De l’autre côté du macho
Tony se réveille, avec l’impression d’avoir le crâne coincé dans un étau. Il geint et regarde le réveil qui indique six heures. À côté de lui, une masse bouge et grogne. Bizarre, il est de l’autre côté du lit. Lisa aura sûrement tant gigoter qu’elle lui aura passer au-dessus pendant son sommeil. Il se lève et avance dans la pénombre de la chambre pour aller chercher de l’aspirine. La lumière émise par l’ampoule de la salle de bain lui fait mal aux yeux. Il se pose devant le miroir et manque de tomber dans les pommes en apercevant son visage. Au lieu de l’habituel menton saillant, de ses yeux sombres et de sa tignasse noir corbeau, il se retrouve avec un regard bleu azur, des pommettes refaites et une crinière blonde. Pire, il a perdu ses attributs masculins ! Il est… sa femme ! Il se remémore la soirée de la veille : pas de coucher tardif, pas de fête avec les copains, pas de cuite, du moins dans ses souvenirs. Soudain, à ses côtés apparaît un être vaporeux à la silhouette féminine.
– Alors, tu aimes ta nouvelle apparence ?
– C’est quoi ce mauvais rêve ?
– Non, non, ce serait trop facile. Ce n’est pas un rêve. Tout est bien réel. Tu te souviens de tes propos hier ?
– Plus vraiment… J’ai la tête comme une passoire.
– Tu as osé dire à ton épouse dévouée que tu savais tout faire mieux qu’elle car tu étais un homme. Tu l’as même traitée de faignasse. De quoi provoquer mon courroux.
– Mais qui êtes-vous ? Un fantôme ?
– Une fée ! Je suis la Fée Ministe.
– Non ? Mais je ne crois pas aux fées.
– Ce n’est pas parce que l’on ne croit pas à quelque chose que cela n’existe pas. Crois-tu qu’en niant l’existence de la bêtise humaine, elle disparaîtra ?
– Mais pourquoi m’avoir transformé en ma femme ? On dirait le scénario d’un mauvais film de série B,
– Pour que tu tâches de faire mieux qu’elle puisque tu te targues d’en être capable. Prouve-moi que c’est vrai si tu veux retrouver ton apparence d’origine. À ce soir !
De la chambre, un grognement monte :
– Dépêche-toi de sortir de la salle de bain pour aller chercher les croissants !
Tony quitte la pièce et se retrouve face… à lui-même !
– Tu t’es vue ? Toujours en robe de nuit et pas maquillée à cette heure !
Ne sachant pas quoi rétorquer, il se dirige vers la garde-robe de Lisa et part à la recherche de vêtements en évinçant robes et jupes. Il trouve un jogging de la période où elle était enceinte et l’enfile en vitesse avant de courir chez le boulanger. Ce dernier affiche un air étonné à sa vue.
– Bonjour M’me Legros, z’êtes en retard aujourd’hui ? Z’avez pas l’air en forme..
Un sourire gêné, la commande est passée et payée avant de retourner à la maison. Il est déjà plus que sept heures et le petit Enzo, âgée de sept ans, dort encore. Tony jette sur la table les viennoiseries et monte pour réveiller l’enfant d’une façon un peu brutale. Le petit se met à pleurer car il a fait un cauchemar et réclame un câlin. Tony est prêt à appeler sa femme, mais c’est lui, sa femme ! N’ayant pas l’habitude de prendre son fils dans les bras, il se montre maladroit. Il finit par l’emporter jusque dans la cuisine pour le poser devant un bol de céréales. L’autre Tony descend et réclame son café. Il ne manque pas de lui faire des remontrances sur sa tenue loin d’être glamour.
Avant de sortir, le maître de maison demande son plat préféré pour le soir : un hachis parmentier maison. Il faut presser Enzo qui traîne pour s’habiller. Les cris ne font que ralentir l’opération. Il opte pour la manière douce et l’enfant est déposé avec quelques minutes de retard à l’école. Tony s’en excuse auprès de l’institutrice qui le dévisage des pieds à la tête. De retour à la maison, il se dit qu’il doit revoir sa tenue. Il commence par prendre un soutien-gorge, le rouge qu’il a offert à Lisa pour son anniversaire. L’opération pour l’enfiler lui demande plus de dix minutes et autant de temps pour enfiler des bas résille. Tony se mire dans la glace. Le corps de Lisa est vraiment superbe ainsi mais il se sent serré. Il ne pensait pas que c’était aussi peu confortable. Ne trouvant pas de pantalon, car il a toujours refusé d’en acheter pour sa femme, il jette son dévolu sur une jupe mi-longue et un bustier. Il tente de se maquiller mais les produits sont mystérieux pour lui : lequel pour les joues, pour les yeux ? Il ne connaît que le rouge à lèvres. Il abandonne donc la mission « maquillage ».
Il remarque le bac à linge qui déborde de vêtements car hier, il a décidé de trier ses affaires sales qu’il a tendance à accumuler sur une chaise ou sur des portes-manteaux. Tout est emmené jusqu’à la buanderie qui se trouve au sous-sol et mis dans la machine à laver. Au moment de mettre les produits, Tony remarque qu’il ne sait pas lequel doit être versé dans tel ou tel endroit. Il met tout à plouf, ferme le hublot et active le premier programme venu. Après une heure et demi, les vêtements sortent, certains rétrécis, décolorés et ne sentant pas le frais.
Il est presque midi et la faim se fait sentir. Il n’a rien prévu et le frigo est vide. Une liste de courses est collée sur le congélateur. Il s’en empare avec le sac à main de Lisa. Il cherche son Audi. Mais non ! Lisa conduit la vieille Twingo. Au moment de monter dans la voiture, il remarque que le pneu avant gauche est plat. Elle lui avait dit qu’il fallait le remplacer mais il n’avait pas jugé le problème urgent. Tony retire le pneu de secours du coffre et se met à installer le cric. L’opération n’est pas simple en jupe. Lorsqu’il tente de dévisser les écrous, ses bras désormais féminins manquent cruellement de force. Il s’acroupit et entend un bruit sec ; ses bas viennent de craquer. Un jeune homme s’approche et demande :
– Vous avez besoin d’aide, Madame ?
Tony peste contre la fée Ministe.
– Vas-y, viens m’aider gamin. À deux mecs, on devrait arriver au bout de ce putain d’écrou de merde…
Le jeune garçon le regarde d’un air étonné, trouvant les mots prononcés bien rudes sortis de la bouche d’une jolie dame.
La roue changée, Tony entre retirer ses bas. Il décide de laisser ses jambes nues, tant pis pour les quelques poils visibles. Il part enfin vers le supermarché avec sa Twingo. Il fait une queue de poisson à une autre voiture, comme à son habitude et s’entend dire :
« Femme au volant, mort au tournant ! Va prendre des cours, pétasse ! »
Sur le parking, Tony se fait voler sa place. En temps normal, il aurait bondi hors de son cabriolet pour forcer le malotru à reculer à coup de gueule et de bombage de torse musclé. Mais là , il a perdu tous ses atouts. Il se résigne à aller trouver une autre place plus loin. Dans le supermarché, il erre dans les rayons, à la recherche des produits repris sur la liste. Il se laisse tenter par toutes sortes d’en-cas et des bons vins dont il est très friant. Il fait fi des promotions et des sous-marques économiques cachées en bas des présentoirs. Il se met dans une file à la caisse. Lorsqu’il se penche pour attraper les article au fond du charriot, il remarque le regard vicieux de l’homme derrière lui qui plonge dans son décolleté. Ce dernier émet un sifflement de contentement, ce qui met Tony hors de lui :
– Si tu ne regardes pas ailleurs que mes nibards, je te colle ma boîte de petits pois dans les fesses. C’est compris ?
L’homme baisse le regard et contemple ses chaussures, et peut-être les jambes un peu velues de Tony. La caissière ayant fini de comptabiliser les achats, elle lui annonce un montant largement supérieur au total des billets contenus dans le porte-feuille de Lisa. Tony se souvient de leur conversation concernant le budget pour les courses. Il lui a imposé un budget de cent euros par semaine, sans lui donner accès à la carte bancaire, prétextant qu’il était généreux et qu’il lui resterait largement au-dessus. Il doit donc se résigner à laisser la moitié de son caddy avant de tout charger dans le coffre trop réduit de la Twingo.
De retour à la maison, impossible de se garer devant. Il lui faut faire de nombreux aller-retours, les bras chargés. Le rangement des courses lui paraît interminable. Il est déjà seize heure et il faut aller chercher le petit à l’école ! Il court d’une façon peu féminine pour parvenir à temps à la porte de la cour de récréation. Sa poitrine gonflée à coup de prothèses semble peser une tonne. Enzo est le dernier à attendre sa maman. L’institutrice regarde Tony transpirant et soufflant comme un bœuf, ou plutôt une vache, d’un air de désapprobation.
Le petit réclame son habituel goûter mais ce dernier est resté dans le chariot au supermarché. Tony lui propose d’autres choses qui ne semblent pas plaire à son fils. Celui-ci finit par manger un paquet de chips avec un verre de lait. L’heure tourne et il faut préparer le souper.
Un hachis parmentier ! Mais comment on prépare cela ? Il aurait pu commander au traiteur mais sans argent… Heureusement, des sites internet sont spécialisés dans la description de recettes simplifiées. Mais l’écran du GSM de Lisa est cassé et certains mots sont illisibles. Tant pis, il improvise. Après une heure de préparation, la cuisine est un vrai chantier et ses vêtements sont tachés de sauce tomate. Il met le plat dans le four et monte se couler un bon bain chaud. Avant qu’il n’ait le temps de se déshabiller, il entend Enzo l’appeler pour ses devoirs. Il lui faut une grosse demi-heure pour lui expliquer les règles de grammaire, le temps que son bain devienne froid et perde tout son attrait.
Tony, l’autre, entre vers dix-neuf heures. La maîtresse de maison est fière de déposer son hachis parmentier au milieu de la table pour s’entendre dire :
– J’ai déjà soupé avec les collègues.
Enzo goûte mais fait la grimace. En effet, il y a trop d’épices et la purée a la texture du ciment. Le tout finit dans la poubelle au grand désarroi du cuisiner d’un jour.
Tony réclame son habituel verre de vin et que son épouse lui retire ses chaussures après une dure journée de labeur. Une dure journée ? Il ne sait pas toutes les galères qu’il a connues aujourd’hui ! S’il savait… Rien ne sert de lui expliquer, il ne comprendrait rien.
Le soir tombe et Tony aussi… de fatigue. Il rêve de se coucher mais il faut que le petit prenne son bain. Il le laisse barboter une demi-heure, le temps de comater un peu dans la chambre. Lorsqu’il revient, on croirait qu’un tsunami a ravagé la salle de bain. Enzo a mis de l’eau partout en jouant à la bataille navale. Il faut éponger pendant dix minutes. Une fois en pyjama, il faut lui raconter une histoire. Il choisit Blanche-Neige. En voilà un conte machiste où l’homme sauve la femme d’un simple baiser.
L’enfant enfin endormi, Tony enfile avec plaisir sa robe de nuit même s’il aurait préféré son pyjama car il se sent un peu nu en bas. Il se couche avec plaisir dans son lit et se trompe de côté. L’autre Tony ne manque pas de le repousser à sa place. Dès que la lampe de chevet est éteinte, il commence alors à faufiler sa main sous la robe de nuit pour aller lui masser les parties intimes. Tony se rappelle alors que nous sommes jeudi et que c’est le jour où il acomplit son devoir conjugal. Mais cette fois, c’est lui est en-dessous, écrasé par le poids marital. Après avoir plus subi que joui, il se rend dans la salle de bains. C’est alors que la fée Ministe apparaît et demande :
– Alors, as-tu compris la leçon ?
– Oui, je ne dirai plus jamais que ma femme est une bonne à rien et que je suis meilleur. Je regrette mon comportement. Faites cesser cette journée. Je n’en peux plus. Je vous en prie…
Voyant le réel repenti de Tony, la fée remet chacun à sa place. Depuis lors, Tony se montre plus compréhensif envers sa femme, partage les tâches ménagères, lui donne les rênes du budget. Il n’a plus de propos machistes envers les femmes dont il connaît maintenant le quotidien chargé. Il craint plus que tout le courroux de la fée Ministe.
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