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De Montpellier
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Le 19 octobre 1984, Ã 85 ans, meurt, Ã Namur Henri Michaux
l naît le 24 mai 1899 à Paris, écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française. naturalisé français en 1955. ses Œuvres principales, Cas de folie circulaire en 1922, Un barbare en Asie en 1933, Plume en 1934 Henri Michaux passe son enfance dans une famille de chapeliers aisés, à Bruxelles, au 69 rue Defacqz. Après avoir séjourné dans un pensionnat de la région de Malines, il poursuit ses études à Bruxelles au Collège Saint-Michel, où il a pour condisciples Norge, Herman Closson et Camille Goemans.
En bref
Adolescent angoissé, ses premières expériences littéraires sont marquées par la fréquentation de Tolstoï et Dostoïevski. Même s'il lit beaucoup pendant ses études chez les jésuites, il ne s'oriente pas tout d'abord vers l'écriture mais vers la médecine, qu'il abandonnera assez vite pour s'engager comme matelot. Il navigue en 1920 et 1921, mais doit débarquer, son bateau étant désarmé. À peu près à la même époque, la découverte de Lautréamont le pousse à écrire. Il en sortira Cas de folie circulaire en 1922, premier texte qui donne déjà une idée de son style. Ensuite les écrits se succèdent Les Rêves et la Jambe en 1923, Qui je fus en 1927… et les styles se multiplient. Dans les années 1920, il collabore activement à la revue d'avant-garde Le Disque VERT fondée par Franz Hellens. Pendant cette période, il émigre à Paris. Dès lors, il ne cessera de renier tout ce qui le rattache à la Belgique. En revanche, il gardera jusqu'à la fin de sa vie une réelle affinité avec la France et avec Paris en particulier — même s'il ne cessera pas de voyager dans le monde entier. À Paris, il se lie rapidement avec le poète Jules Supervielle avec qui il restera ami jusqu'à la mort de ce dernier. En 1936, ils voyagent en Uruguay chez Supervielle puis à Buenos Aires en Argentine pour le Congrès International du Pen Club International. Au cours de ce voyage, Michaux rencontre Susana Soca, femme de lettres uruguayenne avec qui il sera très lié. Il retrouve également Victoria Ocampo, la directrice de SUR. À Paris, Michaux fut ami avec plusieurs personnes qui jouèrent un grand rôle dans le monde artistique, comme Brassaï, Claude Cahun, Jean Paulhan son éditeur à la NRF, le libraire-éditeur Jacques-Olivier Fourcade son ami le plus proche et correspondant, il l'embauchera comme conseiller littéraire, publiera Mes propriétés en 1929, et Nous deux encore en 1948 ; il favorise par ailleurs l'émergence d'une jeune génération de poètes dont Vincent La Soudière. Outre les textes purement poétiques, il rédige des carnets de voyages réels, Ecuador en 1929, Un barbare en Asie en 1933 ou imaginaires, Ailleurs en 1948, parmi beaucoup d'autres, des récits de ses expériences avec les drogues, notamment la mescaline, Misérable Miracle en 1956 et le cannabis, Connaissance par les gouffres en 1961, des recueils d'aphorismes et de réflexions, Passages en 1950, Poteaux d'angle en 1971…, etc. Bien que ses ouvrages les plus importants aient été publiés chez Gallimard, de nombreux petits recueils, parfois illustrés de ses dessins, ont été publiés à un faible tirage chez de petits éditeurs
Sa vie
Henri Michaux est né le 24 mai 1899 à Namur dans une famille bourgeoise ardennaise et wallonne. Enfant et adolescent maladif, rêveur, révolté contre son milieu familial, il boude la vie, existe en marge, s'évade dans la lecture. Il découvre les mystiques. À vingt ans, refusant toute intégration sociale, il renonce à poursuivre ses études de médecine et s'embarque comme simple matelot. Au bout d'un an d'aventures maritimes, il revient à Bruxelles. Il semble être définitivement un raté. La lecture de Lautréamont lui révèle sa vocation d'écrivain. Il débute par des essais et des textes poétiques en prose où l'imagination cocasse et le style percutant révèlent déjà sa profonde originalité. Poète et peintre, Henri Michaux n'a quitté définitivement sa Belgique natale qu'à vingt-cinq ans et n'a été naturalisé français qu'à cinquante-cinq ans. Venu à Paris, il se lie avec Jean Paulhan, qui est le premier à comprendre et à apprécier son génie. Son premier livre, Qui je fus 1927, passe à peu près inaperçu. Un voyage en Amérique du Sud lui inspire Ecuador en 1929 ; quelques années plus tard, il rapporte d'un grand voyage en Inde et en Chine un autre journal de bord, Un barbare en Asie en 1932. Entre-temps, il a écrit ses premiers chefs-d'œuvre : Mes Propriétés en 1929 et Un certain Plume en 1930 ; repris sous le titre de Plume en 1938, nom d'un personnage falot, éternelle victime des hommes et des événements, qui incarne l'angoisse de vivre. Dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, l'inspiration de Michaux s'approfondit. Il commence la description de ses pays imaginaires et il fixe les images du Lointain intérieur en 1938. En même temps, il se consacre de plus en plus au dessin et à la peinture et commence à exposer des aquarelles et des gouaches aussi étranges, pour le grand public, que ses poèmes. La publication, en 1941, d'une conférence de Gide, Découvrons Henri Michaux, marque le début de la notoriété. Mais c'est seulement après 1955, au moment où il entreprend d'expérimenter sur lui-même les effets des drogues hallucinogènes, notamment de la mescaline, qu'il obtient la consécration définitive. Cependant, fidèle à sa vocation de poète réfractaire, jaloux de son autonomie, soucieux d'échapper à toutes les aliénations, même celle de la gloire, il refuse, en 1965, le grand prix national des lettres.
De la révolte à L'aventure
Contemporain des surréalistes, Henri Michaux a cherché comme eux dans la poésie et dans l'art une aventure spirituelle comparable à certains égards à l'expérience mystique. Mais il se distingue nettement d'eux par le climat angoissé de son univers intérieur, par son esprit critique, sa curiosité intellectuelle, son refus de toute agitation tapageuse et de tout engagement idéologique. Il donne l'exemple de la plus grande liberté d'esprit dont un homme soit capable. Tenté, au début, de refuser la réalité pour s'évader dans l'imaginaire, il a finalement entrepris d'explorer le plus complètement possible, en tentant sur lui-même des expériences d'un caractère presque médical, le domaine mental de l'homme. Qu'il s'agisse d'exprimer ses sentiments d'angoisse et de révolte, de raconter ses rêves, d'imaginer des histoires fantastiques, ou de rendre compte d'expériences psychologiques, Michaux le fait dans un style immédiatement reconnaissable et inimitable, sec, nerveux, haletant, saccadé, vibrant, qui traduit à la fois l'émotion et l'humour. Longtemps desservi par son originalité même, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands écrivains français. Il fut aussi un remarquable peintre, un des initiateurs du tachisme en France. L'évolution de son œuvre graphique, depuis les figures monstrueuses du début jusqu'aux signes, aux taches et aux dessins mescaliniens, sans être absolument liée à celle de son œuvre littéraire, va dans le même sens : de l'angoisse paralysante à l'ivresse de la découverte.
L'espace du dedans
Michaux se désintéresse de ce qui est extérieur : paysages, objets, réalités économiques, relations sociales, devenir historique. Son regard plonge à l'intérieur de lui-même, dans ce domaine incirconscrit et obscur où naissent les pensées, les rêves, les images, les impressions fugitives, les pulsions. Aucun écrivain peut-être n'a jamais porté une telle attention aux mouvements les plus ténus de la vie intérieure. Il dit de l'art de Paul Klee, avec qui il a d'incontestables affinités, qu'il nous communique le sentiment d'être « avec l'âme même d'une chrysalide. Sa faculté maîtresse est l'imagination, mais une forme d'imagination qui refuse le pittoresque et la narration. Ce domaine de l'imaginaire, c'est ce qu'il appelle ses propriétés. Il est à la fois tout entier enclos dans son esprit et à la mesure de l'universel, puisqu'il est riche de millions de possibles. Ce que Michaux invente, ce n'est jamais une action, une intrigue il n'est pas un conteur, même dans Plume, mais des êtres et surtout des manières d'être. Au pays de la Magie ou dans celui des Meidosems (êtres filiformes et évanescents, il fait l'inventaire de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de souffrir, de mourir. L'imagination est source de trouble et d'angoisse, puisque c'est elle qui provoque les images obsédantes, sécrète les monstres, doue les objets et les êtres d'un pouvoir d'agression, fait du monde une perpétuelle menace pour le corps et la conscience de l'individu, également fragiles. Une grande partie de l'œuvre de Michaux exprime la terreur d'être envahi par les puissances environnantes du monde hostile. Mais l'imagination, qui est une force de destruction du moi, est en même temps un instrument de défense et une force de restructuration. Toute une autre partie de l'œuvre de Michaux montre les divers procédés d'intervention qui permettent au rêveur endormi ou éveillé de prendre sa revanche sur la réalité hostile, de corriger ou de compléter le monde dans le sens de ses plus secrets désirs. Dans cette perspective, la poésie et la peinture sont moins des moyens d'expression que des exorcismes.
La recherche de l'absolu
Michaux écrivait déjà dans son premier livre : Je ne peux pas me reposer, ma vie est une insomnie .... Ne serait-ce pas la prudence qui me tient éveillé, car cherchant, cherchant et cherchant, c'est dans tout indifféremment que j'ai chance de trouver ce que je cherche puisque ce que je cherche je ne le sais. Son entreprise consiste donc à tenter d'atteindre quelque chose qui se dérobe sans cesse et à quoi il ne lui est pas possible de renoncer sans que sa vie perde toute signification. Cette ferveur perpétuellement frustrée, ce désir qui aboie dans le noir, les mouvements de ce cerf-volant qui ne peut couper sa corde définissent la situation spirituelle de l'homme contemporain, à qui sa pensée analytique et sa culture désacralisée ne permettent plus de participer à l'Être. L'activité littéraire et artistique de Michaux, comme d'ailleurs toutes ses autres activités, est une entreprise de salut. Dans sa jeunesse, la solution de la mystique chrétienne l'avait attiré. Plus tard, il a découvert la pensée de l'Inde et celle de la Chine, qui lui offrent des modèles et des techniques de méditation plus efficaces. Mais c'est finalement dans la poésie et dans l'art qu'il trouve la voie d'une réconciliation avec le monde et la vie. Il ne s'agit pas de trouver des solutions ou des réponses, mais de s'éveiller à la vraie vie, d'accéder au sens véritable du monde, qui est son mystère et son inépuisable nouveauté. Il faut retrouver l'esprit d'enfance : elle est l'âge d'or des questions et c'est de réponses que l'homme meurt. C'est encore à propos de Paul Klee que Michaux explique à quelles conditions l'art et la poésie permettent de dépasser la muraille de signes qui nous sépare du réel : Il suffit d'avoir gardé la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre.
L'expérience de l'infini
Michaux avait jadis été tenté de recourir à la drogue notamment l'éther comme à un moyen de s'évader, de se retirer du monde, de vivre de l'autre côté. Plus tard, ce n'est plus l'évasion qu'il recherche, mais l'expérience. Il ne s'agit pas pour lui d'échapper à la condition humaine, mais d'en explorer toutes les possibilités. La drogue, qui donne des hallucinations et permet d'accéder à l'état second, est l'une des voies de l'aventure mentale dans laquelle le poète s'est engagé et qui consiste à se parcourir, à faire l'occupation progressive de tout son être en exploitant toutes ses facultés. À partir de 1955, une partie de l'œuvre de Michaux va être consacrée à l'exploration de l'univers prodigieux que lui a révélé l'usage de drogues comme l'opium, le haschich, le L.S.D. et surtout la mescaline. Il montre que le drogué fait l'expérience de l'infini, mais aussi qu'il existe deux catégories, deux modalités de l'infini, dont l'une est le mal absolu et l'autre le bien absolu. Les titres des ouvrages qui décrivent les effets de la drogue : Misérable Miracle en 1956, L'Infini turbulent 1957, Paix dans les brisements, 1959, Connaissance par les gouffres en 1961, rendent compte du caractère essentiel de l'hallucination par le haschich ou de l'ivresse mescalinienne, qui est l'aliénation. Le drogué, comme le fou, est délogé de ses positions, chassé de lui-même, pris dans un « mécanisme d'infinité. Avec la perception juste de son corps, il a perdu sa demeure. Il ne retrouve plus le château de son être. L'expérience de la folie mescalinienne enseigne à la fois que l'infini est l'ennemi de l'homme et que, pourtant, l'homme est vulnérable à l'infini, qu'il y est poreux, parce que ça lui rappelle quelque chose et qu'il en vient. La finitude est conquise sur l'infini et la vie humaine normale est une oasis, une hernie de l'infini . Il existe pourtant une autre forme de l'infini, dont Michaux a fait parfois, d'une manière inattendue, l'expérience bouleversante : un infini non plus de désorganisation et de turbulence, mais de complétude, de transcendance, l'unité retrouvée. C'est l'extase, semblable à celle des mystiques, par laquelle il se sent remis dans la circulation générale, rentré au bercail de l'universel et qui lui donne enfin accès à une démesure qui est la vraie mesure de l'homme, de l'homme insoupçonné.
Humour et poésie
L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour. D'un bout à l'autre de son œuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense. Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions. Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin. Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de vie plastique, où il invente la mitrailleuse à gifles ou la fronde à hommes, dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture. De toute manière, écrire ou peindre n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : Écrire, écrire : tuer, quoi. Il crée, dit-il encore, pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être. En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre.
Sagesse et contemplation
Un dernier massif est venu, dans la vieillesse, compléter l'œuvre. Tout ce qui précédait se trouve repris et dépassé sur chacun des deux versants, dont l'un est tourné vers la sagesse, l'autre vers la contemplation. On trouvait déjà , çà et là , dans les ouvrages de l'âge mûr, des aphorismes, qui étaient d'un moraliste. Poteaux d'angle (1981 est un recueil de préceptes que le poète s'adresse à lui-même ; et la sagesse qu'ils contiennent se situe au-delà de toute sagesse. Michaux se défend d'être un gourou : Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller – faute suprême – à te croire maître, même pas un maître à mal penser. Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert. Comment le poète réfractaire pourrait-il enseigner autre chose que la liberté ? Les principes de sa morale sont l'authenticité et l'autonomie : être soi, être à soi. Mais cela conduirait au blocage du moi si cette sagesse n'était pas aussi un mouvement d'ouverture au monde et d'élan vers l'inconnu. Comment conserver quelque chose du prodigieux foisonnement des possibles, sinon en gardant une totale disponibilité ? Si tu ne t'es pas épaissi, si tu ne te crois pas devenu important..., alors peut-être l'Immense toujours là , le virtuel Infini se répandra de lui-même. Dans Face à ce qui se dérobe 1975, Michaux décrivait la survenue de la contemplation. Elle ne peut naître que dans le silence. Une fois repoussés les variations et ce qui nourrit les variations : les informations, les communications, le prurit de la communication... on retrouve la Permanence, son rayonnement, l'autre vie, la contre-vie. Il est significatif que l'un de ses derniers textes soit la suite de poèmes intitulée Jours de Silence, recueillis dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, 1981. Il ne décrit plus la contemplation mais la chante, la célèbre, avec la ferveur retrouvée des mystiques d'Occident et d'Orient. Parallèlement au poète, parfois en discordance avec lui, le peintre Henri Michaux a connu lui aussi, dans sa vieillesse, l'accomplissement. Il a utilisé de nouvelles techniques pour jeter dans l'espace les lignes, les taches et les signes qui forment ce que Jean Grenier a appelé une architecture de l'impermanence.
Le peintre
Il est particulièrement difficile de donner à voir, à l'aide des mots, ce que Michaux, contre les mots, invente, de traduire sa vision au moyen d'un langage qu'il a voulu, justement, fuir dans l'image. Et il ne saurait être question de retracer, en quelques lignes, un itinéraire aussi sinueux que le sien, à travers tant de techniques diverses : huile, lavis, gouache, aquarelle, dessin, encre, acrylique. Tout au plus pourra-t-on s'interroger sur la nature de l'expérience plastique, chez Michaux, et indiquer les principales directions dans lesquelles elle s'est engagée.
Michaux nous apprend que, jusqu'en 1925, il haïssait la peinture, et le fait même de peindre. C'est qu'il n'y voyait encore qu'une façon de reproduire, de répéter le réel, l'abominable réalité ; il n'avait pas encore découvert qu'elle pouvait être, aussi, l'inventaire de l'invisible. Le recours à la peinture procède, chez lui, d'une instinctive méfiance à l'égard de l'énorme machinerie du langage, de ce que sa préexistence à toute démarche créatrice a de cruellement contraignant, pour l'homme des mots. Sans doute les images elles-mêmes tendent-elles à se constituer en système de signes, mais ce système n'est pas aussi strictement codifié, hiérarchisé ; il ne nous emprisonne pas dans un réseau aussi serré d'habitudes, de mécanismes, de structures. Il semble donc plus facile de rejoindre, à travers l'expérience picturale, le primitif et le primordial, d'entrer en contact, avec ce qu'on a de plus précieux, de plus replié, de plus vrai, de plus sien. Si, en passant de la poésie à la peinture, Michaux change de gare de triage, s'il regarde le monde par une autre fenêtre, les motivations profondes de la démarche créatrice demeurent les mêmes. Peinture et dessin peuvent être tour à tour – ou à la fois – agression et exorcisme, approche tâtonnante de l'être et tentative de se parcourir ; ils partent, eux aussi, du même refus de toute imitation, du même projet de donner forme à l'informe.
L'une des voies qu'emprunte la recherche picturale devait tout naturellement conduire l'auteur du Voyage en Grande Garabagne au pays des monstres. Des monstres dont ne surgit souvent que le visage ou même des fragments de visage : inachevés, vacillants, blêmes, en proie à d'obscurs tropismes, présents-absents toujours en quête d'un ancrage, ils sont la projection d'un moi ou d'un non-moi que le peintre malmène avec une hargneuse impartialité – figures d'un monde hostile ou fantômes intérieurs. L'une des premières tentatives de Michaux allait dans le sens d'une peinture calligraphique : une main aventureuse dessinait inlassablement, d'une ligne continue ou rarement interrompue, le simulacre d'une écriture inconnue. Michaux se lassa. Mais, bien plus tard, il devait reprendre, sous une forme un peu différente, sa recherche. De l'encre de Chine jaillissent alors, une à une, des créatures minuscules, à mi-chemin entre l'homme et la racine, qui s'égrènent, au fil des pages, en un alphabet de ténèbres. Un peu plus tard, elles s'avanceront deux par deux, prêtes pour le ballet du rut ou du duel. Puis elles se multiplieront, proliféreront, noircissant la feuille blanche de leur fourmillement innombrable, s'agglutinant en groupes compacts, mais toujours mobiles, toujours en train de se défaire, parcourus de mouvements rageurs, scandant des rythmes. Du combat du peintre contre le sale flot noir ont surgi, en foule, des visions de combat. De l'expérience mescalinienne, du formidable spectacle optique qu'elle constitue, de l'envahissement total, sans rémission ni recours, qu'elle inaugure, procède un graphisme qui ne pouvait que se réduire à une série de sismogrammes : sans commune mesure avec l'immensité de l'événement qu'il enregistre, le dessin n'est plus alors, nous dit Michaux, qu' une sorte de traduction graphique du vibratoire auquel j'ai assisté ; de l'ampleur de l'invasion subie, son espace surpeuplé témoigne – de façon parfois terrifiante. Le dessin mescalinien se trouve constamment confronté à l'impossibilité de rendre le lieu sans lieu, la matière sans matérialité, l'espace sans limitation. Une inépuisable prolifération d'entrelacs, de brisements, de franges, de spirales, de zébrures, instaure le règne d'une infinie répétition, défiant tout effort du langage pour apposer un nom sur ce qui n'est jamais être ou objet, mais seulement flux et passage, ou, plus exactement, trace – simple trace et rien de plus – d'un flux et d'un passage.
Parallèlement à l'écriture, dès 1925, il commence à s'intéresser à la peinture et à tous les arts graphiques en général. Exposé pour la première fois en 1937, il ne cesse ensuite de travailler, au point même que sa production graphique prend en partie le pas sur sa production écrite. Durant toute sa vie, il pratiquera autant l'aquarelle que le dessin au crayon, la gouache que la gravure ou l'encre. Il s'intéresse également à la calligraphie qu'il utilisera dans nombre de ses œuvres. En 1948, Henri Michaux perd sa femme Marie-Louise Termet de façon tragique, à la suite d'un accident domestique ; ce deuil lui inspirera la même année son texte Nous deux encore.
La pratique de l'écriture et du dessin se sont conjugués, notamment, lors de son expérimentation de la mescaline commencée en janvier 1955, à l'âge de 55 ans, alors que Michaux n'avait auparavant consommé aucune drogue mis à part de l'éther. En effet, la correspondance entre Jean Paulhan et Michaux montre déjà un intérêt pour la drogue hallucinogène dans le courant 19548; mais c'est au début du mois de janvier 1955 que Jean Paulhan et la poétesse suisse Edith Boissonnas se retrouvent chez Michaux pour faire l'expérience de la mescaline8 : cette expérience sera renouvelée à trois reprises et fera l'objet de publications chez chacun des participants : Rapport sur une expérience de Paulhan publié dans ses œuvres complètes, Mescaline de Boissonnas La NRF, mai 1955 et Misérable Miracle de Michaux Éditions du Rocher, 1956, dont le récit est complété par une quatrième expérience, qu'il mène sans ses deux acolytes, dans le courant 1955. Cette expérimentation, qui se prolongera jusque vers 1966 avec la parution des Grandes Épreuves de l'esprit, permet aussi de retrouver l'attrait de Michaux pour la médecine et en particulier la psychiatrie il a assisté de nombreuses fois et dans de nombreux pays à des présentations de malades dans des asiles. Ces expérimentations se déroulaient parfois sous la surveillance d'un médecin, en calculant précisément les doses ingérées, en tenant un protocole d'observation médical10 et en dessinant. Il s'agit d'une approche scientifique – l'auto-observation11 – de ces substances psychotropes Michaux expérimenta également le LSD et la psilocybine et de la création artistique qui peut en découler. À la fin de sa vie, Michaux était considéré comme un artiste fuyant ses lecteurs et les journalistes, ce qui contraste avec les nombreux voyages qu'il a faits pour découvrir les peuples du monde, et avec les nombreux amis qu'il compta dans le monde artistique. Henri Michaux fait partie des peintres réunis pour l'exposition L'envolée lyrique, Paris 1945-1956 présentée au Musée du Luxembourg Sénat, avril-août 2006 Sans titre, 1948; Six dessins pour 'Mouvements' , 1949; Sans titre, 1951, Dessin mescalinien, 1955 -
L'une de ses citations les plus connues est : Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.
Å’uvres
Cas de folie circulaire, 1922 Les Rêves et la Jambe, 1923 Fables des origines, Disque vert, 1923 Qui je fus, 1927 Mes propriétés, Fourcade, 1929 La Jetée, 1929 Ecuador, 1929 Un barbare en Asie, 1933 La nuit remue, 1935 Voyage en Grande Garabagne, 1936 La Ralentie, 1937 Lointain intérieur, 1938 Plume, 1938 Peintures. GLM, 1939 Au pays de la Magie, 1941 Arbres des Tropiques, 1942 L'Espace du dedans, 1944 Épreuves, exorcismes, 1940-1944 Ici, Poddema, 1946 Peintures et dessins. Le point du jour, 1946 Meidosems. Le point du jour, 1948. Ailleurs, 1948 Nous deux encore.7 Lambert, 1948 La Vie dans les plis, 1949 Poésie pour pouvoir. Drouin, 1949 Passages, 1950 Mouvements, 1952 Face aux verrous, 1954 L'Infini turbulent, 1957 Paix dans les brisements, 1959 Connaissance par les gouffres, 1961 Vents et poussières, 1962 Postface à Plume et Lointain intérieur" "On est né de trop de mère..."1963 Désagrégation, 1965 Les Grandes Épreuves de l'esprit et les innombrables petites, 1966 Façons d'endormi, façons d'éveillé, 1969 Poteaux d'angle, 1971 Misérable Miracle La mescaline, 1972 En rêvant à partir de peintures énigmatiques, 1972 Émergences, résurgences, 1972 Bras cassé, 1973 Moments, traversées du temps, 1973 Quand tombent les toits, 1973 Par la voie des rythmes, 1974 Idéogrammes en Chine, 1975 Coups d'arrêt, 1975 Face à ce qui se dérobe, 1976 Les Ravagés, 1976 Jours de silence, 1978 Saisir, 1979 Une voie pour l'insubordination, 1980 Affrontements, 1981 Chemins recherchés, chemins perdus, transgressions, 1982 Les Commencements, 1983 Le Jardin exalté, 1983 Par surprise, 1983 Par des traits, 1984 Déplacements, dégagements, 1985 posthume Rencontres (avec Paolo Marinotti), 1991posthume Jeux d'encre. Trajet Zao Wou-Ki, 1993 posthume En songeant à l'avenir, 1994 posthume J'excuserais une assemblée anonyme..., 1994 posthume À distance, 1996 posthume
Bibliographie
Collectif, Cahier Henri Michaux, dirigé par Raymond Bellour, L'Herne, coll. Cahiers de L'Herne, Paris, 1966, 528 p. Chang-kyum Kim, Poétique de l'aphasie chez Henri Michaux, Éditions Visaje, Paris, 2007. Serge Chamchinov, Henri Michaux : signes, gestes, mouvements(écriture et peinture, 1 ill., Éditions ANRT, Lille, Raymond Bellour & Ysé Tran, Œuvres Complètes, Gallimard, coll. «La Pléiade », Paris, 1988, Raymond Bellour, Henri Michaux ou Une mesure de l'être, Gallimard, coll. Essais René Bertelé, Henri Michaux, Seghers, coll. Poètes d'aujourd'hui Robert Bréchon, Michaux, Gallimard, coll. La Bibliothèque idéale Per Bäckström, Enhet i mångfalden. Henri Michaux och det groteska, Lund: Ellerströms förlag, 2005. Per Bäckström, Le grotesque dans l’œuvre d’Henri Michaux. Qui cache son fou, meurt sans voix, Paris: L’Harmattan, 2007. Llewellyn Brown, L'Esthétique du pli dans l’œuvre de Henri Michaux, Caen: Lettres modernes Minard, 2007, 235 p. Jean-Philippe Cazier : Notes pour Henri Michaux, in Chimères no 17 ; Peinture liquide , in Chaoïd no 6. Odile Felgine, Henri Michaux, collection Polychrome, Ides et Calendes, Neuchâtel, 2006 Alain Jouffroy, Henri Michaux, éd. Georges Fall, coll. Le Musée de Poche, Paris, 1961, 102 p. Maurice Imbert : Henri Michaux. Les livres illustrés, La Hune éditeur, 1993 ; Correspondance Adrienne Monnier et Henri Michaux, La Hune éditeur, 1999. Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, Gallimard, Paris, 2004, 746 p. Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, ADPF-Publications, Éditions des Affaires Étrangères, 1999, 62 p. Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, écritures de soi, expatriations, Éditions José Corti, 1994, 585 p. Jean-Michel Maulpoix, Michaux, passager clandestin, Champ Vallon, coll. champ poétique , 1984, 207 p. Jean-Pierre Giusto, Maurice Mourier, Jean-Jacques Paul, Sur Henri Michaux, coll. Parcours, Presses Universitaires de Valenciennes, 1988 Ezéchiel Saad, Yi King, Mythe et Histoire, frontispice de Henri Michaux, couverture de Zao Wou-Ki, Édition Sophora, Paris 1989. Farid Laroussi, Écritures du sujet : Michaux, Jabès, Gracq, Tournier, Éditions Sils Maria, 2006, Claire Stoullig, Henri Michaux, le langage du peintre, le regard du poète, Galerie Thessa Herold Paris, 1994, Claude Frontisi, Henri Michaux, le regard des autres, Galerie Thessa Herold Paris, 1999, Rainer Michael Mason, Henri Michaux, les années de synthèse, 1965-1984, Galerie Thessa Herold Anne-Christine Royère, Henri Michaux : voix et imaginaire des signes, Presses Sorbonne Nouvelle, Pierre Vilar, Françoise Nicol et Gwénael Boutouillet, Conversations avec Henri Michaux, Cécile Defaut,
Posté le : 17/10/2014 19:34
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