Et si c'était vrai ?
Vous savez, je ne crois pas trop aux conneries sur les extra-terrestres. Vu le nombre d’hallucinés que je croise tous les jours, je saurais rester zen en cas de rencontre avec une créature venue d’une planète à deux balles.
J’ai lu dans un magazine sérieux une histoire abracadabrantesque sur nos origines. L’auteur était un gars bardé de diplômes, avec de grosses lunettes et une tronche de premier de la classe. Il disait que les humains venaient d’ailleurs et il continuait en décrivant comment nos créateurs avaient ensemencé le monde.
Des semences, vous vous rendez-compte ? Imaginez ma réaction quand j’ai appris que j’étais né d’une bouture piquée par un jardinier extra-terrestre. Pourtant, je n’étais pas arrivé au bout de mes peines ; la théorie partait gravement en vrille, en assurant que les rois du jardinage avaient fertilisée la Terre pendant des siècles et qu’ils revenaient régulièrement relever les compteurs. D’après le chauve à lorgnons, la vie terrestre venait de ces spécialistes du sécateur ; non seulement ils avaient engendré les faces de cake de mon quotidien mais en plus ils avaient créés les moustiques, les gnous et plein de bêtes pas commodes.
Qu’est-ce que j’avais pu me marrer après cette lecture ! Assis tranquillement dans mon compartiment de la ligne Paris-Nevers, je m’étais bidonné en imaginant le retour des jardiniers. Je voyais déjà le topo : les allumés du jardinage débarquaient en France sur leurs soucoupes volantes dernier cri, puis ils essayaient d’établir le contact avec les autochtones.
Je concoctais alors un scénario plausible avec un atterrissage à Saint-Denis, l’irruption des condés, la foule essayant de piquer des bouts de vaisseau. Dans mon imagination, les zinzins de l’espace restaient cool et ils acceptaient de garer leur véhicule spatial à l’hôtel de police puis ils se pliaient aux formalités douanières.
— Nom, prénom, profession, date et lieu de naissance, adresse postale, leur demanda une grosse mama en uniforme bleu.
— XTZRTTA, Gronk, jardinier, premier décan de la vingt-troisième rotation sur XCIT223, carré douze de la seizième ruche sur XCIT225, répondit le chef des petits gris.
Eh oui, ils étaient petits et gris. Je suis de la génération Mulder et Scully ; du coup je ne me casse pas le cul à chercher midi à quatorze heures. Un extra-terrestre est obligatoirement un nabot famélique, au teint grisâtre, avec de gros yeux noirs et une tête d’hydrocéphale. En réalité, quand on voit Nicolas le jardinier, on n’est pas loin de la vérité. Lui, c’est quand même pas l’humanité qui l’étouffe.
Il n’avait pas pensé à tout ça le fort en thème, quand il avait pondu son article. Dans la vie de la France d’en-bas, comme disait un célèbre pélican, ce n’était pas aussi simple.
Revenons à nos créateurs. En admettant que la maréchaussée ne les expulsa pas manu-militari à coups de pompes dans le train sous un prétexte quelconque du genre de la lutte contre le terrorisme ou de la menace islamique, ils n’en avaient pas fini avec les contrariétés. Un tel événement ne passait pas inaperçu ; dès leur arrivée à Saint-Denis, des petits malins avaient pris des photos avec leur téléphone portable et les avaient envoyées sur Internet. Des journalistes étaient alors venus avec des paparazzis, dans le but ô combien charitable de nous informer de la nouvelle. Gronk et sa bande avaient été invités au journal télévisé, présenté exceptionnellement par les deux stars de la chaîne : le nain à coupe obole et le garçon coiffeur évaporé. J’imaginais bien la scène, devant des millions d’yeux écarquillés, pour des cerveaux habitués aux vérités publicitaires et aux discours populistes.
— Monsieur Gronk, d’aucuns prétendent que vous êtes jardinier, dit le rase-moquette.
— Ce n’est pas tout à fait vrai. Je suis ce qu’on appelle dans notre corporation, un incubateur de civilisation. Je cultive des espèces intelligentes et je les dote d’un environnement adapté à la création d’un écosystème avancé. Ensuite, je les laisse bâtir leur propre société, en leur donnant quelques fois un coup de pouce, afin d’accélérer le processus.
— Avez-vous des exemples de telles actions ? demanda le blondinet, dans l’espoir d’exister à côté de son confrère trop savant à son goût mais beaucoup moins glamour à l’écran.
— Le feu. Vos ancêtres avaient besoin de cuire leurs aliments sinon ils ne bénéficiaient pas du régime alimentaire adéquat pour augmenter leurs capacités cérébrales. Il en fut de même avec la roue, l’écriture et le fil à couper le beurre.
— Et pour la religion ? insista le gnome journaliste. Vous ne prétendez quand-même pas nous avoir apporté cette forme de spiritualité ?
— Non. Vous avez inventé ces légendes tous seuls. Personnellement, j’étais pour arrêter l’expérience à ce stade parce que je sentais que vous alliez en faire mauvais usage mais mon commandement m’avait ordonné de poursuivre sans me préoccuper des conséquences bellicistes.
— Vous ne pratiquez pas de rite religieux ? rebondit brillamment le gendre préféré des mémères françaises.
— Si vous entendez par là , tuer des millions de personnes au nom d’une supposée idéologie, d’un soi-disant être suprême et de son représentant sur Terre, nous n’avons en effet jamais versé dans ce type de dogme.
Bon, j’arrête là mon délire de fiction. Des cultivateurs extra-terrestres, c’est une idée peu banale mais pas franchement révolutionnaire. L’avantage de cette thèse, c’était qu’elle m’avait permis de passer le temps lors d’un voyage vers Nevers où ma charmante cousine devait me présenter l’élu de son cœur, un gars bien sous toutes les coutures disait-elle.
Eh bien figurez vous, quand j’ai vu la tronche d’enluminé de son futur époux, j’ai failli avaler mon bulletin de naissance.
Finalement, je commence à croire la thèse de l’autre binocleux. Les jardiniers ont du oublier un sous-fifre lors de leur dernier séjour à Nevers.