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Herbert Marcuse
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Le 19 juillet 1898 naît Herbert Marcuse

à Berlin et mort, à 81 ans le 29 juillet 1979 à Starnberg Bavière, philosophe, sociologue marxiste, américain d'origine allemande, membre de l'École de Francfort avec Theodor Adorno et Max Horkheimer. Il est l'un des principaux représentants du freudo-marxisme.
Il a développé une critique de la civilisation industrielle dans Éros et la Civilisation en 1955 ; et dans l'Homme unidimensionnel en 1964.

En bref

Les plaisanteries, l'admiration et l'affection donnaient un style de fête de famille au service célébré à la mémoire de Herbert Marcuse, le 26 octobre 1979, dans son université de Californie, San Diego. Un très vieil ami, Leo Lowenthal, professeur à Berkeley, y ponctuait de boutades et d'anecdotes les témoignages venus de tous les points du monde rendre hommage au philosophe, au militant et à l'homme qu'on ne pouvait rencontrer sans être séduit. Mort en Allemagne, sa terre natale, le 29 juillet précédent à Starnberg, près de Munich, Marcuse semblait parler encore dans ce langage né de lui. De plus en plus central dans sa pensée philosophique et révolutionnaire, un style de vie restait, après lui, sa présence.
Goguenard, il aimait l'insolence de la vie : le rire, les amis, les enfants. Marcheur, il murmurait des choses brusques et tendres aux arbres-fleurs et à tous les passants indociles à travers chemins – amoureux, joueurs, chats, chiens, poètes d'itinéraires imprévisibles. Pudique, il bougonnait de plaisir devant l'océan interminable et prenait à témoin, d'un geste vif, cette immémoriale et mouvante origine des vivants.
Né à Berlin en 1898, il gardait, il laissait revenir dans son américain un peu martelé, zébré de rires et de paradoxes, éclats de pensée, l'accent du pays où il avait passé trente-cinq ans avant d'avoir à le quitter, en 1932, pour fuir le nazisme. Commence alors une vie d'itinérant qui s'achève sur les plages extrêmes de l'Occident avec l'installation à San Diego, en 1966. En 1979, il y enseigne encore, par passion. Il est à son poste presque chaque jour, dans sa cabine de philosophe, bourrée de bouquins empilés, devant le décor de cette université aux blanches structures ajourées où des Diane et des Apollon circulent parmi les verts gazons. Il aime à recevoir des étudiants et des militants. Il mène là jusqu'au bout le combat d'une pensée radicale, c'est-à-dire celle qui témoigne d'une conscience radicale des conditions de vie régnantes et se dresse contre toutes les formes de répression. C'est de là qu'il est parti pour un été vers la terre de son enfance. Il n'en est pas revenu. Il y est mort sans avoir été vieux, tel un chêne soudain abattu.
Vers la pensée négative /
Une lente maturation a préparé les œuvres qui ont caractérisé son action philosophique et politique. Il a déjà cinquante-huit ans quand il publie Éros et civilisation, son premier livre marcusien ; soixante-six ans, quand paraît L'Homme unidimensionnel, manifeste de sa théorie critique. Dans les années qui suivent la guerre de 1914-1918 et la révolution bolchevique de 1917, inscrit au parti social-démocrate avant de le quitter après l'assassinat de Rosa Luxemburg, il est l'étudiant de Husserl et de Heidegger, avec lequel il prépare sa thèse sur L'Ontologie de Hegel et le fondement d'une théorie de l'histoire. Il acquiert une technique pour articuler ses questions, et une position d'où se faire entendre. Ce sera toujours un professionnel, aimant le travail bien fait et, paradoxe, redoutant les foules qui le cherchent. Il restera aussi un professeur, le dernier professeur allemand, dit André Gorz, mais attentif et lié à la vie socio-politique, et bientôt marxiste, pour la vie, bien que sans adhérer au Parti communiste.
Il n'entre qu'en 1932 à l'Institut de recherches sociales de Francfort, dit École de Francfort, fondé en 1923 et dirigé depuis 1931 par Max Horkheimer. Mais il doit quitter l'Allemagne pour Genève 1932, Paris 1933, puis New York 1934, avec l'Institut. Les étapes de l'exil qui l'amène à enseigner tour à tour aux universités Columbia, Harvard et Brandeis comme professeur de philosophie et de science politique resserrent ses liens avec les autres exilés du groupe. En 1936, il publie avec Theodor Adorno les Études sur l'autorité et la famille. Son dernier livre, La Dimension esthétique 1977, reste très marqué par Adorno. La fidélité est un trait de Marcuse. Il doit beaucoup de ses idées centrales à Horkheimer aussi et, au seuil d'Éros et civilisation 1954, il affiche cette dette philosophique et amicale : En ce qui concerne ma position théorique, j'en suis redevable à mon ami Max Horkheimer et à ses collaborateurs...
À Francfort, ensuite à New York, et de nouveau à Francfort après la guerre, l'Institut a été, contre le fascisme nazi, puis contre le totalitarisme capitaliste, le lieu d'une résistance intellectuelle fondée sur la prise au sérieux et sur l'analyse d'une nouvelle technocratie culturelle. Heidegger déjà tenait la question pour essentielle, mais, dans sa perspective, la technologie, raison calculante, développe la métaphysique occidentale de la présence et de la maîtrise ; c'est sa réalisation mondiale. À l'École de Francfort, la problématique se concentre sur ce qui différencie du passé le nouveau système, sur ses formes et ses effets. Mais, après que la Première Guerre mondiale a sapé le mythe de la science productrice de progrès, tandis que le socialisme soviétique se mue en totalitarisme, que la classe ouvrière allemande s'effondre devant le fascisme ou l'adopte, et que, bientôt, la technostructure capitaliste made in U.S.A. leur apparaît aussi aliénante, Horkheimer et ses amis n'ont plus d'autre appui, dans cet orage de l'histoire, que le seul courage de penser. Privée d'assurances et de repères ouvrant sur un autre avenir, leur éthique intellectuelle et politique trouve sa source dans le refus de s'aligner et de s'aliéner, dans le devoir de maintenir – ou simplement de tenir – une pensée critique parmi les ruines des espoirs socio-politiques de l'avant-guerre. Reste donc la persévérance de croire que les faits ne créent pas un droit, et que la lucidité soutient le défi d'autre chose, là même où il est impossible de voir une alternative.
C'est sur cette base que Marcuse élabore une pensée critique. Elle consiste d'abord à lutter contre l'héritage politique et sociologique de Hegel en Allemagne Raison et révolution, 1941, un grand livre philosophique d'histoire intellectuelle, puis à dévoiler la pseudo-rationalité de la construction soviétique du socialisme Le Marxisme soviétique, 1958. L'hégélianisme et le socialisme marxiste se sont tour à tour inversés en systèmes totalitaires et fonctionnaires. Travail négatif du temps : il trompe et retourne les élaborations philosophiques et scientifiques. Dans La Fin de l'utopie, Marcuse dira encore l'impossibilité d'opposer à l'histoire un modèle global de société.

Sa vie

Fils aîné d'une famille juive aisée, assimilée et installée à Berlin, il est appelé sous les drapeaux dans la Reichswehr après son Abitur (équivalent du baccalauréat français. Lors de la guerre de 1914-18, où il fut enrôlé dans des unités de l'arrière, il adhère en 1917 au parti social-démocrate (SPD) et participe à un conseil de soldats. Cependant il quitte le SPD après l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg en 1919, écœuré de voir que le parti social-démocrate allemand « travaillait en collaboration avec des forces réactionnaires, destructrices et répressives » 1 lors de l'écrasement de la révolution communiste des spartakistes, et milite au sein du mouvement spartakiste. Il étudie à Berlin et à Fribourg-en-Brisgau la Germanistik comme discipline principale, la philosophie et l’économie politique comme matières secondaires. À Fribourg, il devient l'assistant de Martin Heidegger et rédige une thèse sur Hegel. Mais il entre vite en désaccord avec Heidegger, et part pour Francfort-sur-le-Main.
C'est en 1932 que Marcuse entre pour la première fois en contact avec l'Institut de Recherche sociale de Francfort. Dès la prise de pouvoir par les nazis en 1933, il émigre avec sa famille, d'abord en Suisse, puis aux États-Unis, après un bref passage à Paris. Il est engagé par l'Institut de Recherche sociale, qui s'est déjà installé à New York. En raison de la mauvaise situation financière de l'Institut, Marcuse doit accepter un poste à l’Office of Strategic Services OSS, où il travaille sur un programme de dénazification.
Dès 1951, il enseigne dans diverses universités américaines. En 1955, il adopte, dans Éros et civilisation, une lecture marxienne de Freud, et critique le révisionnisme néo-freudien. Il forge le concept de « désublimation répressive » et dénonce le caractère déshumanisant et irrationnel du principe de rendement. Le principe de rendement est le principe de réalité d'une société capitaliste fondée sur la résignation, la falsification des instincts et la répression des potentialités humaines. L'espoir d'une libération se trouve dans la transformation de la sexualité en Éros et l'abolition du travail aliéné. En 1964, il écrit L’homme unidimensionnel One Dimensional Man qui paraît en France en 1968 et devient un peu l’incarnation théorique de la nouvelle révolte étudiante. En 1968, il voyage en Europe, et tient de multiples conférences et discussions avec les étudiants. Il devient alors une sorte d'interprète théorique de la formation des mouvements étudiants en Europe et aux États-Unis. Son engagement au sein des mouvements politiques des années 1960-1970 en fait l'un des plus célèbres intellectuels de l'époque. Il meurt en 1979 à l’âge de quatre-vingt-un ans des suites d'une attaque cérébrale, lors d’un séjour en Allemagne.
Sa pensée est fortement inspirée de la lecture de Marx et de Freud : elle est, par bien des aspects, beaucoup plus profonde et plus radicale que celle d'Erich Fromm, dont elle relève certaines insuffisances. Il est notamment l'auteur d'Éros et Civilisation 1955 et de L'Homme unidimensionnel 1964, qui veut démontrer le caractère inégalitaire et totalitaire du capitalisme des Trente Glorieuses. Ces affirmations lui valurent des critiques, notamment celle qui proclamerait la tolérance envers toutes les opinions sauf les opinions qui perpétuent la servitude, malmènent l'autonomie au profit du statu quo répressif et protègent la machine de discrimination qui est déjà en service. Pour Marcuse, la tolérance envers des idées qui servent le système de domination et d'oppression est une dénaturation du concept de tolérance : Marcuse oppose la vraie tolérance, qui est nécessairement émancipatrice, à une perversion opportuniste de l'idée de tolérance, qu'il qualifie de tolérance répressive. Selon Marcuse, c'est la tolérance répressive qui a autorisé la prise du pouvoir par le parti nazi en Allemagne. Pour Marcuse, une des réalisations de la civilisation industrielle avancée est la régression non-terroriste et démocratique de la liberté – la non-liberté efficace, lisse, raisonnable qui semble plonger ses racines dans le progrès technique même».
Les sources de la pensée de Marcuse ne se trouvent pas seulement dans la lecture combinée de Marx et de Freud, mais aussi dans celle de Hegel, Husserl et Lukacs.
En 2003, les cendres de Marcuse sont apportées à Berlin pour être enterrées près de la tombe de Hegel.

Idées

Contrairement à Freud, qui voyait dans le principe de réalité la nécessité de la sublimation répressive des désirs, Marcuse – à la suite de la lecture de Marx – dénonce l'inhumanité du principe de réalité répressif, qui n'est autre que le principe de réalité de la société en place. Il préconise, au contraire, l'éclosion des désirs, la transformation de la sexualité en Eros, l'abolition du travail aliéné et l'avènement d'une science et d'une technique nouvelles, qui seront au service de l'être humain. Il ne remet pas en question l'essentiel des théories freudiennes, il les complète, plutôt, en les adaptant à son temps et en les libérant d'une conception bourgeoise de la société pour les rendre émancipatrices et véritablement universelles. En revanche, il critique le révisionnisme néo-freudien, qui tend à édulcorer le caractère subversif des découvertes de Freud. Marcuse va néanmoins beaucoup plus loin que Freud lorsqu'il tente de penser une « sublimation non répressive ». Marcuse est important pour les mouvements écologistes aujourd'hui, car il fut l'un des rares à penser qu'une société non-répressive impliquait aussi un changement dans les techniques, là où Marx pensait qu'un changement dans les rapports de production était suffisant.
La répression du désir inhérente à toute culture (par le principe de réalité soumis aux exigences sociales 5) est allée au-delà du nécessaire pour répondre à de faux besoins (principe de rendement, faux rêves de la publicité). Elle engendre une sur-répression qui réveille, accumule et détourne la destructivité des hommes, et donne ainsi au principe de Nirvana une dimension mortifère, qui menace l'humanité tout entière.

Une philosophie de l'exil : la révolution

Obsédé, comme ses amis, par la question de savoir quelle force porte donc les groupes et les individus humains à s' aliéner dans la dictature politique ou technocrate, et quel principe historique de mort les détourne de leur libération, Marcuse donne au refus une forme qui lui est propre. Chez lui, le grand refus anime sans cesse un repérage de ce qui fomente, dans les failles du système, un mouvement révolutionnaire. À cet égard, sa visée est plus politique que celle de Horkheimer. L'éthique du refus n'a pour lui de sens que dans l'alliance, théorique et pratique, avec des forces de transgression et de libération. Sa pensée critique ne consent pas à l'observation. Elle a pour connotation personnelle l'endurance d'un espoir. Elle cherche, infatigable et lucide, les points de l'horizon social d'où attendre ce qui vient d'autre. Et chaque attente trompée par les événements porte plus loin l'analyse. La force de Marcuse est dans cette ténacité à repérer des indices révolutionnaires. Elle est indocile à l'ordre de l'histoire. Entre la structure de la réalité l'inégalité sociale et raciale, l'extension de la répression, etc. et le mouvement de la pensée, il y a donc une guerre interminable. Le fait établi, loi de la raison, n'est pas la loi de la théorie. Aussi le nom même de la théorie est-il révolution. Même les échecs qui ont successivement anéanti et couvert de cendres les espoirs placés tour à tour dans la social-démocratie, puis dans la révolution soviétique, puis dans les mouvements ouvriers allemands, puis dans les radicalismes américains, ne lassent pas cette attention révolutionnaire. Pourtant ces irruptions suivies de chutes répètent l'événement resté pour Marcuse la figure majeure de l'histoire trompant la révolution : l'effondrement de la classe ouvrière la plus politisée d'Europe devant le fascisme nazi. Mais cette répétition aiguise au contraire l'acribie du vigile et la mobilité de son analyse.
Si, du nazisme, Marcuse tire la leçon, choquante pour bien des marxistes orthodoxes, que les classes ouvrières, manipulées par la technocratie, ne constituent plus le ressort de la révolution, il ne renonce pas à en chercher d'autres points d'émergence. Cependant, par là, il bouleverse une stratégie de la révolution. L'étude de Freud, aux États-Unis, lui fournit à la fois une autre possibilité d'analyser le processus civilisateur comme processus répressif et, par un renversement de l'optique freudienne, la possibilité de trouver dans l'Éros, principe du plaisir, une force subversive capable de l'emporter sur le principe de réalité, Thanatos, loi de l'ordre établi, relatif à une pulsion de mort. Le freudisme devient ainsi, entre les mains de Marcuse et sans doute à la suite des transformations que l'américanisation de Freud lui a fait subir, le moyen d'élaborer les critères de mouvements révolutionnaires et de développer également des éléments qui étaient restés relativement inertes dans l'œuvre du jeune Marx et qui renvoyaient à l'« émancipation des sens ». Saisis dans leur implication mutuelle, le collectif et l'individuel apparaissent ainsi comme le champ d'opposition entre l'éthique du travail, origine du système technocratique, et la libération de l'existence, principe d'une autre vie sociale. C'est Éros et civilisation 1954.
L'ouvrage organise donc une nouvelle topographie freudo-marxiste, de la théorie et de la pratique révolutionnaires. Mais l'essentiel reste le geste d'une pensée qui juge et « condamne » la réalité. La vérité – ou le discours – s'introduit dans ce qui est comme une contestation au nom de ce qui devrait ou pourrait être, et comme l'ouverture d'un possible dans l'ordre des faits établis. Cette philosophie est, par là, une théorie du rôle même de la philosophie. Elle ne produit pas un lieu défini par la raison, qui serait celui de l'ordre ou de l'être. Elle reste relative aux situations socio-politiques à l'intérieur desquelles s'exerce l'analyse décelant des espaces de jeu dans le totalitarisme politique ou technocrate et diagnostiquant dans le système ce qui y travaille d'autre. Elle est révolutionnaire, et non métaphysique. Elle a forme poïétique, et non utopique.
Acharnée à découvrir les mouvements qui se font jour et les solidarités sociales qui peuvent donner figure historique à la lutte contre l'aliénation unidimensionnelle (L'Homme unidimensionnel, 1964, cette pratique philosophique de l'analyse a pu passer pour un romantisme révolutionnaire. En fait, elle s'enracine sans doute dans la tradition juive, à laquelle Marcuse appartient. Avant même d'entrer en relation avec l'École de Francfort, Marcuse insinuait le soupçon dans la philosophie de Heidegger, qui articule en discours le sol et la maison de l'être et qui devient ainsi, comme le dit Emmanuel Levinas, une philosophie agricole. Pour Marcuse, il n'y a pas de sol. Le réel n'est jamais un droit. La théorie ne cesse d'interroger la raison et de la suspecter. Elle met en procès l'ordre. Aussi n'est-elle que critique – exil. Elle refuse de formuler les lois de la pensée en protégeant les lois d'une société.

Des sans-espoir à l'esthétique

Diaspora faite de déplacements relatifs à l'apparition et à la dégradation des figures historiques successives de la libération, la pensée marcusienne s'est donc liée, comme à sa condition de possibilité, à tous les mouvements de transgression – à tout ce qui constitue une force autre dans l'unidimensionnalité technocrate. Et d'abord, aux catégories exploitées « qui ne veulent plus jouer le jeu, classes dominées, chômeurs, victimes de la loi et de l'ordre. Mais aussi aux étudiants et aux intellectuels que la marginalisation radicalise. Mais encore aux mouvements des femmes refusant que le corps féminin soit exploité comme plus-value pour la reproduction de l'espèce, la prostitution ou la consommation d'images. Aux artistes enfin, poètes, écrivains ouvrant d'autres possibles avec un discours sans pouvoir. Telle est la position ultime de Marcuse, dans La Dimension esthétique 1977 : L'art brise la réification et la pétrification sociales. Il crée une dimension inaccessible à toute autre expérience – une dimension dans laquelle les êtres humains, la nature et les choses ne se tiennent plus sous la loi du principe de la réalité établie. Il ouvre à l'histoire un autre horizon. Mais, conformément à son sens premier, l'esthétique, chez Marcuse, se rapporte aux sens, et pas seulement à l'art. Elle renvoie à une transformation progressive du corps, devenu instrument de plaisir, et à des modes de perception entièrement nouveaux. Une révolution est en puissance, cachée dans le corps profond. Elle doit, par le plaisir, inaugurer socialement et individuellement une libération de l'être, sans laquelle toute révolution politique se retourne en un nouveau totalitarisme. Certes, la jouissance ne va pas sans la douleur. Mais elles échappent ensemble à l'ordre social. L'esthétique est ce champ dialectique, affirmation et négation, consolation et douleur. Quelque chose comme un cri l'habite. Tantôt de plaisir, tantôt de douleur c'est souvent le même, le cri peut ne pas vouloir être une rébellion, mais par nature il l'est. Il ouvre sur une autre dimension. Il la crée. Sans doute a-t-il un rapport essentiel avec l'art ? Marcuse me répondait un jour : Lessing disait que le cri extrême ne peut être représenté dans l'art. C'est vrai. Auschwitz ne peut pas être représenté. Il n'y a pas de parole pour ça. Reste que le cri est toujours présent dans l'œuvre d'art, mais présent par absence. On pourrait ajouter que l'art peut être déchiré par des silences, par ce qu'il ne dit pas.
Cette théorie de l'espoir a donc pris rendez-vous avec les sans-espoir et avec ce qui n'a pas de pouvoir sur les choses. Comme ses alliés, elle est incertaine de son avenir il n'y a plus d'utopie philosophique et certaine de ce qui la rend irréductible. Elle s'est avancée, tenace et solitaire, sans concessions et sans protections. Aussi a-t-elle été reconnue par beaucoup. Marcuse concluait L'Homme unidimensionnel en écrivant : La théorie critique de la société ne possède pas de concepts qui permettent de franchir l'écart entre le présent et le futur ; elle ne fait pas de promesses ; elle n'a pas réussi ; elle est restée négative. Elle peut ainsi rester loyale envers ceux qui, sans espoir, ont donné et donnent leur vie au grand refus. Au début de l'ère fasciste, Walter Benjamin écrivait : C'est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l'espoir nous est donné. Michel de CERTEAU

Å’uvres principales

Der deutsche Künstlerroman 1922 : thèse de doctorat étudiant les relations entre l’art et la société
Hegels Ontologie und die Theorie der Geschichtlichkeit 1932 : travail sous la direction de Martin Heidegger.
Fondements du matérialisme historique 1932
Concept de travail 1933
Der Kampf gegen den Liberalismus in der totalitären Staatsauffassung 1934
Autorität und Familie in der deutschen Soziologie bis 1933 1936
Reason and Revolution 1941 : ouvrage tentant d’expliquer le fascisme à partir de l’évolution du capitalisme, et prenant appui sur le concept weberien de rationalisation de la société
Eros and Civilization 1955. Trad. fr. 1958 Éros et civilisation : ouvrage engagé pour une société non répressive. De nombreuses formes de travail sont aujourd'hui obsolètes, ce qui crée les conditions de nouveaux modes de liberté.
Soviet Marxism. A Critical Analysis. Trad. fr. Le marxisme soviétique 1958
One-Dimensional Man. 1964 Trad. fr. 1968 avec Monique Wittig L'Homme unidimensionnel
Dans ces deux livres, Marcuse soutient que la rationalité technologique organise chaque secteur de la société culture, politique, social, économie pour qu’ils suivent le principe idéologique essentiel de la productivité matérielle. La vie personnelle se replie alors sur des modes de vie uniformes et non contestataires.
Période d'espoir d'un renouveau de la critique sociale devant le succès politique des mouvements étudiants contestant la politique étrangère américaine.
Repressive Tolerance 1965
Negations 1968
Das Ende der Utopie 1968 La fin de l'utopie 1968 — Compte-rendu des débats organisés par le Comité des étudiants de l'Université libre de Berlin-ouest du 10 au 13 juillet 1967.
Ideen zur einer kritischen Theorie der Gesellschaft 1969 Pour une théorie critique de la société 1971
An Essay on Liberation. Vers la libération 1969
Counterrevolution and Revolt 1972 Trad. fr. Contre-révolution et révolte
Marcuse rejoint à la fin de sa vie une optique pessimiste. L'esthétique est une forme de liberté, ultime refuge contre la soumission de l'homme au système répressif.
The Aesthetic Dimension. Trad. fr. La dimension esthétique 1978



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Posté le : 19/07/2015 16:35
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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