédérick Lemaître, Marcel Herrand en Lacenaire... piégés dans l'entrelacs de la fiction prévertienne les femmes : Arletty, Maria Casarès ; le Destin : Pierre Renoir, Gaston Modot.. Les Enfants du paradis est peut-être le film le plus célèbre du couple Carné-Prévert. Cette fresque de près de trois heures, commencée sous l'Occupation et achevée en mars 1945, marque l'apogée du réalisme poétique au cinéma.
Le jour se lève s'impose avec les ans comme la réussite la plus parfaite de Marcel Carné. Le récit par retours en arrière imaginé par Jacques Viot charpente admirablement la trame criminelle, que Carné mène à son terme inexorable avec netteté et rigueur, grâce à l'aide, encore une fois, d'une distribution inouïe : Jean Gabin, Arletty, Jules Berry, Jacqueline Laurent, et dix petits rôles. Le fameux dernier plan du film est presque un manifeste de la mise en scène selon Carné, dans sa dialectique du réel et de l'illusion : le héros étant mort, aussi inerte que ses meubles, la grenade lacrymogène qu'on lui envoie n'a de fonction que poétique, celle de matérialiser la lumière de l'aube qui donne son titre au film, tandis que le réveille-matin signe ironiquement la fin d'un compte à rebours. Force est de constater que le Carné d'après 1946 ne se hissera jamais à ces sommets, malgré de belles fulgurances et une maîtrise technique, en particulier dans la photo et la direction d'acteurs, qui ne le quittera vraiment qu'à la fin des années 1950. Il continuera d'alterner, avec une touchante fidélité à ses débuts, les sujets sociaux et les fables imaginaires, de l'ambitieux "Juliette", ou "la Clef des songes", en 1951, avec Gérard Philipe, à l'anodin "Le Pays d'où je viens", 1956, avec Gilbert Bécaud, jusqu'à se compromettre en fin de course dans d'embarrassants naufrages : "Les Jeunes Loups" en 1968 ; La Merveilleuse Visite en 1974. Après la rupture avec Prévert, Carné resta à la recherche du scénariste idéal, empruntant pour le meilleur celui de Clouzot, Louis Chavance, "La Marie du port" en 1950, d'après Simenon, ou celui de Renoir, Charles Spaak avec "Thérèse Raquin" en 1953, d'après Zola, et, pour le pire, celui d'Yves Allégret, Jacques Sigurd, qui réduisit sa vision du monde à l'échelle d'un roman de gare, mais contribua à remplir les salles et à faire illusion dans les festivals : "L'Air de Paris", 1954 ; "Les Tricheurs", 1958 ; "Trois Chambres" à Manhattan, 1965. Les échos de films plus anciens ravivent çà et là un espoir : le public populaire d'un match de boxe, la déambulation nocturne de deux amants, la gouaille d'un gardien d'immeuble, mais souvent ils ne font qu'exacerber le souvenir. Marcel Carné, prisonnier de sa légende, lui survivra pourtant pendant près d'un demi-siècle ; jusqu'au bout, il se battra pour des projets avortés. Avant d'avoir atteint quarante ans, le réalisateur des Enfants du paradis était devenu une institution de cinémathèque, un "incontournable ", comme on dit aujourd'hui : ce fut aussi, un peu, sa tragédie.
Filmographie
1929 : Nogent, Eldorado du dimanche 1936 : Jenny 1937 : Drôle de drame 1938 : Le Quai des brumes 1938 : Hôtel du Nord 1939 : Le jour se lève 1942 : Les Visiteurs du soir 1945 : Les Enfants du paradis 1946 : Les Portes de la nuit 1947 : La Fleur de l'âge (inachevé) 1950 : La Marie du port 1950 : Juliette ou la Clé des songes 1953 : Thérèse Raquin 1954 : L'Air de Paris 1956 : Le Pays d'où je viens 1958 : Les Tricheurs 1960 : Terrain vague 1962 : Du mouron pour les petits oiseaux 1965 : Trois chambres à Manhattan 1968 : Les Jeunes Loups 1971 : Les Assassins de l'ordre 1974 : La Merveilleuse Visite 1977 : La Bible 1991 : Mouche (inachevé)
Distinctions
Lion d'argent de la meilleure réalisation à la Mostra de Venise pour Thérèse Raquin (1953) Lion d'or récompensant l'ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise, partagé avec John Ford et Ingmar Bergman (1971) European Film Award d'honneur : Life Achievement (1995) À propos du duo Carné/Prevert
Marcel Carné et Jacques Prévert ont fait de nombreux films ensemble : le premier comme metteur en scène, le second comme dialoguiste et scénariste. Ces films ont été les plus grands succès de la carrière de Carné. Beaucoup se sont interrogés sur la paternité à attribuer à chacun sur ces projets. Dans son portfolio consacré à Jacques Prévert pour l'ADPF, Danièle Gasiglia-Laster écrit : "On a parfois décrété que les images raffinées et esthétisantes de Carné s'accordaient mal avec le style direct et populaire des dialogues de Prévert. C'était méconnaître la richesse et la variété de ce style qui allie humour et poésie, onirisme et notations réalistes, lyrisme et fantaisie, qui donne l'impression d'être immédiat et spontané mais résulte d'un travail minutieux. Georges Sadoul a parlé de "Réalisme poétique" en évoquant l'association Prévert-Carné, Pierre Mac Orlan dira "fantastique social". Ces désignations reflètent bien la dualité de ces films, où des personnages issus de milieux modestes évoluent dans les décors inquiétants et splendides d'Alexandre Trauner, portés par la musique de Maurice Jaubert ou de Joseph Kosma". Selon D. Gasiglia-Laster, l'opposition que l'on fait habituellement entre Carné et Prévert résulte donc d'une insuffisante prise en considération de la démarche artistique de Prévert et de ce qui, chez lui, n'est pas réductible au jaillissement d'un burlesque incontrôlé. Carole Aurouet en revient à l'opposition mais lui trouve des avantages dans Prévert, portrait d'une vie : "Prévert et Carné ont incontestablement des caractères contraires. C’est d’ailleurs probablement leur opposition qui permit leur complémentarité dans le travail et qui fit leur succès." D'après Raymond Bussières, Carné "encadrait" bien le délire de Jacques", " leur œuvre commune étant faite de leur perpétuel conflit ". Selon lui, " les deux hommes sont aussi différents que possible, et chacun apportait à l’autre ce qu’il n’avait pas. Carné est aussi froid que Jacques est délirant". Il ne pense pas qu’il y ait existé une profonde amitié entre les deux hommes mais plutôt une sorte d’attachement assez difficile à cerner de l’extérieur. Arletty qualifie quant à elle Carné de "Karajan du septième art" qui "dirige par cœur la partition qui lui est confiée, en grand chef " lire dans "La Défense". Si Prévert ne se livre pas sur le sujet, Carné précise en 1946 à Jean Queval dans L’Écran français du 29 mai : " Sur le plateau, je ne change pas un mot et je veille au respect absolu de son texte par les acteurs. Il arrive que je sois contraint de couper : je ne le fais jamais sans son accord". En 1965, lorsque Robert Chazal lui demande d’évoquer à nouveau sa collaboration avec Prévert, le cinéaste répond : "On a tellement dit de choses inexactes à ce sujet… Ceux qui veulent m’être désagréables disent que, sans Prévert, je n’aurais pas fait les films que l’on connaît. D’autres disent la même chose à propos de Prévert. En fait, notre rencontre a été bénéfique, mais il aurait été néfaste pour l’un comme pour l’autre d’éterniser une collaboration qui ne s’imposait plus. Nous avions évolué chacun de notre côté. Il faut pour collaborer comme nous l’avons fait, Prévert et moi, une identité de vue et de réaction qui ne peut être un phénomène de très longue durée. … Beaucoup de journalistes chercheront à savoir quelle part revenait à chacun d’entre nous dans la confection d’un film. Nous-mêmes n’aurions pas su très bien le dire. Sauf les dialogues que Prévert rédigeait seul et que j’ai rarement modifiés, la rédaction du scénario, le choix des acteurs, étaient un peu un travail en commun, où l’importance de la part de l’un et de l’autre variait suivant le film. Notre collaboration cependant s’arrêtait à la remise du script définitif, Prévert me laissant absolument libre de réaliser le film comme je l’entendais…J’avais peut-être un certain équilibre inné de la longueur des scènes et de la construction"
Le jour se lève
Classique français du "réalisme poétique" des années 1930, Le jour se lève vient après l'un des plus grands succès de Marcel Carné, Quai des brumes en 1938, auquel il semble reprendre beaucoup d'éléments, aussi bien pour l'équipe, le dialoguiste Jacques Prévert, le décorateur Alexandre Trauner, le musicien Maurice Jaubert, et Gabin dans le rôle principal, que pour la thématique : la fatalité qui poursuit un homme simple. Cependant, le film fut moins bien accueilli, et parfois considéré comme un ressassement. Ce n'est que plus tard qu'il sera reconnu comme le chef-d'œuvre de Carné, notamment grâce au critique André Bazin Le jour se lève est donc le classique de son auteur, s'inspirant d'un cinéma muet encore assez proche et de la tradition allemande de ce qu'on a appelé le Kammerspiel, que Carné a su transposer avec succès dans le cadre français : la "pièce de chambre", le drame épuré situé dans un nombre limité de décors et dans un milieu social modeste, débouchant sur une fin tragique pressentie au début.
Résumé Dans les années 1930, au dernier étage d'un immeuble isolé dominant un quartier populaire, résonne un coup de feu : François, ouvrier dans un atelier de sablage, vient de tuer un homme. Cerné par la police, sans espoir, il refuse de se rendre, malgré les appels de ses amis, et revit en flash-back les évènements qui l'ont mené là : sa rencontre avec une jeune fleuriste, Françoise, dont il est tombé amoureux, et qui a été séduite par Valentin, un dresseur de chiens, "protecteur" provocant et équivoque ; sa liaison – sans amour – avec Clara, l'ancienne assistante du dresseur ; et ce dernier, qui vient le provoquer chez lui. François se suicide avec son pistolet au moment où le jour se lève, alors que la police donne l'assaut et envahit l'appartement.
Commentaires: Un film démoralisant Titré comme une chanson, Le jour se lève s'apparente à un quatuor à cordes jouant en sourdine, Carné ayant demandé aux acteurs de retenir leur voix : il est possible qu'il ait été influencé par Gueule d'amour de 1937, de Jean Grémillon, où Gabin passe d'une voix timide et retenue à une voix hurlée. Un critique de cinéma de l'époque titrait son article : "Après le film muet et le film parlant, le film chuchoté". Doux et quasi féminin, puis rageur quand il est confronté au personnage ambigu de Valentin, François enrichit le film avec un rôle à contre-emploi. Arletty, sobre, trouve ici son meilleur rôle avant celui de Garance dans Les Enfants du paradis, et le moins alourdi en "pittoresque parisien". Jacqueline Laurent est l'ingénue qu'on attend, et Jules Berry reprend ici en finesse un rôle qu'il a déjà joué et jouera encore, celui de la canaille cauteleuse qui "embobine" ses victimes avec ses phrases et ses mots choisis. C'est la première fois qu'il joue chez Carné, lequel en fera le Diable en personne dans Les Visiteurs du soir. Le jeu sur le temps, une idée due à l'auteur du scénario d'origine, Jacques Viot, enchâssant une histoire au passé dans une situation au présent qui a sa propre progression fatale, est remarquablement orchestré dans le film. Au présent, cependant que François attend sans se décider à se rendre et remâche le passé, le temps s'écoule, inéluctable, réel, ce que signifie le titre, et au passé, il est encore plein d'ellipses, d'ouvertures et d'espoirs. La musique à peine thématique de Maurice Jaubert assure admirablement la liaison entre les époques. Intense et sombre, elle renonce au pittoresque des javas populaires et des valses musettes qu'on entendait dans Hôtel du Nord en 1938, et Quai des brumes – ce qui une fois encore rejoint l'esprit du Kammerspiel, dans lequel on se gardait souvent de planter une atmosphère trop située géographiquement et culturellement. Du Kammerspiel vient également le soin apporté au décor de la chambre de François : ours en peluche, photos, boyau de vélo. Carné a voulu que cette chambre, où le héros attend la fin et ressasse son passé, soit un décor absolument clos, des quatre côtés, au lieu d'être, comme souvent, ouvert sur un côté. Sorti à la veille de la guerre, le film est interdit en France durant l'occupation, comme démoralisant, mais il est montré dans le monde entier, où il impressionne beaucoup de cinéastes japonais et suédois. Crise Kris, 1946, le premier film d'Ingmar Bergman, sera profondément influencé par Quai des brumes et Le jour se lève.
Quai des brumes
Dès sa sortie, le film Le Quai des brumes est l'objet de nombreuses polémiques. Jean Renoir le baptise Le Cul des brèmes et insinue que c'est un film fasciste . À l'inverse, Lucien Rebatet, journaliste et critique collaborationniste, décrit ainsi Marcel Carné dans Les Tribus du cinéma et du théâtre publié en 1941 : "Marcel Carné est aryen, mais il a été imprégné de toutes les influences juives. Il n'a dû ses succès qu'à des juifs et a été choyé sous leur étiquette. Carné, qui ne manque pas de dons, a été le type du talent enjuivé. Il a été, en France, le représentant de cet esthétisme marxiste qui est partout un des fruits de la prolifération des Juifs.... Ses héros sont des médiocres assassins, des candidats au suicide, des souteneurs, des entremetteuses... Dans l'immense diffusion du cinéma, ces produits spécifiques du judaïsme ont joué un rôle de dissolvant social et contribué à l'avilissement des esprits et des caractères". À la sortie des Visiteurs du soir en 1943, le même Rebatet se faisiat photographier entre Arletty et Marcel Carné.
Résumé Un déserteur, Jean, arrive au Havre en espérant s'y cacher avant de partir à l'étranger. Dans la baraque du vieux Panama, il rencontre le peintre fou Michel Krauss et une orpheline, Nelly. Celle-ci vit chez son tuteur, Zabel, qui tente d'abuser d'elle. À la fête foraine, Jean a une altercation avec un voyou, Lucien. Une idylle se noue entre Jean et Nelly. Commentaire Classique du cinéma français grâce aux répliques fameuses de Prévert, le "T'as de beaux yeux, tu sais" de Jean Gabin, le "Je peins les choses qui sont derrière les choses" de Robert Le Vigan, le "Mieux vaut avoir cette tête-là que pas de tête du tout " de Michel Simon, Quai des brumes est le film-manifeste du réalisme poétique. La fatalité plane sur les pavés mouillés, la mort est au bout du scénario, les amoureux sont désespérément seuls dans un monde sans issue, peuplé d'épaves pathétiques et de sombres crapules… Du suicide à la désertion, on cherche à fuir.
Drame de Marcel Carné, avec Jean Gabin ,Jean, Michèle Morgan, Nelly, Michel Simon Zabel, Pierre Brasseur, Lucien, Robert Le Vigan, Michel Krauss, Aimos, Quart-Vittel, Édouard Delmont, Panama, Marcel Peres, le chauffeur. Scénario : de Jacques Prévert, d'après le roman de Pierre Mac Orlan Photographie : Eugen Schüfftan Décor : Alexandre Trauner Musique : Maurice Jaubert Montage : René Le Hénaff sortie en 1938 Prix Louis-Delluc en 1939;
Liens à écouter et regarder
http://youtu.be/OLwwPxRc0Y8 les visiteurs du soir http://youtu.be/jsoMOPjBENo Les Tricheurs Marcel Carné; partie 2 http://youtu.be/-QHeW2zmENs 2 http://youtu.be/VU8ZpuULLaw 3 http://youtu.be/H7xPyDHMGK0 4 http://youtu.be/NlT15CRsW90 hotel du nord
Posté le : 18/08/2013 00:51
Edité par Loriane sur 18-08-2013 15:36:08 Edité par Loriane sur 18-08-2013 15:58:56 Edité par Loriane sur 18-08-2013 16:00:40 Edité par Loriane sur 18-08-2013 16:01:54
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